8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°237
N° RG 20/02368 –
N° Portalis DBVL-V-B7E-QTZU
Mme [Y] [T]
C/
S.A.S. HEVAG ([Localité 4] TRAITEUR)
Confirmation
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Grégory NAUD
Me Jean-David CHAUDET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 17 Mars 2023
devant Madame Gaëlle DEJOIE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [C] [F], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [Y] [T]
née le 03 Septembre 1974 à [Localité 5] (75)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Agathe HALKOVICH substituant à l’audience Me Grégory NAUD de la SELARL AVOXA NANTES, Avocats au Barreau de NANTES
INTIMÉE :
La S.A.S. HEVAG (‘[Localité 4] TRAITEUR’) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sandrine VIVIER substituant à l’audience Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocats postulants du Barreau de RENNES et par Me Victoria DOLL substituant à l’audience Me Sabrina ROGER de la SARL SABRINA ROGER AVOCAT, Avocats plaidants du Barreau de NANTES
Mme [Y] [T] a été embauchée par la SAS HEVAG ‘[Localité 4] TRAITEUR’ à compter du 9 février 2015 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité de ‘responsable administratif et comptabilité’, après rachat par la société HEVAG du fonds de commerce précédemment exploité par la SARL LATTE qui employait également son époux, M. [L] [T], en qualité de Chef charcutier traiteur.
Mme [T] était embauchée au coefficient 170 de la convention collective de la charcuterie de détail, pour une durée habdomadaire de 5 heures. Par avenant du 14 septembre 2015, la durée du travail était portée à 39 heures hebdomadaires, moyennant une rémunération mensuelle de 1.856,24 € pour 169 heures de travail comprenant la majoration des heures supplémentaires, soit 17,33 heures à 125%.
Le 22 août 2018, Mme [T], en même temps que son époux, a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée, par voie d’huissier, à un entretien préalable au licenciement fixé au 29 août 2018.
Mme [T] a été licenciée pour faute grave le 13 septembre 2018, de même que son époux.
Le 28 décembre 2018, Mme [T] a saisi le Conseil de prud’hommes de Saint Nazaire aux fins de voir :
‘ condamner la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
– 1.569,25 € bruts de rappel de salaire conventionnel de 2015 à 2018,
– 156,92 € bruts de congés payés afférents,
– 10.120,44 € bruts de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
– 1.012,04 € bruts de congés payés afférents,
– 3.091,39 € d’indemnité pour perte du droit à repos compensateur,
– 15.590,10 € d’indemnité pour travail dissimulé,
– 1.565,32 € bruts de rappel sur salaire de mise à pied,
– 156,53 € bruts de congés payés afférents,
– 5.196,70 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
– 519,67 € bruts de congés payés afférents,
– 10.393,40 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– 2.487,92 € d’indemnité légale de licenciement ( 2 598,35 X 3,83 x 1/4 ),
– 3.000 € de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire,
– 3.000 € d’article 700 du code de procédure civile,
‘ fixer le salaire de référence à 2.598,35 € bruts,
‘ prononcer l’exécution provisoire sur le tout,
‘ ordonner la capitisation des intérêts.
Le 4 juillet 2019, la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR », et les époux [D] ont déposé une plainte à l’encontre des époux [T] auprès du Procureur de la République de [Localité 6] pour des faits de harcèlement moral, agression sexuelle, abus de bien sociaux, soustraction frauduleuse, menaces verbales et physiques et escroquerie.
La cour est saisie d’un appel régulièrement formé par Mme [T] le 20 mai 2020 du jugement du 16 mars 2020 par lequel le Conseil de prud’hommes de Saint Nazaire a :
‘ dit et jugé le licenciement de Mme [T] fondé sur une faute grave,
‘ débouté Mme [T] de l’ensemble de ses demandes,
‘ débouté la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné Mme [T] aux dépens.
Le 17 février 2023, le Procureur de la République de Saint Nazaire a transmis à M. [D] un avis à victime, l’informant de la convocation des époux [T] à une audience le 12 mars 2024 devant le Tribunal Judiciaire de Saint Nazaire.
Par ordonnance du 23 février 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société HEVAG dans l’attente de la décision du tribunal correctionnel de Saint-Nazaire.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 7 mars 2023, suivant lesquelles Mme [T] demande à la cour de :
‘ réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes dans son intégralité, sauf en ce qu’il a débouté la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » de sa demande au titre de l’article 700,
‘ condamner en conséquence la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
– 1.569,25 € bruts de rappel de salaire conventionnel de 2015 à 2018,
– 156,92 € bruts congés payés afférents :
– 10.120,44 € bruts de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
– 1.012,04 € bruts de congés payés afférents,
– 3.091,39 € d’indemnité pour perte du droit à repos compensateur,
– 15.590,10 € d’indemnité pour travail dissimulé,
– 1.565,32 € bruts de rappel de salaire sur mise à pied,
– 156,53 € bruts de congés payés afférents,
– 5.196,70 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
– 519,67 € bruts de congés payés afférents,
– 2.487,92 € d’indemnité de licenciement,
– 10.393,40 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– 3.000 € de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire,
– 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédufe civile,
‘ fixer le salaire de référence à 2.598,35 € bruts,
‘ avec capitalisation des intérêts.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 8 mars 2023, suivant lesquelles la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » demande à la cour de :
In limine litis,
‘ déclarer la demande de sursis à statuer de la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » recevable et bien fondée,
‘ ordonner in limine litis de suspendre la présente instance dans l’attente de la décision à intervenir par le tribunal judiciaire de Saint Nazaire,
A titre subsidiaire, sur le fond,
‘ confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mars 2020 par le Conseil de prud’hommes de Saint Nazaire,
‘ débouter Mme [T] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
‘ la condamner à verser à la SAS HEVAG « [Localité 4] TRAITEUR » la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 9 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions régulièrement notifiées.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur le sursis à statuer
Vu les dispositions des articles 378 et suivants du code de procédure civile,
Au soutien de sa demande, déjà rejetée par ordonnance du conseiller de la mise en état, la société HEVAG produit’:
– un avis à victime adressé à «’Monsieur [D] [B]’» qui n’est pas visé en qualité de représentant de la société appelante, concernant une audience «’du TJ ST NAZAIRE’» prévue pour le 12 mars 2024 portant sur une «’affaire le concernant suivie contre [T] [L] et [Y]’» qui ne précise aucun libellé d’infraction ni date ni nature de faits poursuivis (pièce n°56),
– deux courriers électroniques du service de l’audiencement du parquet près le Tribunal judiciaire de St Nazaire qui confirment qu’il s’agit d’une procédure correctionnelle mais n’apportent pas davantage d’informations, sauf à observer qu’à la date du 1er mars 2023 le Procureur de la République n’était toujours pas destinataire du dossier des services enquêteurs (pièces n°58 et 65),
– deux correspondances de Me [M] qui affirme que la procédure concerne «’des faits d’abus de biens sociaux pour Monsieur [T] et d’abus de confiance pour Madame [T]’» avec la précaution qu’il «’demeure dans l’attente des documents justificatifs’» (pièces n°57 et 66).
Il ne ressort d’aucun de ces documents aucune définition suffisante des éléments matériels concernés par la procédure pénale évoquée permettant de démontrer qu’ils correspondent ne serait-ce que partiellement aux faits visés dans la lettre de licenciement qui définit les limites du présent litige en ce qui concerne la contestation du licenciement prononcé pour faute grave, de sorte que rien ne permet d’établir que la décision à intervenir sur l’action publique serait de nature à influer sur la décision à rendre par la présente juridiction.
Il n’y a donc pas lieu de surseoir à statuer.
Sur le rappel d’heures supplémentaires
Mme [T] soutient pour infirmation que selon l’avenant à son contrat de septembre 2015 la durée hebdomadaire était de 39 heures de travail et qu’elle était régulièrement payée pour 39 heures ; qu’à la suite du départ en mai 2018 de Mme [A], directrice des ventes en charge de la boutique traiteur, Mme [T] a dû la remplacer ; que les attestations qu’elle verse aux débats ainsi que les plannings confirment que Mme [T] était contrainte de travailler bien au-delà des heures pour lesquelles elle était rémunérée chaque semaine’; que les époux [D] étaient parfaitement au courant des heures de travail effectivement réalisées par la salariée ; que la société ne produit aucune pièce de nature à contredire celles présentées par la salariée.
La société HEVAG rétorque essentiellement pour confirmation que la demande de Mme [T] est fondée sur des plannings qu’elle a établis unilatéralement et postérieurement pour les besoins de la cause, que les plannings ont été complétés à la main avec des mentions fausses et incohérentes ; que Mme [T] fournit les attestations de salariés dont la présence n’était qu’intermittente au sein de l’entreprise et dont aucun n’était présent en 2017 et 2018.
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, pour solliciter une somme totale de 10.120,44 €, outre les congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires non rémunérées par son employeur, Mme [T] verse aux débats :
– une photocopie difficilement exploitable de plannings prévisionnels pour des semaines comprises entre juillet et août (semaines 26 à 33) d’une année qui n’est pas précisée (pièce n°26),
– des copies de bulletins de salaire (pièces n°25 et 54) montrant le paiement régulier, outre le salaire de base pour 35 heures hebdomadaires, de 17,33 heures par semaine au taux majoré de 125’%,
– un tableau récapitulatif en page 23 de ses écritures faisant état d’un décompte d’heures supplémentaires sur les périodes de «’octobre à décembre 2015’» puis «’2016’» puis «’janvier à septembre 2017’» puis « octobre à décembre 2017 » puis «’janvier à avril 2018 » puis «mai et juin 2018 » puis « juillet et août 2018’» sur la base d’un décompte compris entre 4 et 8 heures par semaine sur chacune de ces larges périodes, sans indication de la répartition de ces heures.
Mme [T] ne fournit aucun tableau hebdomadaire ni décompte précis mentionnant ses horaires de début ou de fin de journée. Les attestations d’autres salariés (pièces n°5, 6, 7 et 3) qu’elle verse également aux débats et les extraits de SMS (notamment pièces 23 et 24, n°9 et 10) ne donnent pas davantage de détail sur les heures qu’elle prétend avoir accomplies.
Mme [T] ne produit aucun autre commentaire des pièces produites par la société employeur (plannings et navettes de paie en particulier) que celui consistant à affirmer que les plannings produits par l’intimée seraient faux.
Il résulte ainsi de l’analyse des pièces produites que Mme [T], qui ne fournit pas d’élément suffisamment précis sur les heures supplémentaires qu’elle aurait accomplies au-delà de celles déjà réglées par l’employeur pour permettre à celui-ci de répondre sur la base des éléments qu’il produit lui-même, doit être déboutée de ce chef de demande, ainsi que de ses demandes aux titres des repos compensateur et du travail dissimulé, le jugement étant confirmé sur ces points.
Sur le rappel de salaire au titre du repositionnement conventionnel
Mme [T] soutient pour infirmation qu’elle devait se voir appliquer sur les trois années précédant sa saisine du conseil de prud’hommes le coefficient 210 au lieu du coefficient 170 de la convention collective puisque, bien qu’embauchée en qualité de responsable administratif elle a toujours exercé un métier tourné vers la vente, pour lequel elle possède une solide expérience dans ses emplois antérieurs ; qu’elle a cumulé son travail de responsable administratif avec sa présence dans la boutique traiteur au sein de laquelle elle était responsable de trois autres salariés ; qu’elle a entièrement remplacé Mme [A], responsable des ventes, lors du départ de celle-ci à compter d’octobre 2017.
La société HEVAG soutient pour confirmation que le coefficient 210 n’existe pas dans le secteur administratif de l’emploi de Mme [T] mais uniquement dans le secteur de la vente pour des fonctions d’animation et de responsabilité que n’exerçait pas Mme [T], qui n’a jamais eu à réaliser la totalité des missions comptables comme elle le prétend puisqu’une grande partie en étaient effectuées soit par Mme [D] (RH, inventaires, paiements) soit par le cabinet comptable de la société (établissement des bulletins de paie) ; que si Mme [T] a également été chargée d’intervenir dans la boutique traiteur elle n’en a jamais été responsable, toujours placée sous la responsabilité de Mme [A] puis sous celle de Mme [D] après le départ, en mai 2018, de la responsable des ventes.
Mme [T] revendique en l’espèce l’application du coefficient 210 de la grille de classification applicable selon l’Annexe 1 de la Convention collective de la Charcuterie de détail (Pièce n°3 de la société), au personnel de vente (ce coefficient n’étant pas prévu pour les personnels administratifs) dans les termes suivants :
– « agents de maîtrise : Animateur, animatrice de vente, titulaire d’un Bac professionnel Commerce, justifiant d’une pratique de 5 ans du métier (hors formation)» ou « Animateur, animatrice de vente, responsable, hautement qualifié(e), ayant commandement sur au moins 3 personnes » .
Outre les pièces relatives à ses diplômes et expériences professionnelles antérieures (pièces n°22, 35, 36, 72 à 78), Mme [T] produit au soutien de sa demande :
– quelques courriers électroniques (pièces n°34) envoyés entre février 2015 et septembre 2015 soit pendant la période antérieure à celle concernée par sa demande de reclassification et de rappel de salaires, pendant laquelle elle n’était embauchée que pour une durée de 5 heures hebdomadaires,
– les attestations de M. [H] (pièce n°3), commis de cuisine entre juin et octobre 2015, de Mme [I] [P], employée pendant la saison d’été 2017 (pièce n°8), de deux clientes de la boutique (pièces n°11 et 12) et d’une autre commerçante (pièce n°23) dont aucune ne permet d’apprécier ni le degré de responsabilité de Mme [T] dans la boutique traiteur ni son commandement sur d’autres employés,
– quelques plannings de la rôtisserie à l’été 2018 (pièce n°79) qui sont sans rapport avec celui de la boutique traiteur et dont il ne peut être déduit aucune information sur la présence et les responsabilités de la salariée dans cette boutique, en particulier après le départ de Mme [A] dont rien ne vient démontrer qu’elle aurait été remplacée par Mme [T],
– des extraits d’agenda de M. [D] et de SMS (pièces N°17 et 80) qui sont sans effet pour établir l’étendue des fonctions réellement exercées par la salariée.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté Mme [T] de sa demande de repositionnement sur un coefficient 210 dont elle n’atteste par aucun des éléments produits qu’il correspondrait aux fonctions réellement exercées par elle au sein de la société, ainsi que de la demande de rappel des salaires correspondant.
Le jugement sera ainsi confirmé de ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail
Pour infirmation, Mme [T] soutient que les faits invoqués au soutien du licenciement ne sont pas établis, que nombre des griefs ne concernent que son époux et ne peuvent être reprochés à tort à Mme [T] ; que la société employeur dans ses écritures a cru pouvoir multiplier à l’encontre de sa salariée des reproches qui ne figurent pas dans la lettre de licenciement et devront être écartés’; que nombre des reproches sont frappés de prescription’; que plusieurs attestations produites par la société émanent de personnes se trouvant dans un lien de subordination voire d’amitié avec l’employeur’; que le temps mis par la société pour prononcer le licenciement, à l’issue d’une mise à pied conservatoire de trois semaines, ne permet pas de retenir l’existence d’une faute grave.
La société intimée rétorque pour confirmation que les faits reprochés sont parfaitement établis par les pièces produites et sont suffisamment graves pour justifier le licenciement.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle fait obstacle au maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
En application des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 13 septembre 2018 (pièce n°19 de la salariée) est ainsi rédigée’:
«[…]
Nous vous reprochons d’avoir manqué à plusieurs reprises à vos obligations professionnelles.
Vous n’êtes pas sans savoir que ma femme et moi sommes régulièrement victimes des insultes et de l’attitude violente de votre mari à notre égard.
Outre que vous n’avez jamais condamné ces faits graves, nous constatons que, de votre côté, vous avez également adopté un comportement déloyal à notre égard.
En effet, le 19 Juillet 2018, vous avez refusé de procéder à la déclaration TVA, ce qui a entraîné des pénalités de retard, en indiquant à Madame [D] ‘tu te démerdes, j’en ai rien à foutre, il fallait y penser avant’.
Par courrier du 18 Juillet 2018, vous avez tenté de justifier votre décision unilatérale de ne plus assurer vos tâches administratives et comptables en prétendant, faussement que je vous avais insultée, que je vous aurais demandé de travailler à la rôtisserie le dimanche lorsque vous travailliez que [sic] 5 heures par semaine en tant que responsable administratif et comptable ou encore que nous vous devions des heures supplémentaires.
Or nous ne vous avons jamais demandé de travailler en rôtisserie le dimanche à cette époque et découvrons même que vous procédiez ainsi, certainement à la demande de votre mari. Par ailleurs, vous êtes en charge du suivi des plannings et de noter les heures supplémentaires mais vous ne nous avez jamais signalé des heures supplémentaires qui vous seraient dûes.[sic] Quant aux propos que vous me prêtez, ils ne font pas partie de mon langage mais celui [sic]de votre mari.
Nous n’avons pas eu le temps matériel de répondre à votre correspondance du 18 Juillet 2018 car nous étions acculés par votre comportement et par celui de votre mari mais de votre côté, vous n’avez nullement cherché à en parler de vive voix avec nous, trop accaparée que vous étiez à savourer le désarroi de Madame [D] dont la santé s’est dégradée par vos attitudes.
En effet, non contente de refuser d’exécuter vos missions comptables, vous nous avez laissé peu de temps pour nous retourner.
Face à notre difficulté à prendre le relais en si peu de temps, vous n’avez nullement cherché à nous aider.
Pire, vous avez fait de la rétention d’informations et avez décoché une option du logiciel comptable afin de nous compliquer la tâche.
Vous avez même refusé de faire la navette de paie à la fin du mois de Juillet pour le salaire des employés.
De même, vos paroles offensantes à mon égard lorsque je vous ai demandé des renseignements sur les remises de chèques en banque ou les demandes de monnaie ou encore votre attitude dédaigneuse (vous me jetez des papiers à la figure ou les clés lors de la remise de la convocation à l’entretien préalable ou vous laissez coulisser la porte en disant ‘trop tard !’) me confortent dans l’idée que, comme votre mari, vous tentez de nous nuire.
Reprenant le suivi de la comptabilité, nous nous sommes aperçus de nombreuses incohérences et manquements de votre part.
Vous avez ainsi enregistré, sur le compte de la société, une facture METRO de votre mari du 15 Juin 2018 comportant de nombreuses références de produits sans rapport avec notre activité (friandises, gâteaux, sodas, bonbons) pour son usage personnel et alors que vous partiez en congés le 18 Juin suivant.
Vous avez également enregistré une facture KRILL datée du 16 Juin 2018 alors qu’il s’agissait d’un achat personnel de votre mari.
Au cours de l’entretien préalable, vous avez prétendu ne pas vérifier le détail des factures fournisseurs, ce qui est faux. En outre, les achats ont été effectués pour votre mari de sorte que vous ne pouviez pas ignorer leur destination.
Le 15 Juillet 2018, nous avons surpris les cuisiniers en train de réaliser des sandwichs que nous ne vendons pas en boutique en présence de votre mari et de votre fille afin que celle-ci les apporte à ses camarades à l’école de voile. Renseignements pris auprès de l’école de voile, aucun sandwich n’avait été commandé par l’école tandis que des salades avaient également été amenées à l’école de voile la semaine précédente sans avoir été commandées par celle-ci. Votre mari ayant été gêné de cette découverte, une facture a été éditée le 17 Juillet 2018 par vous-même à son intention. Néanmoins, aucune facture n’a été éditée pour toutes les fois précédentes.
Renseignements pris auprès du personnel, vous avez donné pour consignes de ne pas enregistrer les gâteaux au chocolat (fondant baulois), visiblement depuis Mai 2018 et vous ne vous souciez pas des incohérences de caisses signalées par le personnel comme une caisse ne comptant plus que quelques dizaines d’euros en espèce.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible.
[…] »
Force est de constater que Mme [T] reconnaît, notamment dans ses écritures (page 41) avec une référence à sa pièce n°16 (son courrier du 18 juillet 2018), avoir « annoncé […] sa décision de ne plus assumer le suivi administratif et comptable, en laissant le soin à Mme [D] ». Mme [T] ajoute que la société HEVAG était « manifestement consciente du bien fondé de cette décision au regard de la charge de travail supportée par Mme [T] [puisqu’elle] n’a aucunement réagi à ce courrier » et « mieux, elle n’a pas émis la moindre critique lorsque, conformément à ce qu’elle avait annoncé, Mme [T] a annoncé ne pas s’occuper de la déclaration de TVA, compte tenu de son temps de travail en boutique et du non paiement des ses heures supplémentaires.»
Or d’une part il a déjà été dit ci-dessus que ni le décompte d’un important temps de travail en boutique de la salariée ni la réalité d’ heures supplémentaires restées impayées ne sont établis, de sorte que la motivation avancée par la salariée pour refuser d’accomplir une tâche qui lui était confiée, qui n’est pas même étayée matériellement, constitue une faute dans l’exécution de ses obligations.
D’autre part la société HEVAG justifie (sa pièce n°38) que la déclaration de TVA en juillet 2018 a été effectuée avec retard, générant le risque d’une pénalité par l’administration fiscale, ce dont Mme [T] ne peut se défendre (page 41 de ses écritures) au motif qu’elle aurait « averti la société HEVAG près d’une semaine avant la date butoir, lui laissant ainsi le temps de terminer le décompte de la TVA » et que cette déclaration aurait finalement été faite avec « seulement 2 jours de retard ».
Mme [T] enfin, qui affirme (pages 41 et 42 de ses écritures), au demeurant sans en justifier, que M. [D] aurait dès le « 17 juillet 2018 […] fait savoir aux époux [T] qu’il entendait rompre leur contrat de travail avant la fin du mois d’août », ne peut en tout état de cause légitimer son comportement fautif au motif qu’elle en aurait conçu « des raisons sérieuses de renoncer à effectuer des missions pour lesquelles elle n’était pas payée ».
Il ressort de ce qui précède qu’est établi le comportement fautif de Mme [T] consistant à refuser d’exécuter une mission essentielle de sa fonction de responsable administratif et comptable, portant sur des faits non prescrits compte tenu de l’engagement de la procédure disciplinaire moins de deux mois après, le délai de deux semaines pris pour notifier la rupture du contrat à Mme [T] n’étant pas de nature à retirer à la mise à pied son caractère conservatoire ni à invalider le licenciement prononcé.
Ainsi au vu des éléments produits et même en considération de l’ancienneté de la salariée et de l’absence d’antécédent disciplinaire antérieur, ce manquement de Mme [T] est d’une gravité telle qu’il rendait en fait impossible la poursuite du contrat de travail, même pour la durée du préavis et justifiait en conséquence son licenciement pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire d’examiner pour le surplus les autres griefs avancés par l’employeur.
Le jugement entrepris sera donc confirmé à ce titre en ce qu’il a débouté Mme [T] de toutes ses demandes au titre de la contestation de son licenciement prononcé pour faute grave.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre des circonstances vexatoires ayant entouré le licenciement
Mme [T] soutient pour infirmation que son licenciement est intervenu dans des conditions extrêmement vexatoires et brutales.
La société HEVAG rétorque que le licenciement n’a pas été effectué de façon vexatoire ou injurieuse, par contrainte physique ou morale ou encore de manière intempestive.
Même lorsque le licenciement est fondé sur un motif réel et sérieux, les circonstances entourant la rupture peuvent constituer une faute de la part de l’employeur, justifiant alors l’indemnisation du salarié.
En l’espèce, Mme [T] s’est vu notifier le 22 août 2018 une convocation, avec mise à pied conservatoire, à un entretien préalable tenu le 29 août 2018, avant d’être licenciée pour faute grave par lettre du 13 septembre 2018.
La mise à pied conservatoire ne peut, en tant que telle, être reprochée à l’employeur au titre des circonstances du licenciement, dès lors que celui-ci était justifié par une faute grave ayant rendu impossible le maintien à son poste de Mme [T] même pour la durée du préavis, ainsi qu’il a été précédemment retenu.
La circonstance que la notification lui en ait été faite par voie d’huissier sur son lieu de travail ne suffit pas caractériser le caractère vexatoire de la mesure, Mme [T] soutenant que cette convocation lui aurait été remise devant témoins, ce qui n’est démontré par aucune des pièces versées au dossier par la salariée. Mme [T] affirme par ailleurs avoir été « choquée d’apprendre que, dès sa mise à pied, un certain nombre d’informations mensongères avaient été diffusées auprès de ses collègues et clients » (page 54 de ses écritures) sans justifier ni de la réalité de cette diffusion ne de l’existence du préjudice susceptible d’en découler.
Dans les circonstances ainsi rapportées, les pièces produites par la salariée demeurent insuffisantes pour établir un comportement déloyal de l’employeur à l’occasion de la notification de la mise à pied conservatoire.
Mme [T] sera donc déboutée de cette demande et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Saint-Nazaire entre les parties le 16 mars 2020,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [T] à payer à la société HEVAG la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [T] aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.
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