ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 333/23
N° RG 21/00029 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TL3D
LB/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CALAIS
en date du
03 Décembre 2020
(RG F18/00160 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [U] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Yves SION, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me Catherine LEMAIRE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Association LA VIE ACTIVE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Edouard PRAQUIN, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Jean-louis DECOCQ, avocat au barreau de COMPIEGNE
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] [E] a été engagé par l’association La Vie Active par contrat de travail à durée indéterminée daté du 2’octobre’2006 en qualité de chef de service éducatif, classe 2 niveau 3.
La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413).
D’abord affecté à la maison d’enfants à caractère social (MECS) [S] [H] à [Localité 5], il a ensuite été affecté à la maison d’enfants à caractère social [M] [Z] à [Localité 6] à compter du mois de mai 2010.
A compter du 8 septembre 2017, M. [U] [E] a été placé en arrêt de travail.
Par avis du médecin du travail du 13’novembre’2017, réitéré le 27’novembre’2017, M. [U] [E] a été déclaré inapte en ces termes’: «le salarié est inapte au poste actuel mais apte à un poste équivalent avec des contraintes relationnelles et organisationnelles différentes’; le maintenir dans son entreprise nuirait gravement à sa santé».
Par courrier daté du 31’janvier’2018, M. [U] [E] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12’février’2018′; il a été licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement par courrier du 16’février’2018.
Le 14’décembre’2018, M. [U] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Calais aux fins de faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral, d’obtenir la condamnation de son employeur à lui payer des dommages et intérêt à ce titre ainsi que des dommages et intérêts pour nullité du licenciement, à défaut pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis, des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat, un rappel de salaires pour la période de novembre 2015 à février 2018, un rappel d’heures supplémentaires et un rappel de salaires au titre des indemnités d’astreinte.
Par jugement rendu le 3’décembre’2020, la juridiction prud’homale a’:
– dit le licenciement de M. [U] [E] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [U] [E] de l’ensemble de ses demandes et prétentions à ce titre,
– débouté M. [U] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– débouté M. [U] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de résultat,
– débouté M. [U] [E] de sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
– condamné l’association La Vie Active à payer à M. [U] [E]’:
– 5’089,50’euros brut à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2015 à février 2018, outre la somme de 508,95’euros brut au titre des congés payés y afférents,
– 3’732,60’euros brut à titre de rappel de salaire des indemnités d’astreinte,
– 500’euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné l’association La Vie Active à remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée ainsi qu’un bulletin de paie complémentaire,
– laissé aux parties la charge de leurs propres dépens.
M. [U] [E] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 5’janvier’2021.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 18’mars’2022, M. [U] [E] demande à la cour, sur le fondement des article L.1152-1 et L.4121-1 du code du travail, de’:
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a’:
– dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– l’a débouté M. [U] [E] de l’ensemble de ses demandes et prétentions à ce titre,
– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de résultat,
– l’a débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,
– juger que son inaptitude est dû au harcèlement moral commis à son encontre par l’association La Vie Active,
– juger nul son licenciement,
– condamner l’association La Vie Active à lui payer’:
– 53’262’euros à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement, sans réintégration du salarié,
– 26’631’euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 2’663,10’euros bruts au titre des congés payés y afférent,
– 26’631’euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
A titre subsidiaire,
– juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement,
– condamner l’association La Vie Active à lui payer’:
– 53’262’euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– 26’631’euros bruts à titre d’indemnité de préavis outre 2’663,10’euros bruts au titre des congés payés y afférent,
En tout état de cause,
– condamner l’association La Vie Active à lui payer’:
– 26’631’euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,
– 14’901,80’euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 1’490,18’euros bruts au titre des congés payés y afférent,
– 3’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’association La Vie Active à lui remettre une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un bulletin de paie rectifiés et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document,
– condamner l’association La Vie Active aux entiers frais et dépens tant de première instance que d’appel.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 16’novembre’2022, l’association La Vie Active demande de’:
– débouter M. [U] [E] de sa demande de nullité du licenciement au titre du harcèlement moral, et en conséquence le débouter de l’intégralité de ses demandes à ce titre,
– débouter M. [U] [E] de l’intégralité de ses demandes en lien avec un prétendu manquement à l’obligation de prévention et/ou un harcèlement moral,
– débouter M. [U] [E] de l’intégralité de ses demandes au titre des heures supplémentaires,
– condamner M. [U] [E] à lui payer 3 000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [U] [E] aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17’novembre’2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
– Sur le harcèlement moral
M. [U] [E] reproche à son supérieur M. [D], et à Mme [A] l’adjointe de celui-ci, engagés par l’association La Vie Active au mois d’avril 2017, d’avoir commis à son encontre des agissements constitutifs de harcèlement moral ; il fait valoir que M. [D] n’a eu de cesse de critiquer son travail, de l’isoler, de médire, le calomnier, lui donner sans cesse des taches nouvelles ; plus précisément, il fait état d’un entretien dans son bureau le 4 septembre 2017 au cours duquel M. [D] lui a hurlé dessus sans raison, et a dénigré son travail ; il relate également avoir été l’objet d’une plaisanterie de mauvais goût de la part de celui-ci le lendemain lors d’une réunion sur les mineurs non accompagnés ; il précise également que son supérieur l’a pris injustement à partie à deux reprises au téléphone au sujet de la gestion des demandes d’admission via l’application informatique Aurore ; il relate avoir dû gérer à plusieurs reprises en urgence des remplacements de surveillants de nuit alors que cette tache ne lui incombait pas. Il ajoute que la réaction de Mme [A] à l’annonce de son premier arrêt de travail est éclairante, puisque sa seule réponse a été de réclamer son téléphone professionnel (inutile pour ses collègues) et une clé de coffre qui n’existait pas.
En réponse, l’association La Vie Active soutient que M. [U] [E] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’actes répétés de harcèlement ; que les événements relatés par le salarié sont imprécis quant à leur temporalité ; que les agissements de M. [D] décrits dans le courrier du 17 octobre 2017 ne sont étayés par aucune pièce ; que l’attestation de M. [B], ancien collègue de travail, doit être reçue avec réserve, celui-ci étant en conflit avec son ancien employeur (procédure devant le conseil de prud’hommes) et n’ayant pas été directement témoin des conversations téléphoniques dont se plaint M. [U] [E] ; qu’il n’existe pas de preuve du lien entre les agissements rapportés par ce dernier et ses problèmes de santé, qui peuvent tout à fait être imputables à sa situation personnelle et familiale, sachant que tous ses arrêts de travail sont des arrêts maladie de droit commun.
Sur ce,
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l’article L.1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [U] [E] exerçait les fonctions de chef de service éducatif au sein de la maisons d’enfants à caractère social [M] [Z] à [Localité 6].
Au mois d’avril 2017, un nouveau directeur a été nommé pour cette structure, M. [D] (en remplacement de M. [W]), ainsi qu’une nouvelle directrice adjointe, Mme [A].
Pour établir la matérialité des agissements reprochés à son employeur et constitutifs, selon lui, de harcèlement moral, M. [U] [E] verse aux débats :
– un courrier du 17 octobre 2017 adressé à son employeur dans lequel il se dit victime de harcèlement moral de la part de son supérieur M. [D], relatant que celui-ci lui a hurlé dessus pendant un long moment lors d’un entretien le 4 septembre 2017, rapportant avoir fait l’objet, en public, d’une plaisanterie de mauvais goût le lendemain lors d’une réunion, et se plaignant d’avoir reçu pour instruction, dès l’annonce de son premier arrêt de travail, de rendre son téléphone professionnel et une clé de coffre (qui n’existait pas), ce qu’il vit comme une tentative de l’isoler,
– un courrier de réponse de M. [D] daté du 24 octobre 2017 dans lequel celui-ci admet avoir pu s’adresser de manière véhémente à M. [U] [E] le 4 septembre 2017 et précise n’avoir aucune confiance dans celui-ci,
– une attestation de M. [B], ancien collègue chef de service, qui indique qu’à deux reprises (quelques semaines après l’arrivée de M. [D], puis dans les deux jours qui ont suivi) M. [U] [E] est venu lui rapporter avoir été pris à partie au téléphone par M. [D] au sujet de la gestion des admissions via le logiciel Aurore, décrivant le désarroi de son collègue et sa situation de souffrance. M. [B] atteste également que son collègue lui a rapporté la survenance, dès l’arrivée de Mme [A] et M. [D], d’un incident relatif à un remplacement en urgence de surveillant de nuit ; il décrit par ailleurs le déroulement d’une réunion Codir début juillet 2017 au cours de laquelle son collègue a été qualifié ‘d’épicier’ par M. [D] et a été objet de reproches imputables à son ancien directeur,
– des échanges de sms et de mails entre M. [U] [E] et Mme [A] au sujet du remplacement de surveillants de nuit,
– un sms de Mme [A] à l’annonce de l’arrêt de travail de M. [U] [E], sollicitant qu’il rende son téléphone professionnel et la clé du coffre,
– des arrêts de travail continus délivrés à M. [U] [E] à compter du 8 septembre 2017,
– un avis du médecin du travail du 12 octobre 2017 défavorable à la reprise et orientant M. [U] [E] vers un spécialiste pour avis,
– un courrier de M. [L] [J], psychologue, daté du 27 octobre 2017 dans lequel celui-ci indique au médecin du travail ‘M. [E] m’a fait part des événements survenus depuis quelques semaines dans le cadre de son exercice professionnel et des graves conflits qui en résultent. Il évoque comment, suite à l’évolution très négative des rapports qu’il entretient avec ses supérieurs, il est dans l’impossibilité d’assumer les responsabilités qui sont les siennes sans s’enfermer dans une anticipation anxieuse douloureuse et envahissante.
La réaction de M. [E] est vive et intense, tout comme la rupture est brutale et la blessure douloureuse (…)’. Le psychologue poursuit en indiquant que M. [U] [E] semble être sur le chemin de l’épuisement psychique et que des mesures préventives précoces lui semblent adaptées face à l’installation de rapports de force déséquilibrés et de non-dits institutionnels destructeurs,
– un avis d’inaptitude daté du 27’novembre’2017, rédigé en ces termes’: «le salarié est inapte au poste actuel mais apte à un poste équivalent avec des contraintes relationnelles et organisationnelles différentes’; le maintenir dans son entreprise nuirait gravement à sa santé’.
Ces pièces ne permettent pas d’établir la matérialité de la plaisanterie de mauvais goût dont M. [U] [E] dit avoir fait l’objet lors d’une réunion le 5 septembre 2017, les seules affirmations du salarié dans un courrier adressé à son employeur étant insuffisantes.
Elles permettent toutefois d’établir la réalité de l’entretien du 4 septembre 2017 au cours duquel M. [D] admet, dans son courrier de réponse daté du 24 octobre 2017, s’être montré véhément contre son chef de service.
De même, les affirmations de M. [U] [E] quant aux conversations téléphoniques au sujet du logiciel Aurore au cours desquelles M. [D] s’est emporté contre lui, refusant d’accorder du crédit à ses explications, sont corroborées par l’attestation de M. [B], qui, s’il n’a pas été directement témoin de la teneur des conversations, a pu constater l’état dans lequel se trouvait son collègue, qui s’est confié auprès de lui après les faits. A cet égard, M. [D] dans son courrier daté du 24 octobre 2017 indique ouvertement n’avoir aucune confiance dans M. [U] [E].
En outre, l’attestation de M. [B], qui relate précisément le déroulement d’une réunion Codir début juillet 2017 lors de laquelle M. [D] a qualifié M. [U] [E], qui exprimait des revendications quant aux conditions de travail de son équipe, d »épicier’, corrobore les affirmations de ce dernier selon lesquelles son travail pouvait être dénigré par son supérieur.
Par ailleurs les échanges de sms et de mails entre M. [U] [E] et Mme [A], font ressortir que le 28 août 2017, M. [U] [E] a du gérer en urgence le remplacement d’une surveillante de nuit, alors que sa supérieure était d’astreinte et lui avait laissé entendre qu’elle se chargeait du problème, pour finalement lui donner instruction de le faire avant 17h30, par un mail envoyé le même jour à 17h15 ; qu’elle lui a ensuite adressé le 7 septembre 2017 un courriel lui demandant de se charger des demandes de congé des surveillants de nuit. Ces événements faisaient suite à un premier incident concernant le remplacement d’une surveillante de nuit à laquelle Mme [A] avait accordé un report de congé sans organiser son remplacement. Or, M. [W], ancien directeur de la maison d’enfants de [Localité 6] atteste que c’est lui qui se chargeait des planings des surveillants de nuit, et non M. [U] [E].
Enfin, la lecture des échanges de sms entre M. [U] [E] et Mme [A] fait ressortir que lors de l’annonce par le chef de service de son arrêt de travail, il lui a été demandé de remettre son téléphone professionnel et la clé du coffre, demandes qu’il a reçues avec incompréhension.
Ainsi, M. [U] [E] rapporte la preuve de faits répétés, précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, et au vu notamment des éléments médicaux, permettent de supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral.
Il incombe dès lors à l’association La Vie Active de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Concernant l’entretien du 4 septembre 2017, l’association La Vie Active se contente de produire le courrier de réponse de M. [D] dans lequel il explique que ce jour là, il était très mécontent du travail de M. [U] [E] qui n’avait notamment pas exécuté des taches qu’il lui avait confiées ; il n’est produit cependant aucun mail donnant des instructions à M. [U] [E] que celui-ci n’aurait pas respectées ni aucune pièce justifiant les reproches que M [D] formule dans son courrier du 24 octobre 2017 à l’encontre du travail de son chef de service. A cet égard, il est relevé que Mme [A], en partie témoin de cet entretien, n’atteste aucunement des conditions de son déroulement, ni des motifs du mécontentement de M. [D] et du caractère légitime de celui-ci. Ainsi, le fait pour ce directeur de s’être emporté contre son chef de service pendant plus d’une demi-heure ne peut être considéré comme relevant de l’exercice normal de son pouvoir de direction. Il n’est pas dès lors démontré que cet agissement était étranger à tout harcèlement moral.
Concernant les prises à partie au téléphone par M. [D], l’association La Vie Active n’apporte aucun élément permettant de justifier l’agressivité du ton utilisé par celui-ci contre son chef de service, étant par ailleurs observé que les reproches formulés étaient injustifiés, le fonctionnement de l’application Aurore relevant de la compétence de M. [B].
L’association La Vie Active n’apporte pas davantage d’élément permettant de justifier les propos de M. [D] à l’égard de M. [U] [E] lors du Codir de début juillet 2017, ceux-ci étant dénigrants au regard du contexte dans lequel ils ont été tenus.
S’agissant des problèmes de remplacement de surveillants de nuit, l’association La Vie Active ne donne aucune explication sur ces dysfonctionnements répétés imputables à la hiérarchie de M. [U] [E], qui ont rendu nécessaire l’intervention en urgence de ce dernier, au-delà de ses prérogatives, et après avoir été faussement entretenu dans l’idée, s’agissant du 28 août 2017, que la difficulté était gérée par sa supérieure, qui était d’astreinte.
En ce qui concerne la demande de remise du téléphone et de la clé du coffre, l’association La Vie Active n’établit pas que ce téléphone était utile à d’autres collègues (pour les permanences ou astreintes par exemple) sachant que M. [U] [E] était initialement arrêté pour seulement deux semaines.
Enfin, le fait que les arrêts de travail de M. [U] [E] aient été délivrés dans le cadre du régime d’assurance maladie de droit commun ne permet pas à lui seul d’exclure un lien entre les conditions de travail de M. [U] [E] et la dégradation de son état de santé, médicalement constatée et contemporaine des agissements imputés à ses supérieurs.
Il résulte de ces éléments que l’association La Vie Active de démontre pas que les faits reprochés par M. [U] [E] n’étaient pas constitutifs de harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement moral.
Il donc caractérisé une situation de harcèlement moral.
Compte tenu de la durée des agissements subis et des conséquences de ceux-ci sur l’état de santé de M. [U] [E], le préjudice de celui-ci sera réparé par l’allocation de 2 000 euros à titre de dommages et intérêt.
– Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
M. [U] [E] reproche à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité en lui imposant une surcharge de travail liée au départ de plusieurs cadres, non remplacés, sachant qu’il lui arrivait parfois d’être d’astreinte durant trois semaines consécutives, en ne réagissant pas à son courrier d’alerte du 17 octobre 2017, et en ne mettant pas en place de mesures pour prévenir les risques psycho-sociaux pour ses salariés.
L’association La Vie Active répond que M. [U] [E] ne subissait pas de surcharge de travail et qu’elle a engagé deux nouveaux cadres en avril 2017 ; qu’elle a réagi au courrier du 17 octobre 2017 en sollicitant la position de M. [D], en saisissant le CHSCT et en projetant la constitution d’une commission d’écoute mais que ses démarches ont été stoppées du fait du constat d’inaptitude de M. [U] [E] le 27 novembre 2017 ; qu’elle est sensibilisée aux risques psycho-sociaux et qu’elle a conclu plusieurs accords d’entreprise destinés à prévenir ceux-ci ; que le lien n’est pas établi entre les conditions de travail de M. [U] [E] et ses arrêts de travail.
Sur ce,
Conformément à l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En l’espèce, pendant plusieurs années, plusieurs cadres n’ont pas été remplacés au sein des MECS de [Localité 5] et de [Localité 6], le poste de directeur adjoint de la MECS de [Localité 6] ayant notamment été gelé ; en janvier 2015, M. [U] [E] a alerté son employeur sur son impossibilité de remplir toutes ses missions, du fait d’un manque de temps.
Il est donc caractérisé une surcharge de travail de M. [U] [E] pendant plusieurs années.
Cependant, les arrêts de travail de M. [U] [E] sont intervenus à compter de septembre 2017, après l’engagement de deux nouveaux cadres par l’association La Vie Active en avril 2017, permettant de remédier à cette situation de surcharge de travail.
Dès lors, il n’est pas établi de lien entre les problèmes de santé de M. [U] [E] et cette surcharge de travail.
En outre l’association La Vie Active justifie que peu de temps après la réception du courrier de M. [U] [E] daté du 17 octobre 2017 dénonçant des faits de harcèlement moral, elle a saisi le CHSCT et a projeté de constituer une commission d’écoute.
Elle démontre par ailleurs avoir établi un document unique d’évaluation des risques et signé une succession d’accords d’entreprise destinés à prévenir les risques psycho-sociaux au sein de l’entreprise.
Dès lors, il n’est pas établi de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine d’un préjudice de M. [U] [E], distinct de celui résultant de la situation de harcèlement moral dont il a été victime.
Le jugement de première instance sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] [E] de sa demande de dommages et intérêts présentée sur ce fondement.
– Sur le rappel de salaire sur heures supplémentaires
La cour observe à titre liminaire que le chef du jugement relatif au rappel de salaire pour la période du mois de novembre 2015 au mois de février 2018 et aux congés payés afférents ainsi que celui relatif au rappel d’astreintes ne sont pas critiqués.
M. [U] [E] revendique avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires, et fait valoir qu’il travaillait 45 heures par semaine en moyenne, du fait notamment du départ non remplacé de cadres.
L’association La Vie Active conteste la réalisation d’heures supplémentaires par M. [U] [E] et soutient que celui-ci ne produit aucun décompte, aucun tableau reprenant les horaires effectués, et que la demande du salarié ne procède que d’une extrapolation théorique et arithmétique sur trois années, sachant par ailleurs que depuis avril 2017, deux nouveaux cadres avaient été engagés.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié’; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l’espèce, sur la période concernée par la demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires, M. [U] [E] exerçait les fonctions de chef de service au sein de la MECS de [Localité 6]. Il était le seul chef de service sur l’établissement, qui comptait également un directeur. Le poste de directeur adjoint est resté gelé jusqu’au mois d’avril 2017 (arrivée de Mme [A]).
Pour étayer sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires, M. [U] [E] verse aux débats :
– un décompte des heures supplémentaires qu’il affirme avoir effectuées, établi par ses soins,
– des fiches horaires hebdomadaires pour la période du 14 décembre 2015 au 17 janvier 2016 et du 14 mars 2016 au 3 septembre 2017, reprenant le nombre d’heures effectuées par demi-journée, les temps de pause méridienne et les taches accomplies (rendez-vous, réunions, taches administratives),
– le compte rendu de son entretien professionnel daté du 10 février 2016 dans lequel il est fait état de son temps de présence important sur la maison d’enfants,
– un mail daté du 5 janvier 2015 dans lequel il fait part à son directeur de son manque de temps pour effectuer certaines taches, malgré le nombre conséquent d’heures travaillées.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
L’association La Vie Active ne produit aucune pièce de nature à contredire les heures de travail dont se prévaut M. [U] [E] dans son décompte et se contente d’indiquer que la charge de travail de celui-ci a nécessairement diminué avec l’arrivée de M. [D] et Mme [A] en avril 2017. Il est relevé à cet égard que M. [D] a remplacé M. [W], de sorte que seule Mme [A] est venue occuper un poste qui était vacant.
En outre, contrairement à ce qu’affirme l’association La Vie Active, le décompte produit par M. [U] [E] ne procède pas d’une extrapolation arithmétique sur la base d’une moyenne, mais repose sur des fiches horaires hebdomadaires retraçant les heures effectuées par demi-journée et les taches effectuées (rendez-vous, réunions, taches administratives…).
Cependant, il doit être relevé qu’aucune fiche horaire hebdomadaire n’est produite pour la période du 17 janvier 2016 au 14 mars 2016.
Ainsi, compte tenu des éléments apportés de part et d’autre, la preuve de la réalisation d’heures supplémentaires par M. [U] [E] est rapportée à hauteur de 9 830,40 euros.
Par infirmation du jugement déféré, il sera donc alloué à M. [U] [E] la somme de 9 830,40 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires et 983, 04 euros au titre des congés payés afférents.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
– Sur la nullité du licenciement
Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
M. [U] [E] a été licencié par courrier du 16 février 2018 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, le second avis du médecin du travail daté du 27 novembre 2017 étant rédigé dans ces termes : «le salarié est inapte au poste actuel mais apte à un poste équivalent avec des contraintes relationnelles et organisationnelles différentes’; le maintenir dans son entreprise nuirait gravement à sa santé’.
‘
Cette inaptitude a été constatée dans un contexte de harcèlement moral de M. [U] [E] par ses supérieurs M. [D] et Mme [A].
Dès lors, la rupture du contrat de travail trouve en réalité son origine dans une situation de harcèlement moral, de sorte que le licenciement de M. [U] [E] doit être déclaré nul.
– Sur les conséquences du licenciement
M. [U] [E] est bien fondé à solliciter des dommages et intérêts pour licenciement nul en application de l’article L.1235-3-1 du code du travail qui prévoit que le salarié qui ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible bénéficie d’une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Lors de son licenciement, M. [U] [E] était âgé de 52 ans, avait une ancienneté de 11 années et percevait un salaire de 4 438 euros ; il justifie avoir retrouvé un emploi le 1er juin 2018 en qualité de chef de service éducatif au sein de l’association [Adresse 7] moyennant une rémunération mensuelle de 3 579,99 euros brut.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de fixer le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 50 000 euros.
M. [U] [E] est également bien fondé à obtenir, en application de la convention collective applicable qui prévoit un délai congé de quatre mois (licenciement d’un cadre qui n’est pas directeur d’un établissement ou d’un service), la somme de 17 752 euros à titre d’indemnité de préavis outre 1 775,20’euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement de première instance sera infirmé en ce sens.
Sur la communication des documents
Il sera enjoint à l’association La Vie Active de communiquer à M. [U] [E] une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un bulletin de paie rectifiés, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement entrepris sera infirmé concernant le sort des dépens et de l’indemnité de procédure.
L’association La Vie Active, qui succombe à l’instance au sens de l’article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M. [U] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu le 3’décembre’2020 par le conseil de prud’hommes de Calais en ses dispositions critiquées, sauf en ce qu’il a débouté M. [U] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. [U] [E] est nul ;
CONDAMNE l’association La Vie Active à payer à M. [U] [E] :
– 9 830,40 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires et 983, 04 euros au titre des congés payés afférents,
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêt pour harcèlement moral,
– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 17 752 euros à titre d’indemnité de préavis outre 1 775,20’euros bruts au titre des congés payés afférents ;
ENJOINT à l’association La Vie Active de communiquer à M. [U] [E] une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un bulletin de paie rectifiés ;
CONDAMNE l’association La Vie Active aux dépens ;
CONDAMNE l’association La Vie Active à payer à M. [U] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL
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