Droit du logiciel : 24 mars 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04330

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Droit du logiciel : 24 mars 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04330

24/03/2023

ARRÊT N°2023/ 142

N° RG 21/04330 – N° Portalis DBVI-V-B7F-ON64

NB/LT

Décision déférée du 13 Septembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/01472)

S.BLON

Section encadrement

SAS DONECLE

C/

[S] [V]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 24 mars 2023

à Me SOREL, TEDESCO,

Me DESPRES

Ccc à Pôle Emploi

le 24 mars 2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

SAS DONECLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Margaux TEDESCO, avocat au barreau de PARIS

INTIM »

Monsieur [S] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Laurence DESPRES de la SELARL DESPRES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant N.BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUM », présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [S] [V] a fondé la SAS Donecle avec trois autres associés au cours de l’année 2015.

Il a présidé cette société jusqu’au jour au jour où les associés ont décidé d’instaurer une « présidence tournante ».

Le 3 mai 2018, M. [V] a démissionné de son mandat de président de la société Donecle.

À compter du 7 mai 2018, il a été embauché en qualité de responsable marketing et gestion grands comptes hors compagnies aériennes, statut cadre, position II, suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Les parties ont stipulé une période d’essai de 4 mois.

M. [V] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 16 août au 18 septembre 2018.

La société Donecle a mis fin à la période d’essai le 21 septembre 2018.

M. [S] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse, le 17 septembre 2019, pour contester la rupture du contrat de travail et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 13 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse, section encadrement, a :

– jugé que la période d’essai était inopposable au salarié ;

– jugé que la rupture de la période d’essai devait être assimilée à un licenciement verbal ;

– fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à 3.750 € ;

– condamné la SAS Donecle à verser à M. [S] [V] la somme de 9.519,22 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 951,92 € au titre des congés payés y afférents ;

– condamné la SAS Donecle à verser à M. [S] [V] la somme de 3.750 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que de droit ;

– condamné la SAS Donecle à verser à M. [S] [V] la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par la société défenderesse ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– condamné la SAS Donecle aux entiers dépens.

***

Par déclaration du 22 octobre 2021, la SAS Donecle a interjeté appel de cette décision dans des conditions de délai et de forme non contestées.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 7 juillet 2022, la SAS Donecle demande à la cour de réformer le jugement, sauf en ce qu’il a débouté M. [S] [V] de sa demande indemnitaire pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail, et :

À titre principal,

– de débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes ;

– de condamner M. [V] à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

À titre subsidiaire,

– d’ordonner la restitution par M. [V] de la somme de 1.966,92 € au bénéfice de la société Donecle, en raison du trop-perçu versé dans le cadre de l’exécution du jugement de première instance.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 21 juillet 2022, M. [S] [V] demande à la cour :

À titre principal,

– de confirmer le jugement, sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts relative aux conditions brutales et vexatoires de la rupture ;

– de condamner la SAS Donecle à lui payer la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts découlant des conditions vexatoires et brutales de la rupture du contrat de travail ;

À titre subsidiaire,

– de juger que la rupture de la période d’essai revêt un caractère abusif ;

– de condamner la SAS Donecle à lui verser la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture de la période d’essai ;

En tout état de cause,

– de condamner la société Donecle à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et 2.500 € au titre des frais de la procédure d’appel, outre les entiers dépens.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 6 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’efficacité de la période d’essai :

Sur l’opposabilité de la période d’essai

M. [V] soutient avoir pris ses fonctions en tant que salarié le 1er mai 2018, alors que son contrat de travail, signé ultérieurement, indique une date d’embauche le 7 mai suivant. Il considère que la période d’essai stipulée après le commencement de la relation de travail lui est inopposable.

La SAS Donecle répond que M. [V] a été embauché le 7 mai 2018, date de la signature de son contrat de travail, de sorte que l’essai est valablement stipulé. Si le premier bulletin de salaire fait état d’une entrée au 1er mai 2018, il ne s’agit que d’une erreur du service de paye.

Sur ce,

En application de l’article L. 1221-23 du code du travail, la période d’essai doit être expressément mentionnée dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail.

Si la période d’essai court à compter de l’embauche, elle peut être stipulée après que le contrat a commencé de s’exécuter, la durée déjà exécutée étant alors déduite de la durée d’essai convenue.

En l’espèce, le premier bulletin de paye de M. [V] est établi pour la période du 1er au 30 mai 2018, étant ajouté que le salarié a perçu son entier salaire, sans déduction relative à sa date d’entrée dans la société.

Cependant, ce n’est qu’à compter du 3 mai 2018, suivant décisions unanimes des associés fondateurs de la société Donecle, que M. [V] a démissionné de son poste de président, qu’une présidence tournante a été instaurée et qu’il a été prévu que chaque associé devienne salarié, le contrat de l’associé devenant président étant alors suspendu au cours de son mandat social.

C’est à la suite de ces décisions que le contrat de travail de M. [V], qui y fait expressément référence, a été signé le 7 mai 2018, avec M. [I], le nouveau président institué. Les signataires ont convenu d’une prise de fonctions le 7 mai 2018 et d’une période d’essai de 4 mois, susceptible d’être portée à 6 mois.

Le courriel de M. [V] adressé le 3 mai 2018 à la société Airbus ne permet donc pas d’affirmer qu’il agissait d’ores et déjà en qualité de salarié, étant précisé que ce mail est signé en sa qualité de « co-fondateur de Donecle ».

En outre, le dernier bulletin de paye du mois d’octobre 2018 corrige la mention erronée du premier bulletin de salaire et fait état d’une entrée dans l’entreprise à la date du 7 mai 2018.

Ainsi, la relation de travail n’a pas débuté le 1er mai 2018.

Au surplus, quand bien même M. [V] aurait pris ses fonctions salariées le 1er mai 2018, les parties ont pu régulièrement stipuler une période d’essai dans le contrat signé le 7 mai suivant, la durée de travail déjà exécutée devant alors être déduite de la durée d’essai convenue.

Par conséquent, la période d’essai est opposable à M. [V].

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la justification de la période d’essai

M. [V] soutient que la SAS Donecle, qu’il présidait auparavant, avait déjà pu éprouver ses capacités professionnelles quant au poste de « responsable marketing de la société et gestion des grands comptes hors compagnie aérienne ».

La société répond que les fonctions exercées par le salarié dans le cadre de son contrat de travail étaient différentes de celles qu’il occupait en qualité de président. Elle ajoute que cette période d’essai était justifiée afin d’évaluer, outre les compétences professionnelles de l’appelant, « sa capacité à être dans une relation de subordination ».

Sur ce,

L’article L. 1221-20 du code du travail dispose que la période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent.

Il en résulte que l’aptitude du salarié à occuper un emploi repose sur ses compétences professionnelles et ses qualités personnelles.

L’essai stipulé est injustifié lorsqu’il ne présente aucune utilité pour l’employeur ayant déjà eu, dans le passé, à connaître des aptitudes de la personne embauchée pour des tâches similaires à celles précédemment exercées. En revanche, une période d’essai peut être valablement convenue lorsque le contrat de travail porte sur des tâches distinctes de celles auparavant exécutées par le salarié et dont l’employeur a connaissance.

Au cas d’espèce, selon les statuts de la société Donecle, les fonctions de président exercées par M. [V] étaient essentiellement les suivantes : « Le président dirige la société et la représente à l’égard des tiers. À ce titre, il est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour agir en toute circonstance au nom de la société, dans la limite de l’objet social et des pouvoirs expressément dévolus par les dispositions légales et les présents statuts aux décisions collectives des associés ».

Son contrat de travail prévoit les missions suivantes :

« Le titulaire du poste répond de :

– L’atteinte des objectifs marketing,

– L’image de Donecle,

– La mise en place des propositions commerciales et de la signature des contrats avec les grands comptes hors compagnies aériennes.

Missions clefs :

– Conduit, gère et coordonne les relations avec les clients existants et potentiels,

– Définit et conduit l’application de la stratégie marketing de Donecle,

– Mesure la satisfaction client et recommande des mesures pour l’améliorer,

– Fournit des données « marchés » pour le développement actuel et futur des produits et services de Donecle,

– Analyse la concurrence,

– Promeut les solutions Donecle,

– Coordonne la cohérence entre les ventes et la production,

– Négocie les accords commerciaux avec les grands comptes,

– S’assure du versement des acomptes clients,

– Gère la livraison commerciale de la solution et le paiement final ».

Il ressort très manifestement des fonctions décrites ci-dessus que les missions dévolues au président de la société sont, par principe, distinctes de celles du responsable marketing et de la gestion des grands comptes clients hors compagnies aériennes.

Afin d’établir la continuité de ses missions en tant que président, puis salarié, M. [V] produit un courriel adressé à la société Airbus, le 3 mai 2018, duquel il ressort que celui-ci veillait déjà au respect de « l’image de Donecle » en demandant à cette société de faire figurer le nom et le logo de son entreprise dans un communiqué de presse et sur l’image de présentation du logiciel du drone (pièce salarié n° 15).

L’intimé fournit également des extraits de contrats signés en sa qualité de président avec les sociétés Delta Air Lines et Sopra Steria, ainsi que des bons de commandes de produits (drones) et de services (présentation à l’étranger) de la société Testia, dont il était destinataire, pour la période antérieure à son contrat de travail.

Toutefois, ces seuls éléments sont insuffisants pour établir que l’entreprise avait déjà connaissance de l’ensemble des missions dévolues au salarié dans le cadre de son contrat de travail. En effet, il n’est pas établi que M. [V], avant d’être embauché, définissait et veillait à la conduite de la stratégie marketing et qu’il gérait l’ensemble du processus commercial, dans le respect des « missions clefs » susvisées qui lui étaient désormais assignées.

De plus, concernant tout particulièrement les missions d’un responsable marketing, cet emploi était distinct des fonctions de président de la société ainsi que cela ressort de la volonté de l’employeur d’embaucher à ce poste Mme [G], dès le mois de décembre 2018, à la suite de la rupture du contrat de travail de M. [V] (pièces employeur n° 35 à 37).

Par conséquent, il résulte de l’ensemble des éléments précités que la période d’essai stipulée était justifiée eu égard aux nouvelles fonctions confiées à M. [V] dans le cadre de son contrat de travail et qui étaient distinctes de celles auparavant exercées au cours de son mandat de président.

Sur la rupture de la période d’essai :

M. [V] soutient que sa période d’essai a été rompue par une personne qui ne bénéficiait d’aucune délégation du président de la société. Seul ce dernier avait le pouvoir de rompre la période d’essai, après avoir recueilli l’autorisation préalable de la collectivité des associés.

La société oppose que le président était empêché de délivrer la lettre de rupture le 21 septembre 2018, compte tenu de son agenda. Elle ajoute que le président avait donné son accord à ladite rupture et avait chargé M. [N] d’y procéder, ce dernier bénéficiant d’une délégation de pouvoir implicite en matière de ressources humaines, fondée sur sa qualité de directeur technique. Le recueil de l’accord des associés n’était pas nécessaire pour mettre fin à l’essai et, en toute hypothèse, le défaut de pouvoir allégué ne peut entrainer l’invalidité de la rupture intervenue.

Sur ce,

Si aux termes des dispositions de l’article L. 227-6 du code de commerce, la société par actions simplifiées est représentée à l’égard des tiers par son président et, si les statuts le prévoient par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n’exclut pas la possibilité pour ces représentants légaux de déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés, tels que celui d’engager ou de licencier les salariés de l’entreprise.

En application de l’article L. 1221-25 du code du travail, la décision de l’employeur de rompre le contrat de travail au cours de la période d’essai est libre, ce dernier n’ayant pas à justifier d’un motif.

La décision de rompre le contrat de travail au cours de la période d’essai doit être prise par un organe de la société habilité par la loi ou les statuts et, le cas échant, dans le cadre d’une délégation de pouvoir.

Au cas d’espèce, les statuts de la SAS Donecle prévoient que :

« Le président dirige la société et la représente à l’égard des tiers. À ce titre, il est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour agir en toute circonstance au nom de la société, dans la limite de l’objet social et des pouvoirs expressément dévolus par les dispositions légales et les présents statuts aux décisions collectives des associés.

Toutefois, à titre de règlement intérieur non opposable aux tiers, le président ne pourra prendre les décisions suivantes qu’après autorisation préalable de la collectivité des associés :

(‘).

– l’embauche ou licenciement d’un salarié de la société (‘).

Le président peut, sous sa responsabilité, consentir toutes délégations de pouvoirs à tout tiers pour un ou plusieurs objets déterminés ».

Il ressort de cette liste claire et exhaustive que le président de la société Donecle a le pouvoir de mettre fin à une période d’essai, sans autorisation préalable des associés, cette mesure ne pouvant être assimilée à une décision sur le « licenciement » qui est le seul mode de rupture du contrat de travail envisagé dans les statuts.

Le courrier de rupture de la période d’essai remis au salarié le 21 septembre 2018 a été signé par M. [N], directeur technique et associé, ce dernier ayant indiqué de manière manuscrite agir « par procuration » du président de la société, M. [I].

Or, en premier lieu, la cour constate que la société ne fournit aucune délégation de pouvoir écrite du président de la société qui aurait pu habiliter M. [N] à rompre le contrat de travail de M. [V].

En deuxième lieu, si la fiche de poste de M. [N], directeur technique, mentionne une mission de « management des équipes techniques », cela ne permet pas d’en déduire l’existence d’une « délégation de pouvoir implicite » de rompre tout contrat de travail, dont celui de M. [V]. Au surplus, il n’est pas expliqué en quoi M. [V], responsable marketing et de la gestion de certains grands comptes aurait fait partie du personnel technique se trouvant sous la subordination de M. [N].

En troisième et dernier lieu, le courriel du 21 septembre 2018 adressé par M. [N], directeur technique, à MM. [I], président, et [D], ingénieur cadre et associé, est ainsi rédigé :

« J’ai changé la date de sortie des effectifs pour qu’elle soit dans la période d’essai, j’ai imprimé en 2 exemplaires que j’ai mis dans ton tiroir [K] [le président de Donecle]. Quand vous êtes là, même si je suis avec [U], vous pouvez me faire un slack pour que je sorte et qu’on lui remette la lettre ».

Le président de la SAS Donecle, destinataire de ce courriel, n’y a pas répondu, et il s’en évince que M. [N] a rédigé seul le courrier de rupture, avec l’appui de M. [D]. De plus, M. [D] atteste avoir accompagné M. [N], le jour même de la rédaction du courriel précité, soit le 21 septembre 2018, afin de remettre à M. [V] la lettre de rupture en main propre.

Le président de la société avait donc été informé du courrier de rupture, mais il ne ressort pas des pièces versées aux débats que celui-ci ait demandé à M. [N] d’agir pour son compte.

M. [N] n’avait donc pas le pouvoir de rompre le contrat de travail de M. [V], étant précisé que la société ne se prévaut d’aucun acte de ratification de la décision prise par le directeur technique.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la rupture du contrat de travail intervenue le 21 septembre 2018 est irrégulière et s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les demandes indemnitaires de M. [V] :

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

En application des dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadre de la métallurgie, M. [V] ayant le statut de cadre position II, est en droit de prétendre à une indemnité compensatrice, pour le préavis non effectué, d’un montant équivalant à trois mois de salaire (3.750 €), soit 11.250 €.

Compte tenu des sommes déjà versées (1.730,78 €), l’employeur sera condamné à payer la somme de 9.519,22 € brut, outre 951,92 € de dommages et intérêts y afférents.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En vertu de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et si l’une des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal fixés par la loi.

Compte tenu de l’ancienneté de M. [V] inférieure à un an, le barème prévoit une indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire.

Au cas d’espèce, M. [V] ne justifie pas de sa situation professionnelle et économique postérieure à la rupture, de sorte qu’à défaut de plus amples éléments, il lui sera alloué la somme de 2.000 €.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la rupture brutale et vexatoire

Le 13 août 2018, les associés ont envisagé le départ de M. [V] de la société, en sa qualité de salarié :

« L’associé sortant s’engage à quitter la société au 15 septembre 2018 et s’engage à cet effet à faire parvenir au plus tôt à la société une lettre de demande de rupture conventionnelle afin d’engager les démarches administratives auprès de la Direccte. Les associés s’engagent à ce que la société verse à l’associé sortant une indemnité de rupture équivalente à 3 mois de salaire. Dans l’éventualité d’un refus par la Direccte de la rupture conventionnelle, les parties mettront diligemment en ‘uvre un moyen de départ alternatif respectant au plus près les éléments ci-dessus ».

Cet accord est demeuré à l’état de projet et il ne ressort pas des pièces de la procédure que celui-ci a été signé par les associés.

Pourtant, dès le 13 août 2018, une réunion a eu lieu entre les associés et les salariés de l’entreprise au cours de laquelle M. [N] a révélé le départ de M. [V] en raison de difficultés à définir son rôle et ses fonctions dans la société, ce qui était de nature à la mettre en péril. En effet, le directeur technique a exposé aux salariés que l’intimé allait quitter la société, mais qu’il devait encore opter entre la méthode douce (good leaver) et la méthode « plus violente » (bad leaver). Il leur a également exposé que cet « ultimatum » avait été proposé à M. [V], qui l’avait refusé, et que l’intéressé avait tout intérêt à opter pour la première méthode, car, à défaut, la seconde serait mise en ‘uvre de manière forcée (compte rendu de la réunion du 13 août 2018, pièce salarié n° 9).

Au cours de ces échanges, dont la teneur n’est pas spécialement contestée par la société, M. [V] a dû faire face, devant l’ensemble des salariés, à un ultimatum visant à obtenir son départ de la société.

À la suite de cette réunion, alors que le contrat de travail n’était pas encore rompu, l’intimé était aussitôt considéré comme un ancien collaborateur, ainsi que cela ressort :

– du SMS de M. [E], employé chez Donecle, adressé à M. [V], le jour de cette réunion, à 21h10 : « Je ne sais pas si on se voit demain, comme je suis en congés ensuite je veux juste te dire que ça a été un plaisir de travailler avec toi depuis que je suis arrivé, aujourd’hui on était un peu sous le choc, mais je pense que tu sais que tout le monde t’apprécie et que tu incarnes pour nous la valeur d’esprit d’équipe que tu as su insuffler et qui j’espère perdurera. Merci ! » (SMS constaté par huissier de justice) ;

– du SMS de M. [N], directeur technique, en date du 17 août 2018, lequel a écrit au salarié en ces termes : « Salut [S], j’espère que ça va et que tu gardes le moral malgré les circonstances. Je tenais à m’excuser pour la forme, en particulier la réunion avec Donecle et ma dernière phrase. Je regrette la forme, mais ne vois pas comment le fond aurait pu être différent. Je pense que c’était la meilleure solution pour la boite et espère que ça ne dégradera pas trop notre relation. Ce n’est pas l’objet principal du SMS, mais j’en profite pour te demander si tu as prévu de repasser à Donecle dans les prochains jours pour aider la transition des dossiers ‘ Ou si tu souhaites simplement qu’on prenne l’initiative de contacter et annoncer ça aux clients ‘ » (SMS constaté par huissier de justice).

Le 20 août 2018, le président de la société a écrit au client Airbus pour lui annoncer le départ de M. [V] : « Comme vous l’avez peut-être appris, [S] va prochainement se retirer de Donecle et nous transmet le témoin pour le suivi de notre relation avec Airbus/Testia ».

En outre, le 20 septembre 2018, M. [I] a sollicité une entrevue entre associés afin d’envisager à nouveau le départ de M. [V] tel qu’évoqué entre eux le 13 août 2018, ce à quoi le salarié a répondu le lendemain qu’il fallait contacter son avocat.

Ainsi, la société a commis une faute en annonçant aux salariés et clients de l’entreprise que M. [V] allait quitter l’entreprise, alors que celui-ci n’en avait pas manifesté la volonté ferme et précise.

Le 16 août 2018, M. [V] a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu’au 30 septembre suivant (il a repris le travail le 19 septembre, avec l’accord du médecin). Les certificats d’arrêts de travail font état d’un syndrome anxio-dépressif et d’une attaque de panique sur le lieu du travail après un entretien avec la direction. Il ressort du dossier médical que le salarié s’est confié au médecin du travail en expliquant avoir subi un « ultimatum », dans le but de le pousser à vendre ses actions et qu’il ne pouvait pas quitter l’entreprise avant la fin de la période d’essai.

Il justifie en outre de 10 séances avec son psychothérapeute, entre le 11 octobre et le 18 décembre 2018.

Par conséquent, les actes humiliants et de nature à forcer M. [V] à quitter la société dans le cadre d’un ultimatum ont porté atteinte à son honneur et son intégrité psychique, ce qui lui a causé un préjudice moral qu’il convient de réparer à hauteur de 5.000 €.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les demandes annexes :

La société Donecle sollicite la restitution de la somme de 1.966,92 € versée en trop à M. [V] dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement de première instance. Elle expose avoir versé une somme brute de 11.157,44 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, alors que le montant brut alloué par les premiers juges s’élève à 9.519,22 €.

Toutefois, la société ne justifie pas avoir versé une somme plus élevée, de sorte que sa demande sera rejetée.

La SAS Donecle, partie principalement perdante, sera condamnée aux entiers dépens d’appel.

M. [V] réclame la confirmation du jugement en ce que la SAS Donecle a été condamnée à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de sorte qu’il ne peut régulièrement prétendre à une augmentation de ce quantum à hauteur de 2.000 €.

En revanche, le salarié est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de la procédure d’appel. La SAS Donecle sera donc tenue de lui payer la somme 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés à l’occasion de cette procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a :

– jugé que la période d’essai était inopposable au salarié,

– condamné la SAS Donecle à payer à M. [S] [V] la somme de 3.750 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté M. [V] de sa demande indemnitaire pour préjudice distinct de la rupture ;

Et, statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la période d’essai a été irrégulièrement rompue.

Condamne la SAS Donecle à payer à M. [S] [V] les sommes suivantes :

*2.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*5.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Déboute M. [S] [V] de ses demandes plus amples ;

Déboute la SAS Donecle de ses demandes ;

Condamne la SAS Donecle aux entiers dépens de l’appel ;

Condamne la SAS Donecle à payer à M. [S] [V] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en appel.

Le présent arrêt a été signé par S. BLUM », présidente et C. DELVER, greffière.

LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE

C. DELVER S. BLUM »

.

 


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