COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 AVRIL 2023
N° RG 21/01516
N° Portalis DBV3-V-B7F-UQSF
AFFAIRE :
[G] [Z] épouse [L]
C/
Société BENECH GESTION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTMORENCY
Section : C
N° RG : F 18/00611
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sonia OULAD BENSAID
Me Anne GUINNEPAIN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [G] [Z] épouse [L]
née le 9 février 1981 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Sonia OULAD BENSAID de la SELARL BARBIER ET ASSOCIES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 211
APPELANTE
****************
Société BENECH GESTION
N° SIRET : 531 638 575
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Marie-Véronique LE FEVRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0353 et Me Anne GUINNEPAIN, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 150
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [Z] a été engagée en qualité de rédacteur sinistre, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 5 avril 2016, par la société Benech Gestion.
Cette société, spécialisée dans le courtage d’assurances et de réassurances, applique la convention collective nationale des entreprises de courtage d’assurances et de réassurances. Son effectif était, au jour de la rupture, de moins de 10 salariés.
La salariée percevait une rémunération brute mensuelle de 2 519,12 euros.
La salariée a été hospitalisée du 13 au 17 février 2017 et placée en arrêt de travail jusqu’au 17 mars 2017.
Par lettre du 24 février 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement fixé au 7 mars 2017.
Elle a été licenciée par lettre du 15 mars 2017 pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :
« Madame,
Nous faisons suite à notre entretien préalable du 7 mars 2017 auquel vous étiez assistée de monsieur [R] [F], Conseiller extérieur du salarié et avons le regret de vous informer par la présente que nous sommes contraints de vous licencier pour cause réelle et sérieuse.
Nous vous avons engagée en qualité de Rédacteur Sinistre ‘ Statut employé selon contrat à durée indéterminée en date du 05 avril 2016.
Il résulte de votre contrat de travail que vous êtes en charge notamment de :
– Procéder à la gestion de l’instruction au règlement des sinistres au plan amiable et contentieux,
– Vérifier les garanties souscrites,
– Analyser les responsabilités sous la supervision de votre Responsable service,
– Apprécier l’ensemble des préjudices,
– Prendre les décisions techniques et juridiques sur la recevabilité des sinistres et sur les recours,
– Évaluer le coût des dossiers,
– Négocier l’indemnisation des argumentant sa position,
– Établir un calendrier de suivi rigoureux des dossiers qui vous ont été confiés,
– Suivre l’instruction des dossiers et les délais jusqu’à leur clôture,
– Contribuer à rendre les dossiers exploitables avec tous les moyens informatiques mis à votre disposition,
– Gérer tous sinistre et tâches qui vous sont confiées en matière de sinistres automobiles.
Ainsi, il vous incombait de saisir dans l’outil de gestion IGLOO tous les courriers ou pièces reçues (« événements entrants ») ainsi que toutes les actions que vous meniez (« événement sortants »).
Vous n’êtes pas sans ignorer que la saisie de tous les événements administratifs et financiers est déterminante pour la bonne gestion des dossiers dans la mesure où elle permet une juste appréciation du risque pour nos clients et facilite le suivi des dossiers par vos collègues.
Depuis le début de votre absence pour maladie, soit depuis le 13 février 2017, nous avons été contraints de reprendre temporairement vos tâches et avons constaté de graves négligences, tant dans le suivi des demandes de nos clients que dans la mise à jour des données financières.
Pour rappel, les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :
1) Retard dans le suivi des demandes de nos clients
Dossier n° 16P022912133 : nous avions réceptionné la réclamation de l’assureur adverse le 27 décembre 2016. Or, le 15 février 2017, le tiers nous a contactés pour se plaindre de la façon dont nous avions géré son dossier.
En effet, sans nouvelles de notre part, l’assureur nous a relancés par lettre RAR le 20 janvier 2017. De plus, vous n’avez à aucun moment renseigné le logiciel IGLOO dans la mesure où les différents courriers qui nous avaient été adressés étaient restés dans la bannette de « courriers non traités ».
La découverte de ce dossier nous a alerté et nous a conduits à examiner l’ensemble des dossiers dont vous avez la charge.
Cette étude a mis en exergue vos nombreuses défaillances dans le suivi des demandes et au rang desquelles notamment :
Dossier n°16S022810002 : nous avons reçu le 14 février 2017 un préavis d’assignation de la part de l’assureur adverse alors que vous étiez en possession de toutes les pièces nécessaires pour gérer ce dossier depuis le mois de novembre 2016.
Dossier n°16P013204070 : alors que ce dossier était complet pour procéder à son règlement, nous avons constaté, à ce jour, qu’aucun acte de gestion n’a été réalisé depuis le 27 septembre 2016.
Dossier n°16P022912121 : il apparaît dans ce dossier qu’un seul dossier assureur a été saisi sur les deux présents et qu’aucun accusé de réception n’a été adressé.
Dossier n°15P021301018 : alors que l’assureur adverse nous a adressé une réclamation en date du 28 septembre 2016, nous avons constaté qu’aucun acte de gestion n’a été saisi depuis le 19 juillet 2016. Par ailleurs, la partie financière n’est pas renseignée dans l’outil informatique alors que vous étiez en possession de tous les éléments.
Dossier n°16P019004025 : la réclamation de l’adversaire d’un montant de 1316,34 datant du 20 décembre 2016 n’a été ni renseignée, ni traitée et notre recours réciproque pour un montant de 201,01 euros n’a pas été traité non plus.
Dossier n°16P020508014 : vous aviez reçu un mail de rappel le 10 janvier 2017 pour une somme à régler d’un montant de 5 087 (lequel faisait suite à une première demande du 24 octobre 2016).
Par ailleurs, la derrière action enregistrée dans le logiciel IGLOO concernant ce dossier remonte au 21 septembre 2016.
Il est inconcevable de ne pas traiter ce genre de dossiers compte-tenu des sommes en jeu.
Votre manque d’organisation et de réactivité ont entraîné des retards d’indemnisation des préjudices subis par les tiers et par nos clients. De surcroît, ceux-ci nuisent aux relations que nous entretenons avec les compagnies d’assurance adverses, lesquelles se plaignent directement auprès de nos assureurs. Par ailleurs, cela nuit à l’image de notre Entreprise et au professionnalisme qui lui est associé.
2) Carence dans la mise à cour des données financières
Ainsi à titre d’exemples :
Dossier n°16P022912130 : vous avez émis un règlement de 950 Euros, alors même que nous n’avions pas validé le taux de responsabilité de notre cliente.
Or, vous n’êtes pas sans savoir que, suivant la procédure interne mise en place en matière de règlement des sinistres aux tiers, et avant toute mise en règlement, la responsabilité de notre client doit être validée.
Dossier n°16S009208003 : je vous avais adressé par mail du 11 octobre 2016 l’instruction d’engager un recours contre la partie adverse pour lequel le préjudice s’estimait à plus de 8 400 euros au profit de notre client « STRICHER »
Or, nous n’avons pu que constater, le 15 février 2017, que vous n’avez pas respecté les consignes de votre hiérarchie puisqu’aucune action n’a été engagée depuis.
Votre manque de rigueur et de conscience professionnelle occasionnent un manque à gagner conséquent pour notre client ; cela est inadmissible.
Par ailleurs, les éléments de préjudice n’ayant pas été régulièrement enregistrés, les bilans financiers de notre client, la Société STRICHER, et de son assureur sont erronés.
Lors de l’entretien préalable, vous avez contesté les faits, vous comparant aux autres gestionnaires en précisant que vous étiez moins rapide.
Par ailleurs, vous avez tenté de justifier vos erreurs et omissions en avouant faire preuve d’inattention.
Tout d’abord, vous disposez de la même charge de travail que l’ensemble de vos collègues qui remplissent parfaitement leurs missions. En effet, nous veillons à répartir de manière équitable l’ensemble des dossiers.
Cela étant, nous vous rappelons que vous n’avez pas hésité à solliciter de l’aide auprès de vos collègues de travail et je vous avais même conseillé une méthode d’organisation hebdomadaire que vous n’avez pas daigné suivre.
D’une manière générale, votre insuffisance se caractérise par le manque de réactivité dans le traitement des dossiers dont vous avez la charge.
Ainsi, dès le mois d’octobre 2016 puis en janvier 2017, nous avons tenté en vain de vous accompagner et de vous proposer de nouvelles méthodes de travail afin de rattraper votre retard et d’améliorer votre organisation.
A ce titre, il vous avait été demandé de consacrer une journée et demi au traitement des dossiers de recours contre les assureurs adverses et ce afin d’encaisser les indemnités dues à nos clients « PETIT FORESTIER » et « STRICHER ».
Force est de constater que vous n’avez jamais pris en compte nos conseils et nos diverses recommandations afin d’améliorer votre productivité ce qui se traduit par un accroissement des dossiers en souffrance qu’il vous incombait de traiter.
Votre négligence est inacceptable : celle-ci est contraire à vos obligations, aux engagements que vous avez pris envers notre Société au moment de votre embauche et à nos règles internes.
De surcroît, elle a engendré des erreurs tant dans le calcul des provisions des comptes de résultats des Sociétés dont vous avez la gestion, raison pour laquelle nous avons été contraints de contrôler de nouveau l’ensemble de vos dossiers. Enfin, elle contrevient à nos engagements envers nos clients et nuit à l’image de notre société et au professionnalisme qui y est associé.
En conséquence, les explications que vous nous avez fournies ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet, nous avons décidé de vous licencier pour insuffisances professionnelle.
Votre préavis conventionnel d’une durée d’un mois, que nous vous dispensons d’effectuer, débutera à la date de première présentation du présent courrier. Cette période vous sera rémunérée à l’échéance habituelle de la paie »
Le 26 septembre 2018, Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 26 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Montmorency (section commerce) a :
– dit que le licenciement de Mme [Z] pour insuffisance professionnelle par la société Benech Gestion est fondé,
– débouté Mme [Z] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la société Benech Gestion de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration adressée au greffe le 20 mai 2021, Mme [Z] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [Z] demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de montmorency en date du 26 avril 2021 en ce qu’il a :
. dit que le licenciement de Mme [Z] pour insuffisance professionnelle par la société Benech Gestion est fondé,
. débouté Mme [Z] de l’intégralité de ses demandes,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de montmorency en date du 26 avril 2021 en ce qu’il a débouté la société Benech Gestion de sa demande reconventionnelle,
et statuant à nouveau,
– dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
– condamner la société Benech Gestion à lui régler la somme de 15 114,60 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Benech Gestion à lui régler la somme de 7 557,36 euros en réparation de son préjudice moral,
– condamner la société Benech Gestion à lui payer la somme de 2 000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Benech Gestion à lui payer la somme de 2 500 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la société Benech Gestion aux entiers dépens,
– débouter la société Benech Gestion de toutes ses demandes, prétentions, fins et moyens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Benech Gestion demande à la cour de :
– la recevoir en ses écritures et l’y déclarer bien fondée,
en conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en tous ses points, notamment en ce qu’il :
. a jugé bien fondé, le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [Z],
– et donc de débouter purement et simplement Mme [Z] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
et statuant à nouveau,
– l’infirmer en ce qu’il a rejeté la demande de la société Benech Gestion d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, d’un montant de 3 000 euros, et donc condamner Mme [Z] à lui verser,
– le condamner au paiement d’une somme de 3 000 euros, en cause d’appel sur le fondement des dispositions de 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– condamner Mme [Z] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la rupture
La salariée affirme qu’aucun des dossiers à propos desquels des manquements lui sont imputés ne lui avait été attribué ; qu’il lui est reproché un retard dans le traitement des dossiers alors que l’employeur ne détermine pas le délai dans lequel il lui aurait été demandé de le faire ; plus généralement que les manquements ne sont pas établis.
L’employeur objecte que les manquements sont établis et qu’ils sont bien imputables à la salariée.
***
L’insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.
L’incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l’employeur.
L’insuffisance professionnelle, qui ne suppose aucun comportement fautif du salarié, doit être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d’une conjoncture économique difficile, ne doit pas être liée au propre comportement de l’employeur ou à son manquement à l’obligation d’adapter ses salariés à l’évolution des emplois dans l’entreprise.
En l’espèce, sont en substance reprochés à la salariée des retards dans le suivi des demandes des clients et des carences dans la mise à jour des données financières en dépit des conseils et accompagnement qui lui avaient été dispensés.
Il n’est pas discuté que la salariée s’était vue confier la gestion des sinistres des mois d’avril, août et décembre. Il n’est pas non plus contesté que dans le logiciel de suivi interne à la société – le logiciel IGLOO -, la salariée opérait sous le code B7.
Il ressort des explications de la salariée – non contestées sur ce point – que le numéro des dossiers était conçu de telle sorte qu’apparaisse, après la lettre correspondant au client (P ou S), le mois du sinistre.
Dans la mesure où il n’est pas contesté que la salariée avait pour tâche d’assurer la gestion des sinistres survenus en avril, août et décembre, seuls les dossiers pour lesquels figurent un « 04 », un « 08 » ou un « 12 » doivent être considérés comme ayant spécialement été attribués à la salariée.
Or, ainsi qu’elle le fait observer à juste titre, aucun des dossiers mentionnés dans la lettre de licenciement ne fait apparaître l’un quelconque de ces mois.
Toutefois, ainsi qu’il sera vu plus loin, le nombre suivant la lettre correspondant au client ne traduit pas toujours le mois de survenance du sinistre. En outre, la salariée expose elle-même que lorsqu’un salarié est absent pour congé professionnel ou pour maladie, les dossiers dont il est titulaire sont répartis entre les gestionnaires. Par conséquent, elle pouvait être amenée à intervenir pour des dossiers qui ne lui étaient pas spécialement attribués à raison du mois de survenance du sinistre.
En ce qui concerne le dossier n° 16P022912133, si effectivement, le numéro de dossier porte à croire qu’il résulte d’un sinistre survenu au mois de février 2017, il n’en demeure pas moins que la copie d’écran issue du logiciel IGLOO montre que ce dossier a été affecté à « B7 » et donc, à la salariée. Cela s’explique au demeurant par le fait qu’en réalité, le sinistre est survenu le 8 décembre 2016 ainsi que le montrent les lettre et courriel de l’assureur « Lybernet Assurances » adressés à la société Benech Gestion les 20 janvier et 16 février 2017, lesquels sont des relances après une première lettre du 20 décembre 2016. Ces échanges établissent la réalité du manquement de la salariée qui n’avait pas fait diligence, à la réception de la première lettre de l’assureur « Lybernet Assurances ».
En ce qui concerne le dossier n°16S022810002, il ressort de la copie d’écran issue du logiciel IGLOO que le dossier concernant un sinistre survenu le 6 octobre 2016 a été confié à la salariée le 29 décembre 2016, consécutivement à la relance adressée par la société GMF le 20 décembre 2016 après sa lettre à la société Benech Gestion le 3 novembre 2016. Il ressort par ailleurs de la pièce 2 de l’employeur que le 7 février 2017, la GMF menaçait la société Benech Gestion d’une assignation résultant de « l’échec des pourparlers amiables ». Or, le logiciel IGLOO montre qu’entre le 29 décembre 2016 et le 7 février 2017, rien n’avait été fait dans ce dossier. Le manquement est ainsi établi.
En ce qui concerne le dossier n°16P013204070, l’employeur n’établit pas que le dossier était complet pour procéder à son règlement, mais seulement qu’aucun acte de gestion n’a été réalisé entre le 27 septembre 2016 et le 9 février 2017. Toutefois le manquement n’est pas établi s’agissant d’un dossier qui n’était pas spécialement attribué à la salariée comme le montre le numéro du dossier mais également la copie d’écran du logiciel IGLOO établissant que la salariée n’est pas intervenue à toutes les phases de gestion du dossier.
En ce qui concerne le dossier n°16P022912121, l’employeur n’établit pas par les pièces qu’il verse aux débats que « un seul dossier assureur a été saisi sur les deux présents et qu’aucun accusé de réception n’a été adressé ».
En ce qui concerne le dossier n°15P021301018, la salariée objecte que les pièces produites par l’employeur pour établir la matérialité du manquement concernent le dossier n°15P021304018. Néanmoins, la lecture des pièces montre que c’est par suite d’une erreur purement matérielle que la lettre de licenciement mentionne le dossier n°15P021301018 alors qu’en réalité, c’est bien le dossier n°15P021304018 qui était visé par l’employeur. Dans ce dossier qui avait été affecté à la salariée le 23 juin 2016 comme le montre la copie d’écran issue du logiciel IGLOO, aucun acte de gestion n’apparaît postérieurement au 19 juillet 2016, date de l’envoi, par la société Benech Gestion, d’une lettre d’accusé de réception faisant suite à la correspondance de la société Marsh en date du 1er juillet 2016. Or, par courriel du 28 septembre 2016, la société Marsh avait écrit à la société Benech Gestion pour lui faire connaître le montant de sa réclamation (874,95 euros) et la part de responsabilité qu’elle estimait devoir faire supporter à l’assurée de la société Benech Gestion. Dès lors, il est établi qu’en dépit des éléments en la possession de la salariée, les données financières du litige n’avaient pas été renseignées dans l’outil informatique.
En ce qui concerne le dossier n°16P019004025, il ressort de la pièce 6 de l’employeur (copie d’écran du logiciel IGLOO) que ce dossier a été affecté à la salariée le 26 avril 2016 s’agissant d’un sinistre survenu le 11 avril 2016. Il ressort de la même pièce que le 20 décembre 2016, l’assureur de la partie adverse avait adressé à la société Benech Gestion un courriel par lequel elle évaluait le sinistre à la somme de 1 316,34 et en réclamait le montant. Or, le logiciel IGLOO ne fait apparaître aucune mention de ce courriel du 20 décembre 2016 de sorte qu’il n’apparaît pas que la salariée, qui s’était vue attribuer le dossier, avait, au mois de février 2017, traité cette réclamation. Pas davantage n’a été traité par la salariée le recours réciproque pour un montant de 201,01 euros (cf. facture de Lecapitaine du 20 juillet 2016 produite en pièce 6 précitée). Le manquement est donc établi.
En ce qui concerne le dossier n°16P020508014 – qui avait été affecté à la salariée le 14 septembre 2016 comme le montre la copie d’écran du logiciel IGLOO – l’employeur montre, par la production de sa pièce 7 que par un courriel du 10 janvier 2017 « à l’attention de [G] [Z] conformément à [un] entretien de ce jour », il était rappelé à la salariée un courrier de réclamation de Mapa-assurances en date du 24 octobre 2016 et le fait qu’elle attendait de la part de la société Benech Gestion un règlement d’un montant de 5 087,07 euros. La réclamation du 24 octobre a bien été inscrite dans le logiciel IGLOO par un autre salarié ‘ en l’occurrence, le salarié opérant sous le code B8 ‘ mais considération prise du courriel du 10 janvier 2017, il est établi que la salariée a été personnellement destinataire d’une nouvelle relance du 10 janvier 2017. Or, il apparaît qu’aucun acte de gestion n’a été réalisé par la salariée postérieurement au 10 janvier 2017. Le manquement est donc établi.
En ce qui concerne le dossier n°16P022912130, le logiciel IGLOO fait apparaître que la salariée a réalisé un « BAP » (« Bons à payer ») par l’établissement d’un chèque de 950 euros à la GMF le 31 janvier 2017. L’employeur expose que la salariée a réalisé ce « BAP » sans avoir préalablement obtenu la validation du taux de responsabilité civile de l’assuré ce que conteste la salariée. A cet égard, l’employeur montre, par la production de sa pièce 9 que la validation en question n’est intervenue que le 17 mars 2017. Or, il ressort de la pièce 10 de l’employeur (manuel des procédures en vigueur au 23 novembre 2016) que « pour tout BAP, il convient de vérifier que la RC soit validée (‘) ». Le manquement est donc établi.
En ce qui concerne le dossier n°16S009208003, il ressort du courriel que le supérieur hiérarchique de la salariée lui a adressé, le 11 octobre 2016, que dans ce dossier, « l’assuré [n’était] pas responsable » et qu’il laissait à la salariée « le soin de présenter la réclamation chiffrée ». S’il ressort de la lettre de licenciement qu’au 15 février 2017, « aucune action [n’avait] été engagée depuis », il demeure que, pour établir la matérialité de ce manquement, l’employeur ne produit pas comme c’est le cas pour tous les autres manquements, de copie d’écran du logiciel IGLOO qui rend compte des actes de gestion réalisés pour chaque dossier. A défaut, le manquement, contesté par la salariée, n’est pas établi.
En synthèse de ce qui précède, est établie, sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, la réalité de manquements de la salariée qui lui sont directement imputables se traduisant par des retards dans le suivi des dossiers et une méconnaissance des règles de procédures internes.
Les manquements reprochés à la salariée, réels, sont suffisamment sérieux pour justifier le licenciement.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit fondé le licenciement et en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
La salariée, qui ne se fonde pas cette demande sur les dispositions applicables à la discrimination en raison de l’état de santé, affirme qu’elle a en réalité été licenciée en raison de son état de santé, et que son licenciement est intervenu dans des circonstances vexatoires liées à la décision brutale de l’employeur de la licencier, au ton offensant de la lettre de licenciement, aux reproches injustifiés qui lui ont été adressés, au contexte dans lequel son licenciement est intervenu alors qu’elle était en arrêt maladie, aux reproches qui lui ont été faits sur les conséquences de son absence pour maladie.
L’employeur ne réplique pas à cette demande, mais conclut à la confirmation du jugement qui en a débouté la salariée.
***
Il ressort de la lettre de licenciement, dont la salariée ne demande pas la nullité sur le fondement de L. 1132-1 du code du travail, que la maladie de la salariée n’est pas le motif du licenciement mais simplement les circonstances dans lesquelles l’employeur a été amené à découvrir les manquements imputés à la salariée. Le ton de la lettre de licenciement n’est pas offensant et les manquements invoqués par l’employeur sont, pour la plupart, établis, permettant ainsi de démontrer que le licenciement n’est pas la conséquence de l’arrêt de travail de la salariée, mais bien celle desdits manquements.
En revanche, c’est à raison que la salariée expose qu’elle a été brutalement licenciée. En effet, son licenciement n’est pas fondé sur un motif disciplinaire, et la salariée était en arrêt de travail pour maladie faisant suite à une hospitalisation lorsque la procédure a été engagée et que le licenciement lui a été notifié.
Dans la mesure où le licenciement n’invoquait pas une faute grave de la salariée rendant impossible son maintien dans l’entreprise, il n’y avait dès lors aucune urgence à engager la procédure de licenciement, de sorte que l’employeur aurait dû attendre la fin de l’arrêt maladie de la salariée pour engager cette procédure de licenciement, initiée de façon précipitée, ce dont il est résulté pour la salariée un préjudice moral.
Il convient en conséquence d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef de demande et, statuant à nouveau, de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Par voie d’infirmation du jugement, l’employeur sera condamné à payer à la salariée une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a engagés en première instance. Ajoutant au jugement, l’employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 1 500 euros au titre des frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu’il déboute Mme [Z] épouse [L] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE la société BENECH GESTION à payer à Mme [Z] épouse [L] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société BENECH GESTION à payer à Mme [Z] épouse [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance, et la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d’appel,
CONDAMNE la société BENECH GESTION aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président
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