ARRET N° 23/75
R.G : N° RG 21/00239 – N° Portalis DBWA-V-B7F-CIV2
Du 28/04/2023
[N]
S.A.S. CIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION (COMADI)
C/
[N]
S.A.S. COMADI
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2023
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 19 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 19/00368
APPELANTES :
Madame [Y] [C] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Viviane MAUZOLE, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.A.S. CIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION (COMADI)
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean MACCHI, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMEES :
Madame [Y] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Viviane MAUZOLE, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.A.S. COMADI
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean MACCHI, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
Mme Emmanuelle TRIOL, présidente,
Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre,
Madame Anne FOUSSE, Conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 17 Février 2023,
A l’issue des débats, le président a avisé les parties que la décision sera prononcée le 28 avril 2023 par sa mise à disposition au greffe de la Cour conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile.
ARRET : contradictoire et en dernier ressort
***************
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [Y] [N] a été embauchée, par la SAS Comadi, à compter du 13 juillet 1991, en qualité d’adjoint au chef comptable, statut agent de maitrise pour un salaire de base brut de 2255,87€.
La SAS Comadi qui a pour activité la commercialisation d’électroménager et de meubles exploite les enseignes BUT, DARTY et HABITAT et NATURE et DECOUVERTES en Martinique.
Mme [Y] [N] exerçait ses fonctions sur le site de DARTY.
Par courrier remis en main propre le 9 février 2019, l’employeur convoquait Mme [Y] [N] à un entretien préalable à licenciement ‘xé au 28 février 2019.
Par courrier du 18 mars 2019, l’employeur lui notifiait une sanction disciplinaire caractérisée par une rétrogradation au poste de comptable, statut employé sans diminution de salaire, eu égard à son ancienneté. Il demandait l’accord express de Mme [Y] [N] sur sa proposition de rétrogradation, avant la date butoir du 20 mars 2019, sous peine de retenir une faute grave.
Par courrier du 25 mars 2019, Mme [Y] [N] contestait les faits reprochés et invitait l’employeur à reconsidérer la sanction disciplinaire prise à son encontre.
Par courrier du 4 juin 2019, l’employeur notifiait à Mme [Y] [N] son licenciement pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :
«le lettrage des comptes relève de votre compétence et en votre qualité d’adjointe au chef comptable, statut agent de maîtrise, vous êtes supposée représenter le DAF sur le site de DARTY/HABITAT…
.. ainsi vous avez, sans opérer la moindre véri’cation et sans une quelconque autorisation, affecté un virement CAFINEO émis pour le
compte de Monsieur [A] [M], à l’apurement d’une chaine de chèques, enregistrés dans nos livres au nom de Mademoiselle [S] [L]…
vous avez effectué avec la plus grande légèreté vos missions, soit vous avez volontairement participé au détournement organisé par Mademoiselle [S] [L] compte tenu de votre position… la situation ne nous permet pas de pouvoir envisager la poursuite de nos relations contractuelles….
>.
S’estimant lésée, Mme [Y] [N] saisissait le conseil de prud’hommes de Fort-de-France le 9 septembre 2019, aux fins de contester son licenciement et solliciter diverses indemnités en découlant (indemnité conventionnelle de licenciement, rappels de salaire sur préavis, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
Par jugement en date du 19 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Fort-de-France :
– disait le licenciement fondé sur une insuffisance professionnelle,
– déboutait Mme [Y] [N] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamnait La SAS Comadi à payer la somme de 7581,09 euros au titre du solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– condamnait La SAS Comadi à payer la somme de 2846,71 euros au titre de rappel de salaires sur préavis,
– déboutait Mme [Y] [N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– déboutait La SAS Comadi de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamnait Mme [Y] [N] et La SAS Comadi à leur propre dépens y compris aux éventuels frais et actes d’exécution.
Mme [Y] [N] interjetait appel de ce jugement par déclaration rpva du 22 novembre 2021 dans les délais impartis.
La SAS Comadi interjetait appel de ce jugement par déclaration rpva du 25 novembre 2021.
Par ordonnance du 2 décembre 2021, le conseiller chargé de la mise en état ordonnait la jonction de ces deux procédures sous le numéro 21/239.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 septembre 2022, l’appelante demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré le licenciement pour insuffisance professionnelle fondé,
– l’in’rmer sur ce point,
– dire que l’employeur ne rapporte pas la preuve d’une insuf’sance professionnelle,
– dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et particulièrement abusif,
– con’rmer le jugement en ce qu’il a accordé à Mme [Y] [N] le solde de l’indemnité de préavis, le solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement et fait application de l’accord collectif régional de la branche commerce de Martinique signé le 20 mai 1998 étendu par l’arrêté du 5 août 2004,
– condamner La SAS Comadi à payer à Mme [Y] [N] les sommes suivantes :
* 3 118,43 euros à titre de solde indemnité de préavis,
* 10 841,73 euros à titre de solde indemnité conventionnelle de licenciement,
* 45 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter La SAS Comadi de ses demandes, ‘ns et conclusions et la condamner aux entiers dépens
Au soutien de ses prétentions, l’appelante rappelle que :
– le licenciement pour insuf’sance professionnelle est un licenciement pour motif personnel exclusif d’une faute du salarié mais qui résulte d’un constat, la mauvaise exécution du contrat de travail par le salarié que l’employeur doit être en mesure objectivement de justi’er.
Ainsi, l’insuf’sance professionnelle peut justi’er un licenciement dès lors que l’employeur s’appuie sur des faits précis et véri’ables qui prouvent l’existence de cette insuf’sance et que le juge peut contrôler;
– par ailleurs, au terme de l’article L6321-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail, il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies, et des organisations ;
– les actions de formations mise en ‘uvre à ses ‘ns sont prévues le cas échéant, par le plan de formation mentionné au paragraphe 1 de l’article L6312-1 du code de travail ;
qu’il revient, à l’employeur de donner au salarié les moyens de s’adapter aux exigences du poste et de donner les explications techniques ou proposer la formation nécessaire et laisser au salarié un temps nécessaire pour être opérationnel.
Sur les faits reprochés, elle fait principalement valoir qu’en raison de l’importance quantitative dans la gestion des pièces comptables :
– l’employeur ne prouve pas avoir tout mis en oeuvre pour une maitrise totale et une analyse fine de toutes les opérations permettant d’aboutir à un résultat comptable satisfaisant; qu’une plus grande confusion régnait quant au rôle de chacun dans le suivi des paiements par carte CAFINEO et qu’il a fallu le cas de M. [D] pour savoir que le système mis en place depuis des années pouvait présenter des failles d’où la réunion expresse de M. [F] [W] directeur des ventes qui conviait à une réunion de travail le 14 février 2019 dont l’ordre du jour est «procédure caisse et crédit».
– l’employeur ne renseigne pas la Cour alors qu’il détient les éléments, les mises en demeure et autres réclamations de CAFINEO à l’adresse de M. [D] et le montant des impayés, ni l’offre de contrat, ni les conditions particulières et générales du contrat, ni le sort réservé à Mme [L] à la suite des infractions graves constatées, ni la manière dont cette dernière a pu utiliser frauduleusement une carte CAFINEO au nom de M. [D]. Enfin elle oppose la violation par l’employeur de son obligation de formation et d’adaptation à son poste de travail au vu de l’évolution de l’emploi. Elle affirme qu’elle n’avait pas de fiche de poste, et ne pouvait remplacer un chef comptable inexistant en sa qualité d’adjoint.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2023, l’intimée demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [Y] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
– juger que l’accord collectif régional de la branche commerce de Martinique n’est pas applicable à la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION à verser à Mme [Y] [N] la somme de 7.581,09 euros au titre du solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION à verser à Mme [Y] [N] la somme de 2.846,71 euros à titre de rappel de salaire sur préavis,
– débouter Mme [Y] [N] de ses demandes d’indemnité conventionnelle de licenciement de 10.841,73 euros et de rappel de salaire sur préavis de 3.118,43 euros,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION de sa demande de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION à ses propres dépens,
En tout état de cause,
– condamner Mme [Y] [N] à verser à la société COMPAGNIE MARTINIQUAISE DE DISTRIBUTION la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner Mme [Y] [N] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La SAS Comadi explique qu’en sa qualité d’adjoint chef comptable, Mme [Y] [N] comptait de nombreuses missions parmi lesquelles celle de s’assurer du bon règlement des factures du magasin; que les trois enseignes proposent à leurs clients, à l’occasion de leurs achats de faire l’acquisition d’une carte de crédit, la carte CAFINEO qui leur permet de bénéficier de facilités de paiement et de remise; que cette carte est proposée par les vendeurs aux clients au moment de leur achat; qu’en cas d’accord, le client est dirigé vers l’hôtesse de crédit en vue de préparer le dossier. Si le dossier est accepté, le client reçoit sa carte par la suite; qu’à cette fin Madame [S] [L], salariée de l’entreprise de travail temporaire OPTIMUM a effectué de nombreuses missions au poste d’hôtesse de caisse au sein de DARTY, à compter du 15 février 2018; que Madame [L] a eu l’occasion de réaliser de nombreux achats à titre personnel au sein des différentes enseignes exploitées par la société et de dépenser plus de 17.000 euros en marchandises entre août 2017 et juin 2018; qu’habituée du magasin DARTY et en bonne entente avec les salariés, Mme [L] remettait à la chef de caisse, Mme [T], plusieurs chèques en règlement de ses derniers achats, lui demandant de les mettre à l’encaissement à échéance de chaque mois jusqu’au règlement total; que pour régler les factures impayées d’un montant total de 2.000 euros, Mme [L] convenait d’un arrangement avec Mme [T] prétextant avoir obtenu l’accord du Directeur.
Elle précise que sur les affirmations de Mme [L], Mme [T] décidait d’affecter la dette de Mme [L] au compte CAFINEO de M. [D], le frère de cette dernière. Il apparaissait, en effet, que M. [D] était titulaire de deux comptes CAFINEO ouverts à son nom, comptes qui avaient été créés par Mme [L] sa propre s’ur.
Elle affirme que Mme [T] se rapprochait de Mme [Y] [N] et lui demandait d’affecter les sommes restant à payer par Mme [L], sur le compte de M. [D] .Ainsi, sans s’assurer auprès du Directeur du magasin qu’il avait bien donné son accord, et alors même que cela ne faisait pas partie des procédures habituelles, Mme [Y] [N] enregistrait en comptabilité le paiement des factures au moyen des fonds disponibles sur le compte CAFINEO de M. [D].
Or selon l’employeur, le 8 février 2019, M. [D] se présentait au magasin après avoir reçu des relances de CAFINEO pour non-paiement des échéances du crédit.
Il indiquait ne pas comprendre l’objet de ces relances n’ayant effectué aucun achat au sein du magasin DARTY, ni des autres magasins de la société COMADI; que c’est dans ces conditions que la société découvrait que M. [D] n’avait jamais donné son accord pour le paiement des factures impayées de Mme [L] avec les fonds disponibles sur son compte CAFINEO.
Or, Mme [Y] [N] pourtant adjoint chef comptable, statut agent de maîtrise avait bel et bien effectué cette opération, en contravention totale avec les procédures en cours…
L’employeur fait valoir qu’il était contraint de procéder au licenciement après le refus par la salariée d’accepter la rétrogradation.
Il précise que :
– Mme [Y] [N] occupait le poste d’adjoint chef comptable sur le site de darty et était le relai du Directeur administratif et financier, Monsieur [P] [B], dont le bureau se trouvait sur le site de BUT.
– ses missions de comptabilité étaient plurielles. En 2017 (mail du 23 janvier), elle adressait elle-même pour rappel à Monsieur [B], la liste de ses tâches et fonctions.
– Il en résulte clairement que l’appelante avait des missions de saisie et de lettrage comptable sur plusieurs postes de l’activité comptable. Elle y indiquait notamment et surtout que le suivi des dossiers CAFINEO (saisie des bordereaux journaliers, recherches pour les impayés, établissement tableau de réclamations’) lui incombait.
– l’affirmation selon laquelle elle n’avait qu’une compétence très marginale pour la gestion des chèques différés est hors de propos puisqu’il est ici reproché non pas l’acceptation de chèques différés mais surtout, l’affectation de fonds du compte Cafinéo d’un tiers au paiement de factures de Mme [L], au lieu et place des chèques, ce qui relève pleinement de sa responsabilité,
– La procédure de lettrage qui incombait à Mme [Y] [N] était identique depuis plusieurs années. Il s’agissait comme elle l’indique d’ailleurs dans ses écritures d’affecter un règlement à une facture; la facture et le règlement étant au même nom,
-ainsi en l’espèce Mme [Y] [N] a volontairement affecté des factures au nom de Mme [L], avec un règlement émanant de CAFINEO au nom de M. [D] .
– Mme [Y] [N] a agi avec légèreté et a pris l’initiative d’une opération, sans en référer à sa hiérarchie, et en dehors de toute procédure.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile pour le surplus des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 janvier 2023.
MOTIVATION
– Sur l’insuffisance professionnelle
* sur la validité du licenciement
La SAS Comadi proposait à Mme [Y] [N] une rétrogradation après avoir constaté que :
– un virement a été effectué du compte Cafinéo de M. [D] vers les comptes de la SAS Comadi,
– la somme de 2000 euros objet du virement est venue en règlement de plusieurs chèques émis par Mme [L] s’ur de M. [D];
– cette opération a été effectuée par Mme [Y] [N] sans vérification préalable ni autorisation de son supérieur Hiérarchique.
Il a été rappelé qu’une rétrogradation lui avait été proposée par l’employeur et que face au refus de Mme [Y] [N] d’accepter la rétrogradation proposée, l’employeur décidait de la licencier pour insuffisance professionnelle.
Il est admis que c’est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement, peu important la proposition faite par l’employeur d’une rétrogradation disciplinaire refusée par le salarié.
Ainsi proposer une rétrogradation sanction n’empêche pas de licencier pour insuffisance professionnelle.
Le licenciement ne peut être invalidé pour ce motif.
* sur le fond
L’insuffisance professionnelle, qui constitue une cause légitime de licenciement, se définit comme une inaptitude du salarié à remplir les fonctions qui lui ont été confiées. Elle relève du seul pouvoir d’appréciation de l’employeur qui la décèle, par exemple, au travers de manifestations telles que lenteurs dans le travail, inaptitude au poste, commissions d’erreurs.
La responsabilité de l’employeur ou d’un autre salarié peut effectivement entacher le caractère réel et sérieux du licenciement.
En effet l’appréciation de «cause réelle et sérieuse» de licenciement s’effectue au cas par cas, dans la mesure où la responsabilité de l’employeur pourrait être mise en cause dans l’incompétence, les erreurs ou les manquements du salarié.
Si l’employeur est responsable de l’insuffisance ou de l’incompétence qu’il invoque, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. De même, il ne peut pas se prévaloir de l’insuffisance professionnelle ou des erreurs commises par un salarié s’il lui demande d’effectuer des tâches ne relevant pas de sa qualification et étrangères à l’activité pour laquelle il a été embauché.
Dans le cas d’une insuffisance professionnelle, il ne doit pas avoir manqué à son obligation de formation continue «Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations» (Art L.6321-1 CT).
En effet l’employeur est tenu d’adapter les salariés aux évolutions de son poste de travail notamment par des formations.
‘.
En l’espèce, Mme [Y] [N] occupait le poste d’adjoint chef comptable et son poste de travail était situé sur le site des magasins Darty Habitat. En cette qualité, elle était le relais sur ce site, du directeur administratif et financier, M. [B], dont le bureau se trouvait sur le site du magasin BUT ainsi qu’il ressort de l’organigramme du service comptable produit aux débats par l’employeur. Travaillant à ses cotés Mme [T] employé hôtesse de caisse, et Mme [O] employée au service financier crédit.
Il ressort encore de la liste de ses tâches administratives qu’elle avait pour mission le suivi des dossiers Cafinéo (saisie des bordereaux journaliers, recherches pour les impayés, établissement du tableau de réclamations;….).
Or il n’est pas contesté que Mme [L], hôtesse de caisse, réalisait de nombreux achats en 2017 et 2018 au magasin Darty, ou elle était affectée depuis février 2018 en qualité d’intérimaire; que pour le règlement de ces achats, elle avait laissé plusieurs chèques qui devaient être déposés à échéance régulières; qu’en mai 2018, un problème est survenu avec certains chèques et qu’elle était reçue par M. [W] directeur du magasin; qu’elle s’engageait à régler les sommes restant dues par un autre moyen de paiement; que c’est dans ces conditions qu’elle demandait à Mme [T] hôtesse polyvalente de solder les factures au moyen des comptes Cafineo de M. [D], son frère, créés le 28 mai 2018 précisément par sa s’ur aux dires non contestés de l’employeur ;
Mme [Y] [N] soutient qu’elle se trouvait sous la subordination de Mme [T], et que le problème de chèques différés incombait à cette dernière. Or Mme [Y] [N] n’était pas la subordonnée de Mme [T] au regard de son emploi d’adjoint chef comptable et de l’emploi d’hôtesse de caisse de Mme [T]. En outre par mail du 29 janvier 2017, elle décrivait elle même ses taches administratives et comptables le comprenant le suivi des dossiers Cafinéo, ce depuis le 15 février 2014.
Par mail du 20 avril 2018 adressé par M. [B] à Mme [T] et à Mme [Y] [N], celui ci s’interrogeait sur le compte de Mme [L], constatant que soit il manquait des chèques soit l’écriture était fausse.
Mme [T] répondait qu’elle avait oublié de créer les chèques différés.
Il s’en déduit que le pointage et le versement des chèques différés relevaient des attributions de Mme [T] sauf pendant ses congés.
En revanche le suivi et le lettrage des dossiers Cafinéo (saisie des bordereaux journaliers, recherches pour les impayés, établissement des tableaux de réclamation) relevaient bien de la responsabilité de Mme [Y] [N].
Il est indiqué par l’employeur qu’en vue du règlement des chèques impayés de Mme [L], Mme [T] effectuait une demande auprès de Mme [Y] [N] en charge du lettrage des comptes et que cette dernière affectait des fonds Cafinéo disponibles de M. [D] au paiement des factures impayées de Mme [L], bien que celui ci n’avait pour autant jamais donné son accord pour la prise en charge des achats de sa s’ur ainsi qu’il résulte d’un courrier de l’intéressé en date du 1er mars 2019.
Cependant la Cour observe qu’aucune pièce de l’employeur ne confirme une quelconque demande de Mme [T] à Mme [Y] [N] pour ce faire.
Mme [Y] [N] soutient ensuite que le logiciel de comptabilité permet d’automatiser le lettrage, de détecter les factures et les règlements liés automatiquement; qu’elle n’aurait donc pu déceler une fraude.
Elle produit pour en justifier le compte de Mme [L] et des annexes intitulées «visualisation du lettrage» sur lesquels apparaissent les dates des factures et les paiements affectés, sans que puissent être décelée une fraude ou une erreur, comme l’utilisation frauduleuse du compte d’un tiers pour le paiement d’une facture.
L’employeur indique à l’inverse que le lettrage n’était pas automatique mais nécessitait bien une intervention manuelle. Il ne produit pour autant aucune pièce de nature à démontrer que Mme [N] aurait pu en procédant au suivi des comptes Cafinéo et compte tenu du volume des opérations comptable et du lettrage, relever que M. [D] avait réglé à son insu la facture de Mme [L].
Certes l’employeur justifie qu’ à la suite de cet incident les salariés étaient conviés à une réunion de rappel de procédure le 14 février 2019 laquelle avait pour objet de rappeler les process et de les harmoniser; qu’il ressort du compte rendu de cette réunion qu’ont été rappelées plusieurs règles notamment qu’aucune carte ne peut être ouverte sans achat; que le nom de la personne faisant le crédit doit être le même que celui de la facture, qu’aucun lettrage ne doit affecter la somme reçue à un compte client d’un nom différent sauf si présence de la facture et du courrier type signé.
Cependant il ne justifie pas que de telles réunions avaient eu lieu avant cet incident et que Mme [Y] [N] qui indique qu’il a fallu le cas de M. [D] pour savoir que le système mis en place pouvait présenter des failles, avait été, d’une manière quelconque, avisée de ces procédures;
La Cour en déduit que l’employeur ne justifie pas avoir assuré l’adaptation de cette salariée «adjoint au chef comptable» à son poste de travail, au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations, faute de formation organisée à son bénéfice au cours de ces 28 années d’ancienneté.
La Cour considère que cet incident isolé dont l’employeur échoue à démontrer qu’il provient d’une erreur ou d’une négligence imputable à Mme [N] ne peut caractériser une insuffisance professionnelle, en l’absence de mises en garde, d’avertissement et de formation préalable.
Le jugement est donc infirmé en ce qu’il juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.
– Sur le quantum des demandes de la salariée
Mme [N] demande l’application de l’accord collectif régional de la branche commerce de Martinique signé le 20 mai 1998 étendu par arrêté ministériel du 5 août 2004 publié au JO du 19 août 2004.
Cet arrêté prévoit en son article 1er que «sont rendues obligatoires, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d’application de l’accord collectif régional du 20 mai 1998 de la branche commerce de la Martinique ‘ les dispositions de l’accord collectif régional du 20 mai 1998 de la branche commerce de la Martinique à l’exclusion :
– du premier alinéa de l’article 4 (application des conventions et accords collectifs) comme étant contraire aux dispositions des articles L 132-5 et L 132-16 du code du travail. En effet aux termes de ces dispositions; le champ d’application, lorsqu’il est de niveau national, doit préciser s’il comprend des départements d’outre mer. Par ailleurs, une adhésion à une convention de branche pour permettre son application à un secteur territorial non couvert doit être conclue entre les partenaires sociaux de la branche et ceux du secteur territorial concerné,
– du deuxième alinéa de l’article 4 susmentionné ‘..
L’article 4 de l’accord collectif est donc exclu de l’arrêté d’extension.
La SAS Comadi indique qu’elle était adhérente de la CPME et l’accord régional du 20 mai 1998 a été signé par l’union régionale de la CPME, syndicat représentatif d’employeur (Confédération des petites et moyennes entreprises). Elle considère être tenue par les dispositions de l’accord régional et l’article 4.
L’article 4 de l’accord du 20 mai 1998 précité stipulait que «A compter de la date d’extension du présent accord, toute entreprise ou tout établissement entrant dans le champ d’application du présent accord et non encore assujetti à une convention nationale ou départementale, appliquera, outre les dispositions du présent accord, la convention nationale non applicable à la Martinique, étendue ou non, dont elle relève du fait de son activité principale, dans l’attente de la mise en application d’une convention collective départementale négociée entre organisations patronales et salariales représentatives dans le secteur d’activité concerné.
L’employeur soutient donc que l’arrêté d’extension ne la concerne pas , qu’il n’a pas le pouvoir de révision du texte.
Il indique qu’il appliquait antérieurement la Convention collective nationale de sorte que cet accord ne s’applique pas à lui.
Il ne justifie pas pour autant qu’à la date d’extension de l’accord collectif du 20 mai 1998, il était déjà assujetti à une autre convention collective, celle de l’ameublement négoce (comme indiqué sur les bulletins de paie).
Il n’explique donc pas en quoi les dispositions de l’article 1er de l’arrêté d’extension du 5 août 2004 publié au JO du 19 août 2004, qui exclut l’article 4 de l’accord ne serait pas applicable.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Conseil de Prud’hommes a appliqué les termes de l’arrêté d’extension du 5 août 2004 publié au JO du 19 août 2004 précité qui excluent l’article 4.
La SAS Comadi ne peut donc se prévaloir pour ces deux raisons d’une autre convention collective et l’accord collectif est bien applicable .
* l’indemnité de licenciement;
Ledit accord collectif stipule en son article 5-2 sur l’indemnité de licenciement, qu’après deux ans de présence, les salariés licenciés recevront une indemnité égale à un demi mois de salaire brut mensuel de référence, plafonné à deux fois le SMIC en vigueur…Le montant de l’indemnité ne peut excéder douze fois le salaire de référence.
Le salaire de référence de Mme [Y] [N] est selon les parties de 3118,43 euros .
La SAS Comadi indique avoir versé une indemnité légale de licenciement d’un montant de 26579,43 euros correspondant à 28 ans et 2 mois d’ancienneté.
Il est dû à Mme [Y] [N] une indemnité conventionnelle de licenciement de 37421,16 euros.
Le solde restant du est de 10841,73 euros.
Le jugement est infirmé uniquement sur le quantum du solde restant dû, de cette indemnité.
* l’indemnité de préavis;
Elle est fixé à 3 mois de salaire après 20 ans de présence dans l’entreprise en application de l’article 5-3 de l’accord collectif.
L’employeur a versé deux mois de salaire, durant le préavis effectué du 8 juin au 8 août 2019.
Le jugement sera infirmé sur le quantum de cette indemnité et l’employer condamné à payer à Mme [Y] [N] la somme de 3118,43 euros correspondant à un mois supplémentaire à titre de solde de l’indemnité de préavis.
* les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Mme [Y] [N] sollicite une somme de 45000 euros pour ce poste de préjudice indiquant qu’elle s’est retrouvée sans emploi âgée de 58 ans et vivant seule avec un enfant de 17 ans à charge.
L’employeur conclut au débouté.
Licenciée le 4 juin 2019 , Mme [Y] [N] était encore sans emploi et bénéficiait d’une ARE d’un montant de 1612 euros en janvier 2021.
Ses avis d’imposition 2021 et 2022 sur les revenus 2020 et 2021, témoignent de la baisse significative de ses ressources.
Une attestation du Pôle emploi en date du 15 septembre 2022 mentionne qu’elle a été admise au bénéfice de l’allocation de solidarité spécifique en date du 14 septembre 2022.
Au vu de l’âge de Mme [Y] [N] à la date de son licenciement, de sa difficulté à retrouver un emploi dans ce département au bassin d’emploi restreint, il peut lui être alloué en application de l’article L 1235-3 du code du travail une indemnité entre 3 mois et 19,5 mois de salaire brut.
La Cour estime bien fondée la demande de Mme [Y] [N] formulée à hauteur de 37416 euros correspondant à 12 mois de salaire.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
DIT le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [Y] [N] sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence :
CONDAMNE la SAS Comadi à payer à Mme [Y] [N] les sommes suivantes :
37416 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3118,43 euros à titre de solde de l’indemnité de préavis,
10841,73 euros à titre de solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
Y ajoutant
CONDAMNE la SAS Comadi aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE la SAS Comadi à payer à Mme [Y] [N] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
La Greffière La Présidente
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