Droit du logiciel : 4 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/03578

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Droit du logiciel : 4 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/03578

ARRET

[X]

C/

S.A.S. KEOLIS AMIENS

copie exécutoire

le 04 mai 2023

à

Me Hertault

Me Doré

CPW/MR

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 04 MAI 2023

*************************************************************

N° RG 22/03578 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IQOP

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AMIENS DU 22 JUIN 2022 (référence dossier N° RG F 20/00317)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [N] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté et concluant par Me Amandine HERTAULT de la SCP CREPIN-HERTAULT, avocat au barreau D’AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. KEOLIS AMIENS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée et concluant par Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-BENITAH, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Isabelle LESPIAUC, avocat au barreau D’AMIENS

DEBATS :

A l’audience publique du 09 mars 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 04 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 04 mai 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 10 octobre 2005, M. [X] a été embauché par la société Kéolis (ci-après la société ou l’employeur) en qualité de conducteur receveur.

Le 10 février 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 18 février 2020 et à un conseil de discipline fixé au 26 février suivant. Le 19 février 2020, la société lui a en outre notifié sa mise à pied à titre conservatoire. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 2 mars 2020.

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes d’Amiens le 6 août 2020.

Par jugement du 22 juin 2022, la juridiction prud’homale l’a débouté de toutes ses demandes, débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à la charge respective des parties.

Le 21 juillet 2022, M. [X] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Vu ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 18 octobre 2022, dans lesquelles il demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

– dire que le système de vidéo-surveillance est illicite,

– en tout état de cause, dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et condamner en conséquence l’employeur à lui verser les sommes suivantes :

— 12 895,20 euros à titre d’indemnité de licenciement

— 5 429,46 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 429,56 euros au titre des congés payés afférents

— 65 154,72 euros (24 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– en tout état de cause, condamner l’employeur à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 2 novembre 2022, dans lesquelles la société Kéolis demande à la cour :

– de confirmer le jugement entrepris,

– à titre subsidiaire, si la cour devait considérer que la faute grave est inexistante, de dire et juger que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse,

– à titre infiniment subsidiaire, si par impossible le licenciement était considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse, de réduire alors substantiellement le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le paiement est sollicité,

– de condamner le salarié à lui verser 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS :

1. Sur le licenciement

M. [X] invoque en substance, en premier lieu, l’illicéité de la vidéosurveillance servant de fondement au licenciement aux motifs que ce système a été mis en place pour surveiller constamment les salariés dans une salle de travail dès lors que les salariés peuvent y déposer des fonds ou en prendre, déposer ou prendre des titres et déposer des denrées alimentaires, que le comité économique et social n’a pas été informé et consulté, et qu’il a été filmé à son insu, la présence d’une affiche dans le lieu considéré ne prouvant pas le contraire alors qu’il n’a jamais été personnellement informé de la mise en place de ce système de surveillance.

Il fait valoir en second lieu qu’aucune constatation n’a été faite sur place quant au vol reproché du tee-shirt alors qu’il a toujours contesté les faits et conteste en tout état de cause l’interprétation faite par la société et les premiers juges des images de la vidéosurveillance puisque selon lui il a uniquement pris le vêtement dans le sac pour le regarder avant de le reposer ; que la société ne produit pas en intégralité la vidéo et il aurait pu être constaté que plusieurs personnes ont eu accès à la salle et ainsi pu manipuler le vêtement ; que le procès verbal d’huissier de justice est orienté alors qu’aucune image ne met en exergue le vol reproché. Il soutient dans le même temps qu’il n’est pas inutile de rappeler que rien ne l’identifie formellement dans la vidéosurveillance.

Il soutient enfin que la sanction est disproportionnée au regard de son ancienneté très importante sans aucune sanction antérieure, et alors que le tee-shirt, qui avait été oublié dans un bus et n’avait pas été réclamé, appartenait ainsi aux objets trouvés et était destiné à la destruction.

La société réplique en synthèse que le système de vidéosurveillance installé dans la salle du distributeur automatique et des objets trouvés est conforme à la réglementation légale en vigueur, au règlement intérieur, alors qu’elle a satisfait à la consultation et l’information préalable du comité économique et social, à l’information des salariés et qu’une affiche est placardée dans la salle pour informer les salariés de la présence de la caméra, qui est en tout état de cause un lieu de passage et non un lieu de travail ; qu’il s’agit ainsi non de surveiller les salariés mais de sécuriser le local dans lequel se trouve un distributeur de fonds auquel ont accès des convoyeurs de fonds de la société Loomis ce qui impose précisément la vidéosurveillance, et dans lequel sont aussi stockés les objets perdus avant leur transfert à l’agence commerciale.

Elle ajoute avoir appris la disparition d’un tee-shirt dans la salle du distributeur automatique et des objets trouvés par courriel de M. [I] du 7 février 2020, et qu’il ressort du visionnage de l’enregistrement des images de vidéosurveillance auquel il a ensuite été procédé que, sans conteste, c’est M. [X] qui est l’auteur de ce vol d’un tee-shirt neuf provenant du sac antérieurement posé sur la table dans la salle des objets perdus par son collègue ; qu’à la vue des images, les allégations et la mauvaise foi de M. [X] sont manifestes et la sanction n’est pas disproportionnée comme il le prétend, dans la mesure où il s’agit d’un salarié assermenté et qui exerce une mission de service public.

Sur ce,

1.1 – Sur la preuve par la vidéosurveillance

La preuve en matière prud’homale est libre, mais elle doit être licite. Tout mode de preuve n’est pas licite, et ne l’est pas celui obtenu par un procédé déloyal ce qui le rend irrecevable.

En particulier, tout élément recueilli à l’aide d’un dispositif de contrôle et de surveillance est licite à la condition d’avoir été préalablement portée à la connaissance du salarié aux termes de l’article L.1222-4 du code du travail et d’avoir fait l’objet d’une information et d’une consultation des représentants du personnel aux termes de l’article L.2323-32 du code du travail.

Si le droit de surveillance de l’employeur est reconnu, il est borné par des limites telles que le respect des droits et des libertés individuelles du salarié, qui ne disparaissent pas au sein de l’entreprise, la conformité aux principes posés par le RGPD, l’exigence de proportionnalité (le contrôle doit être justifié par un intérêt légitime, notamment la sécurité, et ne pas être excessif), mais aussi l’exigence de transparence.

Sauf contrôle inhérent au suivi de leurs tâches ou de leur mission, les salariés doivent ainsi être informés préalablement à l’installation dans l’entreprise d’un dispositif de surveillance par quelque moyen que ce soit (notamment caméra vidéo), à défaut de quoi aucune faute du salarié ne saurait être prouvée par ce biais.

En effet, si le Règlement général sur la protection des données (règlement UE n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive no 95/46/CE), entré en vigueur en 2018, a certes supprimé l’obligation de déclaration à la CNIL, il impose néanmoins désormais à l’employeur de se conformer aux obligations qu’il pose, notamment qu’une information, concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, soit communiquée aux personnes concernées (RGPD, art. 12). Cette information doit leur permettre de connaître les finalités du traitement, de comprendre le traitement qui sera fait de leurs données et d’assurer la maîtrise de leurs données, en facilitant l’exercice de leurs droits (art. 15).

L’information des salariés doit être complétée par une information et consultation du comité social et économique en application des articles L.2312-37, 1° et L. 2312-38 combinés.

Il sera toutefois ajouté que l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

En l’espèce, la société démontre l’information du comité économique et social mais pas sa consultation préalable à la mise en place du système de vidéosurveillance, qui ne résulte pas comme elle le prétend à tort du procès verbal du comité économique et social du 17 mai 2019 ou du compte rendu de la réunion constitutive du comité économique et social à la même date. Il en ressort en effet que les institutions représentatives du personnels ont alors uniquement été informées sur l’installation «des caméras sur le site dont une dans la pièce DAC (DAC+ accès Loomis + stockage des objets trouvés en attente de redirection à l’agence commerciale.» au point 8.

Néanmoins, il ressort de l’attestation signée par Mme [O], M. [K], M. [F], M. [I], M. [V] et M. [L], managers de proximités de Keolis Amiens, que la salle concernée par les critiques de M. [X], est une salle sécurisée située dans l’entreprise appelée «local encaisseur» qui est accessible uniquement au personnel de l’entreprise depuis la salle de prise de service et aux convoyeurs de la société Loomis, les managers précisant que «cette pièce n’est pas un lieu de travail» et qu’aucun «effet personnel d’aucun salarié n’y est entreposé puisque des vestiaires sont à disposition des agents de conduite et que les managers de proximité disposent d’un bureau de travail.» M. [R], directeur d’exploitation de la société Keolis Amiens, confirme dans son attestation que la pièce considérée n’est pas un local de travail, qu’aucun poste de travail n’y est installé, aucun salarié n’y est affecté, et qu’elle n’est pas non plus un espace ouvert au public. Il précise que la zone est accessible uniquement aux salariés munis d’un badge pour l’accès au distributeur automatique ou venant déposer les objets trouvés découverts dans les bus avant leur redirection vers l’agence commerciale. Ces éléments quant aux conditions d’accès à la salle permettant l’accès au distributeur automatique de titres de transport et de fonds et aux objets trouvés déposés, au fait qu’elle est sécurisée, à l’absence d’affectation de salarié et à l’existence par ailleurs de vestiaires, ne sont pas utilement contredit par le salarié qui ne produit pas le moindre élément contraire.

Il ressort des éléments du dossier que si les salariés peuvent avoir accès, dans la salle dite de prise de service, au distributeur automatique de titres ainsi qu’à un frigidaire et à une table, il n’y a en revanche aucune chaise ni aucun bureau, ni aucun endroit où se poser pour rester plus que quelques minutes. Il s’agit ainsi à l’évidence d’un lieu de passage et non d’un lieu d’affectation de salariés à un poste de travail déterminé, et en l’absence d’autre élément, il ne saurait être retenu que la vidéosurveillance avait pour but d’enregistrer l’activité des salariés affectés à un poste de travail.

L’installation d’une vidéosurveillance dans une salle non accessible au public, dans laquelle se situe un distributeur automatique de titres et qui sert également à entreposer les objets trouvés oubliés par la clientèle transportée dans les véhicules de la société, apparaît par ailleurs parfaitement justifiée du point de vue de la sécurité des biens. Il s’ajoute que les règles applicables dans le cadre des transports de fonds prévues par la loi du 10 juillet 2000 et le décret du 18 décembre 2000 relatifs à la sécurité du dépôt et de la collecte de fonds par les entreprises privées, exigent l’aménagement des locaux concernés par le donneur d’ordre notamment avec l’installation de la vidéosurveillance pour couvrir le parcours emprunté par les convoyeurs de fonds.

Il sera relevé en outre que le système a été déclaré en préfecture au regard de la lettre de la société adressée à la préfecture de la Somme du 27 mai 2019 dont il ressort que les images sont sauvegardées par le système dans une salle vidéo dont l’accès est strictement réservé aux personnes habilitées et sont automatiquement effacées par le système après un délai de 30 jours, le logiciel permettant la lecture étant en outre protégé par un mot de passe.

L’employeur justifie également d’un affichage visible de prévention dans la salle elle-même indiquant que le site est placé sous vidéosurveillance. M. [C], responsable des systèmes d’information de la société, atteste en particulier que ce système a été installé de longue date (en soulignant son installation dans la salle depuis mai 2019), avec un affichage dans le local, la présence de cet affichage étant d’ailleurs confirmée par la demande d’autorisation adressée à la préfecture en mai 2019 comme par les constatations du commissaire de justice le 21 février 2020. De plus, il ressort des photographies du local figurant notamment dans la demande d’autorisation à la préfecture de mai 2019, que la caméra dans le local était non seulement fixe mais encore très visible.

De plus, l’article 21 du règlement intérieur dont M. [X] ne conteste pas avoir eu connaissance, rappelle que «(…) Tout véhicule, ainsi que certains locaux (…) sont susceptibles d’être équipés d’un ensemble d’installations (vidéosurveillance (…)) ayant pour but d’assurer la sécurité des personnes et des biens. (…) Les enregistrements, bien que n’ayant pas pour objet de contrôler les salariés, peuvent également servir de preuve, dans des cas limités, tels que notamment : (…) vol (…)».

Il convient encore d’ajouter que le comportement même de M. [X] dans la vidéo produite par l’employeur démontre sans aucun doute possible qu’il savait où se trouvait la caméra dans la salle.

Enfin, au regard de la disparition constatée le 6 février 2020 à 17 heures sans explication et sans témoin direct des faits, d’un objet trouvé déposé dans ce local auquel seuls les convoyeurs de fonds et les salariés avec badge avaient accès, en particulier les salariés assermentés de la société Keolis, et donc au regard d’un fait grave de vol dans ses locaux par l’un de ces salariés possiblement assermenté légitimement suspecté par l’employeur, le visionnage de la vidéosurveillance portant sur une période de temps déterminée, strictement délimitée à l’après midi du 6 février 2020, était le seul moyen pour la société de se constituer une preuve, et était proportionnée et justifiée au regard des intérêts en présence.

Dans ces conditions, la preuve obtenue par le moyen de ce procédé de surveillance sans consultation préalable du comité économique et social étant indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et proportionnée au but poursuivi, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a rejeté le moyen tiré de l’illicéité de l’usage de la vidéosurveillance pour établir la sanction disciplinaire.

1.2 – Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave

L’article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l’article L 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même durant le temps du préavis.

La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe le litige entre les parties, est ainsi rédigée :

« (…) un entretien préalable qui s’est tenu le 18 février 2020 en présence de Monsieur [G], Responsable mouvements, auquel vous vous êtes présenté seul.

Par courrier remis en mains propres contre décharge en date du 18 février 2020, vous avez été convoqué à une audience d’instruction qui s’est tenue le 25 février 2020 à laquelle vous vous êtes présenté seul.

Par le même courrier remis en mains propres contre décharge en date du 18 février 2020, vous avez été convoqué devant le conseil de discipline dans sa séance du 25 février 2020 à laquelle vous vous êtes présenté seul.

Par courrier remis en mains propres contre décharge en date du 19 février 2020, nous vous avons informé de la mise à pied conservatoire qui était décidée à votre encontre à compter de la date du 19 février 2020.

Au cours de l’entretien préalable, nous vous avons exposé les motifs qui nous conduisaient à envisager votre licenciement qui sont les suivants :

Le jeudi 6 février 2020, dans la salle du distributeur automatique de titres (DAC), dans nos locaux ici à [Localité 3], un sac en papier était posé sur la table présente dans la pièce. Ce sac avait été déposé la veille par un agent de maitrise et provenait d’un oubli d’un client dans un bus.

La pièce du DAC est celle qui sert pour l’entreposage des affaires oubliées avant leur dépose à l’agence commerciale. Cette pièce est vidéo-surveillée compte tenu de la présence du DAC ainsi que de la dépose des objets trouvés.

Le 6 février 2020 à 17 heures, le sac qui devait être déposé à l’agence commerciale a été constaté vide.

Or, ce constat a été fait par le même agent de maitrise qui l’y avait déposé la veille et qui savait donc parfaitement que ce sac contenait un tee-shirt.

L’information de cette « disparition » a été faite par ledit agent de maitrise à sa hiérarchie en date du 7 février 2020 après qu’il ait effectué quelques vérifications internes préalables et qu’il n’ait finalement trouvé aucune explication à la disparition de ce tee-shirt.

L’enregistrement vidéo de la journée du 6 février 2020 a donc été constaté afin de comprendre les conditions de la disparition de l’objet. Il ressort de ce visionnage que l’on vous voit ‘ étape par étape ‘ subtiliser ce tee-shirt. Ces éléments sont de nature à établir l’existence d’une faute professionnelle grave de votre part. En votre qualité de conducteur-receveur polyvalent, vous êtes tenu de vous conformer aux dispositions légales, contractuelles ainsi qu’à celles du règlement intérieur.

Lors de l’entretien préalable ainsi qu’au cours de l’audience d’instruction et du conseil de discipline, nous vous avons interrogé sur les circonstances qui vous avaient conduit à commettre le vol d’un tee-shirt appartenant à l’un de nos usagers, et ce alors même que vous connaissiez la présence d’une caméra dans la pièce dans laquelle vous vous trouviez et que vous êtes un agent assermenté. Nous vous avons rappelé que l’assermentation est censée garantir la véracité des propos de l’agent assermenté puisqu’il a juré devant les autorités judiciaires.

En réponse, vous avez affirmé, de façon constante, que vous aviez bien vu le tee-shirt, que vous l’aviez bien sorti du sac en papier dans lequel il était placé mais que selon vous, « il n’était pas établi que vous aviez placé ce tee-shirt dans votre sacoche’ ».

Vous comprendrez que nous ne puissions pas nous satisfaire de tels propos. En effet, vos affirmations ne sont absolument pas conformes aux images de la vidéo du 6 février 2020 telle que vous l’avez visionné à l’occasion de votre entretien préalable.

Vous avez affirmé que vous vous reconnaissiez bien sur ces images vidéo.

Compte tenu de vos propos niant l’évidence, nous avons fait constater la même vidéo par acte d’huissier en date du 21 février 2020.

Tout au long de la procédure, vous avez maintenu votre position et vous n’avez pas semblé mesurer la gravité de vos actes.

Contrairement à votre appréciation des faits, nous estimons que vous êtes bien l’unique et exclusif responsable de la disparition du tee-shirt et que cet agissement est constitutif d’un vol, c’est-à-dire un manquement professionnel inacceptable particulièrement au regard de votre qualité d’agent assermenté.

Il ressort des éléments qui précèdent que vous avez sciemment violé les obligations qui s’imposent à tout salarié, particulièrement quand il exerce une mission de service public et qu’il est assermenté.

De surcroit, tout au long de la procédure, vous n’avez pas semblé avoir pris conscience des conséquences de votre comportement professionnel.

En conséquence de ce qui précède, nous prenons acte de l’exécution fautive de votre contrat de travail compte tenu du manquement à vos obligations de loyauté et d’exécution de bonne foi de votre contrat de travail.

Les explications recueillies auprès de vous ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Aussi, nous vous informons que nous avons décidé de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave rendant impossible votre maintien dans la structure.

La date de notification de la présente constitue par conséquent la date de la rupture de votre contrat de travail (…)»

Il est ainsi reproché à M. [X] le fait d’avoir dérobé un tee-shirt, l’employeur soulignant que cela caractérise un manquement inacceptable au regard de sa qualité d’agent assermenté.

M. [X] nie les faits de vol.

Pour démontrer ce grief, la société produit :

– le courriel du 7 février 2020 à 13h26 de M. [I], manager de proximité au sein de la société Keolis Amiens, dont il ressort que la veille, avec l’agent d’intervention M. [A], ils ont «(…) pu constater qu’un vêtement neuf dans un sac «Jennifer» à l’intérieur avait disparu lors de sa PDS au dépôt vers 17 heures (seul le sac vide au DAC) (…)», et qu’il a alors demandé à la direction de visionner la vidéosurveillance du 6 février 2020 à partir de 12h30 ;

– un autre courriel du même manager du 7 février 2020 à 18h01, dont il ressort qu’il donne des précision sur la situation depuis le dépôt de l’objet : «Le jeudi 6 février 2020 vers 14 heures, je reçois un appel au PCC bas de Monsieur [S] me demandant si l’on nous avait ramené un cache-cou de couleur gris au dépôt.

Je me rends au niveau du DAC où les objets sont entreposés, je vois un sac « Jennifer » avec un maillot gris neuf encore avec des étiquettes donc pas de cache-cou.

A 17 heures, lors de la prise de service de l’agent d’intervention, Monsieur TETU C., ce dernier me demande s’il y a des objets à déposer à l’agence. Je lui dis qu’il y a un sac « Jennifer » dans le DAC et quelques cartes. Il m’informe que le sac est vide alors que la veille on lui avait remis avec un maillot. En pensant que l’inter de journée, Monsieur [Y] L., travaillait et avait déjà pris le vêtement, j’attends ce vendredi 7 février 2020 pour savoir si ce dernier ne l’avait pas pris. Surpris, il me dit que ce matin, le sac était vide, donc il l’a jeté (pas d’inter hier avant 17 heures confirmation PCC haut à 12 heures 30). Je décide alors de vous demander de visionner la caméra du DAC car j’en déduis que l’objet a été dérobé par un agent qui a une carte d’accès au DAC (…)» ;

– le compte rendu de l’audience d’instruction du 25 février 2020 et du conseil de discipline le 26 février, dont il ressort que M. [X] a reconnu avoir à tout le moins sorti le vêtement du sac dans lequel il était placé en contestant cependant les faits de vol lui étant reprochés.

Le salarié reconnait par ailleurs dans ses conclusions avoir effectivement saisi le tee-shirt qu’il a touché et regardé mais en affirmant que pour autant «il ne l’a pas soustrait» et que le «t-shirt a été remis dans le même sac en papier».

La société produit également un constat d’un commissaire de justice. Néanmoins, au vu des contestations portant sur la qualité et l’objectivité de la retranscription, et au vu du positionnement de M. [X] niant catégoriquement les faits reprochés, la cour a estimé indispensable de visionner l’enregistrement également produit par la société en pièce 30.

Or, contrairement à ses affirmations, les images de la vidéosurveillance du 6 février 2020 sont particulièrement éclairantes, la cour en ayant la même interprétation que les premiers juges.

On y voit en effet très nettement le salarié entrer dans la pièce sécurisée à 15h23 alors qu’un autre salarié est présent mais fait face au distributeur et a donc le dos tourné au nouvel arrivant. On voit ensuite M. [X] poser une mallette noire fermée sur la table ronde se trouvant dans la pièce sur laquelle est posé un sac en papier marron légèrement bombé, en sortir un tee-shirt gris, le placer face à lui les bras tendus et le regarder durant un certain temps avant de le rouler en boule et de le replacer non dans le sac en papier mais sur le sac. On voit ensuite distinctement le salarié placer sa mallette précisément devant le tee-shirt afin, de manière évidente, à le dissimuler de la caméra, puis tout aussi nettement l’intéressé ouvrir une poche de sa mallette avant de se positionner délibérément devant la mallette dos à la caméra et de glisser de la main gauche le tee-shirt gris dans la poche ouverte dans un mouvement rapide, de refermer la pochette et de placer délibérément sa mallette sur le sac en papier désormais vide. Il sera observé que lorsqu’il reprend sa mallette avant de quitter la salle, on aperçoit très clairement le sac en papier écrasé, laissant voir l’absence manifeste de tout vêtement encore à l’intérieur, le tee-shirt gris n’étant plus non plus sur la table. A aucun moment on ne voit M. [X] remettre l’objet dans le sac en papier.

Il apparaît dans la vidéo que durant le temps de l’action consistant à mettre le vêtement dans la mallette, le collègue présent dans la pièce étant de dos, n’a pu voir la scène.

Malgré la vidéosurveillance ayant enregistré les faits et qui le montre indiscutablement subtilisant le tee-shirt, M. [X] a toujours nié les faits dans toutes les instances où il a été interrogé et continue de nier en cause d’appel.

Dès lors que M. [X], que l’on voit sur la vidéo quitter la salle avec le tee-shirt dans sa mallette, ne soutient pas qu’il aurait par la suite rapporté le vêtement, rien ne justifie donc le reproche adressé à l’employeur de ne produire que les images où on le voit sans aucun doute possible dérober le vêtement, et non l’intégralité de la vidéo-surveillance sur la journée. Le fait que plusieurs personnes aient eu accès à la salle avant ou après son passage et le fait que certains salariés aient pu manipuler le sac avant son passage, ou le sac vide après son passage, est indifférent.

Enfin, c’est avec une mauvaise foi certaine que le salarié soutient en page 16 de ses conclusions qu’il «n’est pas inutile d’insister sur le fait que M. [X] n’est pas identifié formellement sur cette vidéosurveillance», après pourtant avoir reconnu à plusieurs reprises qu’il est à tout le moins sur la vidéo celui qui a pris le tee-shirt du sac pour l’observer, précisant d’ailleurs en page 14 de ses conclusions «Il résulte de ce visionnage que M. [N] [X], effectivement met la main dans le sac en papier et se saisit du t-shirt. (…) Depuis l’entretien préalable et d’ailleurs même postérieurement à son licenciement, M. [X] a toujours reconnu avoir regardé et touché le t-shirt (…)», et estimant alors uniquement que la société en avait déduit «de manière hâtive qu’il l’avait subtilisé».

Il s’évince de ce qui précède que le salarié a délibérément dérobé un vêtement perdu par un client de la société et placé dans le local servant à la dépose des objets trouvés, sans donner d’explication et en adoptant au contraire un comportement consistant à nier l’évidence, qui démontre qu’il n’entend pas se remettre en cause. Les faits visés dans la lettre de licenciement sont matériellement établis.

La cour observe que malgré sa qualité d’agent assermenté exerçant une mission de service public, M. [X] qui est habilité à constater les contraventions, s’est ainsi lui-même rendu coupable de faits frauduleux dans l’exercice de ses fonctions à l’occasion desquelles il était amené à manipuler de l’argent pour le compte de la société dans le cadre de la vente de tickets de bus. Alors qu’il avait juré lors d’une audience du 15 janvier 2019 devant le tribunal de police d’Amiens de «bien et loyalement remplir mes fonctions et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent», son comportement se révèle en totale contradiction avec cet engagement.

S’agissant de la destination de l’objet volé, elle ne pouvait être présumée au moment des faits, rien ne justifiant qu’à ce moment précis personne ne viendrait réclamer le sac oublié. La valeur de l’objet volé est en outre indifférente compte tenu du contexte.

Son ancienneté dans la société et son expérience ne l’ont pas empêché de passer à l’acte et ne permettent donc pas de considérer qu’il aurait dû recevoir une sanction plus légère que celle qui lui a été appliquée, laquelle est proportionnée à la gravité de la faute constatée, l’absence de sanction antérieure n’étant pas non plus de nature à atténuer la gravité de la faute. Par ailleurs, la mise à pied conservatoire est intervenue le 19 février 2020 dans un délai raisonnable au vu de la nécessité de visionner la vidéo puis de l’absence de toute explication fournie par le salarié lors de l’entretien préalable, et de la convocation devant la commission disciplinaire.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’écart de conduite de M. [X], par sa nature et les circonstances de sa commission, caractérise la faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions portant sur le licenciement.

2. Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [X] succombant, sera condamné aux dépens d’appel. Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de la société Kéolis les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [X] à verser à la société Kéolis 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [X] aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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