TP/SB
Numéro 23/1521
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 04/05/2023
Dossier : N° RG 21/02004 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H4YT
Nature affaire :
Demande de résiliation ou de résolution judiciaire du contat de travail formée par un salarié
Affaire :
[Y] [W]
C/
S.N.C. INEO ENERGY & SYSTEMS
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 04 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 01 Février 2023, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame PACTEAU, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [Y] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Maître SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
S.N.C. INEO ENERGY & SYSTEMS Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Maître LEBIGRE de la SELARL LEBIGRE, avocat au barreau de ROUEN
sur appel de la décision
en date du 10 MAI 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : 19/00181
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Y] [W] a été embauché le 1er janvier 1999 par la société ACM, suivant contrat à durée indéterminée.
La société a été rachetée par la société Ineo Energy & Systems, du groupe ENGIE, en 2011.
Le 1er janvier 2012, M. [Y] [W] et la société Ineo Energy & Systems ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec reprise d’ancienneté au 1er janvier 1999.
En dernier lieu, il a occupé le poste de responsable technique, statut cadre, niveau IAC B1 de la convention collective des cadres des travaux publics.
Fin 2018 et début 2019, le CHSCT a alerté sur l’existence de risques psycho-sociaux.
Le 14 juin 2019, plusieurs salariés, dont M. [Y] [W], ont adressé un courrier à leur employeur dont l’objet était «’harcèlement, maltraitance managériale et refus du transfert’», situation que la société Ineo Energy & Systems a contestée dans sa réponse.
Le 21 juin 2019, M. [Y] [W] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande principale en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul pour cause de harcèlement moral ou subsidiairement, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de demandes annexes en dommages et intérêts et paiement d’heures supplémentaires.
Depuis le 1er mars 2020, il travaille au sein de la société Ineo SCLE SFE, étant précisé que cette modification est intervenue dans des conditions discutées par les parties.
Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Pau a notamment’:
– dit qu’i1 n’y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Y] [W] et l’a débouté de l’ensemble des demandes afférentes,
– dit qu’il y a eu violation de la vie privée de M. [Y] [W],
– condamné la société Ineo Energy & Systems à verser à M. [Y] [W] 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée,
– dit que la société Ineo Energy & Systems doit régler à M. [Y] [W] le solde des heures supplémentaires réalisées et non réglées,
– condamné la société Ineo Energy & Systems à verser à M. [Y] [W] :
* 8 460,85 € au titre des heures supplémentaires outre les congés payés afférents pour un montant de 846,08 €,
* 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [Y] [W] de ses autres demandes,
– rappelé que l’exécution provisoire en matière prud’homale est de droit pour les remises de documents que l’employeur est tenu de délivrer ainsi que pour les créances salariales ou assimilées dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire (art. R. 1454-28 du code du travail),
– dit qu’il n’y a pas lieu de l’ordonner pour le surplus,
– rappelé que les intérêts légaux courent à compter de la saisine de la juridiction, soit le 21 juin 2019, en matière de rémunération et à compter de la date de notification du présent jugement pour les dommages et intérêts,
– débouté la société Ineo Energy & Systems de l’ensemble de ses demandes,
– dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
Le 17 juin 2021, M. [Y] [W] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 2 septembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, M. [Y] [W] demande à la cour de :
– infirmer le jugement sauf en ce qu’il lui a alloué 5’000 € de dommages-intérêts pour violation de la vie privée et 2’000 € au titre des frais irrépétibles de première instance,
– l’infirmer également concernant le quantum des heures supplémentaires,
– prononcer l’inopposabilité au salarié de la convention de forfait-jours,
– débouter l’intimée de son appel incident,
– la débouter de sa demande de déduction des heures supplémentaires du montant du salaire minimum conventionnel majoré, lequel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires,
– débouter également l’intimée de sa demande de restitution de 6’192,14 € à la suite de l’inopposabilité de la convention de forfait-jours,
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail avec la société Ineo Energy & Systems aux torts de l’employeur ‘ avec effet au 1er mars 2020 ‘ s’analysant en un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner en conséquence la société Ineo Energy & Systems à payer :
* 75’000 € à titre de licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse en écartant le barème Macron sur le fondement des articles 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 10 de la convention numéro 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne, d’une part, et sur le fondement du droit au procès équitable et du principe de la réparation intégrale du préjudice, d’autre part, ou encore plus subsidiairement 50’831,68 € en application de l’article L.’1235-3 du code du travail,
* 29 545,91 € d’indemnité conventionnelle de licenciement de l’article 7.5 de la convention collective des cadres des travaux publics,
* 9’530,94 € au titre du préavis sur le fondement de l’article 7.1 de la convention collective des cadres des travaux publics outre les congés payés y afférents de 953,09 €,
* 25’000 € de dommages-intérêts réparant le préjudice au titre du harcèlement moral sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 1152-1 et suivants du code du travail, de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur la violence au travail, ou subsidiairement pour violation de l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail sur le fondement de l’article L.’1222-1 du code du travail,
* 10’000 € de dommages-intérêts pour défaut de prévention de tout agissement constitutif de harcèlement moral sur le fondement des dispositions combinées de l’article L. 1152-4 du code du travail, de l’accord national interprofessionnel relatif au stress au travail et de l’obligation de prévention des risques psycho-sociaux,
* 13’821,73 € de rappel d’heures supplémentaires outre 1’382,17 € de congés afférents sur le fondement de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, interprété à la lumière la jurisprudence de la CJUE ou bien surseoir à statuer concernant la demande dans l’attente de la décision préjudicielle,
* 19’061,88 € d’indemnité forfaitaire spéciale pour travail dissimulé de l’article L. 8223-1 du code du travail sur le fondement de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
* 2 500 € au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– frapper les condamnations des intérêts au taux légal depuis la saisine du conseil de prud’hommes,
– faire application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil autorisant la capitalisation des intérêts,
– condamner la société Ineo Energy & Systems aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 13 septembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société Ineo Energy & Systems demande à la cour de’:
– à titre principal :
– constater le reclassement en interne de M. [Y] [W] et, en conséquence, que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et ses incidences financières sont, à la date de l’audience devant la cour, devenues sans objet,
– réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– en conséquence et statuant à nouveau :
– débouter purement et simplement M. [Y] [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– le condamner sur le fondement de l’article 1302-1 du code civil, à restituer la somme de 6’192,14’€ indue suite à l’inopposabilité de la convention de forfait jours,
– le condamner au versement d’une somme de 2’000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance,
– à titre subsidiaire :
– limiter le quantum des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire, soit 9’530,94 €.
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a alloué à M. [Y] [W], la somme de 8’460,85’€ au titre d’un rappel d’heures supplémentaires outre les congés payés afférents,
– débouter M. [Y] [W] du surplus de ses demandes.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail
– sur la durée du travail
M. [W] demande que la convention de forfait jours incluse dans son contrat de travail lui soit déclarée inopposable et demande en conséquence le règlement d’heures supplémentaires qu’il dit avoir effectuées au-delà de la durée légale du travail.
* sur la convention de forfait en jours
Selon l’article L.3121-60 du code du travail, l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié qui a conclu une convention de forfait en jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son temps de travail.
L’article 3.3 de la convention nationale des cadres des travaux publics du 20 novembre 2015 relatif à la convention de forfait en jours dispose notamment que l’organisation du travail des salariés fait l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos.
Un document individuel de suivi des périodes d’activité, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) sera tenu par l’employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l’employeur. L’entreprise fournira aux salariés un document permettant de réaliser ce décompte.
Ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice.
La situation du cadre ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d’un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail du cadre et l’amplitude de ses journées d’activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié.
En outre, lors de modifications importantes dans les fonctions du cadre, un entretien exceptionnel pourra être tenu à la demande du salarié et portera sur les conditions visées au point 3.3.1. ci-dessus. Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel et le CHSCT, s’il en existe, seront consultés sur les conséquences pratiques de la mise en ‘uvre de ce décompte de la durée du travail en nombre de jours sur l’année. Seront examinés l’impact de ce régime sur l’organisation du travail, l’amplitude des journées et la charge de travail des salariés concernés.
Il est constant qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours. A défaut, il en résulte un manquement de l’employeur à ses obligations légales et conventionnelles pour s’assurer, de façon effective et concrète, du temps de travail effectué par le salarié, de sorte que la convention de forfait en jours du salarié est privée d’effet. Celui-ci est dès lors fondé à solliciter le paiement d’heures supplémentaires effectuées et non rémunérées.
En l’espèce, l’employeur ne produit aucun compte-rendu d’entretien annuel portant sur sa charge de travail et l’amplitude de ses journées d’activité.
Il succombe donc dans la preuve qui lui incombait de démontrer qu’il avait respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours. Il en résulte donc un manquement de sa part à ses obligations légales et conventionnelles pour s’assurer, de façon effective et concrète, du temps de travail effectué par le salarié, de sorte que la convention de forfait en jours de M. [W] doit lui être déclarée inopposable, c’est-à-dire privée d’effet à son égard.
La décision querellée sera en conséquence confirmée de ce chef.
* sur les conséquences au regard des sommes indûment perçues par le salarié
Il est constant que la privation d’effet d’une convention de forfait annuelle en jours permet à l’employeur de demander le remboursement des jours de réduction du temps de travail dont a pu bénéficier le salarié sur une période déterminée.
La société INEO ENERGY & SYSTEMS justifie de ce que M. [W] bénéficiait de 12 jours de RTT par an en contrepartie de la convention de forfait jours dont il bénéficiait et qu’il a effectivement pris ces jours de repos, en sus de ses congés payés, ce qui résulte de l’examen de ses bulletins de paie et des décomptes et copies d’écran produits par l’employeur.
En revanche, aucun élément ne permet d’établir que M. [W] a effectué des missions à l’étranger empêchant la déduction de ces jours de RTT.
Dès lors, il sera considéré qu’il a bénéficié d’un indu représentant 36 jours de RTT pour la période de prescription triennale, ce qui représente la somme de’:
– sur la base du salaire mensuel 2016′: 3315 € / 22,5 jours = 147,33 €, soit 1767,96 euros pour 12 jours
– sur la base du salaire mensuel 2017′: 3344,84 € / 22,5 jours = 148,66 €, soit 1783,92 euros pour 12 jours
– sur la base du salaire mensuel 2018′: 3391,84 € / 22,5 jours = 150,75 €, soit 1809 euros pour 12 jours
soit, la somme totale de 5360,88 euros.
Par ailleurs, la convention collective des cadres des travaux publics, dans son article 3.3.5, prévoit que le salaire minimum conventionnel correspondant au niveau et à la position du cadre ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours est majorée de 15 %.
Dès lors que la convention de forfait jours est privée d’effet, il doit être considéré que M. [W] a perçu indûment, pendant la période de prescription triennale, le surplus de rémunération de 15%.
Il doit donc restituer cette somme qui représente, au regard des pièces versées par la société INEO ENERGY & SYSTEMS, le montant suivant’:
– en 2016, de juillet à décembre inclus, M. [W] a perçu 19890 euros (3315 € x 6 mois) au lieu de 17 295,65 euros (19890 / 1,15)
– en 2017, M. [W] a perçu 40 138,08 euros (3344,84 € x 12 mois) au lieu de 34 902,68 euros (40 138,08 / 1,15)
– en 2018, M. [W] a perçu 40 702,08 euros (3391,84 € x 12 mois) au lieu de 35 393,11 euros (40 702,08 / 1,15)
Il doit donc restituer la somme de 13 138,72 euros au titre du surplus de rémunération.
* sur les heures supplémentaires
La convention de forfait en jours étant privée d’effet, M. [W] est bien fondé à solliciter le paiement d’heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail.
Il résulte, en la matière, des dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, pour la période courant du 21 juin 2016 au 21 juin 2019, M. [W] produit un tableau reprenant, de manière quotidienne, jusqu’au 4 novembre 2018, ses heures d’entrée et de sortie du travail, ainsi que la durée de sa pause déjeuner.
Cet élément, quoique non étayé de pièces complémentaires objectives, est néanmoins suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
Ce dernier n’apporte aucune pièce pour contrer les horaires déclarés par le salarié.
Compte tenu de ces éléments et du fait que M. [W] bénéficiait d’une convention de forfait en jours avec des jours de RTT en contrepartie, la cour a acquis la conviction qu’il a effectué des heures supplémentaires à hauteur du quantum réclamé, qui correspond à quelques heures par semaine au cours de la période de prescription triennale.
En conséquence, la société INEO ENERGY & SYSTEMS lui est redevable de la somme de 13821,73 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires, outre 1382,17 euros pour les congés payés y afférents.
La société INEO ENERGY & SYSTEMS et M. [W] étant créancier et débiteur l’un envers l’autre, il y a lieu d’opérer compensation légale entre les sommes dues à ce titre, de sorte que la première reste créancière de la somme de 3295,70 euros.
Il y a lieu d’infirmer la décision déférée sur ce point.
M. [W] sollicite une indemnité pour travail dissimulé, faisant valoir que l’employeur ne mentionnait pas, sur les bulletins de paie, la durée de travail effective du salarié et qu’il avait bloqué le logiciel de décompte du temps de travail.
Or, en application de l’article L.8221-5 du code du travail, le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié exige la démonstration que l’employeur s’est soustrait intentionnellement à ses obligations relatives aux mentions du nombre d’heures de travail portées sur le bulletin de paie.
Cette intention frauduleuse n’est ici nullement démontrée par M. [W], alors même que ses bulletins de paie avaient été rédigés et établis conformément à la convention de forfait jours dont il bénéficiait et dont il n’a discuté l’opposabilité qu’au cours de l’instance prud’homale.
M. [W] sera donc débouté de sa demande indemnitaire à ce titre.
Il convient de confirmer la décision querellée de ce chef.
– sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En vertu de l’article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions ci-dessus, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il est par ailleurs constant que le harcèlement moral, dans sa dimension collective à l’égard de tout ou partie des salariés, doit se matérialiser par des actes répréhensibles qui s’individualisent obligatoirement envers un ou plusieurs salariés en particulier. Ainsi, les méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si’«’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail’».
En l’espèce, M. [W] invoque’:
la violation, par l’employeur, de l’obligation de fournir le travail,
l’absence de réaction de la direction à la suite des alertes du CHSCT et des salariés,
la persistance des pressions exercées sur les salariés par l’envoi, quelques jours avant l’audience de conciliation, d’une correspondance les désignant,
le management défaillant.
Il produit les éléments suivants :
un mail de «’l’équipe INEO ES de Serres Castet’» en date du 3 octobre 2018, adressé à [J] [R], directeur délégué, et [U] [M], responsable des ressources humaines. Il y est indiqué que «’les récentes annonces ont eu un impact conséquent sur l’atmosphère de travail, déjà dégradée, du site de [Localité 6]. En effet, des divergences apparaissent entre les annonces faites en CE et celles communiquées lors de [la] visite du 21 septembre, en particulier sur la nature du projet de cession (‘). Ce flou ne fait que renforcer un mal-être au travail et une situation anxiogène subie depuis de nombreux mois, du fait de l’incapacité de la direction à faire preuve de constance tant au niveau de la stratégie que du leadership. De plus, l’empressement à déclencher la GAEC [Gestion Anticipative de l’Emploi et des Compétences] apparaît comme contradictoire avec la volonté évoquée de privilégier une reprise externe de l’activité (‘). Ce défaut d’information est perçu comme un désintérêt envers les collaborateurs concernés, voire une volonté claire de maintenir ceux-ci à l’écart de ce processus. Il serait bon de discuter de ces points avant la visite d’un repreneur potentiel, qui aurait alors à constater ce mal être et la résignation de nos équipes au moment de se prononcer sur un rachat’»’;
un autre mail du 10 octobre 2018 envoyé aux mêmes destinataires, faisant suite à ce précédent message et déplorant’: «’à ce jour, le seul retour que nous avons de votre part est votre silence’»’;
le procès-verbal de la réunion extraordinaire du CHSCT du 23 octobre 2018 qui «’fait état de problème de communication entre les équipes de Vélizy et les équipes de [Localité 6]. En effet les salariés de [Localité 6] étant déjà sous le coup d’une GAE sont soumis à un stress particulièrement important. A cela vient s’ajouter, l’attitude de certaines responsables de Vélizy qui mettent les salariés de [Localité 6] dans une situation morale difficile. Les salariés se sentent agressés et dévalorisés dans leur travail’»’;
un échange de mails le 13 novembre 2018 entre [D] [O], directeur du département aéronautique France et services, et [Z] [T], responsable d’affaires sur le site de [Localité 6], relatif au questionnement d’un client. Il en ressort que, sur le site de [Localité 6], il n’y a alors plus qu’un seul technicien pour intervenir chez les clients, ce qui produit des délais d’intervention et de SAV plus longs que ceux constatés d’ordinaire, et qu’il n’était pas possible, pour l’instant, d’adresser au client une proposition de renouvellement du contrat de maintenance. M. [T] précisait’: «’l’inquiétude de Total est d’autant plus grande que nous avions déjà en 2017 limité à 1 an cet engagement alors que le client souhaitait 3 ans. Cette limitation volontaire dans le temps était motivée par la décision de M. [A] de fermer l’activité PMR. Le client Arkema sera dans la même situation dès le mois de décembre de cette année’»’;
un mail du 14 novembre 2018 adressé par M. [H], salarié du site de [Localité 6], à Mme [M] (DRH), dans lequel il fait état de problèmes avec son supérieur hiérarchique, M. [N] [F], dont il dénonce les méthodes de management et l’absence d’enquête de la part du service des ressources humaines auprès du personnel de [Localité 6] «’qui a déjà trop souffert’»’;
les attestations de plusieurs salariés du site de [Localité 6] relatifs à la découverte, le 27 novembre 2018, d’un dispositif d’enregistrement en état de marche, appartenant à M. [F], directeur du site, dans la salle de réunion destinée à recevoir, en entretien individuel, un salarié et Mme [M] (DRH), ainsi que M. [B] (responsable QSE et éthique), au sujet des désaccords existant entre le premier et M. [F]’;
le procès-verbal de la réunion extraordinaire du CHSCT du 14 novembre 2018 qui reprend une déclaration dans laquelle le CHSCT constate l’existence d’un risque grave au sens de l’article L.4614-12 1° du code du travail, de nature psycho-sociale, touchant l’ensemble des salariés, suite au projet de réorganisation JUMP23, à la fermeture de l’activité Oli & Gas et au déménagement du site de [Localité 5] vers Vélizy. Le CHSCT relève que «’les mails adressés par les équipes de [Localité 6] en lien avec le projet d’arrêt de l’activité Pétrole Gaz illustrent bien la montée en puissance d’un malaise important (‘). Le CHSCT constate que la direction n’a pas jugé bon de déclencher une enquête, et n’a donc pris aucune mesure d’urgence alors que les courriels sont particulièrement inquiétants. (‘) Il en résulte [des] difficultés pour équilibrer vie personnelle et professionnelle, des sollicitations importantes en dehors des horaires habituels de travail et pendant les congés, des difficultés importantes à se déconnecter, des troubles du sommeil, risque élevé d’isolement pour 1 salarié sur 3, une sensation de fatigue et de stress importante pour plus de la moité des salariés’». Le CHSCT a donc décidé de missionner le cabinet 3E conseil afin de réaliser une expertise afin de l’aider à appréhender, identifier et évaluer le risque psycho-social dénoncé’;
le rapport d’expertise du cabinet 3E remis le 16 avril 2019 qui relate le point de vue des acteurs, le CHSCT et la direction qui «’admet des insuffisances au niveau organisationnel qui ont eu des impacts sur l’efficacité et le bien-être des salariés’». Concernant le site de [Localité 6], le rapport relève que depuis l’intégration au groupe INEO, la réussite du site n’a pas été favorisée. Il note une activité extrêmement réduite pour l’ensemble de l’équipe depuis fin 2018, voire quasi nulle depuis début 2019, ce qui renforce les inquiétudes du personnel. Il est également mentionné que «’aux mal-être et difficultés issus des tensions organisationnelles (‘), sont venus s’ajouter des pratiques managériales dénoncées par tous au sein de l’équipe, aux effets lourds sur la santé et les relations hiérarchiques. (‘) les pratiques managériales de ce chef d’agence ont donné naissance à un véritable mal-être au sein de l’équipe. Certains ont quitté l’équipe pour ne plus subir certaines pratiques, ceux qui sont restés ont ressenti un sentiment de disqualification net, certains ont failli en venir aux mains contre lui, et/ou se sont faits arrêter de peur de commettre un acte malheureux ou car ils ne supportaient plus la situation, aggravée fin 2018 par l’annonce de la GAE. Les alertes faites par certains salariés de l’équipe auprès de la médecine du travail, des RH, des DP sont restées lettres mortes, et ce malgré les remontées à la direction générale. (‘) Des tensions managériales fortes ont aussi été vécues par les salariés travaillant en transverse, avec Vélizy (‘), faute d’association, de communication, de considération (‘). L’équipe a très mal vécu l’ensemble de ces tensions managériales, les alertes exprimées n’ont guère obtenu de réponses, ou alors très tardives et peu efficaces. Plusieurs salariés (‘) ont décrit l’épuisement lié au fait de devoir se protéger du directeur d’agence ainsi qu’un sentiment de disqualification aujourd’hui partagé et préjudiciable pour se projeter sereinement dans une démarche de mobilité’». Le rapport d’expertise conclut, par rapport au site de [Localité 6], que «’l’équipe de [Localité 6] est apparue très fragilisée par la succession de ces événements et par la non prise en compte des difficultés et alertes exprimées depuis plusieurs années. (‘) De nombreux facteurs de RPS se sont cumulés pendant ces dernières années, jusqu’à atteindre leur paroxysme avec un management déviant (et non régulé) et une perte totale de confiance en l’avenir’»’;
la déclaration du CHSCT en date du 19 avril 2019 qui salue le travail du cabinet 3E Conseil et relève que «’l’expertise RPS, menée par le cabinet 3E conseil, fait état désormais de problèmes de nature psycho-sociale, graves et durables, au sein d’INEO E&S. Aucune mesure n’ayant été mise en place, les risques sont désormais devenus des troubles psychosociaux profondément ancrés dans la société. Pour le CHSCT, il est urgent et indispensable que la direction d’INEO E&S en prenne hâtivement toute l’importance et agisse en conséquence. (‘) L’établissement de [Localité 6] étant un des thèmes de cette expertise, il ne pourrait être envisagé de se prononcer au niveau du CHSCT sur une cession sans se soucier de réparer ou limiter les troubles psychosociaux de cette agence. Nous demandons donc à la direction de présenter un plan d’action concret, clair et précis sur les risques psychosociaux en amont de toute consultation du comité sur cette cession’»’;
un courrier en date du 14 juin 2019, par lequel, avec 4 collègues, il alerte son employeur de la situation en se référant à l’alerte émise par le CHSCT relative aux troubles psychosociaux affectant les salariés’;
un courrier du même jour émanant d’une autre collègue, [X] [P], alors en arrêt de travail, qui dénonce à la société INEO ENERGY & SYSTEMS un retrait de ses responsabilités, une absence de travail et un défaut de reclassement au sein du groupe, contrairement au personnel de l’établissement de Velizy,
un arrêt de travail du 18 juin 2019 au 5 août 2019′;
un extrait de son dossier médical duquel il résulte que M. [W] a consulté le médecin du travail le 12 août 2019, auquel il a fait état d’une «’dégradation de l’ambiance au travail, pas de manager, pas de travail, pas de repreneur pour le moment, situation qui traîne depuis 2 ans’». Le médecin a noté que M. [W] avait eu un traitement anxiolytique, que son sommeil était variable et qu’il avait repris quelques jours auparavant mais ne faisait rien. Il concluait à un épisode dépressif léger, sans idée noire le jour de l’examen’;
le courrier de la société INEO ENERGY & SYSTEMS en date du 23 septembre 2019 par lequel elle indique qu’une reprise des activités PMR et Oil & Gas par le groupe SNEF avait été envisagée et travaillée mais avait échoué par l’annonce de ce dernier, début septembre 2019, de sa volonté de cesser les négociations en raison de «’l’opposition d’un certain nombre de salariés à un transfert au sein du groupe SNEF avec des risques sociaux professionnels et juridiques élevés que [le] groupe ne peut accepter’». La société INEO ENERGY & SYSTEMS écrit à M. [W] que «'[son] opposition aura donc eu raison de ce projet de cession et de l’espoir de [ses] collègues de poursuivre une activité professionnelle au sein du groupe SNEF’»’;
la réponse commune de M. [W] et 5 de ses collègues à cette correspondance du 23 septembre 2019 adressée personnellement à chacun d’eux, dans laquelle ils déplorent la réception de cette lettre à quelques jours de l’audience de conciliation devant le conseil de prud’hommes et regrettent d’être désignés comme les responsables de l’échec de ce projet de reprise’;
L’ensemble de ces éléments laisse supposer l’existence d’un management déviant avec une réduction très forte voire quasi totale de l’activité du site de [Localité 6], mettant les salariés dans une situation difficile.
Toutefois, il appert de relever que, concernant le management de M. [F], il résulte des éléments versés par la société INEO ENERGY & SYSTEMS qu’à compter du 28 novembre 2018, celui-ci a quitté physiquement le site de [Localité 6] pour travailler depuis son domicile avant d’être licencié, à la suite de la découverte d’une clé USB dotée d’un enregistreur dans une salle de réunion où devait se dérouler un entretien à son sujet entre un salarié et des représentants de la direction.
En revanche, aucun élément antérieur à cette date ne permet de matérialiser des agissements répétés de la part de l’ancien responsable du site de [Localité 6] envers M. [W] lui-même, de sorte que ce dernier ne peut se prévaloir d’un management qualifié de déviant de la part de M. [F] constitutif d’un harcèlement moral à son égard.
Par ailleurs, si le climat généré sur le site de [Localité 6] par la diminution importante de la quantité de travail proposée aux agents d’une part et le projet exprimé dès septembre 2018 de fermer le site de [Localité 6] d’autre part a nécessairement entraîné des inquiétudes chez les salariés concernés et a généré des risques psychosociaux objectivés par le rapport d’expertise du cabinet 3E conseil, la société INEO ENERGY & SYSTEMS justifie avoir informé régulièrement le comité d’entreprise de cette situation ainsi que du projet de cession à la SNEF qui n’a pas abouti.
L’absence de prise en compte immédiate par l’employeur de l’ampleur des incidences de ce climat anxiogène sur les salariés ne saurait toutefois être assimilée à des agissements répétés de harcèlement moral envers M. [W] lui-même, de même que l’envoi, par l’intimée, d’un courrier à M. [W] et d’autres salariés ayant saisi la juridiction prud’homale, le 23 septembre 2019, soit quelques jours avant l’audience de conciliation.
Ainsi, les éléments produits, pris dans leur ensemble, s’ils évoquent une situation compliquée pour les salariés du site de [Localité 6], ne permettent pas de supposer l’existence d’un harcèlement envers M. [W] en particulier.
En conséquence, il convient de rejeter ses demandes relatives au harcèlement moral et au défaut de prévention de tout agissement constitutif d’un harcèlement moral.
– sur l’exécution déloyale du contrat de travail
Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Les éléments listés ci-dessus permettent de considérer qu’en ne fournissant plus de travail à ses salariés, en restant taisant face à la demande d’explication légitime des agents du site palois après l’annonce de la fermeture de leur site et en réagissant tardivement à l’alerte du CHSCT relative à leur mal-être, la société INEO ENERGY & SYSTEMS a été déloyale dans l’exécution de ses obligations découlant du contrat de travail.
M. [W] justifie de l’incidence de cette attitude de son employeur à son égard par son arrêt de travail du 18 juin 2019 et les conclusions du médecin du travail lors de sa visite du 12 août 2019.
Il a ainsi subi un préjudice consistant en un sentiment d’inutilité et une incertitude pendant plusieurs mois quant à son avenir professionnel qu’il convient d’indemniser par l’allocation de la somme de 9000 euros à titre de dommages et intérêts.
La décision déférée sera infirmée de ce chef.
– sur la violation de la vie privée
La société INEO ENERGY & SYSTEMS sollicite l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, y compris celle allouant à M. [W] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour la violation de sa vie privée à l’occasion de l’enregistrement vocal réalisé par M. [F].
Les premiers juges ont retenu une violation de la vie privée de M. [W] sur la base des «’témoignages de 6 salariés relatant les mêmes faits d’enregistrement vocaux réalisés par M. [F] à leur insu’».
Il résulte de ces 6 attestations, parmi lesquelles celle de M. [W], qu’une clé USB ayant une fonction d’enregistrement, activée, a été retrouvée le 27 novembre 2018 dans une salle de réunion au sein de laquelle devait se dérouler un entretien entre un salarié du site de [Localité 6] et des représentants de la direction de la société INEO ENERGY & SYSTEMS, au sujet de l’attitude de M. [F], alors responsable du site. Ce dernier a admis être le propriétaire de ladite clé USB.
Toutefois, cette clé ne comportait qu’un enregistrement de quelques minutes, effectué avant la réunion, de la voix de quelques salariés et non de M. [W], ainsi que cela résulte de son propre témoignage : «’cette clé USB était en fonction d’enregistrement (bouton MIC positionné sur ON). Une fois insérée cette clé USB dans mon ordinateur professionnel, je constate qu’il y a bien un fichier vocal (de plusieurs minutes déjà) dans lequel je peux identifier clairement la voix des collaborateurs ayant trouvé cette clé micro’».
Aucune violation de la vie privée de M. [W] n’est donc caractérisée, de sorte que la décision querellée lui ayant alloué une indemnité à ce sujet sera infirmée.
Sur la demande de résiliation judiciaire
Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur. La demande de résiliation doit être formée par le salarié avant que le contrat ne soit rompu par l’envoi de la lettre de licenciement par l’employeur.
Pour justifier la résiliation judiciaire du contrat, les manquements de l’employeur à ses obligations doivent présenter un caractère de gravité tel qu’ils rendent impossible pour le salarié la poursuite de la relation contractuelle.
Le salarié, demandeur à l’instance, supporte la charge de la preuve des manquements imputés à l’employeur. Si un doute subsiste, il doit profiter à l’employeur.
En l’espèce, différents manquements de l’employeur ont été caractérisés comme ouvrant droit pour M. [W] à une indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail.
En raison de ces manquements, M. [W] demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec la société INEO ENERGY & SYSYEMS, à effet au 1er mars 2020.
A cette date en effet, dans le cadre d’une convention tripartite entre la société INEO ENERGY & SYSTEMS, M. [W] et la société INEO SCLE SFE, l’appelant a bénéficié d’une mobilité interne au sein du groupe vers cette dernière société à compter du 1er mars 2020.
M. [W] admet, dans un mail adressé à ses anciens collègues, avoir signé cette lettre de mobilité le 28 février 2020.
Cette lettre a opéré un transfert contractuel de son contrat de travail, avec reprise d’ancienneté au 1er janvier 1999 et sans période d’essai.
Le 5 mars 2020, M. [W] a écrit aux représentants des deux sociétés, dans des lettres ayant pour objet «’dénonciation de la lettre tripartite de mobilité groupe’». Il y indique que «’l’acceptation de la mutation au sein de INEO SCLE SFE n’entraîne donc pas renonciation de [sa] part aux demandes formulées dans le cadre de la procédure prud’homale à l’encontre de INEO ENERGY & SYSTEMS’».
Il ressort de cette correspondance que M. [W] confirme son acceptation claire et non équivoque du transfert de son contrat de travail de la société INEO ENERGY & SYSTEMS à la société INEO SCLE SFE, de sorte qu’il doit être considéré que son contrat de travail s’est poursuivi.
Force est donc de constater que les manquements relevés envers la société INEO ENERGY & SYSTEMS n’ont pas empêché la poursuite de la relation contractuelle, certes auprès d’une autre société du groupe mais avec le maintien des avantages acquis au niveau des congés payés, RTT et ancienneté auprès de la société intimée.
Les manquements de la société INEO ENERGY & SYSTEMS ne revêtent donc pas le caractère de gravité suffisant, de sorte que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail avec cette société doit être rejetée.
M. [W] sera donc débouté de toutes ses demandes à ce titre.
Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal comme suit’:
– à compter du 1er juillet 2019, date de réception de la lettre de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, valant sommation de payer au sens de l’article 1231-6 du code civil, pour les créances de nature salariale,
– à compter de la décision en fixant le montant concernant les créances indemnitaires, en application de l’article 1231-7 du code civil.
Chaque partie supportera la charge de ses dépens, ainsi que de ses propres frais irrépétibles, de sorte que les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile formulées par l’appelant et l’intimée seront rejetées.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Pau sauf en ce qui concerne’:
-les conséquences de la privation d’effet de la convention de forfait en jour et les heures supplémentaires,
-les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
-les dommages et intérêts pour violation de la vie privée’;
Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant’:
CONDAMNE M. [Y] [W] à restituer à la société INEO ENERGY & SYSTEMS les sommes suivantes, indûment perçues en application de la convention de forfait jours dont il bénéficiait et qui est déclarée privée d’effet’:
-5360,88 euros bruts au titre des jours RTT des années 2016 à 2018′;
-13 138,72 euros bruts au titre du surplus de rémunération de 15% pour les années 2016 à 2018′;
CONDAMNE la société INEO ENERGY & SYSTEMS à payer à M. [Y] [W] la somme de 13821,73 euros brut à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires entre 2016 et 2018, outre 1382,17 euros pour les congés payés y afférents’;
DIT qu’il y a lieu d’opérer compensation légale entre ces sommes’;
DEBOUTE M. [Y] [W] de ses demandes relatives au harcèlement moral et au défaut de prévention de tout agissement constitutif d’un harcèlement moral’;
CONDAMNE la société INEO ENERGY & SYSTEMS à payer à M. [Y] [W] la somme de 9000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail’;
DEBOUTE M. [Y] [W] de sa demande en dommages et intérêts pour violation de la vie privée’;
DIT que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2019 pour les créances de nature salariale et de la décision en fixant le montant concernant les créances indemnitaires’;
DIT que chaque partie supportera la charge de ses dépens’;
DEBOUTE la société INEO ENERGY & SYSTEMS et M. [Y] [W] de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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