ARRET
N°
[O]
C/
S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE
copie exécutoire
le 10/05/2023
à
Me LOMBARD
Me VALLEZ
EG/IL/SF
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 10 MAI 2023
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N° RG 22/02941 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IPF7
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PERONNE DU 16 MAI 2022 (référence dossier N° RG 21/00073)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [S] [O]
né le 07 Novembre 1985 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté, concluant et plaidant par Me Pierre LOMBARD de l’ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
ET :
INTIMEE
S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE Prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social.
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée, concluant et plaidant par Me Julie VALLEZ de la SCP LEMAIRE – MORAS & ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCIENNES
DEBATS :
A l’audience publique du 15 mars 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
– Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,
– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l’arrêt sera prononcé le 10 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 10 mai 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
M. [O], né le 7 novembre 1985, a été embauché par la société Auchan supermarché (la société ou l’employeur), par contrat à durée indéterminée à compter du 30 septembre 2013, en qualité de directeur de magasin stagiaire, puis par avenant du 2 mars 2015, en qualité de directeur de magasin.
Son contrat est régi par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
La société emploie plus de 10 salariés.
Par courrier du 22 novembre 2019, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 2 décembre 2019 avec mise à pied conservatoire.
Par courrier notifié le 10 décembre 2019, il a été licencié pour faute grave.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Péronne le 16 novembre 2021.
Par jugement du 16 mai 2022, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement de M. [O] pour faute grave était bien fondé,
– dit que la mise à pied conservatoire de M. [O] était justifiée,
– débouté M. [O] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné M. [O] à verser à la société Auchan la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [O] aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 1er mars 2023, M. [O], régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :
– infirmer le jugement du 16 mai 2022 ;
– condamner la société Auchan à communiquer :
– extraction du fichier du badgeage d’ouverture de la porte du personnel tous les matins (logiciel Titan installé par Gruson),
– extraction du fichier du code de fermeture du magasin sur boitier alarme relié à Securitas,
– extraction du logiciel Gestil le concernant,
– annuler la mise à pied du 22 novembre au 10 décembre 2019 ;
– dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société AUCHAN à lui payer les sommes suivantes :
– rappel de salaire : 385,74 euros
– heures supplémentaires : mémoire
– préavis (3 mois) : 14 153,40 euros
– congés payés sur préavis : 1 415,34 euros
– mise à pied : 2 987,94 euros
– congés payés sur mise à pied : 298,79 euros
– indemnité de licenciement : 8 775,10 euros
– dommages et intérêts : 33 024,60 euros
– article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
– condamner la société Auchan aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 1er mars 2023, la société Auchan supermarché demande à la cour de :
– débouter M. [O] de sa demande visant à obtenir la production des pièces suivantes :
– extraction du fichier de badgeage d’ouverture de la porte du personne tous les matins (logiciel Titan installé par Gruson),
– extraction du fichier du code de fermeture du magasin sur boiter alarme relié à Securitas,
– confirmer le jugement rendu le 16 mai 2022,
En conséquence,
– dire et juger le licenciement pour faute grave de M. [O] bien fondé et justifié,
– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
Subsidiairement, réduire à l’équivalent de trois mois de salaire les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner M. [O] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner au paiement des entiers frais et dépens de l’instance.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur l’exécution du contrat de travail
2-1/ sur le rappel de salaire au titre du mois de décembre 2019
M. [O] soutient que l’employeur a commis une erreur dans le calcul de la base de rémunération pour le mois de décembre 2019.
L’employeur répond que le salarié a été rempli de ses droits après rectification du décompte erroné de 6 jours sur la paie de décembre 2019.
En l’espèce, il ressort des bulletins de paie de novembre, décembre 2019 et de janvier 2020 que le salaire correspondant aux jours de mise à pied conservatoire couvrant novembre et décembre ont été retenus en une seule fois sur le bulletin de paie de décembre, avec une erreur de 6 jours rectifiée sur le bulletin de paie de janvier.
La demande de rappel de salaire de M. [O] n’est donc pas justifiée.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
2-2/ sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires
M. [O] soutient qu’exerçant les fonctions de directeur de magasin et de manager de rayon produits de grande consommation non alimentaires, il faisait de nombreuses heures supplémentaires dont le volume ne pourra être déterminé que par la production par l’employeur des extractions du fichier de badgeage d’ouverture de la porte du personnel le matin, du fichier du code de fermeture du magasin, et du logiciel Gestil le concernant.
Il fait valoir que n’étant pas cadre dirigeant, la clause de forfait de mission prévue à son contrat est nulle comme étant contraire à la législation sur le temps de travail.
L’employeur oppose l’absence de preuve que la salarié exerçait une autre fonction que celle figurant à son contrat de travail, et le fait que ce dernier était soumis à une convention de forfait de mission sans l’avoir jamais alerté sur une charge de travail déraisonnable, notamment à l’occasion des entretiens annuels d’évaluation.
L’article 5.7.1, en vigueur du 27 novembre 2015 au 3 mai 2019, devenu 5.4 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire prévoit que le forfait sans référence horaire concerne les cadres dirigeants pour lesquels, du fait de leurs responsabilités et/ ou de leurs fonctions, il est difficile de déterminer et de contrôler de manière précise le temps de travail effectif en raison des responsabilités qu’ils assument dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur travail, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement. Peuvent relever de ce forfait après analyse objective des fonctions réellement exercées :
-les cadres relevant des niveaux 8 et 9 de la classification des fonctions ;
-d’autres cadres directeurs d’établissements, dotés d’une large délégation de pouvoirs et de responsabilités, notamment en matière sociale.
À l’exception des dispositions relatives aux congés payés prévues au articles L.3141-1 du code du travail, aucune disposition relative à la réglementation de la durée du travail n’est applicable au salarié dont le contrat de travail prévoit une rémunération selon un forfait sans référence horaire.
La rémunération forfaitaire est fixée indépendamment d’un nombre d’heures de travail effectif.
Le bulletin de paie précisera que la rémunération est forfaitaire sans référence horaire.
En application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
En l’espèce, l’avenant au contrat de travail de M. [O] du 2 mars 2015 stipule que compte tenu des caractéristiques de sa fonction, et notamment du niveau de responsabilités qui lui sont confiées, de la grande indépendance dont il dispose dans l’organisation de son emploi du temps pour la réalisation de sa mission, il est rémunéré pour une mission et indépendamment d’un temps de présence particulier.
M. [O] étant soumis à une convention de forfait de mission excluant toute possibilité d’heures supplémentaires et ne demandant pas la nullité de cette convention dans le dispositif de ses conclusions, il ne peut obtenir un rappel de salaire à ce titre.
La demande de rappel de salaire ne pouvant prospérer, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces avant dire droit.
M. [O] ayant été débouté de l’intégralité de ses demandes par les premiers juges incluant nécessairement les demandes au titre des heures supplémentaires, le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
3/ Sur la rupture du contrat de travail
M. [O] oppose, en premier lieu, la prescription des faits fautifs au motif que l’employeur avait nécessairement connaissance en temps réel des badgeages manuels opérés de décembre 2018 à février 2019, que la fermeture du magasin par un personnel non habilité s’est produite le 25 août 2019 et a été dénoncée à l’employeur le mois suivant, et que les places d’entrée au Parc Astérix et à un concert offertes par Contact FM datent de mai et juin 2019.
En second lieu, il conteste les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement arguant n’avoir fait qu’appliquer la pratique de l’employeur consistant à badger un salarié absent pour continuer à le payer en compensation des heures supplémentaires faites avant de le licencier à moindre coût pour absence injustifiée, n’avoir pas encadré la fermeture du magasin qu’une seule fois en raison d’une urgence médicale à traiter pour son épouse mais sans risque pour la sécurité du fait de l’assistance d’un vigile, et n’avoir aucunement enfreint les règles de la politique cadeaux au sein de l’entreprise.
Il ajoute que le licenciement ne fait pas partie des sanctions prévue en matière de fermeture du magasin, insiste sur le manque d’objectivité des témoignages de Mmes [M]-[D] et [H] s’agissant de salariées qu’il avait dû rappeler à l’ordre, et affirme que son licenciement pour motif disciplinaire fait partie d’une politique globale de l’employeur afin de limiter l’ampleur de son plan social.
L’employeur répond qu’il n’a eu connaissance des faits fautifs que courant octobre et novembre 2019, réfute toute pratique interne à l’entreprise permettant d’exonérer M. [O] de ses responsabilités en matière de badgeage, et se prévaut de l’article 16 du règlement intérieur de l’entreprise et du code de conduite qui lui est annexé relatifs à la politique cadeaux pour caractériser le manquement du salarié qui a accepté des cadeaux du diffuseur radiophonique auquel il consacrait l’intégralité du budget publicité du magasin.
En application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
La cour rappelle que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La mise en ‘uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
C’est à l’employeur qui invoque la faute grave et s’est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu’ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
En l’espèce, concernant la prescription des faits fautifs, l’employeur produit les attestations de Mmes [M] et [H] respectivement du 25 septembre et du 1er octobre 2019 dénonçant l’ensemble des griefs qui seront repris à l’encontre de M. [O] dans la lettre de licenciement du 10 décembre 2019, alors qu’aucun élément ne permet d’établir qu’il en avait eu connaissance antérieurement, notamment quant au badgeage irrégulier de M. [E], salarié absent.
En effet, le fait que la société ait connaissance des anomalies de pointage pour chaque salarié via le logiciel Gestil ne permet pas d’en déduire qu’elle était informée de l’absence de ce salarié pour lequel M. [O] badgeait manuellement ni que le pointage manuel d’un salarié par le directeur du magasin relevait d’une anomalie.
La procédure disciplinaire ayant été engagée le 22 novembre 2019, les faits reprochés n’étaient pas prescrits.
Sur le fond, même s’il invoque des circonstances atténuantes ou exonératoires, M. [O] reconnaît la matérialité des faits suivants : avoir badgé manuellement pour M. [E] du 29 décembre 2018 au 7 février 2019 alors que ce salarié était en absence injustifiée, avoir laissé la fermeture du magasin à une employée non qualifiée le 25 août 2019, et avoir bénéficié gratuitement pour lui-même et son entourage de billets d’entrée au Parc Astérix et de billets de concert remis par la station de radio Contact FM qu’il avait choisie pour diffuser des annonces publicitaires depuis 2017.
Or, les échanges de courriels entre M. [O] et M. [E] des 22 juillet 2018 et 19 février 2019 aux termes desquels ce dernier liste ses heures supplémentaires et demande où en est sa procédure de licenciement ne mentionnent aucunement que la société était informée de l’existence de ses heures supplémentaires et de la situation d’absence injustifiée du salarié depuis plusieurs semaines.
M. [O] ne saurait donc prétendre qu’il a masqué les absences de M. [E] à la demande de son employeur.
Ce seul fait, qui a conduit l’employeur à rémunérer un salarié pendant plusieurs semaines sans contrepartie du fait de la dissimulation de son absence par un cadre le représentant auprès du personnel, justifie le licenciement pour faute grave de M. [O] sans qu’il apparaisse nécessaire d’examiner les autres griefs.
Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [O] de ses demandes formées au titre du licenciement.
4/ Sur les demandes accessoires
M. [O] succombant totalement, le jugement entrepris est confirmé quant aux dépens et frais irrépétibles de première instance, et les dépens d’appel sont mis à sa charge.
Il sera condamné à payer à l’employeur la somme indiquée le dispositif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et débouté de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement rendu le 16 mai 2022 en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
rejette la demande de M. [O] formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [S] [O] aux dépens d’appel,
condamne M. [S] [O] à payer à la société Auchan supermarché la somme de 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
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