Destruction du master d’un enregistrement musical, que faire ? Quelle responsabilité ?

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Destruction du master d’un enregistrement musical, que faire ? Quelle responsabilité ?

Propriété du phonogramme en tant que support physique

Le producteur de phonogrammes est « la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son » (article L 213-1 du code de la propriété intellectuelle). L’article 2, sous c) du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes du 20 décembre 1996 définit la « fixation » comme étant « l’incorporation de sons, ou des représentations de ceux-ci, dans un support qui permette de les percevoir, de les reproduire ou de les communiquer à l’aide d’un dispositif » et l’article 3, sous b) de la Convention de Rome définit le phonogramme comme étant « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d’une exécution ou d’autres sons » (CC ch. civ. 11/09/2013).

Ni la Convention de Rome, ni le Traité de l’OMPI ne posent l’existence d’un support matériel dans leurs définitions, de telle sorte que la qualification juridique de phonogramme est indépendante de l’existence ou non d’un support tangible (CA Paris, 15/3/2016, RG N° 14/17749).

Le producteur de phonogramme jouit du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte de ses phonogrammes. Le support étant indépendant du phonogramme, il est donc loisible au producteur de phonogrammes,  dans le cadre d’un schéma contractuel, de confier à un éditeur, le pressage des supports du phonogramme. En tout état de cause, le producteur, conserve la propriété du phonogramme. En présence d’un éditeur, la question se pose de la restitution des supports à l’expiration du contrat d’édition.

Une faute possible sur le terrain de la responsabilité contractuelle

Le contrat d’édition et de pressage devrait toujours stipuler une clause fixant le sort des supports du phonogramme (CD, DVD ou autres). Le contrat d’édition peut ainsi stipuler que l’éditeur facture au producteur le pressage des supports et qu’il devient dépositaire des phonogrammes. Le producteur reste ainsi propriétaire de son stock et confie à un distributeur le soin de commercialiser les supports sur le marché. Le distributeur fait ainsi son affaire de la prospection, de la préparation des commandes, de la vente, de l’expédition, de la facturation et du recouvrement.  Une clause pourra également stipuler la destruction des stocks. La remise d’un procès-verbal de destruction des stocks ne constitue pas une obligation contractuelle (CA de Paris, 18/10/2013, RG n°06/20024). Lorsque le contrat d’édition ne stipule rien quant à la restitution des supports, il convient de se référer au droit commun des obligations associé au droit spécial de la propriété intellectuelle.

Support du phonogramme : un régime d’exception

Au sens des articles 3-b de la Convention de Rome du 26 octobre 1961 et 2e) du Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 20 décembre 1996, la qualification juridique de phonogramme est indépendante de l’existence ou non d’un support tangible. La qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante de l’existence ou non d’un support physique, il en résulte que le phonogramme, séquence de sons fixée quel qu’en soit le mode de fixation, ne se confond pas avec « l’objet tangible » mis à la disposition du public dans les bacs des disquaires.

Le phonogramme ne consiste en rien d’autre qu’une séquence de sons fixée, quel que soit le mode de fixation, sur un support, quel qu’il soit, qu’il peut donc consister en un fichier numérique sauvegardé sur une mémoire informatique tel qu’un disque dur ou autre. La circonstance qu’un phonogramme ainsi défini puisse être transmis sous forme dématérialisée n’en change ni la nature, ni la destination. Il demeure en effet identique à lui même s’il est incorporé dans un support matériel tel qu’un disque vinyle microsillon ou chargé sur un disque dur d’ordinateur, une clé USB, ou un téléphone mobile, et comporte la même destination, qui est d’être écouté par celui qui en a fait l’acquisition.

A ce titre, il est fait référence, dans la définition du phonogramme du commerce à « tous supports sonores », et non pas exclusivement aux supports matériels, tandis que l’article 3 de la Convention de Rome de 1961 définit le phonogramme comme « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d’une exécution ou d’autres sons » et sa publication comme « la mise à disposition du public d’exemplaires d’un phonogramme en quantité suffisante », et l’article 2 e) du Traité OMPI du 20 décembre 1996 quant à lui comme « la mise à la disposition du public de copies de l’interprétation ou exécution fixée ou d’exemplaires du phonogramme avec le consentement du titulaire des droits, et à condition que les copies ou exemplaires fixés soit mis à la disposition du public en quantité suffisante », les termes utilisés d’exemplaires mis à la disposition du public n’impliquant pas plus nécessairement l’existence d’un support tangible.

Il s’ensuit comme il résulte d’ailleurs des travaux parlementaires de la loi du 3 juillet 1985, que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante d’un support et que la mise à la disposition du public, en quantité suffisante, de supports dématérialisés n’implique pas de changement de destination du phonogramme initialement fixé. Exemple : les titres musicaux proposés sur iTunes sont des phonogrammes (Cour de cassation, ch. civ., 11 septembre 2013).

Obligations du dépositaire du support

Le contrat de dépôt

En cas de perte ou de destruction des supports, le périmètre des obligations du dépositaire pourra être déterminé à la lumière du contrat de dépôt.  Pour rappel, l’article 1915 du code civil définit le contrat de dépôt comme « un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature », il s’agit d’un contrat réel, au sens du nouvel article 1109, dont l’existence n’est subordonnée qu’à la remise effective de la chose entre les mains du dépositaire. Le contrat de dépôt emporte l’obligation pour le dépositaire de restituer la chose déposée en nature et lorsque ce contrat est l’annexe d’un contrat d’entreprise, il subsiste après la réalisation des services / travaux commandés. Tant que la chose reste entre les mains du dépositaire, ce dernier reste tenu à restitution, l’obligation de restitution étant perpétuelle.

La remise de supports aux fins d’exploitation pourra être analysée comme un contrat de dépôt au sens des articles 1927 et suivants du code civil, le dépositaire n’ayant pas vocation à devenir cessionnaire des oeuvres / supports déposés. Le dépositaire en doit restitution et ne peut opposer aucune prescription, tant acquisitive qu’extinctive au déposant. A ce titre et en l’absence de tout contrat entre les parties, le dépositaire pourra bénéficier de la règle selon laquelle « en fait de meubles, la possession vaut titre » (article 2276 du code civil). Ce texte nécessite toutefois une possession non équivoque à titre de propriétaire et de bonne foi, celle-ci étant présumée sauf preuve contraire et s’entendant de la croyance pleine et entière où s’est trouvé le possesseur, au moment de son acquisition des droits de son auteur, à la propriété des biens qu’il lui a transmis, le doute sur ce point étant exclusif de la bonne foi. Est équivoque la possession d’un bien meuble lorsque les circonstances de sa remise au possesseur font présumer une remise à titre précaire.

Il résulte des dispositions des articles 1915 et 1932 que lorsque la chose existe encore, la restitution doit se faire en nature et en cas de mort du déposant l’article 1939 précise que la chose déposée ne peut être rendue qu’à ses héritiers.

Le Prêt à usage

 

La qualification de prêt à usage (article 1875 du code civil) pourra également être applicable (pour le « master » par exemple). L’article 1875 du code civil impose au preneur de rendre la chose après s’en être servi ; l’article 1881 du code civil l’oblige à veiller en bon père de famille à la garde et à la conservation de la chose prêtée, de s’en servir selon l’usage déterminé par la convention, le tout à peine de dommages-intérêts s’il y a lieu. En cas de destruction des supports par accident, perte ou vol, il conviendra de s’intéresser aux circonstances de la destruction. Le refus de garantie opposée par un assureur pourra mettre en évidence une insuffisance de protection des lieux.

Conséquence de la perte des supports : un préjudice limité

En cas de perte ou de destruction d’un support, la réparation du préjudice suppose une faute, un lien de causalité et l’évaluation du montant du préjudice. Ce préjudice serait donc limité au coût de remplacement des supports. En la matière, il a été jugé que le préjudice effectivement subi par le producteur / l’éditeur, trouvant sa cause dans le comportement fautif d’un revendeur final par exemple, ne saurait être déterminé en prenant en compte la totalité du chiffre d’affaires réalisé en vendant des CD par un circuit traditionnel. En tout état de cause, la preuve du nombre précis de supports physiques détruits devra être apportée (par bon de livraison, facture ou autres). Les juges sont plutôt enclins à évaluer le préjudice de façon forfaitaire (CA  de Versailles, 26 octobre 2006, RG n°05/08661). A noter toutefois que le préjudice pourrait être plus élevé si le contrat stipule le versement de « royalties » calculées sur un pourcentage des ventes de supports phonographiques réalisés (CA de Paris, 19/12/2013, RG 10/10023).

 


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