La présomption de salariat du journaliste : les employeurs multiples

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La reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel ne suppose pas qu’il retire le principal de ses ressources de la même société mais qu’il retire le principal de ses ressources d’une activité de journaliste.

Affaire l’Equipe TV

M. [T], soutenu par le SNJ-CGT a obtenu la requalification de sa collaboration avec l’Equipe 24/24 en  contrat de travail.

Compétence de la juridiction prud’homale

Par application des dispositions de l’article L. 1411-1 du code du travail, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l’existence d’un contrat de travail opposant le salarié et l’employeur prétendus.

La présomption de contrat de travail du journaliste 

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat de travail ou de présomption légale de salariat, il appartient à celui qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve, par tous moyens. Il appartient à celui qui invoque le caractère fictif d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

La présomption de salariat de l’article L. 7112-1 du code du travail 

En l’espèce, M. [T] se prévaut du bénéfice de la présomption de salariat instituée par l’article L. 7112-1 du code du travail au profit des journalistes professionnels et soutient qu’elle n’est pas renversée par la société l’Equipe 24/24. Il fait également valoir qu’il se trouve dans un lien de subordination envers la société.

La société l’Equipe 24/24 répond que la présomption de non-salariat de l’article L. 8221-6 du code du travail s’applique, qu’il n’existait pas de lien de subordination et que M. [T] n’est pas un journaliste professionnel.

Aucun contrat de travail n’a été signé entre M. [T] et la société l’Equipe 24/24.

M. [T] a été engagé par la société l’Equipe 24/24 pour rédiger chaque mois des brèves quotidiennes principalement axées sur un titre de sport, 10 articles sur l’actualité du jeu vidéo et une émission de 4 minutes concernant le jeu vidéo, ce qui répond à la définition de l’activité journalistique, laquelle est une activité de type intellectuel déployée en vue de mettre à la portée des lecteurs des informations susceptibles de les intéresser (devis du 16 septembre 2015 – pièce 1 de M. [T]). 

Il justifie de son activité en produisant des articles qu’il a rédigés qui ont été publiés de 2016 à 2020. Il a été formé à l’école du journalisme de [Localité 7].

L’article L. 7112-1 du code du travail dispose que « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. »

L’article L. 7111-3 du même code dispose que « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa. »

Les conditions prévues par ce texte sont cumulatives et doivent toutes être remplies, à défaut de quoi la qualité de journaliste professionnel ne peut être reconnue :

– avoir pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession,

– exercer sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse,

– tirer de cette activité le principal de ses ressources.

Le journaliste professionnel bénéficie ainsi d’une présomption de salariat qu’il appartient à l’employeur de renverser en rapportant la preuve que l’activité du journaliste s’exerce en toute indépendance et en toute liberté.

M. [T] exerce ses fonctions au profit de la société l’Equipe 24/24 qui a une activité d’édition de programmes audiovisuels qui sont diffusés sur différents supports (télévision, internet, application smartphone etc.).

Il s’agit de son occupation principale, régulière et rétribuée, dont il tire le principal de ses ressources ainsi qu’en témoignent les pièces qu’il verse au débat : factures éditées de 2015 à 2018 et avis de virement concernant 2019 et 2020, avis d’imposition. 

Selon le devis établi par M. [T] le 16 septembre 2015 évoqué ci-dessus, la nature de sa prestation mensuelle était fixe ainsi que sa rémunération (1 642,80 euros par mois), ce qui est corroboré par le nombre et le montant des factures versées au débat. Même si M. [T] n’établissait pas toujours une facture chaque mois, il recevait une rémunération constante pour chaque mois travaillé. A titre d’exemple, les factures émises les 15 novembre 2016, 20 janvier 2017 et 10 mai 2017, d’un montant de 4 928,40 euros chacune correspondaient à chaque fois à trois mois de travail rémunérés à hauteur de 1 642,80 euros chacun.

L’affirmation de la société l’Equipe 24/24 selon laquelle M. [T] n’a collaboré avec elle que de façon occasionnelle et irrégulière pendant 5 ans est démentie par ces pièces ainsi que par les propres écrits de la société.

M. [T] produit en effet deux demandes d’accréditation presse pour des salons adressées par M. [M] [G], rédacteur en chef adjoint de l’Equipe.fr, dans lesquelles il est indiqué, en octobre 2017 que M. [T] ‘est bien l’un des deux journalistes qui couvre pour nous régulièrement’ (pièce 10) et le 27 avril 2018 que M. [T] ‘travaille régulièrement pour le site internet de l’Equipe, comme journaliste dédié aux jeux vidéo’ (pièce 9).

Il doit donc être retenu que M. [T] avait une activité régulière de journaliste.

La reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel de M. [T] ne suppose pas qu’il retire le principal de ses ressources de la société l’Equipe 24/24 comme cette dernière le prétend, mais qu’il retire le principal de ses ressources d’une activité de journaliste.

En tout état de cause, les revenus imposables de M. [T] correspondent à titre principal aux factures qu’il a adressées à la société l’Equipe 24/24 pour une activité de journaliste et qu’il déclare avoir été payées durant les années correspondantes soit :

en 2016 : facturation de 21 713 euros, l’avis d’imposition n’étant pas produit,

en 2017 : facturation de 16 428 euros pour un revenu imposable de 19 704 euros,

en 2018 : facturation de 18 070,80 euros pour un revenu imposable de 24 504 euros,

en 2018 : virements de 17 656,80 euros pour un revenu imposable de 17 400 euros.

M. [T], qui remplit les critères, doit se voir reconnaître la qualité de journaliste professionnel au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail et le bénéfice de la présomption de salariat qui s’y attache, quand bien même il ne détient pas une carte de presse, laquelle ne constitue qu’un indice de la qualité de journaliste professionnel.

La présomption de non-salariat de l’article L. 8221-6 du code du travail, qui découle du fait que M. [T] a été immatriculé en qualité d’entrepreneur individuel à compter du 1er octobre 2014 pour une activité ‘autre création artistique’ ne trouvant pas dès lors à s’appliquer, il appartient à la société l’Equipe 24/24 de démontrer que M. [T] n’était pas salarié.

Les conditions du contrat de travail

Il existe trois éléments constitutifs d’un contrat de travail :

– la fourniture d’un travail,

– la contrepartie d’une rémunération,

– l’existence d’un lien de subordination entre les parties.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

Il ressort des pièces versées au débat que la société l’Equipe 24/24 a fourni du travail à M. [T] et lui a versé une rémunération en contrepartie et ce de manière constante de 2016 à 2019.

Il appartient à la société l’Equipe 24/24 de démontrer que M. [T] ne se trouvait pas dans un lien de subordination à son égard.

Le fait que M. [T] exerçait une activité dans le domaine des jeux vidéos dans différents médias depuis 2011, qu’il avait le statut de travailleur indépendant depuis octobre 2014, avant de contracter avec la société l’Equipe 24/24, qu’il était libre de travailler pour d’autres sociétés ou d’avoir d’autres activités, qu’il adressait des devis et factures à la société l’Equipe 24/24, ne sont pas opérants à cet égard.

La société soutient que M. [T] ne recevait de sa part aucune instruction ni aucun ordre, qu’elle ne contrôlait pas le contenu des articles qu’il publiait sur le site internet, preuve de sa totale indépendance et qu’elle ne prenait aucune sanction disciplinaire à son encontre.

Elle souligne que M. [T] ne produit que trois mails sur une relation commerciale de plus de 5 ans, dont la lecture démontre qu’il bénéficiait en réalité d’une liberté dans la réalisation de ses prestations.

Or la charge de la preuve de l’absence de lien de subordination reposant sur la société, il lui appartient de produire des documents montrant que M. [T] était libre dans la réalisation de son travail et non à M. [T] de démontrer qu’il recevait des ordres et des instructions.

M. [T] produitun certain nombre de courriels qui montrent que des sujets d’articles lui étaient suggérés par l’Equipe 24/24 notamment sur l’actualité, que la société donnait son avis sur son travail et que ses articles pouvaient être modifiés. 

M. [T] recevait également des ordres et des directives de la société l’Equipe 24/24 ; il se trouvait donc dans un lien de subordination à l’égard de cette dernière.

En conséquence, l’existence d’un contrat de travail entre M. [T] et la société l’Equipe 24/24 a été reconnue. 

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