Total Energies c/ Greenpeace

Notez ce point juridique

Une assignation rédigée en des termes imprécis et n’identifiant pas les fautes reprochées est nulle dans la mesure où le défendeur n’est pas en mesure de saisir l’objet des prétentions qui lui sont opposées et donc de se défendre utilement.

Par ailleurs, l’assignation doit être suffisamment précise, sans que le défendeur n’ait à « rechercher dans les pièces » la teneur exacte des griefs qui lui sont faits.

La seule circonstance que, pour examiner la validité de l’assignation, le juge de la mise en état soit conduit à apprécier le fondement réel de la demande initiale n’implique pas, pour autant, de trancher le fond du litige en lieu et place du tribunal.

Il est recommandé de veiller à la rédaction précise et claire des assignations afin de permettre au défendeur de comprendre les prétentions qui lui sont opposées et de se défendre de manière adéquate. L’assignation doit contenir un exposé des moyens en fait et en droit de manière suffisamment détaillée pour éviter toute ambiguïté.

Il est également conseillé d’éviter toute imprécision dans la formulation des griefs reprochés au défendeur. Les faits reprochés doivent être clairement identifiés et décrits de manière à ce que le défendeur puisse les contester de manière précise et argumentée.

Enfin, il est recommandé de spécifier de manière explicite les informations fausses ou trompeuses alléguées, ainsi que les supports de diffusion de ces informations, dans le cadre d’une action en justice. Une identification précise des faits reprochés permettra aux parties concernées de préparer leur défense de manière adéquate.

II. Sur la procédure abusive:

Il est recommandé de démontrer de manière claire et précise tout abus allégué dans le cadre d’une action en justice. Les allégations d’abus doivent être étayées par des éléments concrets démontrant une malice, une mauvaise foi ou une erreur grossière équivalente au dol de la part de la partie adverse.

Il est conseillé d’éviter les accusations générales d’abus sans fondement concret. Les demandes de condamnation pour procédure abusive doivent être étayées par des preuves tangibles démontrant un comportement dilatoire ou abusif de la partie adverse dans le cadre de la procédure judiciaire.

III. Sur les autres demandes:

Il est recommandé de respecter les règles de procédure et de droit en vigueur lors de l’introduction d’une action en justice. En cas de condamnation, il est important de se conformer aux décisions du tribunal et de payer les dépens et les sommes allouées conformément aux dispositions légales applicables.

Il est conseillé d’éviter toute iniquité dans la répartition des frais de justice et des dépens entre les parties. Les décisions relatives aux frais irrépétibles doivent être justes et équitables, en prenant en compte les circonstances spécifiques de l’affaire et en évitant toute forme de déséquilibre financier entre les parties impliquées.


L’affaire oppose la société TOTAL ENERGIES à GREENPEACE et FACTOR-X suite à la publication par GREENPEACE d’un rapport critiquant les pratiques environnementales de TOTAL ENERGIES. TOTAL ENERGIES a engagé une action civile contre les deux associations pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur une société cotée. Les défenderesses demandent la nullité de l’assignation et déclarent que l’action devrait être requalifiée en diffamation. Les parties ont échangé des conclusions et l’incident a été plaidé devant le tribunal. La décision est attendue pour le 28 mars 2024.

Introduction de l’affaire

L’affaire en question concerne une assignation de la société TOTAL ENERGIES SE contre GREENPEACE et FACTOR-X. TOTAL ENERGIES accuse ces deux entités de diffuser des informations fausses et trompeuses concernant ses émissions de gaz à effet de serre (GES). L’assignation est fondée sur l’article 1240 du code civil et l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier.

Sur la nullité de l’assignation

L’assignation de TOTAL ENERGIES a été jugée nulle en raison de son imprécision. Selon les articles 54 et 56 du code de procédure civile, une assignation doit contenir un exposé clair des moyens en fait et en droit. Dans ce cas, l’assignation ne permettait pas aux défenderesses de comprendre précisément les informations fausses ou trompeuses qui leur étaient reprochées, ce qui les empêchait de se défendre utilement.

Les accusations de TOTAL ENERGIES

TOTAL ENERGIES reproche à GREENPEACE et FACTOR-X d’avoir surestimé ses émissions de GES dans un document publié. Les émissions directes de scope 1 et les émissions indirectes de scope 3 auraient été largement surestimées par les défenderesses, selon TOTAL ENERGIES. Cette surestimation aurait été due à des erreurs méthodologiques et à l’utilisation de facteurs d’émissions inadaptés.

Les arguments de GREENPEACE et FACTOR-X

GREENPEACE et FACTOR-X ont soutenu que l’assignation de TOTAL ENERGIES visait à « museler le débat public » et constituait une tentative d’intimidation. Elles ont également affirmé que l’assignation était imprécise et ne permettait pas de comprendre les faits reprochés, notamment en ce qui concerne les supports de diffusion des informations.

La décision du juge de la mise en état

Le juge de la mise en état a prononcé la nullité de l’assignation de TOTAL ENERGIES en raison de son imprécision. Il a estimé que les défenderesses ne pouvaient pas se défendre utilement sans une liste précise et exhaustive des informations prétendument fausses ou trompeuses. En conséquence, il n’a pas été nécessaire d’analyser les autres moyens soulevés.

Sur la procédure abusive

GREENPEACE et FACTOR-X ont accusé TOTAL ENERGIES de procédure abusive, affirmant que l’assignation visait à les intimider et à détourner les conditions de la loi de 1881. Cependant, le juge a rejeté cette demande, estimant que les défenderesses n’avaient pas défini ni caractérisé les fautes commises par TOTAL ENERGIES dans son droit d’ester en justice.

Les autres demandes

TOTAL ENERGIES, ayant succombé, a été condamnée aux dépens. De plus, il a été jugé inéquitable de laisser à la charge de GREENPEACE et FACTOR-X les frais irrépétibles de la présente instance. En conséquence, TOTAL ENERGIES a été condamnée à payer à chacune des parties défenderesses la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conclusion

L’affaire a mis en lumière les exigences de précision et de clarté dans les assignations en justice. La nullité de l’assignation de TOTAL ENERGIES a été prononcée en raison de son imprécision, empêchant les défenderesses de se défendre utilement. Les accusations de procédure abusive ont été rejetées, et TOTAL ENERGIES a été condamnée aux dépens et à payer des frais irrépétibles aux défenderesses.

– Somme allouée à GREENPEACE FRANCE : 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Somme allouée à la société FACTOR X THE CLIMATE CONSULTING GROUP : 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Somme des dépens allouée à la société TOTAL ENERGIES SE


Réglementation applicable

Voici la liste des articles des Codes cités dans le texte, ainsi que leur contenu :

– Article 54 du Code de procédure civile :
– « La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction.
La requête peut être formée conjointement par les parties.
A peine de nullité, la demande initiale mentionne :
[…] ;
2° L’objet de la demande ; […] »

– Article 56 du Code de procédure civile :
– « L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54 :
[…] ;
2° Un exposé des moyens en fait et en droit ; »

– Article 789 du Code de procédure civile :
– Cet article n’est pas reproduit dans le texte fourni, mais il est mentionné que la règle qu’il invoque ne concerne que les fins de non-recevoir et non les exceptions de procédure.

– Article 1240 du Code civil :
– « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

– Article L. 465-3-2 du Code monétaire et financier :
– « Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel. »

– Article 32-1 du Code de procédure civile :
– « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

– Article 700 du Code de procédure civile :
– Cet article n’est pas reproduit dans le texte fourni, mais il est mentionné que TOTAL ENERGIES sera condamnée à payer à chacune des parties défenderesses GREENPEACE et FACTOR-X la somme de 15.000 euros au titre de cet article.

Ces articles sont cités dans le contexte de la nullité de l’assignation de la société TOTAL ENERGIES SE, de la procédure abusive, et des autres demandes liées à cette affaire.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Maître Cyril PHILIBERT du PARTNERSHIP JONES DAY
– Maître Françoise LABROUSSE du PARTNERSHIP JONES DAY
– Me Quentin DE MARGERIE du Cabinet TEMIME
– Maître Michaël BENDAVID de l’ABPA AVOCATS
– Maître Margaux DURAND-POINCLOUX de l’ABPA AVOCATS

Mots clefs associés

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 3ème section

N° RG 23/06215 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZWMA

N° MINUTE : 3

Assignation du :
28 Avril 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 28 Mars 2024
DEMANDERESSE

Société TOTALENERGIES SE
[Adresse 7]
[Localité 5]

représentée par Maître Cyril PHILIBERT du PARTNERSHIP JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, avocats consttitué, vestiaire J0001, et Maître Françoise LABROUSSE et Maître Cyril PHILIBERT du PARTNERSHIP JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidants,

DEFENDERESSES

Association GREENPEACE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Quentin DE MARGERIE du Cabinet TEMIME, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C1537

Société FACTOR-X THE CLIMATE CONSULTING GROUP
[Adresse 3]
[Localité 2] (BELGIQUE)

représentée par Maître Michaël BENDAVID de l’ABPA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire R0258, et Maître Michaël BENDAVID et Maître Margaux DURAND-POINCLOUX de l’ABPA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidants

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Madame Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente

assistée de Monsieur Pierre-Louis MICHALAK, Greffier

DEBATS

A l’audience du 29 Février 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 28 Mars 2024 par mise à disposition au greffe.

ORDONNANCE

Prononcée en audience publique
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

La société TOTAL ENERGIES SE ci-après dénommée « TOTAL ENERGIES » est la holding de tête des sociétés du groupe TotalEnergies, ayant une activité de production et de fourniture d’énergies : pétrole et biocarburants, gaz naturel et gaz verts, renouvelables et électricité, ainsi que de matières de base pour la pétrochimie. Elle est cotée aux marchés Euronext [Localité 11], Euronext [Localité 6] et aux bourses de [Localité 9] ([Localité 8] Stock Exchange) et [Localité 10] ([Localité 10] Stock Exchange).

Créée en 1977, GREENPEACE FRANCE ci-après dénommée «GREENPEACE» est une association à but non lucratif régie par la loi 1901, dont l’objet est la protection de l’environnement. Elle est agréée au titre de la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, par arrêté du 15 mars 2019. Elle a été créée en 1977 et se présente comme une association militante affiliée à un «réseau international d’organisations indépendantes qui agissent selon les principes de non-violence pour protéger l’environnement, la biodiversité et promouvoir la paix».

La société FACTOR X THE CLIMATE CONSULTING GROUP, ci-après dénommée « FACTOR-X » est une société de droit belge fondée en 2007 dont l’activité consiste à accompagner des acteurs économiques et des collectivités publiques dans leurs efforts pour réduire leurs impacts environnementaux et dans leur volonté de se préparer aux circonstances résultantes de la destruction de l’environnement et de la raréfaction des ressources.

En novembre 2022, GREENPEACE a publié un rapport intitulé « Bilan carbone de TotalEnergies : le compte n’y est pas », ci-après dénommé « le Document ».

Par assignation en date du 28 avril 2023, TOTAL ENERGIES a engagé contre GREENPEACE et FACTOR-X une action civile sur le fondement des dispositions de l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier, qui prohibe la diffusion par toute personne d’informations fausses ou trompeuses sur une société cotée.

L’action engagée par TOTAL ENERGIES vise à faire juger que GREENPEACE et FACTOR-X ont engagé leur responsabilité civile en violant les dispositions du code monétaire et financier prohibant la diffusion au marché par toute personne d’informations fausses ou trompeuses sur une société cotée.

Par conclusions récapitulatives d’incident n°1 signifiées par RPVA en date du 26 janvier 2024, GREENPEACE demande au juge de la mise en état de:

“In limine litis,
PRONONCER la nullité de l’assignation délivrée le 28 avril 2023 par TOTALENERGIES SE à l’encontre de GREENPEACE FRANCE ;
En conséquence,
CONSTATER que le tribunal judiciaire de Paris n’est pas valablement saisi de l’action de TOTALENERGIES SE ;

Subsidiairement,
DECLARER IRRECEVABLE l’action de la société TOTALENERGIES SE à l’encontre de GREENPEACE FRANCE ;
En tout état de cause,
DEBOUTER TOTALENERGIES SE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER TOTALENERGIES SE à verser à GREENPEACE FRANCE la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive intentée à son encontre ;
CONDAMNER TOTALENERGIES SE à verser à GREENPEACE FRANCE la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.”

Par conclusions récapitulatives n°2 sur incident signifiées par RPVA en date du 1er février 2024, FACTOR-X demande au juge de la mise en état de:

“In limine litis,
ANNULER l’assignation délivrée par TotalEnergies à Factor X le 11 mai 2023 ;

Subsidiairement,
JUGER IRRECEVABLE l’action de TotalEnergies à l’encontre de Factor X ;

En tout état de cause,
CONDAMNER TotalEnergies à verser à Factor X la somme de 10 000 euros à Factor X pour légèreté blâmable dans l’exercice de son droit d’agir en justice, sauf à parfaire ;
CONDAMNER TotalEnergies à 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.”

GREENPEACE et FACTOR-X, ci-après dénomnées « les Défenderesses » demandent au juge de la mise en état de :

à titre liminaire, prononcer la nullité de l’assignation, en arguant :
d’une part, du fait que l’action de TOTAL ENERGIES devrait être requalifiée par le juge de la mise en état en une action en diffamation au titre de la loi de 1881, qui prévoit en son article 53 des conditions de validité de l’assignation, lesquelles ne seraient pas respectées en l’espèce;
d’autre part, du fait que l’assignation ne respecterait pas l’obligation de motivation prévue aux articles 54 et 56 du code de procédure civile;

à titre subsidiaire, déclarer irrecevables les demandes de TOTAL ENERGIES pour être atteintes par la prescription prévue à l’article 65 de la loi de 1881.

FACTOR-X ajoute par ailleurs que les demandes de TOTAL ENERGIES formées à son encontre devraient être déclarées irrecevables pour défaut de « qualité à défendre ».

Par conclusions en réponse sur incident n°2 signifiées par RPVA en date du 23 février 2024, TOTALENERGIES demande au juge de la mise en état de:

“REJETER l’exception de nullité résultant du non-respect des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
REJETER l’exception de nullité résultant du non-respect des articles 54 et 56 du Code de procédure civile ;
REJETER la fin de non-recevoir résultant du non-respect des dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
REJETER la fin de non-recevoir soulevée par Factor-X The Climate Consulting Group pour défaut de qualité à défendre ;

A titre subsidiaire :
RENVOYER l’affaire devant la formation de jugement afin qu’elle statue sur la question de fond relative au fait de savoir si l’action de TotalEnergies devait relever des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et sur la fin de non-recevoir résultant du non-respect des dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

En tout état de cause :
DEBOUTER Greenpeace France et Factor-X The Climate Consulting Group de l’intégralité de leurs demandes ;
CONDAMNER in solidum Greenpeace France et Factor-X The Climate Consulting Group à verser à TotalEnergies SE la somme de 2.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER in solidum Greenpeace France et Factor-X The Climate Consulting Group aux entiers dépens.”

Concernant l’exception de procédure tirée de ce que l’assignation serait nulle, TOTAL ENERGIES soutient que l’exception de procédure soulevée conduirait le juge de la mise en état à trancher une question de fond, en l’espèce le fait de savoir si son action aurait dû être fondée sur la loi de 1881, pouvoir qu’il ne détient pas en vertu des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile.

Elle expose que les faits visés dans l’assignation entrent pleinement dans le champ d’application du délit de l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier et sont susceptibles de valablement fonder une action en responsabilité devant le juge civil.

Concernant la prescription, TOTAL ENERGIES soutient qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état de trancher une question de fond l’amenant, en l’espèce, à se prononcer sur le bien-fondé de l’action.

Concernant la fin de non-recevoir tirée de la prétendue absence de qualité à défendre de FACTOR-X, TOTAL ENERGIES rétorque que celle-ci vise en réalité à contester le bien-fondé des demandes formées à son encontre et non leur recevabilité.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

L’incident a été appelé à l’audience du 29 février 2024, date à laquelle il a été plaidé et mis en délibéré au 28 mars 2024.

SUR CE

I. Sur la nullité de l’assignation de la société TOTAL ENERGIES SE soulevée in limine litis:

Aux termes de l’article 54 du code de procédure civile :
« La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction.
La requête peut être formée conjointement par les parties.

A peine de nullité, la demande initiale mentionne :
[…] ;
2° L’objet de la demande ; […] »

Aux termes de l’article 56 du code de procédure civile :
« L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54 :
[…] ;
2° Un exposé des moyens en fait et en droit ; »

Une assignation rédigée en des termes imprécis et n’identifiant pas les fautes reprochées est nulle dans la mesure où le défendeur n’est pas en mesure de saisir l’objet des prétentions qui lui sont opposées et donc de se défendre utilement.

Par ailleurs, l’assignation doit être suffisamment précise, sans que le défendeur n’ait à « rechercher dans les pièces » la teneur exacte des griefs qui lui sont faits.

La seule circonstance que, pour examiner la validité de l’assignation, le juge de la mise en état soit conduit à apprécier le fondement réel de la demande initiale n’implique pas, pour autant, de trancher le fond du litige en lieu et place du tribunal.

Dans tous les cas, c’est à tort que TOTAL ENERGIES soutient, au visa de l’article 789 du code de procédure civile, que le juge de la mise en état devrait renvoyer devant la formation de jugement l’examen de la demande d’annulation de l’assignation, alors que la règle qu’elle invoque ne concerne que les fins de non-recevoir et non les exceptions de procédure.

Au cas présent, l’action de TOTAL ENERGIES est une action en responsabilité délictuelle fondée sur l’article 1240 du code civil dont la faute reprochée est constituée par la violation de l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier.

Aux termes de cet article 465-3-2 du code monétaire et financier: « Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel. »

Au cas présent, concernant les faits dénoncés, TOTAL ENERGIES estime qu’en publiant le Document, GREENPEACE et FACTOR-X ont propagé des informations fausses et trompeuses portant sur ses déclarations d’émissions de GES (gaz à effet de serre) figurant dans son DEU (Document d’Enregistrement Universel) de 2019 et sa déclaration de performance extra-financière. Elle considère que ces informations fausses ou trompeuses sont relatives à sa « situation » au sens de l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier ci-dessus rappelé.

Elle prétend que cette notion de « situation » recouvrirait tout à la fois les « informations d’ordre financier qui sont susceptibles d’avoir une influence sur le marché », celles « d’ordre juridique, qui bien que n’ayant pas forcément d’incidence financière directe, sont prises en compte par les investisseurs » et enfin même celles « d’ordre technique ou commercial, soit des informations examinées par les investisseurs, et les opérateurs réalisées par l’émetteur dont le succès/l’échec peut faire dépendre l’adhésion des investisseurs ».

Si l’on se reporte à la rédaction de l’assignation de TOTAL ENERGIES, ressortent dans les écritures, les points suivants qui peuvent être considérés comme les faits reprochés aux défenderesses :

“Concernant les émissions directes de scope 1 de TotalEnergies, les Défenderesses les chiffrent à plus de 161 Mt CO2e pour l’année 2019, soit un chiffre entre 3 et 4 fois supérieur à celui rapporté par TotalEnergies, qui est de l’ordre de 55 Mt CO2e en périmètre patrimonial (41 Mt CO2e en périmètre opéré). Cette surestimation de 106 Mt résulte d’erreurs méthodologiques grossières, méconnaissant les référentiels et méthodologies officiels du GHG Protocol, de l’IPIECA mais aussi de l’ADEME. (…)

Concernant les émissions indirectes de scope 3, c’est-à-dire essentiellement les émissions résultant de l’utilisation (donnant lieu à combustion) par des tiers des produits de la Compagnie TotalEnergies, le chiffrage des Défenderesses desdites émissions est de plus de 1477 Mt CO2e, soit trois à quatre fois plus que les quantités d’émissions rapportées par TotalEnergies en 2019, de l’ordre de 410 Mt CO2e. (…)

Le Document contient de très nombreuses données et présentations faussées , avec pour information essentielle, fausse et trompeuse, information très largement relayée par les média, la recomptabilisation des émissions de GES de TotalEnergies dans des proportions près de 4 fois supérieures à celles déclarées par TotalEnergies. (…)

Cette affirmation repose pour partie sur la présentation trompeuse et les erreurs grossières commises par les Défenderesses au titre de leur prétendue recomptabilisation des émissions directes de scope 1 de la Compagnie pour l’année 2019, qui les a conduit à lui attribuer des émissions directes de scope 1 entre 3 et 4 fois supérieures à celles déclarées dans son DEU et sa déclaration de performance extra-financière. (…)

Greenpeace et Factor-X ont procédé, non pas à la recomptabilisation des émissions de scope 1 de TotalEnergies pour l’année 2019, mais ont utilisé des facteurs d’émissions génériques portant sur les émissions produites tout au long du cycle de vie des produits vendus in fine par la Compagnie TotalEnergies, c’est-à-dire des émissions générées de leur production à leur élimination finale, ce cycle pouvant se produire sur plusieurs années.(…)

Greenpeace et Factor-X ont donc choisi de s’écarter des référentiels et méthodologies officiels pour établir leur propre méthodologie impliquant le détournement de facteurs d’émissions inadaptés et sortis de leur contexte, induisant des approximations et doubles comptages, sans aucune vérification de cohérence, dans le but manifeste de grossir
artificiellement les émissions de scope 1 de TotalEnergies, et ce faisant, de décrédibiliser ses publications et sa situation aux yeux de ses investisseurs. (…)

Le Document contient également une information fausse et trompeuse en ce qu’il mentionne le fait que « Factor-X est […] certifié Bilan Carbone® par l’ADEME et formateurs à la méthodologie ». (…)

Le Document contient des « erreurs » grossières conduisant à une surévaluation massive des émissions de GES de la Compagnie TotalEnergies. Il en va ainsi, pour mémoire, des double et triple comptages, des erreurs de périmètre imputant notamment des émissions de scope 3 dans le scope 1, et du cumul artificiel d’émissions en cas de succession d’achats-ventes d’un même volume physique de produit qui pourtant ne sera brûlé qu’une seule fois.”

Dans le dispositif sur lequel le tribunal doit se prononcer, la demande est la suivante:

« Condamnation par le tribunal judiciaire de Paris pour diffusion d’informations fausses et trompeuses au préjudice de TotalEnergies », assorti d’un lien activable vers le jugement complet et accompagné du message suivant : « Le document intitulé « Bilan carbone de TotalEnergies : le compte n’y est pas » de Greenpeace et Factor X contient des informations fausses et trompeuses, notamment le fait que TotalEnergies émettrait près de 4 fois plus de CO2e que ce qu’elle a déclaré dans son document d’enregistrement universel 2019. »

Il s’en déduit que TOTAL ENERGIES sollicite la condamnation des défenderesses:
– pour diffusion d’informations fausses et trompeuses,
– notamment le fait que TotalEnergies émettrait près de 4 fois plus de CO2e.

Cependant, aucune précision n’est apportée en ce qui concerne la définition des autres informations fausses et trompeuses.

En se référant aux passages de l’assignation ci-dessus repris, il n’apparait pas possible de définir et lister de manière claire et précise les « informations fausses et trompeuses  » dont il s’agit.

TOTAL ENERGIES se contente de mettre en avant certaines des «multiples» erreurs qu’aurait commises GREENPEACE; ces « fautes » sont formulées en des termes imprécis, tout en indiquant à plusieurs reprises que les « informations fausses ou trompeuses » qu’elle relève, ne sont pas exhaustives; enfin il est régulièrement renvoyé, les concernant, au rapport du cabinet FTI Consulting.

Par exemple, il est mentionné :« A cet égard, le rapport FTI relève que la surestimation des émissions de GES de TotalEnergies pour l’année 2019 par les défenderesses dans le Document résulte notamment d’ erreurs de périmètre : FACTOR-X et GREENPEACE ont comptabilisé dans le scope 1 des émissions indirectes relevant du scope 3 (par exemple catégorie 1 : achats ; catégorie 4 : transport amont hors flottes en propre. »

Si certains éléments du rapport FTI Consulting sont ainsi mis en avant par TOTAL ENERGIES et si GREENPEACE peut comprendre le grief général qui lui est fait, à savoir « imputer à TOTAL ENERGIES une sous-déclaration de la quantité de ses émissions de gaz à effet de serre », elle ne peut être en mesure, à la lecture de l’assignation, de connaître avec exactitude la liste précise de chacune des informations dont TOTAL ENERGIES considère qu’elles sont fausses ou trompeuses.

L’imprécision de l’assignation porte non seulement sur les informations visées, mais encore sur les supports de diffusion de celles-ci.

En effet, TOTAL ENERGIES reproche ainsi que le rapport « ait été diffusé sur le site internet de GREENPEACE et ait été largement relayé sur les réseaux sociaux ».

Cependant, elle n’a pas identifié les sites internet auxquels elle fait référence, le terme « réseaux sociaux » étant large, ni les comptes à partir desquels les publications litigieuses auraient été diffusées.

Concernant cette question de diffusion par FACTOR-X, la soi-disant atteinte à la réputation de TOTAL ENERGIES n’a pu être faite qu’à travers un « support de l’écrit », en l’occurrence diffusé par « tout moyen de communication au public par voie électronique ».

La encore, la lecture de l’assignation ne permet pas à FACTOR- X de comprendre la teneur exacte des faits qui lui sont reprochés, si c’est le fait d’avoir diffusé le rapport, si cela concerne des supports de diffusion.
Si l’assignation contient un sous-titre baptisé « Sur la diffusion publique d’informations par les Défenderesses », il ressort de son contenu que : «… le Document a été diffusé sur le site internet de Greenpeace et a été largement relayé sur les réseaux sociaux, y compris par Factor-X», sans la moindre précision.

De même, il n’est pas indiqué dans le dispositif de l’assignation, le ou les actes de diffusion reprochés.

Il est simplement sollicité la suppression de toute référence au document « Bilan Carbone de TotalEnergies : le compte n’y est pas » de toute communication afférente sur ses réseaux sociaux, notamment LinkedIn [https://[Courriel 12]], ce qui est insuffisamment précis pour comprendre les fautes reprochées.

Le défaut de précisions cause nécessairement grief aux défenderesses qui, ne disposant pas d’une liste précise et exhaustive des informations prétendument fausses ou trompeuses faisant l’objet de l’action en justice de TOTAL ENERGIES, ne peuvent se défendre utilement sur le fond.
En conséquence, le juge de la mise en état prononcera la nullité de l’assignation délivrée par TOTAL ENERGIES, sans qu’il soit besoin d’analyser les autres moyens soulevés.

II. Sur la procédure abusive:

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile:

« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

Par ailleurs, aux termes de l’article 1240 du code civil:
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

L’exercice d’une action en justice, de même que la défense d’une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pour donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

Au cas présent, GREENPEACE et FACTOR-X soutiennent que l’assignation de TOTAL ENERGIES aurait pour objet de « museler le débat public » en contournant la loi de 1881, que cela constituerait une tentative d’intimidation et de détournement des conditions «impératives» de cette loi de 1881 et constituerait une « procédure bâillon ».

Cependant, pour qu’il y ait abus, il convient de le définir et de le caractériser, or, au cas présent, GREENPEACE et FACTOR-X se contentent d’évoquer les allégations ci-dessus reprises sans définir quelles auraient été les fautes commises par TOTAL ENERGIES dans son droit d’ester en justice.

En conséquence, le juge de la mise en état rejetera les demandes de condamnation de TOTAL ENERGIES pour procédure abusive.

III. Sur les autres demandes:

TOTAL ENERGIES qui succombe, sera condamnée aux dépens.

Par ailleurs, il apparait inéquitable de laisser à la charge de GREENPEACE et FACTOR-X les frais irrépétibles de la présente instance.

En conséquence, TOTAL ENERGIES sera condamnée à payer à chacune des parties défenderesses GREENPEACE et FACTOR-X la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire, en premier ressort, publiquement et par mise à disposition au greffe,

PRONONCE la nullité de l’assignation délivrée le 28 avril 2023 par la société TOTAL ENERGIES SE à l’encontre de GREENPEACE FRANCE et la société FACTOR X THE CLIMATE CONSULTING GROUP;

CONDAMNE la société TOTAL ENERGIES SE aux dépens ;

CONDAMNE la société TOTAL ENERGIES SE à verser à chacune des défenderesses GREENPEACE FRANCE et la société FACTOR X THE CLIMATE CONSULTING GROUP la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE GREENPEACE FRANCE et la société FACTOR X THE CLIMATE CONSULTING GROUP de leur demande de dommages-intérêts.

Faite et rendue à Paris le 28 Mars 2024

Le GreffierLe Juge de la mise en état

 

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Scroll to Top