En matière de rupture de relations commerciales, la durée du préavis doit s’apprécier en tenant compte de la durée des relations commerciales ainsi que des circonstances existant au moment de la rupture, telles que la nature de l’activité exercée, le volume d’affaires généré et les investissements qui auraient pu être nécessaires et qui ne seraient pas encore amortis.
Une modification tarifaire unilatérale du prestataire (hausse de 13%) ne libère pas le client de son obligation de notifier un préavis écrit conformément à l’article L 442-6-1 5°du code de commerce. En effet, si cet article prévoit que ses dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, il n’est pas démontré que la société (BDO Production) qui s’est bornée à augmenter ses tarifs de 13%, aurait commis une faute suffisamment grave pour justifier une rupture des relations sans préavis; |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne un litige entre la société BDO Production et les sociétés du groupe SwissLife en France. BDO Production a assigné les sociétés SwissLife en justice pour rupture brutale de la relation commerciale établie, demandant des dommages-intérêts et le paiement de factures impayées. Le tribunal de commerce de Paris a débouté BDO Production de ses demandes et condamné cette dernière aux dépens. BDO Production a fait appel de cette décision, demandant à la cour de reconnaître la responsabilité des sociétés SwissLife et de les condamner à payer des dommages-intérêts. Les sociétés SwissLife, de leur côté, demandent à la cour de confirmer le jugement de première instance et de condamner BDO Production à payer des indemnités pour procédure abusive. L’affaire est en attente de jugement en appel.
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→ Les points essentielsLes montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier:
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→ Mots clefs associés & définitions |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/01320
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 22 MAI 2024
(n°88 , 16 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/01320 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFB4I
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Décembre 2021 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre – RG n° 2019070810
APPELANTE
S.A.R.L. BDO PRODUCTION prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le numéro 530 705 797
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Matthieu Boccon Gibod de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477
assistée de Me Emmanuel Bouttier de la SELEURL BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de Paris
INTIMEES
S.A. SWISSLIFE ASSURANCE ET PATRIMOINE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 341 785 632
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A. SWISSLIFE PREVOYANCE ET SANTE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 322 215 021
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A. SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 391 277 878
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Nathalie Lesenechal, avocat au barreau de Paris, toque : D2090
assistée de Me Eric Bourdot de la SELARL RESONANCES, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4
Madame Sophie Depelley, conseillère
Monsieur Julien Richaud, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Carole Trejaut
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4 et par Madame Najma El Farissi, greffière, présente lors de la mise à disposition.
Le 15 mai 2007, la société SwissLife Assurance et Patrimoine, agissant pour son compte et celui des différentes entités constituant le groupe SwissLife en France, a conclu une convention de partenariat avec « BDO-Productions », immatriculée au Registre du Commerce sous le n° 393020375 RC Paris, siège [Adresse 4] »; ce contrat avait pour objet de définir les modalités de fonctionnement entre SwissLife et le fournisseur pour l’exécution de prestations de service en vue de son référencement comme imprimeur auprès de SwissLife.
Le n° de RCS désignant « BDO Productions » dans cette convention correspond en réalité à celui de la société Foncière BDO, qui avait été créée en 1993, avec pour gérant M. [N] et comme activité le négoce de papiers imprimés outre l’acquisition et la gestion de biens immobiliers.
Des relations commerciales se sont nouées entre ces deux sociétés; un avenant à la convention de partenariat sera signé le 20 décembre 2013.
Entretemps, le 8 mars 2011, la société BDO Production a été immatriculée au RC [Localité 6] sous le n°530 705 797, avec comme activité le négoce de papiers imprimés, son siège social étant fixé au [Adresse 1] et son gérant étant M. [N].
La société Foncière BDO a donné en location gérance à la société BDO Production la partie de son fonds de commerce « négoce de papiers imprimés » à compter du 1er septembre 2011; puis le 31 décembre 2013, elle lui a cédé les éléments d’actifs liés à son activité de négoce de papiers imprimés.
Par lettre du 25 mars 2019 qui mentionne en objet « rupture des relations commerciales » et porte en bas de page les références de la société BDO Production, M. [N] a informé SwissLife qu’il prenait acte de sa décision de mettre fin, sans délai, à leur relation commerciale établie depuis plus de 20 ans et lui a demandé l’indemnisation de son préjudice.
Par lettre de son conseil du 4 juin 2019, la société BDO Production a adressé à la société SwissLife Assurance et Patrimoine une mise en demeure aux fins d’obtenir réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale des relations.
Puis, le 30 septembre 2019, la société BDO Production a mis en demeure la société SwissLife Prévoyance et Santé de lui payer la somme de 12.960 €, montant de 2 factures non réglées des 12 mars 2019 et 3 juin 2019.
N’obtenant pas satisfaction, elle a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 15 novembre 2019, a dit n’y avoir lieu à référé sur sa demande de paiement de la somme de 12.960 € à titre provisionnel
C’est dans ces circonstances que, le 17 décembre 2019, la société BDO Production a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris la société SwissLive Assurance et Patrimoine, la société SwissLife Prévoyance et Santé ainsi que la société SwissLife Assurances de Biens pour obtenir leur condamnation à lui payer des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie, outre le paiement de factures .
Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
– débouté la société BDO Production de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société SwissLife Assurance et Patrimoine, la société SwissLife Prévoyance et Santé ainsi que la société SwissLife Assurances de Biens de leur demande indemnitaire pour procédure abusive,
– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
– condamné la société BDO Production aux dépens.
La société BDO Production a relevé appel par deux déclarations au greffe du 12 janvier 2022.
Les procédures inscrites au rôle sous les numéros 22/01320 et 22/01321 ont été jointes par ordonnance du 1er mars 2022 pour se poursuivre sous le numéro 22/01320.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 14 février 2024, la société BDO Production demande à la cour, au visa des articles L 442-6-1 5°, 441-10 et L 442-1,II du code de commerce ainsi que des articles 1103,1217, 1231-1 et 1240 du code civil, de la déclarer recevable et fondée en son appel, y faisant droit :
1) d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– débouté BDO Production de l’ensemble de ses demandes,
– débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu’il déboute BDO Production de ses demandes,
– condamné BDO Production aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,25 € dont 19,16 € de TVA,
2) et statuant à nouveau, de :
a) si la cour venait à retenir la responsabilité in solidum des entités SwissLife :
– à titre principal :
* juger que les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, en rompant sans préavis la relation commerciale établie avec la société BDO Production, ont engagé leur responsabilité,
* juger que la relation commerciale entre entre la société BDO Production et les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens a démarré en 2004 et a pris fin brutalement en 2019,
* fixer le préavis dont aurait dû bénéficier la société BDO Production dans le cadre de la rupture brutale de la relation commerciale établie à 48 mois, et à tout le moins à 24 mois,
* condamner in solidum les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, faute de préavis écrit et de délai raisonnable, à payer à la société BDO Production la somme de 385.525 € , et 192.762 € pour un préavis de 24 mois,
– à titre subsidiaire :
* juger que la relation commerciale entre la société BDO Production et les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens a démarré en 2011 et a pris fin brutalement en 2019,
* fixer le préavis dont aurait dû bénéficier la société BDO Production dans le cadre de la rupture de la relation commerciale à 16 mois et, à tout le moins, à 8 mois,
* condamner in solidum les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, faute de préavis écrit et de délai raisonnable, à payer respectivement à la société BDO Production la somme de 128.508 € faute d’avoir respecté un préavis écrit de 16 mois au titre de produits sous marque distributeur et 64.254 € faute d’avoir respecté un préavis écrit de 8 mois dans la rupture de leurs relations commerciales avec la société BDO Production,
– en tout état de cause, condamner in solidum les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens à payer à la société BDO Production :
* la somme de 20.000 € au titre de la désorganisation de l’entreprise,
* la somme de 20.000 € au titre du traitement de la présente procédure contentieuse,
* la somme de 10.000 € au titre du préjudice moral,
* la somme de 8.640 € en paiement des 800.000 exemplaires de papier en-tête SwissLife demeurés en stock,
b) si la cour venait à écarter la responsabilité in solidum des sociétés SwissLife :
– à titre principal :
* juger que les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, en rompant sans préavis écrit la relation commerciale établie avec la société BDO Production, ont engagé leur responsabilité,
* juger que la relation commerciale entre la société BDO Production et les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens a démarré en 2004 et a pris fin brutalement en 2019,
* fixer le préavis dont aurait dû bénéficier la société BDO Production dans le cadre de la rupture de la relation commerciale établie à 48 mois et, à tout le moins, à 24 mois,
* condamner la société SwissLife Prévoyance et Santé à payer à la société BDO Production la somme de 252.673 € pour un préavis de 48 mois et 126.336,21 € pour un préavis de 24 mois,
* condamner la société SwissLife Assurance et Patrimoine à payer à la société BDO Production la somme de 94.800,60 € pour un préavis de 48 mois et 47.400,18 € pour un préavis de 24 mois,
* condamner la société SwissLife Assurances de Biens à payer à la société BDO Production la somme de 38.051,32 € pour un préavis de 48 mois et 19.025,61 € pour un préavis de 24 mois,
– à titre subsidiaire ;
* juger que la relation commerciale entre la société BDO Production et la sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de biens a démarré en 2011 et a pris fin brutalement en 2019,
* fixer le préavis dont aurait dû bénéficier la société BDO Production dans le cadre de la rupture de la relation commerciale établie à 16 mois et, à tout le moins, à 8 mois,
* condamner la société SwissLife Prévoyance et Santé à payer à la société BDO Production la somme de 84.224 € pour un préavis de 16 mois et 42.112,07 € pour un préavis de 8 mois,
* condamner la société SwissLife Assurance et Patrimoine à payer à la société BDO Production la somme de 31.600,12 € pour un préavis de 16 mois et 15.800,06 € pour un préavis de 8 mois,
* condamner la société SwissLife Assurances de Biens à payer à la société BDO Production la somme de 12.683,74 € pour un préavis de 16 mois et 6.341,87 € pour un préavis de 8 mois,
– en tout état de cause :
* juger que les trois sociétés SwissLife ont causé un préjudice à la société BDO Production au titre de la désorganisation de l’entreprise et condamner :
* la société SwissLife Prévoyance et Santé à régler à la société BDO Production la somme de 13.108 €,
* la société SwissLife Assurance et Prévoyance à régler à la société BDO Production la somme de 4.918 €,
* la société SwissLife Assurances de Biens à régler à la société BDO Production la somme de 1.974 €,
* juger que les trois sociétés SwissLife ont causé un préjudice à la société BDO Production au titre du temps consacré au traitement de la présente procédure contentieuse et condamner :
* la société SwissLife Prévoyance et Santé à régler à la société BDO Production la somme de 13.108 €,
* la société SwissLife Assurance et Patrimoine à régler à la société BDO Production la somme de 4.918 €,
* la société SwissLife Assurances de Biens à régler à la société BDO Production la somme de 1.974 €,
* juger que les trois sociétés SwissLife ont causé un préjudice moral à la société BDO Production et condamner :
* la société SwissLife Prévoyance et Santé à régler à la société BDO Production la somme de 6.654 €,
* la société SwissLife Assurance et Patrimoine à régler à la société BDO Production la somme de 2.459 €,
* la société SwissLife Assurances de Biens à régler à la société BDO Production la somme de 987 €,
* juger que les trois sociétés SwissLife devront payer à la société BDO Production la somme de 8.640 € en paiement des 800.000 exemplaires de papier en-tête SwissLife demeurés en stock, répartie comme suit : condamner :
* la société SwissLife prévoyance et Santé à régler à la société BDO Production la somme de 5.668,55 €,
* la société SwissLife Assurance et Patrimoine à régler à la société BDO Production la somme de 2.126,79 € ,
* la société SwissLife Assurances de Biens à régler à la société BDO Production la somme de 853 €,
3) en tout état de cause, de :
– condamner la société SwissLife Prévoyance et Santé à payer à la société BDO Production la somme de 12.960 €, en paiement de ses factures n° 6300 et 6.321, cette somme étant assortie des pénalités de retard dues depuis leur date d’émission au taux de 10 %, soit la somme de 1.335,06 €, ainsi que de l’anatocisme,
– enjoindre les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens de prendre possession des 800.000 exemplaires de papier en-tête SwissLife demeurés en stock, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– débouter les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens de toute demande autre, plus ample ou contraire au présent dispositif,
– condamner les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, chacune, à verser une somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel et dire que ceux d’appel seront recouvrés par Me Boccon Gibod du cabinet Lexavoué [Localité 6] Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 1er février 2024, la société SwissLife Assurance et Patrimoine, la société SwissLife Prévoyance et Santé et la société SwissLife Assurances de Biens demandent à la cour, au visa des articles 32, 32-1 et 122 du code de procédure civile ainsi que de l’article L 442-1 du code de commerce : de les recevoir en leurs demandes, fins et conclusions ainsi qu’en leur appel incident, les dire bien fondées et :
1) à titre liminaire :
– confirmer le jugement en ce qu’il a écarté des débats les pièces n° 3, 21, 26, 43 et 48 produites par la société BDO Production et écarter à nouveau ces pièces à nouveau produites par la société BDO Production dans l’instance d’appel,
– constater que BDO Production a tenté de tromper SwissLife et la cour d’appel et ordonner la transmission de la copie de ces pièces de la procédure au procureur de la République pour qu’il apprécie des suites à y donner,
2) à titre principal :
– réformer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable les demandes de BDO Production formulées in solidum à l’encontre de la société SwissLife Assurance et Patrimoine, de la société SwissLife Prévoyance et Santé et de la société SwissLife Assurances de Biens,
et, statuant à nouveau, déclarer irrecevables l’intégralité des demandes de la société BDO Production formulées indistinctement et in solidum à l’encontre de la société SwissLife Assurance et Patrimoine, de la société SwissLife Prévoyance et Santé et de la société SwissLife Assurances de Biens,
– subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour déclarerait recevables les demandes de BDO Production, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
3) en tout état de cause :
– débouter BDO Production de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté la société SwissLife Assurance et Patrimoine, la société SwissLife Prévoyance et Santé et la société SwissLife Assurances de biens de leurs demandes au titre de la procédure abusive de première instance,
et, statuant à nouveau, condamner BDO Production à payer à chacune d’elles la somme de 10.000 € en réparation de leur préjudice découlant du caractère abusif de la procédure de première instance,
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté la société SwissLife Assurance et Patrimoine, la société SwissLife Prévoyance et Santé et la société SwissLife Assurances de Biens de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile relatifs à la première instance,
et, statuant à nouveau, condamner BDO Production à payer à chacune d’elles une indemnité de procédure de première instance de 10.000 €,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la sarl BDO Production aux dépens liquidés à la somme de 116,25 €,
– y ajoutant, condamner BDO Production à payer à la société SwissLife Assurance et Patrimoine, à la société SwissLife Prévoyance et Santé et à la société SwissLife Assurances de Biens, chacune :
* la somme de 10.000 € en réparation de leur préjudice découlant du caractère abusif de l’instance d’appel,
* la somme de 10.000 € au titre des frais d’article 700 du code de procédure civile relatifs à l’instance d’appel,
– condamner la sarl BDO Production aux entiers dépens de l’instance d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
1) Sur les demandes liminaires des sociétés SwissLife :
a) Sur les pièces que les sociétés SwissLife demandent à voir écarter des débats, à savoir les pièces n° 3, 21, 26, 43 et 48 produites par la société BDO Production :
Le jugement ne peut être confirmé en ce qu’il aurait écarté ces pièces puisqu’il ne comporte aucune mention en ce sens dans son dispositif.
Les sociétés SwissLife demandent que soient écartés des débats ces pièces produites dans la procédure d’appel, à savoir :
– la pièce adverse n° 3, correspondant à la lettre du 25 mars 2019 de M. [N], qui détaille les chiffres d’affaires qu’il aurait réalisés avec SwissLife sur les années 2007 à 2018,
– la pièce adverse n° 21, en ce que Mme [H], expert-comptable, présidente de la société d’expertise comptable Experto, détaille le chiffre d’affaires prétendument réalisé par la société BDO Production de 2007 à 2018,
– la pièce adverse n° 26, en ce que la société d’expertise comptable Experco atteste que la société BDO Production aurait réalisé un chiffre d’affaires pour les années 2004 à 2010 qu’elle précise,
– la pièce adverse n° 43, en ce que la société d’expertise comptable Experco atteste avoir passé un certain nombre d’heures pour le désarchivage et la préparation des documents couvrant les périodes de mars 2004 à avril 2019 pour la société BDO Production,
– la pièce adverse n° 48, dénommé « tableau récapitulatif les chiffres d’affaires par filiales » qui rappellent de nouveau sans discontinuer les chiffres d’affaires qui auraient été réalisés par la société BDO Production avec les sociétés SwissLife.
Au soutien de leur demande, les sociétés SwissLife exposent, pour l’essentiel :
– que les informations qui y sont contenues sont fausses et mensongères, la société BDO Production ne pouvant se prévaloir d’une relation commerciale établie avec elles depuis 20 ans, alors qu’elle n’a d’existence légale que depuis le 24 janvier 2011, date déclarée au greffe du tribunal de commerce comme étant celle de son début d’activité,
– que la société BDO Production a menti et ment toujours sur la réalité de son chiffre d’affaires en s’appropriant – sur une période bien définie et en s’appuyant sur de fausses attestations – celui généré par la société Foncière BDO,
– que cet amalgame lui permettait d’éviter de répondre à la question de savoir si, en sa qualité de cessionnaire, elle était fondée à se prévaloir de l’ancienneté de la relation commerciale existant antérieurement entre le cédant, la société Foncière BDO, et les sociétés SwissLife.
La société BDO Production fait valoir :
– que la cession du fonds de commerce par la société Foncière BDO à son profit justifie sa revendication d’une relation commerciale ancienne de 20 ans,
– que la plainte déposée le 1er juillet 2021 par les sociétés SwissLife pour faux concernant les pièces visées ci-dessus a fait l’objet d’une décision de classement sans suite le 19 décembre 2023 qui indique » Les faits dénoncés ou révélés dans le cadre de cette procédure ne sont pas punis par un texte pénal »,
– que de l’enquête et des auditions, il apparaît clairement que les éléments et attestations produits correspondaient à la réalité des relations commerciales de BDO Production avec les entités SwissLife et ne pouvaient être qualifiées de faux,
– que la procédure pénale a conclu à l’authenticité des attestations produites.
Réponse de la cour
Il apparaît que dans leur rapport daté du 7 mars 2023 établi suite à la plainte pénale déposée par les sociétés SwissLife, les services de police indiquent :
– que leurs constations permettaient d’établir la confusion entre les deux sociétés Foncière BDO et BDO Production gérées successivement par M. [N],
– que M. [N], dont les déclarations sont confortées par celles de sa comptable Mme [H], explique qu’il avait créé « BDO Production » en 1993 (RCS 393 020 375) pour exercer l’activité d’imprimerie, que cette société ayant ensuite acquis des biens immobiliers – ce qui ne faisait pas partie de son objet social – il avait été décidé en 2011 de scinder son activité : l’activité immobilière étant laissée sur la société BDO Production renommée pour l’occasion Foncière BDO et une nouvelle société BDO Production étant créée pour l’imprimerie (RCS 530 705 797),
– que si une confusion existait entre les deux sociétés gérées par M. [N], il semblerait qu’il s’agisse de l’étourderie d’un homme dirigeant seul son entreprise sans volonté de tromperie,
– que si en fait la société BDO Production ayant changé de personnalité juridique ne pouvait prétendre reprendre à son compte une relation commerciale avec SwissLife initiée par son ainée, c’est de bonne foi que M. [N] soutenait une relation commerciale établie de très longue date.
La cour constate qu’aucune intention de tromper n’est caractérisée non plus dans la présente procédure, les pièces incriminées n’étant produites que dans la croyance par la société BDO Production, sans mauvaise foi établie de sa part, de la poursuite de relations commerciales établies depuis 2004; leur véracité dépend de l’appréciation qui doit être faite sur le point de départ de ces relations avec la société Foncière BDO et leur poursuite ou non avec la société BDO Production; il n’y a donc pas lieu de les écarter des débats et le jugement entrepris sera infirmé en conséquence.
b) Sur la demande de transmission de la copie des pièces au procureur de la République :
Vu la décision de classement sans suite prise par ce magistrat le 19 décembre 2023 et en l’absence d’éléments nouveaux, il ne sera pas fait droit à cette demande.
2) Sur la recevabilité et le bien fondé des demandes formulées in solidum par la société BDO Production :
Pour conclure à leur irrecevabilité, les sociétés SwissLife soutiennent :
– qu’une condamnation in solidum ne peut être ordonnée que lorsque les débiteurs ont contracté une obligation pour le tout, commune et indivisible
– qu’ayant des personnalités juridiques distinctes, sans aucun lien de droit entre elles, chacune d’elles ne peut être responsable que de ses relations contractuelles conclues avec Foncière BDO, puis « clandestinement » avec BDO Production,
– que l’article 32 du code de procédure civile dispose : « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir »,
– que l’article 122 du code de procédure civile précise que « constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité »,
– que la centralisation des achats de papier auprès de M. [O] est une décision interne au groupe SwissLife et ne dispense pas d’établir l’existence d’une relation d’affaires avec chacune des trois sociétés Swiss Assurance et Patrimoine, SwissLife Santé et Prévoyance et SwissLife Assurances de Biens.
La société BDO Production réplique :
– que la jurisprudence admet que plusieurs débiteurs soient condamnés in solidum en dépit de l’existence de contrats distincts et, à l’inverse, que la responsabilité in solidum puisse jouer alors même que les obligations méconnues procèdent d’un seul et même contrat dans la mesure où des fautes commises par les débiteurs ont concouru à la réalisation de l’entier dommage,
– qu’en l’espèce, un seul contrat a été signé avec la société SwissLife Assurance et Patrimoine mais que l’ensemble des prestations réalisées avec les autres entités SwissLife s’inscrivaient dans le sillage de ce contrat, les commandes étant passées par le biais de M. [O] du « service imprimerie » de « SwissLife » sans autre précision,
– qu’il n’est pas possible de distinguer concrètement laquelle des entités SwissLife a pris la décision de cesser les relations,
– qu’il s’agit là d’une décision collective de nature à engager leur responsabilité in solidum.
Réponse de la cour
La cour constate que pour se prévaloir de l’irrecevabilité de la demande, les sociétés SwissLife exposent ne pouvoir être tenues in solidum au paiement des dommages-intérêts réclamés.
La société BDO Production, qui invoque des relations commerciales établies avec elles trois, est recevable en sa demande de condamnation in solidum, sans préjudice du sort à donner à celle-ci, dépendant de l’analyse au fond des relations ayant existé entre les parties.
La demande de la société BDO étant déclarée recevable, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande adverse à ce titre et il convient d’examiner son bien-fondé.
3) Sur le bien-fondé ou non de la demande de condamnation in solidum des sociétés SwissLife :
Les factures de la société BDO Production mentionnaient clairement laquelle des trois sociétés SwissLife en était débitrice.
Chacune de ces sociétés a une personnalité morale propre et aucun lien de droit n’est démontré entre elles.
Il importe peu que les commandes aient été centralisées dans un service commun SwissLife, cette circonstance n’étant pas de nature à crééer une obligation in solidum.
La société BDO Production ayant entretenu des relations commerciales distinctes avec chacune des trois sociétés SwissLife et ne démontrant pas que leurs fautes éventuelles ont concouru à la réalisation de son entier dommage, sa demande de condamnation in solidum doit être rejetée.
4) Sur les demandes formées à l’encontre de chacune des sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens :
a) Sur la durée des relations commerciales :
Moyens des parties
La société BDO Production prétend que les relations commerciales ont débuté en mars 2004, et subsidiairement en 2011, pour être brutalement rompues en 2019 ; elle fait valoir qu’en sa qualité de cessionnaire du fonds de commerce de la société Foncière BDO, elle peut se prévaloir de leurs poursuites ; elle en veut pour preuve :
– que la relation s’est poursuivie sans interruption,
– que l’acte de cession du fonds de commerce prévoyait expressément que les éléments cédés incluaient la clientèle et le fichier de la clientèle du fonds,
– que la relation s’est poursuivie sur les mêmes prestations, aux mêmes tarifs et selon les mêmes modalités de paiement et de livraison mises en oeuvre depuis 20 ans, étant précisé que dans le cadre de l’enquête pénale, M. [O] responsable du service imprimerie de SwissLife et son successeur M. [T] ont confirmé que la relation d’affaires établie avec la société BDO Production avait débuté en 1999,
– que la relation s’est exercée exclusivement entre les mêmes intervenants, M. [N] et M. [O], pendant toute la durée de la relation commerciale.
La société BDO Production ajoute que les entités SwissLife étaient informées de la poursuite de la relation commerciale avec la société BDO Production et l’ont entérinée ; elle invoque en ce sens :
– la mention sur l’extrait Kbis de la société Foncière BDO de la mise en location-gérance de son activité au profit de BDO Production et la publication au BODACC de l’acte de cession du fonds le 12 septembre 2014,
– les factures qui mentionnaient le RCS de la société BDO Production dès septembre 2011,
– l’accord de participation du 2 mars 2017, rédigé par SwissLife qui mentionne expressément la société BDO Production avec son numéro d’immatriculation au RCS.
Les sociétés SwissLife contestent ces prétentions aux motifs :
– que la société BDO Production, simple acquéreur du fonds de commerce de la société Foncière BDO ne peut se prévaloir à leur encontre de la durée de la relation commerciale initialement nouée avec la cédante,
– que tout au plus, cette société ne pourrait prétendre qu’à une relation commerciale de 2 années, entre la cession du fonds de commerce (2014) et la date alléguée comme étant celle d’une rupture partielle (2016),
– qu’elles n’ont jamais été informées des changements consécutifs à la location gérance puis à la cession du fonds de commerce et n’ont jamais eu l’intention de poursuivre une quelconque relation commerciale avec la nouvelle société,
– que le contrat signé en « 2007 » (en réalité le 2 mars 2017) avec la seule société SwissLife Assurance et Patrimoine n’est pas un contrat de prestation, mais un simple engagement de référencement ne préjugeant pas de la conclusion effective de commandes, de leur régularité et de leur volume.
Réponse de la cour
Il incombe à la société BDO Production de démontrer la manifestation expresse de volonté de chacune des trois sociétés SwissLife de poursuivre avec la société BDO Production les relations commerciales nouées antérieurement avec la société Foncière BDO.
Or aucune des trois sociétés SwissLife n’a été informée par leur prestataire de la mise en location gérance du fonds de commerce, puis de la cession du fonds de commerce au profit de la société BDO Production.
Si les relations ont continué avec la société BDO Production dans les mêmes conditions qu’auparavant, il n’en résulte pas la preuve d’une manifestation expresse de volonté de ces sociétés de poursuivre leurs relations commerciales initialement nouées avec la société Foncière BDO.
Il apparaît que des devis ont été établis après septembre 2011 au nom de « BDO Productions », dénomination utilisée auparavant par la société Foncière BDO, mais les factures produites montrent que dès septembre 2011, date de mise en location gérance du fonds de commerce, c’est la société BDO, avec son numéro d’immatriculation au RCS, qui a facturé les sociétés SwissLife.
Dès lors, il sera retenu une durée de relations commerciales de 7 ans et 6 mois, courant de septembre 2011, date de mise en location du fonds de commerce au profit de la société BDO Production, jusqu’à mars 2019, date de cessation des relations.
b) Sur le caractère établi de la relation commerciale :
Les sociétés SwissLife allèguent que la société BDO Production ne justifie pas de relations commerciales régulières, continues, significatives et stables entretenues avec chacune d’elles ; elles se réfèrent à leurs graphiques retraçant l’évolution de chacun des chiffres d’affaires réalisés avec elles par la société BDO Production depuis 2004 et soutiennent que seules quelques pièces portant sur des commandes éparses sont versées aux débats faisant apparaître des chiffres d’affaires sans stabilité.
Mais il ressort de la pièce 45 communiquée par la société BDO Production, dont la teneur n’est pas discutée par les sociétés SwissLife, qu’elle a réalisé des chiffres d’affaires constants depuis 2011 avec chacune des trois sociétés et,
notamment :
– avec la société SwissLife Prévoyance et Santé : 203.862 € HT en 2015, 233.875 € HT en 2016, 119.550 € HT en 2017 et 119.635 € en 2018,
– avec la société SwissLife Assurance et Patrimoine : 128.045 € HT en 2015, 84.405 € HT en 2016, 78.275 € HT en 2017,
– avec la société SwissLife Assurances de Biens : 27.355 € en 2015, 14. 035 € HT en 2016, 17.335 € en 2017 et 3.560 € HT en 2018.
Si ces chiffres d’affaires étaient en baisse, il demeure qu’ils témoignent de relations commerciales stables, continues et significatives ; la relation commerciale entretenue par la société BDO Production avec chacune des sociétés SwissLife présentait donc un caractère établi.
c) Sur la rupture des relations :
– Sur l’absence de préavis :
C’est sans aucun préavis écrit que les trois sociétés Swiss life ont rompu leurs relations commerciales avec la société BDO Production en 2019.
Les sociétés SwissLife prétendent que la rupture ne peut être qualifiée de brutale, en raison de l’augmentation tarifaire de 13 % appliquée unilatéralement par la société BDO Production à compter d’août 2018, sans information ni accord préalable de leur part ; elles précisent que, contrairement à ce que tente de faire croire la société BDO Production, cette dernière a augmenté ses tarifs indépendamment du volume commandé.
Mais la société BDO Production réplique à juste raison que la modification tarifaire ne libérait pas les sociétés SwissLife de leur obligation de notifier un préavis écrit conformément à l’article L 442-6-1 5°du code de commerce.
En effet, si cet article prévoit que ses dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, il n’est pas démontré que la société BDO Production qui s’est bornée à augmenter ses tarifs de 13%, aurait commis une faute suffisamment grave pour justifier une rupture des relations sans préavis; du reste les sociétés SwissLife, nécessairement informées de la hausse des tarifs par les factures qui leur ont été adressées, ne justifient d’aucune protestation, ni demande d’explication avant la rupture des relations.
C’est en vain qu’elles allèguent encore que la société BDO Production ne prouve pas qu’elles ont reçu ses lettres des 25 mars 2019 et 4 juin 2019 puisqu’elles ne contestent pas la cessation de leurs commandes à compter de mars 2019.
– Sur la durée du préavis qui aurait dû être accordé :
Sur la base de relations d’une durée de 8 ans, la société BDO Production demande à voir fixer ce préavis à 16 mois ou à tout le moins à 8 mois ; elle invoque :
– sa dépendance économique au vu de la part prépondérante que représentait le chiffre d’affaires généré avec les sociétés SwissLife par rapport à son chiffre d’affaires global,
– le doublement du préavis prévu à l’article L 442-6-1 5° du code de commerce en cas de rupture d’une relation commerciale portant sur la fourniture de produits sous marque de distributeur.
Les sociétés SwissLife répondent :
– que la société DBO Production ne justifie pas du ratio qu’elles représentaient dans son chiffre d’affaires global,
– que ses commandes portaient sur des ramettes de feuilles à en-têtes personnalisées SwissLife et que les produits ainsi fournis par BDO Production ne sont pas des produits sous marque de distributeur.
Réponse de la cour
Il convient de rappeler que la durée du préavis doit s’apprécier en tenant compte de la durée des relations commerciales ainsi que des circonstances existant au moment de la rupture, telles que la nature de l’activité exercée, le volume d’affaires généré et les investissements qui auraient pu être nécessaires et qui ne seraient pas encore amortis.
En l’espèce, la société BDO Production ne produit aucune pièce concernant la part que représentaient les sociétés SwissLife dans son chiffre d’affaires global ; elle ne démontre aucunement un état de dépendance économique ; elle ne fournissait pas des produits sous marque de distributeur, l’article R 412-47 du code de la consommation considérant ceux-ci comme étant des produits dont les caractéristiques ont été définies par l’entreprise ou le groupe d’entreprises qui en assure la vente au détail et qui est propriétaire de la marque sous laquelle ils sont vendus, ce qui n’est pas le cas des produits fournis par BDO Production.
Au regard de l’ensemble de ces éléments d’appréciation et en tenant compte d’une durée de relations de 7 ans et 6 mois, la cour fixe à 6 mois le préavis qui aurait dû être accordé à la société BDO Production pour lui permettre de redéployer son activité et trouver d’autres partenaires.
d) Sur les demandes de dommages-intérêts :
– Sur la demande au titre de la perte de marge :
La société BDO Production renvoie à une attestation de son expert-comptable Experco du 13 mars 2020, à savoir sa pièce n° 43, pour faire état d’une marge de 43 % sur les chiffres d’affaires réalisés pendant les trois années 2016, 2017 et 2018.
Les sociétés SwissLife objectent que l’attestation Experco du 13 mars 2020 n’a jamais été communiquée et que la pièce 43 est constituée par une attestation sans rapport avec la marge alléguée.
Elles reprochent à la société BDO Production de ne pas justifier des sommes réclamées ; elles ajoutent que, au vu des comptes annuels déposés par BDO Production pour l’exercice 2016, la rentabilité de l’entreprise est du même ordre de grandeur que la marge brute, de sorte que celle-ci semble ne pas excéder 10 %.
Réponse de la cour
La cour constate que la pièce 43 communiquées par la société BDO Production est une attestation Experco du 17 novembre 2020 par laquelle son expert-comptable déclare le temps passé pour ses travaux relatifs à la préparation du dossier de sa cliente dans le litige l’opposant à SwissLife ; il n’y est fait aucune mention d’une quelconque marge.
Sur la base des chiffres d’affaires moyens annuels réalisés avec chacune des sociétés SwissLife entre 2016 et 2018 et d’une perte de marge de 10 % pendant 6 mois dont il est justifié, chacune des sociétés SwissLife sera condamnée aux dommages-intérêts comme suit :
– SwissLife Prévoyance et Santé : moyenne du chiffre d’affaires mensuel sur les trois années (157.686,66 : 12) soit 13.140,55 € par mois x 10 % x 6 mois = 7.884,33 €;
– SwissLife Assurance et Patrimoine : moyenne du chiffre d’affaires mensuel sur les trois dernières années (54.226,66 € : 12), soit 4.518,88 € par mois x 10 % x 6 mois = 2.711,33 €,
-SwissLife Assurances de Biens : moyenne du chiffre d’affaires mensuels sur les trois dernières années (11.643,33 € :12) soit 970,27 € x 10 % x 6 = 582,16 €
– Sur la demande au titre du préjudice résultant de la désorganisation de l’entreprise :
La société BDO Production, qui évalue son préjudice de ce chef à la somme de 20.000 €, expose :
-qu’en raison de son état de dépendance économique vis à vis des sociétés SwissLife, la brutalité de la rupture ne lui a pas permis d’investir dans la diversification de sa clientèle,
– que ce défaut de diversification est la cause d’une désorganisation de l’entreprise qui n’a pas été en mesure d’investir pour maintenir sa prospérité économique et financière,
– que par ordonnance de référé du 21 octobre 2021, elle a été condamnée à payer différentes factures à son principal fournisseur.
Pour s’opposer à cette demande, les sociétés SwissLife répondent :
– que leur désengagement s’est fait progressivement depuis 2014 et que la rupture des relations commerciales n’a pas été brutale,
– qu’elles n’étaient ni partie, ni appelée à intervenir dans la procédure qui a abouti à la condamnation au paiement de la société BDO Production par ordonnance du 21 octobre 2021 et qu’aucun élément de cette ordonnance ne permet de lui imputer la responsabilité de la condamnation.
Réponse de la cour
La société BDO Production ne produisant aucun élément probant sur la désorganisation de l’entreprise qui serait résulté de la brutalité de la rupture, sa demande à ce titre sera rejetée.
– Sur la demande au titre du préjudice résultant de l’implication de la société BDO Production dans le traitement de la présente procédure :
La société BDO Production, qui évalue son préjudice à la somme de 20.000 €, expose :
– que confronté aux dénégations des sociétés SwissLife, son gérant a été contraint de rechercher les éléments comptables attestant de la relation commerciale entre les différentes entités et les documents afférents aux prestations réalisées depuis 2004,
– que cet investissement s’est fait au détriment de ses activités commerciales, causant un préjudice commercial à la société BDO Production du fait de la perte de chance de développement économique.
Mais les sociétés SwissLife répliquent à juste raison que ne peut constituer un préjudice l’obligation pour une partie de justifier de ses demandes.
De surcroît, la société BDO Production ne démontre aucunement l’existence d’ un préjudice commercial du fait d’une perte de chance de développement économique; sa demande sera donc rejetée.
– Sur la demande au titre du préjudice moral :
La société BDO Production, qui évalue son préjudice à la somme de 10.000 €, expose :
– que M. [N], en sa qualité de gérant, a fait les frais des conditions vexatoires de la rupture de la relation commerciale établie,
– que les sociétés SwissLife ont fait preuve de mauvaise foi depuis le début du litige en niant l’existence d’une relation commerciale établie, en prétendant tirer justifiction d’une augmentation tarifaire de 13 % et en mentant pour échapper au paiement de factures pour des livraisons demandées par leurs services.
Mais les sociétés SwissLife répliquent à juste raison que si M. [N] s’estime victime d’un préjudice moral, il lui appartient d’engager une action en justice, la société BDO Production n’ayant ni intérêt ni qualité pour agir à sa place.
Ces sociétés, dans le cadre de leur défense, n’ont pas fait preuve de mauvaise foi ou de conditions vexatoires en rétablissant la distinction entre la société Foncière BDO et la société BDO Production, avant de soutenir que la rupture ne présentait pas un caractère brutal, en invoquant l’augmentation des tarifs pour tenter de justifier la rupture et en contestant les factures dont le paiement est réclamé.
La demande sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
e) Sur la demande de condamnation de la société SwissLife Prévoyance et Santé au paiement de la somme de 12.960 € outre les pénalités de retard :
La société BDO Production fonde sa demande sur deux factures libellées à l’ordre de SwissLife Prévoyance et Santé :
– une facture 6300 du 12 mars 2019, d’un montant de 6.480 € TTC, qui mentionne commande de [J] [W], quantité : 600.000 exemplaires, modèle 3156, et « demande d’approvisionnement du 8/03/19 »,
– une facture 6321 du 3 juin 2019, d’un montant de 6.480 € TTC, qui mentionne commande de [B] [V], quantité : 600.000 exemplaires, modèle 3156, et « demande d’approvisionnement du 7/05/19 livré 2 fois, soit 1.200.000 ex au lieu de 600.000 ex ».
La société SwissLife Prévoyance et Santé conteste devoir les montants facturés aux motifs que :
– conformément à l’article 1358 (anciennement 1315) du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver,
– les factures ne sont pas suffisantes pour établir la preuve d’une créance à défaut de production des bons de commandes et bons de livraison afférents approvés et signés;
Plus précisément, elle fait valoir :
– concernant la facture 6300:
* qu’elle n’a pas connaisance de la commande,
* que toute commande devait être passée et validée par M. [T], manager Département client- Direction des services comme prévu par la procédure toujours appliquée entre les parties,
* que le document daté du 3 mai 2018 intitulé « Bon de commande » prévoyant des livraisons à la demande n’est pas signé, ne comporte que le logo de SwissLife, ne renferme aucune condition tarifaire et précise « envoyer PDF de contrôle, après accord PDF m’envoyer le délai par e.mail », mais qu’aucun accord PDF n’est versé aux débats, ni aucun délai de livraison,
* que les bons de livraison communiqués ne sont pas probants, certains étant adressés à une société Tessi, comportent des signatures illisibles ou un simple tampon Direction des services,
– concernant la facture 6321 :
* que BDO Production doit justifier de la commande validée par le manager du service et de la livraison.
Réponse de la cour
Il ressort des pièces versées aux débats par la société BDO Production :
– que par courriel du 8 mars 2019 émanant de [J] [W], transmis en copie à M. [T], SwissLife a demandé la livraison de 6 palettes de la référence 3156,
– qu’une lettre de voiture de XPO Logistics mentionne comme expéditeur BDO Production et comme destinataire SwissLife, le nombre de 6 colis, une livraison le 12 mars 2019 et comporte une signature manuscrite sous le tampon Direction des Services [Localité 7] avec la date du 12 mars 2019.
– que par courriel du 7 mai 2019 émanant de [B] [V], transmis en copie à [C] [O], SwissLife a demandé la livraison de « 3156 quantité 600.000 » ,
– qu’une lettre de voiture XPO Logistics mentionne comme expéditeur BDO Production et comme destinataire SwissLife , le nombre de 6 colis, la date du 10 mai 2019 comme date impérative de livraison et sous la rubrique « marchandises reçues en bon état » la signature de M. [W].
La preuve est ainsi rapportée des commandes et livraisons dont la société BDO Production demande le paiement, étant souligné que la société SwissLife Prévoyance et Santé ne justifie en rien d’une procédure interne sur la validation préalable des commandes par un manager.
En conséquence, la société SwissLife Prévoyance et Santé devra lui payer la somme de 12.960 €, outre celle de 1.335,06 € au titre des pénalités de retard qui ne font l’objet d’aucune contestation de la part de la débitrice; la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues à l’article 1342-2 du code civil.
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
f) Sur la demande tendant à voir condamner les sociétés SwissLife au paiement de la somme de 8.640 € correspondant à 800.000 exemplaires de papier à en-tête SwissLife demeurés en stock et à leur voir enjoindre de prendre possession de ces 800.000 exemplaires demeurés en stock :
La société BDO Production soutient :
– que les bons de commande de SwissLife portaient la mention « Livraison : à la demande »,
– qu’il était convenu de la méthodologie suivante : une demande de devis souvent par téléphone, la transmission d’un devis par BDO Production puis l’envoi d’un bon de commande par SwissLife, BDO Production réalisant alors la commande globale, stockant les produits, puis les livrant au fur et à mesure des demandes de SwissLife et les facturant au gré des demandes de déblocage,
– que la relation commerciale a été rompue avant que ce stock constitué du bon de commande du 3 mai 2018, livrable à la demande en 30 livraisons, n’ait été intégralement livré et facturé.
Les sociétés SwissLife s’opposent aux demandes en faisant valoir que la société BDO Production ne justifie en rien d’un stock toujours présent et ne justifie aucunement d’une demande ou d’un accord de leur part lui permettant d’outrepasser les commandes passées en anticipant les éventuelles suivantes.
Réponse de la cour
La cour relève qu’indépendamment des procédures qui pouvaient être suivies, la société BDO Production ne verse aux débats aucune pièce de nature à démontrer qu’elle serait toujours en possession d’un stock de 800.000 exemplaires à la suite des différentes commandes passées; ses demandes seront donc rejetées et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
5) Sur les demandes de dommages-intérêts des sociétés SwissLife pour préjudice découlant du caractère abusif de la procédure de première instance et d’appel :
Pour réclamer, chacune, la somme de 10.000 € pour caractère abusif de la procédure initiée en première instance et la somme de 10.000 € pour caractère abusif de la procédure d’appel, les sociétés SwissLife reprochent à la société BDO Production d’avoir versé aux débats de fausses attestations et de faux documents dans le but d’obtenir indûment leur condamnation; elles allèguent qu’un tel comportement caractérise sa mauvaise foi, sa conscience du caractère infondé de ses prétentions et son intention dolosive; elles prétendent que la procédure a mobilisé leurs services et les a contraintes à provisionner une part importante des demandes.
Cependant c’est sans intention dolosive mais au soutien de ses demandes fondées sur sa croyance en la poursuite des relations antérieures nouées avec la société Foncière BDO que la société BDO Production a versé aux débats les pièces et attestations incriminées.
La société BDO Production n’ayant pas fait dégénéré en abus son droit d’agir en justice et de relever appel, les sociétés SwissLife seront déboutées de toutes leurs demandes et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
6) Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile :
Les sociétés SwissLife qui restent débitrices envers la société BDO Production supporteront les dépens de première instance et d’appel.
Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, leurs demandes à ce titre seront rejetées et chacune d’elles devra payer la somme de 3.000 € à la société BDO Production.
Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il rejette la demande tendant à l’irrecevabilité des demandes formées par la société BDO Production en condamnation in solidum sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, les demandes de reprise de stock et les demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette les demandes de la société SwissLife Assurance et Patrimoine, de la société SwissLife Prévoyance et Santé et de la société SwissLife Assurances de Biens tendant à voir :
– écarter des débats les pièces n° 3, 21, 26, 43 et 48 produites par la société BDO Production,
– ordonner la transmission de la copie des pièces de la procédure au procureur de la République pour qu’il apprécie les suites à y donner ;
Dit que chacune des sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société BDO Production et qu’un préavis de 6 mois aurait dû être respecté ;
Rejette les demandes demandes formées par la société BDO Production en condamnation in solidum sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens ;
Condamne la société SwissLife Prévoyance et Santé à payer à la société BDO Production la somme de 7.884,33 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Condamne la société SwissLife Assurance et Patrimoine à payer à la société BDO Production la somme de 2.711,33 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Condamne la société SwissLife Assurances de Biens à payer à la société BDO Production la somme de 582,16 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Condamne la société SwissLife Prévoyance et Santé à payer à la société BDO Production la somme de 12.960 € en réglement de ses factures 6300 et 6321, cette somme étant assortie des pénalités de retard depuis leur date d’émission au taux de 10 %, soit la somme de 1.335,06 €, et dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prévues par l’article 1342-2 du code civil ;
Condamne les sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens aux entiers dépens de première instance et d’appel, distraits conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne chacune des sociétés SwissLife Assurance et Patrimoine, SwissLife Prévoyance et Santé et SwissLife Assurances de Biens, à payer la somme de 3.000 € à la société BDO Production par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE