En matière de prestation de services, l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsqu’il existe un lien de subordination juridique permanent entre le donneur d’ordre et le travailleur indépendant.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution
La solution juridique apportée à cette affaire est la requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail à durée indéterminée entre Monsieur [K] et la société SPLIO. Cette requalification justifie la compétence du conseil de prud’hommes de Paris pour juger le litige. La cour d’appel a confirmé le jugement en ce sens.
Il a été établi que Monsieur [K] était soumis à un lien de subordination juridique permanent avec la société SPLIO, malgré la présomption de non-salariat liée à son statut d’entrepreneur individuel. Les éléments de fait ont démontré que Monsieur [K] était intégré dans l’organisation de la société, évalué, fixait des objectifs, avait des congés autorisés et participait aux événements internes de l’entreprise. De plus, il était rémunéré en fonction du nombre de jours travaillés et non en fonction de missions prédéfinies.
La cour d’appel a décidé de ne pas évoquer le fond de l’affaire et a renvoyé celle-ci devant le conseil de prud’hommes de Paris pour être jugée. Les dépens de première instance et d’appel sont mis à la charge de la société SPLIO, et une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles est accordée à Monsieur [K].
Requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail et compétence du conseil de prud’hommes
La société SPLIO soutient qu’il n’existe aucun contrat de travail entre les deux parties, mais une convention de prestation de services. Elle affirme que Monsieur [K] aurait dû saisir le tribunal de commerce pour contester la relation commerciale. Cependant, Monsieur [K] argumente qu’il était subordonné à la Société, ce qui justifie la requalification en contrat de travail.
Arguments de la société SPLIO
La Société soutient que Monsieur [K] était un travailleur indépendant, libre d’organiser son temps de travail et travaillant pour d’autres clients en parallèle. De plus, elle affirme qu’il n’y avait pas de lien hiérarchique entre eux.
Arguments de Monsieur [K]
Monsieur [K] affirme qu’il était intégré à la Société, évalué comme un salarié, et bénéficiait d’avantages réservés aux salariés. Il justifie également que ses missions étaient similaires à celles des salariés de l’équipe.
Compétence du conseil de prud’hommes
Selon la présomption de non-salariat de l’article L. 8221-6, Monsieur [K] doit renverser cette présomption pour prouver l’existence d’un contrat de travail. Les éléments présentés montrent une subordination à la Société, justifiant la requalification en contrat de travail.
Évocation du fond
La cour d’appel peut évoquer les points non jugés si elle estime nécessaire de donner une solution immédiate. Cependant, dans ce cas, l’affaire sera renvoyée devant le conseil de prud’hommes pour ne pas priver les parties d’un double degré de juridiction.
Décision sur les frais
La décision de requalification en contrat de travail est confirmée, et les dépens sont mis à la charge de la société SPLIO. Monsieur [K] obtient une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.
– Somme allouée à Monsieur [J] [K]: 3.000 euros
– Dépens de première instance et d’appel: montant non spécifié
Réglementation applicable
Selon l’article L. 1411-1 du code du travail :
« Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ».
L’article L. 8221-6 du même code dispose que :
« I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ».
L’article L. 8221-6-1 prévoit que :
« Est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre ».
L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsqu’il existe un lien de subordination juridique permanent entre le donneur d’ordre et le travailleur indépendant.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Blandine DAVID, avocat postulant au barreau de PARIS
– Me Charlotte GUIRLET, avocat plaidant au barreau de HAUTS-DE-SEINE
– Me Ugo GIGANTI, avocat au barreau de PARIS
Mots clefs associés
– Contrat de prestation de services
– Compétence du conseil de prud’hommes
– Subordination
– Immatriculation en tant qu’entrepreneur individuel
– Clause attributive de juridiction
– Rémunération en fonction du nombre de jours travaillés
– Intégration à la communauté de travail
– Présomption de non-salariat
– Lien de subordination
– Conditions de travail définies par le travailleur ou le contrat avec le donneur d’ordre
– Missions définies dans le contrat de prestation de services
– Taux journalier
– Rémunération mensuelle basée sur le nombre de jours travaillés
– Evaluation annuelle
– Objectifs fixés
– Feuilles de temps approuvées par la société
– Facturation principalement à la société
– Adresse email professionnelle de la société
– Participation aux événements de la société
– Requalification en contrat de travail à durée indéterminée
– Compétence du conseil de prud’hommes de Paris
– Principe de double degré de juridiction
– Renoncer à l’évocation du fond
– Frais irrépétibles
– Dépens
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRET DU 04 AVRIL 2024
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/00015 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CIVSI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2023 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F23/01720
APPELANTE :
S.A.S. SPLIO prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Blandine DAVID, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : R110
Représentée par Me Charlotte GUIRLET, avocat plaidant au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1701
INTIMÉ :
Monsieur [J] [K]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Ugo GIGANTI, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Eric LEGRIS, président
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– signé par Eric LEGRIS, président et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Monsieur [K] a signé un contrat de prestation de service avec la société INBOX à compter du 15 janvier 2011, d’une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de 12 mois ainsi qu’une dénonciation possible par l’une ou l’autre des parties avec un préavis de trois mois avant l’expiration de la période contractuelle en cours.
La société INBOX est devenue la société D-AIM, qui a été elle-même absorbée par la société SPLIO.
Monsieur [K] exerçait des missions de « Traitements statistiques, Formation des consultants de la Société, Encadrement de projets clients, Conseil et accompagnement des clients ».
L’activité de la société SPLIO consiste en la Gestion IA des données clients pour renforcer leurs actions marketing.
La convention collective applicable est la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC).
Par courrier du 07 novembre 2022, il a été mis fin au contrat de prestation de service de Monsieur [K] et son dernier jour de présence a été le 14 février 2023.
Monsieur [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 03 mars 2023 afin de demander la requalification de son contrat de prestation de service en contrat de travail et de contester la rupture de son contrat.
Par jugement statuant sur la compétence en date du 29 novembre 2023, notifié aux parties le 21décembre 2023, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa formation paritaire, a fait droit aux prétentions de Monsieur [K] en :
Se déclarant compétent ;
Reconnaissant l’existence d’un contrat de travail et renvoyant l’affaire devant le bureau de jugement à l’expiration des voies de recours.
Le conseil de prud’hommes de Paris a réservé les dépens.
Par une déclaration du 03 janvier 2024, la S.A.S. SPLIO a relevé appel du jugement en ce qu’il s’est déclaré compétent et a reconnu l’existence d’un contrat de travail, renvoyant de fait l’affaire devant le bureau de jugement à l’expiration des voies de recours.
Le 03 janvier 2024, la société SPLIO a déposé une requête auprès du premier président la cour d’appel de Paris afin d’être autorisé à assigner Monsieur [K] à jour fixe.
Par une ordonnance en date du 15 janvier 2024, la société SPLIO a été autorisée à assigner Monsieur [K] à jour fixe pour l’audience du 1er mars à 11 heures.
Le 30 janvier 2024, la société SPLIO a assigné Monsieur [K] à jour fixe devant la cour d’appel de Paris.
Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 06 février 2024, la SAS SPLIO (ci-après ‘la Société’) demande à la cour de :
« A TITRE PRINCIPAL,
‘ INFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 29 novembre 2023 en ce qu’il:
– s’est déclaré compétent ;
– a reconnu l’existence d’un contrat de travail et renvoyé l’affaire devant le bureau de jugement à l’expiration des voies de recours ;
– a réservé les dépens.
Et statuant à nouveau,
‘ DEBOUTER Monsieur [K] de sa demande de requalification du contrat de prestation de service du 15 janvier 2011 en contrat de travail ;
‘ CONSTATER l’absence de contrat de travail entre Monsieur [K] et la société SPLIO ;
‘ DECLARER le Conseil de prud’hommes de Paris incompétent pour connaître du litige et renvoyer l’affaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre ;
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Si le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris statuant exclusivement sur la compétence devait être confirmé :
‘ DIRE qu’il n’y a pas lieu d’évoquer le fond ;
‘ RENVOYER l’affaire devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes de Paris ;
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,
Si le jugement du conseil de prud’hommes de Paris statuant exclusivement sur la compétence devait être confirmé et si la Cour décidait d’évoquer le fond :
‘ REJETER l’ensemble des demandes de Monsieur [K] ;
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE,
o DIRE que le salaire de référence est fixé à 3.125,00 € bruts mensuels ;
o REDUIRE le montant des condamnations à de plus juste proportions et en tout état de cause à un montant n’excédant pas :
– 22.500,00 € s’agissant de l’indemnité pour travail dissimulé
– 13.500,00 € bruts au titre du rappel de congés payés
– 1.565,00 € bruts outre 156,5, € de congés payés y afférent au titre de la diminution unilatérale des prestations
– 15.000,00 € au titre de l’indemnité de licenciement
– 11.250,00 € au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 3.750,00 € au titre de l’indemnité pour violation de la procédure de licenciement
EN TOUTE HYPOTHESE,
‘ CONDAMNER Monsieur [K] à verser à la société SPLIO la somme de 5.000,00 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
‘ CONDAMNER Monsieur [K] aux entiers dépens de l’instance. »
Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 12 février 2024, Monsieur [J] [K] demande à la cour de :
« CONFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 29 novembre 2023 en ce qu’il s’est déclaré compétent et a reconnu l’existence d’un contrat de travail liant la Société SPLIO à Monsieur [K] ;
DEBOUTER la Société SPLIO de ses demandes tendant à statuer exclusivement sur la compétence afin de renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes de Paris ;
EVOQUER LE FOND de l’affaire opposant Monsieur [K] à la Société SPLIO et se faisant :
– REQUALIFIER le contrat liant la Société SPLIO à Monsieur [K] en contrat de travail à durée indéterminée avec une ancienneté remontant au 15 janvier 2011, cadre, à temps plein, en qualité de Expert Métier, catégorie 3.1 de la convention collective Bureau d’étude Technique ;
– FIXER le salaire de référence de Monsieur [K] à hauteur de 7699 euros brut de charges sociales ;
– CONDAMNER la Société SPLIO à la régularisation de l’intégralité des charges sociales sur les 3 années précédant le dernier jour travaillé, soit entre le 14 février 2020 et le 14 février 2023 ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 23097 euros net de charges sociales à Monsieur [K] pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 7699 euros net de charges sociales à Monsieur [K] pour violation de l’obligation de formation, un abondement à hauteur de 5000 euros de son CPF ainsi qu’à un abondement complémentaire du compte CPF de Monsieur [K] à hauteur de 3000 euros pour défaut de réalisation des obligations mentionnées à l’article L. 6315-1 ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 115 348 euros brut de charges sociales salariales à Monsieur [K] à titre rappels de congés payés non pris
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 26860,5 euros de rappels de salaires, outre 2686,05 euros de congés payés afférents, en lien avec la baisse unilatérale de son activité en 2022 et 2023 ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 46194 euros brut de charges sociales salariales à Monsieur [K] au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de 30154 euros net de charges sociales à Monsieur [K] au titre de l’indemnité légale de licenciement et de 80840 euros net de charges sociales au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 7699 euros net de charges salariales à Monsieur [K] pour violation de la procédure de licenciement ; CONDAMNER la Société SPLIO à remettre à Monsieur [K] les documents de fin de contrat, à savoir le certificat de travail, l’attestation France Travail et le solde de tout compte, sous astreinte de 100 euros par jour et document de retard ;
– En tout état de cause
o DEBOUTER la Société SPLIO de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de Monsieur [K],
o CONDAMNER la Société SPLIO au paiement à Monsieur [K] de la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
o CONDAMNER la Société SPLIO aux entiers dépens ;
o ORDONNER le paiement des intérêts légaux avec anatocisme. »
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
MOTIFS,
Sur la requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail et la compétence du conseil de prud’hommes :
La société SPLIO soutient qu’il n’existe aucun contrat de travail entre les deux parties dans la mesure où elles ont signé une convention de prestation de services. Elle affirme que Monsieur [K] aurait dû saisir le tribunal de commerce afin de contester la relation commerciale entretenue avec la société SPLIO. De plus, la Société soutient que le contrat signé entre les parties comportait une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence du tribunal de commerce de Nanterre.
La Société fait valoir que Monsieur [K] est présumé non salarié et travailleur indépendant dans la mesure où il est immatriculé depuis 1999 en qualité d’entrepreneur individuel et où il exerce des prestations en qualité d’indépendant, depuis le 15 janvier 2011 et jusqu’à son départ en 2023, pour la société INBOC, devenue D-AIM puis SPLIO.
La Société fait aussi valoir que :
– Monsieur [K] travaillait pour d’autres clients parallèlement aux missions qu’il exerçait pour le compte de la société SPLIO, raison pour laquelle il aurait toujours souhaité conserver son statut d’indépendant ;
– Monsieur [K] était libre d’organiser son temps de travail comme il l’entendait, il lui était simplement demandé de préciser ses jours d’absences ou de présence, notamment de congés, pour des raisons organisationnelles ;
– Il transmettait mensuellement ses factures, établies selon les journées ou demi-journées travaillées, afin de pouvoir suivre le forfait prévu dans son contrat ;
– La Société ne disposait pas d’un pouvoir de sanction à l’égard de Monsieur [K].
La Société ajoute que Monsieur [K] était présenté comme un prestataire et que les liens hiérarchiques évoqués par Monsieur [K] n’ont jamais existé.
Elle fait enfin valoir que le fait que Monsieur [K] ait travaillé à partir du matériel de la Société, sur les logiciels fournis par elle et dans ses locaux, en utilisant les fournitures, le badge et une place de parking mis à disposition, ne démontre en rien son prétendu salariat.
En réponse, Monsieur [K] fait valoir que :
– Il a travaillé sans discontinuer 12 ans pour la Société, toujours avec les mêmes fonctions, entre le 15 janvier 2011 et le 14 février 2023 ;
– Il figurait sur l’intranet de la société SPLIO et était intégré dans un organigramme et pouvait être amené à avoir des subordonnés dans le cadre des missions auxquelles il était affecté ;
– Il faisait l’objet « d’évaluations annuelles » (« Annuel Review ») de la part de son supérieur hiérarchique, en dernier lieu Monsieur [H] [I], qui était originellement son subordonné ;
– Il a continuellement été amené à évaluer d’autres salariés de la Société ;
– Il se voyait également imposer des « objectifs » d’une année sur l’autre ;
– Ses congés devaient être autorisés préalablement par sa hiérarchie, au même titre que les autres salariés, avec une obligation de prendre au moins « 3 semaines entre juin et septembre », et étaient même parfois qualifiés de « congés payés » ;
– Ses « feuilles de temps » sont communiquées directement dans le système interne de la Société et approuvées par la Société avant qu’il ne puisse lui présenter une facture ;
– Il était pleinement intégré à la communauté de travail, ses collègues et le CSE n’ayant probablement pas conscience du fait qu’il était un prestataire :
Il bénéficiait des chèques-cadeaux du CSE depuis plusieurs années alors même que ces chèques sont réservés aux salariés ;
Il était destinataire des procès-verbaux du CSE et avait accès à toute la documentation du CSE ;
Il était invité à se présenter en tant que candidat au second tour des élections du CSE en juin 2022 ;
Il était sollicité en juillet 2020 pour devenir sauveteur secouriste au travail au sein de la Société ;
Il était également invité à l’ensemble des événements de la Société et en dernier lieu à un séminaire de plusieurs jours à Séville en octobre 2021 où le mariage des sociétés D-AIM et SPLIO était annoncé ;
– Il était présenté auprès des tiers comme faisant partie de la Société :
Il était présent sur les photos de groupe diffusées en ligne, aux côtés des autres salariés, et était même mis en avant dans le cadre d’outils promotionnels de la Société ;
Les appels d’offres présentés sur papier entête de la Société ne spécifiaient pas qu’il avait la qualité d’indépendant ;
Il a toujours disposé de cartes de visite de la Société ;
Il disposait d’adresses électroniques de la Société ;
Son pavé de signature ne donnait aucune information sur la qualité d’indépendant de celui-ci ;
Il travaillait à partir du matériel informatique fourni par la Société, sur les logiciels fournis par celle-ci, avec des consommables de la Société, un badge, et même une place de parking à sa disposition ;
– Il n’était pas rémunéré en fonction de la réalisation de missions prédéfinies mais en fonction du nombre de jours de travail accomplis ;
– Son contrat de prestation de services était au demeurant particulièrement vague et s’assimilait nettement plus à une fiche de poste qu’à un cahier des charges ;
Ses factures sur la période allant de 2011 et 2023 ne détaillent pas les prestations effectuées par celui-ci mais uniquement les temps passés ;
Ces factures ainsi que le décompte de chiffre d’affaires qu’il a produit permettent en outre de constater celui-ci facturait près de 96% de ses prestations à la Société entre 2011 et 2023 ;
Les tâches qui lui étaient attribuées n’étaient pas différentes de celles d’autres salariés de l’équipe « Data Scientist Team » à laquelle il était rattaché ;
Son autonomie était par ailleurs très relative dès lors qu’il devait se plier au quotidien aux directives données par sa hiérarchie.
En conséquence, Monsieur [K] affirme que sa subordination à la Société était évidente.
SUR CE,
Selon l’article L. 1411-1 du code du travail :
« Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ».
L’article L. 8221-6 du même code dispose que :
« I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
(…)
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ».
L’article L. 8221-6-1 prévoit que :
« Est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre ».
L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsqu’il existe un lien de subordination juridique permanent entre le donneur d’ordre et le travailleur indépendant.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution
En l’espèce, Monsieur [K] est immatriculé depuis le 1er novembre 1999 en qualité d’entrepreneur individuel pour l’activité de ‘conseil pour les affaires et autres conseils de gestion’.
Il a signé le 15 janvier 2011 un contrat de prestation de service, avec la société INBOX, devenue la société D-AIM, qui a été elle-même rachetée par la suite par la société SPLIO, ce à compter du 15 février 2011, d’une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de 12 mois ainsi qu’une dénonciation possible par l’une ou l’autre des parties avec un préavis de trois mois avant l’expiration de la période contractuelle en cours.
Il existe donc, en ce qui le concerne, dans la relation avec la Société, une présomption de non-salariat qu’il lui appartient de renverser s’il entend voir caractériser l’existence d’un contrat de travail.
Les missions de Monsieur [K], aux termes du contrat signé entre les parties, étaient définies de la manière suivante :
« Réalisation des traitements statistiques des données d’études et de base de données, en accompagnement méthodologique des équipes d’INBOX ;
‘ Formation aux méthodes de datamining et d’analyse de données des consultants data d’INBOX;
‘ Encadrement de projets clients ;
‘ Conseil et accompagnement des clients »
Ledit contrat de prestation prévoyait que Monsieur [K] travaillerait 180 jours par an avec un
taux journalier de 460 € HT.
Ce contrat comportait par ailleurs une clause attributive de juridiction, prévoyant précisément la compétence du tribunal de commerce de Nanterre.
Il est rappelé toutefois à nouveau que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.
Il est avéré que Monsieur [K] était payé selon un rythme mensuel et ce, sur la base d’un décompte de ses jours travaillés.
Si ses factures comportaient chaque mois un nombre de journées spécifique, pouvant être différent d’un mois sur l’autre, il demeure que Monsieur [K] ne percevait pas une rémunération forfaitaire à l’issue de la réalisation d’une mission donnée mais bien en fonction de jours de travail ; de même, ses factures ne détaillaient pas les prestations effectuées mais seulement le temps de travail passé.
Monsieur [K] a travaillé au cours de 12 années consécutives avec la Société.
Il justifie qu’il figurait sur l’intranet de la Société au même titre que les autres salariés, la capture d’écran de l’intranet de la Société faisant apparaître, le concernant, un « manager », en l’espèce en dernier lieu Monsieur [H] [I], un « département de rattachement » , à savoir la « Data Scientist Team» et un « intitulé de poste », celui d’ « Expert Métier ».
Il justifie aussi qu’il faisait l’objet d’évaluations annuelles (« Annuel Review ») de la part de son supérieur hiérarchique, en dernier lieu Monsieur [I], qui était originellement son subordonné.
Ainsi, son évaluation professionnelle au titre de l’année 2021 comportait les questions suivantes, à l’instar d’un salarié ordinaire :
o « Quelles sont tes principales réalisations en 2021 ‘ »
o « Quel projet n’as-tu pas pu réaliser mais que tu aurais voulu accomplir ‘ »
o « Quel a été le projet le plus compliqué pour toi (ou que tu as le moins aimé) ‘ »
o « Quels étaient tes objectifs de 2021 et comment les évaluerais-tu ‘ »
o « Quels sont tes points forts ‘ »
o « Quels sont tes points à améliorer »
o « De quoi aurais-tu besoin pour te permettre de mieux accomplir tes missions ‘ »
Il justifie aussi avoir été conduit lui-même à évaluer d’autres salariés de l’entreprise ; par exemple, il était conduit, en qualité de « pair », à évaluer Monsieur [C] sur ses compétences en « Leadership », « Communication », « Coopération et transversalité », « Teamwork » ou encore « Bienveillance/ Empathie » au titre de l’année 2021 ; en 2017, il procédait à l’évaluation de plusieurs membres de son équipe en leur attribuant des niveaux de lettres sur de nombreux items ; en 2014, il procédait à l’évaluation annuelle de plusieurs membres de son équipe à la demande de son supérieur hiérarchique de l’époque, étant observé que le ‘guide d’entretien’ utilisé le mentionne expressément que l’entretien était ‘réalisé par Monsieur [K]’ et utilise le terme de ‘collaborateur’ pour l’évalué.
En outre, des objectifs ont été fixés à Monsieur [K], comme au titre de l’année 2019 en ces termes: « Maîtrise à 100% de D-Predict (setup, usage), pour assurer si besoin avant-vente/ formation. (…) Rigueur et qualité de renseignement des outils administratifs (Genius, Teamleader, fichier de facturation’) », ou encore au titre de l’année 2020 : « accroitre tes connaissances des outils D-AIM. (…) Echange pro-actif sur ton planning et le planning des projets».
Monsieur [K] justifie encore que ses « feuilles de temps » étaient communiqués directement dans le système interne de la société et approuvées par celle-ci, et qu’il a reçu des relances informatiques à cette fin.
L’appelante admet au demeurant qu’il était demandé à Monsieur [K] d’indiquer en début de semaine les jours durant lesquels il pensait travailler pour la Société, ou encore que ce dernier demandait à une salariée RH de la société de renseigner ses dates de congés dans le logiciel interne de la société.
Les congés pris par Monsieur [K] étaient même parfois qualifiés de « congés payés », comme dans le courriel du 8 octobre 2018 qu’il produit aux débats et qui lui était adressé ‘suite à votre demande de jours de congés’.
L’intimé produit un décompte de son chiffre d’affaires faisant ressortir qu’il a facturé plus de 95% de ses prestations à la Société entre l’année 2011 et l’année 2022.
Si l’appelante souligne justement que Monsieur [K] a effectué des journées de prestations au profit d’autres clients tels que les professeur [G] ou [U] et la société MARKETING INDUSTRIEL, Monsieur [K] précise que les factures se rapportant aux médecins concernés apparaissent dans son tableau de chiffre d’affaires, notamment sous l’intitulé INSERM.
Selon le document interne à la Société produit par l’intimé aux débats, Monsieur [K] apparaissait, parmi d’autres salariés, affecté à une mission de la société.
Il figurait aussi en synthèse, comme d’autres membres de l’équipe, lesquels étaient des salariés de l’entreprise, avec la simple mention finale du nombre de jours travaillés.
Il a en outre disposé d’une adresse email professionnelle de la société comme [Courriel 6], avant qu’elle ne devienne : [Courriel 5], étant rappelé que la société D-AIM a été absorbée par la société SPLIO.
L’intimé justifie qu’il était par ailleurs destinataire des chèques-cadeaux du CSE, dont il recevait les procès-verbaux, ou encore qu’il était invité à l’instar des autres salariés à aller voter aux élections des délégués du personnel (courriel du 17 janvier 2017), voire à se présenter en tant que candidat au second tour des élections du CSE en juin 2022 (courriel du 28 juin 2022), ou sollicité comme eux en juillet 2020 pour devenir sauveteur secouriste au travail au sein de la Société (courriel du 28 juillet 2020).
C’est vainement que l’appelant, sans contester ce constat, indique en procédant par voie de simple affirmation, que son adresse électronique était ‘simplement à tort comprise’ dans la liste de distribution visant l’ensemble des collaborateurs de la société.
La société SPLIO, qui évaluait, fixait des objectifs à Monsieur [K] et validait ses congés, pouvait aussi mettre fin chaque année au contrat de prestations de service formalisé, ce qu’elle a finalement fait selon courrier du 07 novembre 2022.
Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de retenir que Monsieur [K] renverse la présomption simple de l’article L. 8221-6 et par suite qu’il y a lieu de requalifier en contrat de travail à durée indéterminée les prestations qu’il a effectuées au profit de la société SPLIO, ce qui justifie la compétence du conseil de prud’hommes de Paris.
Le jugement est en conséquence confirmé sur ces points.
Sur l’évocation du fond :
L’article 88 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction ».
Ainsi, la cour d’appel a la faculté d’évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution immédiate.
La société SPLIO souligne, pour s’y opposer formellement, le caractère conséquent des demandes formées Monsieur [K] et l’importance du principe de double degré de juridiction qu’elle considère fondamental.
En l’espèce, les délais de procédure induits par un renvoi de l’affaire devant le conseil de prud’hommes ne caractérisent pas un motif suffisamment grave et légitime pour justifier d’évoquer directement au niveau de la cour d’appel les points non jugés au stade de la première instance ce qui serait de nature à priver les parties d’un degré de juridiction.
Il n’y a donc pas lieu d’évoquer l’affaire au fond, et il convient en conséquence de la renvoyer pour être jugée devant le conseil de prud’hommes de Paris afin de ne pas priver les parties d’un double degré de juridiction.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la société SPLIO.
La demande formée par Monsieur [K] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris ;
RENVOIE l’affaire devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Paris ;
CONDAMNE la SAS SPLIO aux dépens de première instance et d’appel ;
CONDAMNE la SAS SPLIO à payer à Monsieur [J] [K] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président