Preuve de l’originalité des oeuvres dès l’assignation

Notez ce point juridique

En l’absence de description de l’originalité d’une oeuvre, une assignation pour contrefaçon de droits d’auteur encourt la nullité pour insuffisance de motivation. L’assignation étant un acte de procédure unique, elle a été annulée dans son ensemble.

Pour rappel, l’article 56 2°) du Code de procédure civile dispose que l’assignation doit contenir à peine de nullité un exposé des moyens en fait et en droit.

En application de l’article 114 du même code, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole, et le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.
Ainsi lorsque les prétentions portent sur une contrefaçon de droit d’auteur, l’assignation doit préciser les oeuvres dont la protection est revendiquée et les contours de l’originalité alléguée, ainsi que les actes de contrefaçon reprochés.
L’appréciation du respect de cette exigence ne peut porter sur le mérite des moyens de fait développés, qui conditionne le bien fondé de l’action.

En application de l’article 789 du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Résumé de l’affaire

Résumé des faits de l’affaire :

1. Création et Commercialisation :
– La société PROGRESS9 a créé et commercialise depuis novembre 2014 un logiciel CRM nommé « Expérience Hôtel » pour aider les hôtels à gérer leurs relations clients et analyser leur réputation en ligne.
– PROGRESS9 a déposé la marque française verbale « Expérience Hôtel » le 13 janvier 2015, couvrant divers services en classes 35, 42 et 43.

2. Interactions avec ONE PLACE CORPORATE :
– En 2019, ONE PLACE CORPORATE, via OPC INVEST, a contacté PROGRESS9 pour participer au « Digital Tourisme Meeting 2019 ». PROGRESS9 a décliné l’invitation le 17 mai 2019.
– En 2021, ONE PLACE a de nouveau invité PROGRESS9 au « Digital Tourism Meeting n°3 – 2021 », mentionnant que « Expérience Hôtel – Progress9 » serait présente.

3. Litiges et Injonctions de Payer :
– Le 5 août 2021, OPC INVEST a signifié à PROGRESS9 une ordonnance d’injonction de payer, à laquelle PROGRESS9 a fait opposition le 23 août 2021.
– Le 9 février 2022, une nouvelle ordonnance d’injonction de payer a été signifiée à PROGRESS9 par ONE PLACE CORPORATE.

4. Assignation en Justice :
– PROGRESS9 a assigné OPC INVEST et ONE PLACE CORPORATE en novembre 2022 et septembre 2023, en présence de l’Office cantonal des faillites, liquidateur de ONE PLACE CORPORATE.
– Les instances ont été jointes par ordonnance le 16 janvier 2024.

5. Demandes de PROGRESS9 :
– Interdiction aux sociétés défenderesses de commettre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
– Condamnation des sociétés à payer 350.000 € de dommages et intérêts pour dénigrement, parasitisme et désorganisation d’entreprise, 20.000 € pour contrefaçon de marque, et 20.000 € pour préjudice moral.
– Interdiction d’utiliser la marque « Expérience Hôtel » ou tout signe similaire.
– Suppression des propos dénigrants et cessation des comportements délictueux.
– Publication du jugement et paiement de 7.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

6. Arguments de PROGRESS9 :
– ONE PLACE aurait mené une campagne de dénigrement via Google, LinkedIn, et des communications directes avec le personnel de PROGRESS9.
– Accusations de parasitisme par l’utilisation de la dénomination « Expérience Hôtel » pour attirer des clients et réaliser des bénéfices sans investir dans d’autres stratégies de communication.
– Contrefaçon de marque par l’utilisation non autorisée de « Expérience Hôtel » lors des salons organisés par ONE PLACE.

7. Défense des Sociétés Assignées :
– Les sociétés OPC INVEST et ONE PLACE CORPORATE, ainsi que l’Office Cantonal des Faillites, n’ont pas constitué avocat.

8. Procédure :
– L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

Les points essentiels

Concurrence déloyale et parasitisme : principes et conditions

La concurrence déloyale et le parasitisme sont des fautes qui peuvent engager la responsabilité civile de leur auteur selon l’article 1240 du Code civil. Pour cela, il faut démontrer une faute et un préjudice en lien de causalité direct. La concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe de libre concurrence, permettant à tout commerçant d’attirer la clientèle de ses concurrents, de vendre des produits similaires ou identiques en l’absence de droit privatif, et de vendre des produits de qualité moindre à un prix inférieur. Le commerçant plaignant doit prouver le caractère déloyal des méthodes de son concurrent. Le parasitisme, quant à lui, suppose de démontrer des actes de captation indue des efforts et investissements du concurrent, ainsi qu’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle.

Accusations de dénigrement par la société PROGRESS9

La société PROGRESS9 accuse « One Place » de dénigrement, produisant une capture d’écran d’une page « Experience Hotel, CRM hôtelier » avec des commentaires de « One Place » et un compte « [R]ADV ». Les commentaires, bien que désobligeants, ne sont pas prouvés comme étant inexacts ou dénigrants. Les courriels adressés aux employés de PROGRESS9, bien que rédigés en termes acrimonieux, relatent des poursuites judiciaires et ne sont pas prouvés comme inexactes. Les copies de SMS et un courriel de recouvrement de créance ne permettent pas d’identifier les défenderesses comme auteurs. Il n’est pas démontré que ces messages ont perturbé le fonctionnement de PROGRESS9 ou causé une perte de crédit auprès de ses clients.

Usage de la marque « Expérience Hôtel » et accusations de contrefaçon

PROGRESS9 reproche aux défenderesses l’usage de la marque « Expérience Hôtel » pour des faits de parasitisme et de contrefaçon. L’action en concurrence déloyale peut être exercée avec l’action en contrefaçon, mais chaque action doit reposer sur des faits distincts. PROGRESS9 ayant déposé la marque « Expérience Hôtel » en 2015, il convient d’examiner les demandes de contrefaçon. Un courriel de ONE PLACE CORPORATE mentionne « Expérience Hôtel » pour un événement en 2020, mais l’usage non autorisé de la marque en 2019 et 2021 n’est pas démontré. Les faits de contrefaçon et de parasitisme ne sont donc pas prouvés.

Rejet des demandes de PROGRESS9 et conséquences

Aucun fait distinct n’étant allégué pour soutenir les demandes de parasitisme, celles-ci sont également rejetées. En conséquence, la société PROGRESS9 est déboutée de l’ensemble de ses demandes. Étant la partie succombante, elle supportera les dépens de l’instance.

Les montants alloués dans cette affaire:

Réglementation applicable

– Code de procédure civile

Article 700: Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

– Code de procédure civile

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Emmanuel DOCTEUR, avocat postulant au barreau de MARSEILLE
– Maître Marie BRISWALDER de la société d’avocats AKLEA, avocat plaidant au barreau de LYON

Mots clefs associés & définitions

– Concurrence déloyale
– Parasitisme
– Article 1240 du Code civil
– Responsabilité civile
– Faute
– Préjudice
– Lien de causalité
– Libre concurrence
– Rapports commerciaux
– Dénigrement
– Capture d’écran
– Injonction de payer
– Tribunal de commerce
– Courriels acrimonieux
– Poursuites judiciaires
– Juridictions suisses
– SMS
– Recouvrement de créance
– Perturbation du fonctionnement
– Perte de crédit
– Usage de la marque
– Contrefaçon
– INPI
– Marque verbale française
– Classes 35, 42 et 43
– Digital tourisme meeting
– Sanction
– Réparation
– Dépens
– Concurrence déloyale : pratique commerciale qui viole les règles de la concurrence et porte préjudice à un concurrent
– Parasitisme : exploitation de la notoriété ou des investissements d’un concurrent sans en supporter les coûts
– Article 1240 du Code civil : disposition légale qui établit la responsabilité civile en cas de faute causant un préjudice à autrui
– Responsabilité civile : obligation de réparer le préjudice causé à autrui en raison d’une faute
– Faute : comportement contraire à la loi ou aux règles de prudence et de diligence
– Préjudice : atteinte subie par une personne dans ses droits ou dans son patrimoine
– Lien de causalité : lien de cause à effet entre la faute commise et le préjudice subi
– Libre concurrence : principe selon lequel les acteurs économiques peuvent exercer leur activité sans entraves
– Rapports commerciaux : relations entre des entreprises dans le cadre de leurs activités économiques
– Dénigrement : action de déprécier la réputation d’une personne ou d’une entreprise
– Capture d’écran : enregistrement de l’affichage à l’écran d’un ordinateur
– Injonction de payer : décision judiciaire obligeant une personne à régler une somme d’argent
– Tribunal de commerce : juridiction spécialisée dans les litiges entre commerçants
– Courriels acrimonieux : emails agressifs ou hostiles
– Poursuites judiciaires : actions en justice engagées contre une personne
– Juridictions suisses : tribunaux suisses compétents pour juger des litiges en Suisse
– SMS : messages textuels envoyés par téléphone mobile
– Recouvrement de créance : action visant à obtenir le paiement d’une somme due
– Perturbation du fonctionnement : trouble causé à l’activité normale d’une entreprise
– Perte de crédit : diminution de la confiance accordée à une personne ou à une entreprise
– Usage de la marque : utilisation d’une marque déposée par une entreprise
– Contrefaçon : reproduction non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur
– INPI : Institut National de la Propriété Industrielle, organisme français chargé de la protection des droits de propriété intellectuelle
– Marque verbale française : marque composée uniquement de mots
– Classes 35, 42 et 43 : catégories de services définies par la classification internationale des marques
– Digital tourisme meeting : événement numérique sur le tourisme
– Sanction : mesure punitive ou répressive
– Réparation : indemnisation du préjudice subi
– Dépens : frais engagés lors d’une procédure judiciaire

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

3 juin 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG n° 23/00986
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 H

N° RG 23/00986 – N° Portalis DB2H-W-B7H-XSOY

Notifiée le :

Grosse et copie à :

Maître Laurène DELSART de la SELARL DELSART AVOCATS – 1476
Maître Caroline SAUVAGET – 1876

ORDONNANCE

Le 03 juin 2024

ENTRE :

DEMANDERESSE

S.A.S. PROCYCLINGMAPS
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Caroline SAUVAGET, avocat au barreau de LYON, et Maître Anne-Laure ROUX, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

ET :

DEFENDEUR

Monsieur [J] [I]
né le 11 septembre 1982 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 1]

représenté par Maître Laurène DELSART de la SELARL DELSART AVOCATS, avocats au barreau de LYON, et Maître Stéphanie SIOËN-GALLINA, avocat au barreau de MARSEILLE

Vu la procédure engagée par la société PROCYCLINGMAPS contre Monsieur [J] [I], par acte d’huissier en date du 31 janvier 2023, en contrefaçon de droit d’auteur et subsidiairement atteinte au secret des affaires, concurrence déloyale et parasitisme ;

Vu les conclusions d’incident notifiées le 30 mai 2023 et le 20 février 2024 par Monsieur [I] ; vu les conclusions en réponse notifiées le 31 octobre 2023 par la société PROCYCLINGMAPS ;

Après avoir entendu les avocats des parties à l’audience du 06 mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 03 juin 2024 ;

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [J] [I] demande au juge de la mise en état de :
à titre principal,
– dire que l’assignation délivrée le 31 janvier 2023 par PROCYCLINGMAPS ne contient aucune identification des oeuvres arguées de contrefaçon, du secret des affaires et des produits ou services objets du parasitisme,
– dire que l’assignation délivrée le 31 janvier 2023 ne contient aucune description des éléments sur lesquels est revendiqué un droit d’auteur,
– dire que l’assignation délivrée le 31 janvier 2023 ne contient aucune description de l’originalité de chacune des oeuvres arguées de contrefaçon,
– prononcer la nullité de l’assignation délivrée le 31 janvier 2023,
à titre subsidiaire,
– dire que la société PROCYCLINGMAPS n’est pas titulaire des droits d’auteur sur les 9 oeuvres revendiquées dans le cadre de son action en contrefaçon,
– prononcer l’irrecevabilité de l’action de PROCYCLINGMAPS pour défaut de qualité à agir,
en tout état de cause,
– condamner la société PROCYCLINGMAPS au paiement d’une somme de 6000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– réserver les dépens.

A l’appui de sa demande en nullité de l’assignation, il fait valoir que l’assignation n’identifie pas les oeuvres contrefaites, les oeuvres contrefaisantes et les éléments sur lesquels sont revendiqués des droits d’auteur, pas plus qu’elle n’identifie le secret des affaires et le parasitisme, en violation de l’article 56 2°) du Code de procédure civile. Il précise que cette absence d’identification lui cause un grief en ce qu’il n’est pas en mesure d’organiser utilement sa défense.
S’agissant de l’identification des oeuvres revendiquées, il souligne :
– la confusion de l’assignation concernant le nombre et la qualification des oeuvres, qualifiées tantôt de cartes, tantôt de profils altimétriques, tantôt de cartes géographiques,
– l’absence de date, origine et description des profils altimétriques, ce qui laisse penser qu’ils ne sont pas concernés par la demande en contrefaçon,
– les contradictions de l’assignation qui fait référence à une carte du Tour du Rwanda qui aurait été créée en 2017 et utilisée jusqu’en 2019, avant de faire état d’une intervention sur cette carte à compter de 2019 seulement,
– des ajouts et suppressions d’oeuvres revendiquées dans la présente instance par rapport à celles revendiquées dans l’instance antérieurement initiée devant le Tribunal judiciaire de Bordeaux, qui montrent que la demanderesse ne sait pas quelles créations elle souhaite revendiquer,
– l’absence d’identification et de communication des feuilles de styles et couches vectorielles décrites comme les étapes originales de création des cartes revendiquées, lesquelles paraissent être des codes sources et scripts informatiques dont il n’est pas possible de déterminer le rôle ni les composantes, alors qu’est sollicitée au titre des prétentions la restitution de l’ensemble des supports utilisés pour la réalisation des cartes, notamment les fichiers informatiques, codes sources, scripts, visuels, pictogrammes, cartes, plans, calques, couches vectorielles, fichiers, modèles, méthodes originales et processus,
– l’absence d’identification des visuels géographiques que la société PROCYCLINGMAPS prétend avoir créés, et dont il ne peut être déterminé s’ils correspondent aux profils revendiqués dans sa pièce 3 ou des pictogrammes présents dans les cartes,

– l’absence d’identification des données qu’il lui est reproché d’avoir extraites illégalement des locaux ou ordinateurs de la demanderesse, et dont est sollicitée la restitution.
S’agissant de l’identification des éléments contrefaisants, il fait valoir que :
– la société PROCYCLINGMAPS se contente de produire des captures d’écran représentant des cartes et profils altimétriques dont la source n’est pas précisée et dont la preuve n’est pas rapportée qu’il les a commercialisés,
– la comparaison porte sur les fonds, légendes, pictogrammes et graphismes sur lesquels aucune originalité n’est revendiquée.
S’agissant de l’identification des éléments sur lesquels est revendiqué le droit d’auteur, il soutient que :
– les éléments de la carte du Tour du Rwanda ne sont pas précisément décrits,
– les éléments sur les “autres contrefaçons” ne sont aucunement décrits,
– les caractéristiques sont revendiquées de manière globale sans distinction pour chaque oeuvre.
S’agissant de la description de l’originalité des oeuvres, il estime que :
– aucune description de l’originalité des oeuvres n’est réalisée, la société PROCYCLINGMAPS ne précise pas en quoi elle a réalisé des choix libres et créatifs au regard de ce qui se fait habituellement dans le domaine,
– la société PROCYCLINGMAPS confond le savoir-faire et le droit d’auteur,
– on ne sait pas si l’originalité concerne le processus, les cartes, les fichiers, les plans ou les visuels,
– la société demanderesse invoque des généralités sans préciser les éléments originaux de chacune des créations revendiquées,
– les créations ne sont pas originales puisque la demanderesse emprunte et copie le travail de ses concurrentes.
Monsieur [I] soutient en outre que l’assignation n’identifie pas clairement les éléments qui seraient couverts par le secret des affaires, pas plus que les produits ou services constituant la valeur économique objet de la concurrence déloyale et du parasitisme invoqués.

A l’appui de l’irrecevabilité soulevée, Monsieur [I] conteste la qualité à agir en contrefaçon de la société PROCYCLINGMAPS, faute de preuve de sa titularité des droits d’auteur. Il soutient que les conditions de la présomption de titularité de droit d’auteur ne sont pas remplies, la demanderesse ne démontrant pas que les oeuvres ont été divulguées sous son nom et les factures produites à cet égard étant illisibles. Il ajoute qu’il est lui-même l’auteur de la carte Tour du Rwanda 2019, qu’il l’a réalisée seul sans autre directive qu’une formation sur l’utilisation d’un logiciel tiers, et que son contrat de travail ne comprenait aucune clause de cession de droit d’auteur.

En réponse, la société PROCYCLINGMAPS demande au juge de la mise en état de :
– dire que l’assignation du 31 janvier 2023 est conforme aux dispositions du Code de procédure civile et, en particulier, aux dispositions de l’article 52 dudit Code,
– dire qu’elle a qualité à agir au sein de la présente instance,
– débouter Monsieur [I] de sa demande tendant à faire déclarer nulle l’assignation du 31 janvier 2023,
– débouter Monsieur [I] de sa demande subsidiaire d’irrecevabilité pour défaut de qualité à agir,
– de manière générale, rejeter l’ensemble des demandes, fins et prétentions de Monsieur [I],
– réserver les dépens,
– condamner Monsieur [I] à lui payer la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour ce qui concerne la présente procédure d’incident.

Sur la demande en nullité de l’assignation, elle fait valoir que :
– l’assignation identifie les neuf oeuvres revendiquées, qui sont des cartes géographiques listées à l’article L 112-2 11) du Code de la propriété intellectuelle comme oeuvres de l’esprit, et sont intégralement reproduites dans les pièces jointes,
– les éléments caractéristiques fondant l’originalité des oeuvres sont décrits précisément dans l’assignation qui détaille le processus de conception et l’originalité des oeuvres, le travail de création intellectuelle, artistique et de développement graphique et logiciel qui aboutit à la conception de ces oeuvres, les étapes et le processus de création étant décrits pour prouver les choix arbitraires qui caractérisent l’empreinte de la personnalité de l’auteur et démontrer l’originalité de l’oeuvre,

– l’assignation procède à une comparaison entre les oeuvres contrefaites et les oeuvres contrefaisantes,
– Monsieur [I] a parfaitement identifié les oeuvres revendiquées, dont il a d’ailleurs contesté le caractère protégeable.
Sur l’irrecevabilité soulevée, elle soutient qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur les neuf oeuvres revendiquées, qui ont été publiées sous son nom.

MOTIFS DE LA DECISION

En application de l’article 789 du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Sur la nullité de l’assignation

L’article 56 2°) du Code de procédure civile dispose que l’assignation doit contenir à peine de nullité un exposé des moyens en fait et en droit.

En application de l’article 114 du même code, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole, et le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.
Ainsi lorsque les prétentions portent sur une contrefaçon de droit d’auteur, l’assignation doit préciser les oeuvres dont la protection est revendiquée et les contours de l’originalité alléguée, ainsi que les actes de contrefaçon reprochés.
L’appréciation du respect de cette exigence ne peut porter sur le mérite des moyens de fait développés, qui conditionne le bien fondé de l’action.

En l’espèce la société PROCYCLINGMAPS indique dans son assignation qu’elle revendique des droits d’auteurs sur neuf cartes géographiques, qui sont reproduites dans sa pièce n°3, à savoir :
– un carte d’étape Tour Savoie Mont Blanc, réalisée en 2017,
– une carte du Tour du Rwanda, réalisée en 2018,
– une carte Tour de l’Ain réalisée en 2018 et une carte Tour de l’Ain réalisée en 2019,
– une carte Tour de l’avenir réalisée en 2018,
– une carte Tour de l’avenir réalisée en 2019,
– trois profils altimétriques Tour Savoie Mont Blanc, réalisés en 2019,
– quatres profils altimétriques Tour de l’avenir, réalisés en 2018,
– quatres profils altimétriques Tour de l’avenir, réalisés en 2019,
– une carte Mercantour classique, réalisée en 2021.
Si la qualification de carte géographique des profils altimétriques peut être discutée, ceux-ci font néanmoins clairement partie des oeuvres revendiquées.
En outre s’il peut être relevé que les cartes reproduites dans la partie de l’assignation correspondant à la présentation des faits ne sont pas toutes identiques à celles reproduites en pièce 3, il n’en demeure pas moins que les oeuvres revendiquées sont clairement désignées comme étant celles reproduites en pièce 3.
Les oeuvres revendiquées sont donc parfaitement identifiables et aucun droit auteur n’est notamment revendiqué sur des fichiers informatiques, codes sources, scripts, visuels, pictogrammes, cartes, plans, calques, couches vectorielles, fichiers, modèles, méthodes originales et processus, ceux-ci étant désignés dans l’assignation comme des supports utilisés pour la réalisation des cartes géographiques dont il est sollicité la restitution en application de l’article L 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle.

S’agissant des actes de contrefaçon, l’assignation les désigne en pages 19 à 23 comme étant les suivants :
– une carte du Tour du Rwanda 2020,
et les cartes reproduites dans la pièce 14 , soit :
– un carte Tour Savoie Mont-Blanc 2020,
– un profil altimétrique Tour Savoie Mont Blanc de 2020,
– deux cartes Tour de l’Ain 2020 et 2021,
– un profil altimétrique Tour de l’Ain 2020,
– une carte Tour de l’Avenir 2020,
– un profil altimétrique Tour de l’Avenir 2020-2021.
L’exposé des moyens en fait est donc suffisant à ce titre, et les griefs opposés par Monsieur [I] relèvent de l’appréciation du bien fondé de l’action.

En revanche s’agissant des contours de l’originalité revendiquée, la société PROCYCLINGMAPS se limite dans l’assignation à décrire le processus créatif, en retraçant les quatre étapes de la création des cartes, à savoir la création de scripts informatiques sous forme de feuilles de style pour créer les fonds de cartes (1ère étape) et la création de couches vectorielles pour ajouter du relief aux cartes (2ème étape), qui se caractérisent par “la conception de codes sources logiciels et informatiques et de matériels de conception logicielle préparatoires”, la création des aspects graphiques des cartes (3ème étape) qui se caractérise par l’apport d’éléments graphiques et créatifs et de couches de relief vectorisées, et la finalisation des cartes géographiques (4ème étape) dans un rendu final combinant l’ensemble des étapes précédentes et formant “un ensemble original remarquable se matérialisant par une carte géographique portant l’empreinte [de son] savoir faire”.
Ce faisant, la société PROCYCLINGMAPS ne définit pas les contours de l’originalité du résultat de ce processus créatif, à savoir chacune des cartes géographiques sur lesquelles elle revendique un droit d’auteur, alors même qu’elle fait grief à Monsieur [I] de reproduire les caractéristiques de ces cartes (reliefs, présentation des étapes, positionnement des logos et légendes, symbolisation des étapes, pictogrammes utilisés, fonds et graphisme). Cette carence dans l’explication des caractéristiques originales des oeuvres ne permet pas à Monsieur [I] de présenter une défense utile sur cette originalité et sur les atteintes qui lui sont imputées.

L’assignation encourt donc la nullité pour insuffisance de motivation en fait faisant grief. L’assignation étant un acte de procédure unique, elle sera annulée dans son ensemble.

Sur la fin de non recevoir

Ce moyen d’irrecevabilité devient sans objet.

Sur les demandes accessoires

La société PROCYCLINGMAPS supportera les dépens de l’instance éteinte.

Elle sera en outre condamnée à verser à Monsieur [I] la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Nous, Juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Annulons l’assignation délivrée le 31 janvier 2023 par la société PROCYCLINGMAPS à Monsieur [J] [I],

Disons que la société PROCYCLINGMAPS supportera les dépens de l’instance éteinte,

Condamnons la société PROCYCLINGMAPS à verser à Monsieur [J] [I] la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

En foi de quoi la présente ordonnance a été signée par le Juge de la mise en état, Cécile WOESSNER, et le Greffier, Jessica BOSCO BUFFART.

LE GREFFIERLE JUGE DE LA MISE EN ETAT

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