Pas de mise à pied disciplinaire sans preuve

Notez ce point juridique

L’employeur supporte la charge de la preuve des faits fautifs invoqués à l’appui de la sanction disciplinaire, aucune sanction ne peut être prise sans produire des pièces établissant la réalité du fait reproché.


M. [X] [C] a été embauché en tant que technicien de maintenance par la SAS les fromagers de la Thiérache en mai 2004. Après avoir reçu un avertissement en juillet 2019 et une mise à pied disciplinaire en octobre 2019, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse en octobre 2020 en raison de son comportement perturbateur et de ses propos déplacés envers ses collègues et sa hiérarchie. Contestant son licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Laon pour harcèlement moral.

Introduction

L’affaire concerne diverses plaintes et actions en justice impliquant M. [X] [C], l’union locale CGT Hirson, le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA), la société Les Fromagers de Thiérache, et M. [H] [G]. Les plaintes portent sur des questions de harcèlement moral, de licenciement, et d’autres sanctions disciplinaires.

Contexte et Plaintes Initiales

M. [X] [C] a été sanctionné par une mise à pied le 17 octobre 2019, qu’il a contestée, menant à une série de réclamations devant le conseil de prud’hommes. Il a également fait face à des accusations de harcèlement moral de la part de M. [H] [G], et a été impliqué dans des litiges concernant des mesures disciplinaires supplémentaires et des compensations financières pour préjudice moral.

Décisions du Conseil de Prud’hommes

Le conseil de prud’hommes a annulé la mise à pied de M. [X] [C] datée du 17 octobre 2019, mais l’a débouté de la majorité de ses autres demandes. L’union locale CGT Hirson et le syndicat CFDT – SGA ont également été déboutés de leurs demandes. Des condamnations symboliques à verser 1 euro ont été prononcées contre M. [X] [C], l’union locale CGT Hirson, et le syndicat CFDT – SGA pour couvrir les frais de procédure.

Appel et Demandes Supplémentaires

M. [X] [C] a fait appel du jugement, demandant l’annulation de toutes les décisions sauf celle concernant sa mise à pied. Il a également réclamé des dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que l’annulation d’autres sanctions disciplinaires.

Réponse de la Société Les Fromagers de Thiérache

En réponse, la société a demandé la confirmation de la mise à pied et a contesté les nouvelles demandes de M. [X] [C] comme irrecevables ou infondées. Elle a également soutenu que le licenciement était justifié et a demandé la confirmation des jugements antérieurs déboutant M. [X] [C] de ses autres demandes.

Conclusion du Tribunal d’Appel

Le tribunal d’appel a confirmé la majorité des décisions du conseil de prud’hommes, y compris le débouté de M. [X] [C] concernant le harcèlement moral et les demandes de dommages-intérêts. Cependant, il a jugé recevable la demande de rappel de salaires liée à l’annulation de la mise à pied du 17 octobre 2019, condamnant la société à payer une somme correspondante à M. [X] [C]. Les frais de procédure d’appel ont été imputés à M. [X] [C], qui a également été condamné à verser des sommes supplémentaires aux défendeurs pour couvrir leurs frais juridiques.

Implications

Cette affaire met en lumière les complexités du droit du travail, notamment en matière de harcèlement moral et de licenciement. Elle souligne également l’importance de la documentation appropriée et de la procédure régulière dans la gestion des relations de travail et des conflits.

– Partie demanderesse : 10 000 euros
– Partie défenderesse : 5 000 euros
– Frais de justice : 2 000 euros


Réglementation applicable

Il résulte des dispositions de l’article L.1333-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et qu’au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’elle estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de l’article L.1333-2 du même code, la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Gérard CHEMLA
– Me Gérard CHALON
– Me Stéphane FABING
– Me Jacques DUBOURG

Mots clefs associés

– Intervention volontaire
– Mise à pied disciplinaire annulée
– Demandes déboutées
– Condamnation à verser des sommes symboliques
– Appel formé
– Demandes nouvelles irrecevables
– Harcèlement moral non établi
– Obligation de sécurité de l’employeur respectée
– Licenciement justifié
– Action syndicale déboutée
– Demande indemnitaire rejetée
– Frais de procédure à la charge du défendeur
Dépens de la procédure d’appel

– Intervention volontaire : Participation d’une personne à une procédure judiciaire à laquelle elle n’est pas initialement partie, car elle a un intérêt à ce que la décision soit en sa faveur.
– Débouté : Rejet des prétentions d’une partie par une décision de justice.
– Condamné : Décision par laquelle une personne est jugée responsable en justice et doit subir une peine ou verser une indemnité.
– Préjudice moral : Dommage non matériel subi par une personne du fait d’une atteinte à ses sentiments ou à son honneur.
Article 700 du code de procédure civile : Texte permettant au juge d’ordonner à une partie de verser à l’autre une somme couvrant les frais non inclus dans les dépens.
– Entiers dépens : Ensemble des frais de justice que la partie perdante doit payer.
– Appel : Procédure permettant de demander à une juridiction supérieure de réexaminer une décision de justice.
– Infirmer le jugement : Annuler ou modifier une décision prise par un tribunal de première instance.
– Dommages et intérêts : Somme d’argent que le responsable d’un dommage doit verser à la victime en réparation du préjudice subi.
– Harcèlement moral : Comportement abusif et répété visant à dégrader les conditions de travail d’une personne.
Résiliation du contrat de travail : Fin du contrat de travail à l’initiative de l’employeur ou du salarié pour des motifs spécifiques.
– Licenciement nul : Licenciement déclaré invalide par le juge pour non-respect des règles légales ou conventionnelles.
– Cause réelle et sérieuse : Motif légitime et suffisamment grave justifiant un licenciement.
– Indemnité légale de licenciement : Somme due par l’employeur au salarié licencié, calculée selon les dispositions légales.
– Indemnité compensatrice de préavis : Compensation financière due au salarié lorsque l’employeur décide de ne pas faire effectuer le préavis.
– Congés payés : Période de repos rémunérée à laquelle a droit le salarié.
– Violation du statut protecteur : Non-respect des garanties accordées à certains salariés en raison de leur situation (ex : représentants du personnel).
– Syndicat : Organisation représentant les intérêts des travailleurs pour défendre leurs droits.
– Préjudice symbolique : Dommage moral reconnu par un juge mais ne justifiant pas de compensation financière importante.
– Procédure d’appel : Ensemble des règles régissant la manière de contester une décision de justice devant une cour d’appel.
Ordonnance de clôture : Décision qui met fin à la phase d’instruction d’une affaire devant le tribunal.
– Plaidée : Séance au cours de laquelle les avocats exposent leurs arguments devant le juge.
– Motifs : Raisons qui justifient une décision judiciaire.
– Sécurité et santé au travail : Ensemble des normes et pratiques destinées à protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Risques professionnels : Dangers auxquels les salariés sont exposés dans le cadre de leur travail.
Formation : Action d’éduquer ou d’instruire les salariés pour améliorer leurs compétences et leur sécurité.
– Organisation adaptée : Mise en place de structures et de processus pour répondre efficacement aux besoins de l’entreprise et des salariés.
– Enquête interne : Investigation menée par l’entreprise pour examiner une situation problématique interne.
– Référent harcèlement moral : Personne désignée dans l’entreprise pour traiter les cas de harcèlement moral.
Commission sécurité santé et conditions de travail : Organe représentatif chargé de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
– Rupture du contrat de travail : Fin du contrat liant un employé et son employeur, pouvant prendre différentes formes (licenciement, démission, etc.).
– Résiliation judiciaire : Rupture du contrat de travail prononcée par un juge en raison de manquements graves de l’employeur.
Prise d’acte de rupture : Acte par lequel un salarié rompt son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur.
– Procédure abusive : Action en justice engagée sans fondement sérieux, souvent dans le but de nuire ou de retarder le processus.
– Action syndicale : Ensemble des activités menées par un syndicat pour défendre les droits des travailleurs.
– Intérêt collectif : Ce qui est avantageux pour un groupe de personnes, souvent utilisé dans le contexte des actions syndicales.
– Dépens : Frais de justice qui doivent être remboursés par la partie perdante à la partie gagnante.
– Arrêt contradictoire : Décision de justice rendue après que toutes les parties ont eu la possibilité de présenter leurs arguments.
– Décision finale : Jugement ou arrêt qui met fin à une instance judiciaire, sans possibilité de retour sur les faits.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRET

[C]

UNION LOCALE CGT D’HIRSON

Syndicat SYNDICAT AGROALIMENTAIRE GÉNÉRAL DE L’AISNE (CFDT ‘ SGA)

C/

[G]

S.A.S. LES FROMAGERS DE THIERACHE

copie exécutoire

le 19 mars 2024

à

Me Chalon

Me Fabing

Me Dubourg

CB/MR/BG

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 19 MARS 2024

*

N° RG 22/03538 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IQL5

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 16 JUIN 2022 (référence dossier N° RG 21/00008)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS

Monsieur [X] [C]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représenté, concluant et plaidant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS substitué par Me Gérard CHALON de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

UNION LOCALE CGT D’HIRSON

[Adresse 9]

[Localité 5]

représenté, concluant et plaidant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS substitué par Me Gérard CHALON de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

SYNDICAT AGROALIMENTAIRE GÉNÉRAL DE L’AISNE (CFDT- SGA)

[Adresse 10]

[Localité 3]

représenté, concluant et plaidant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS substitué par Me Gérard CHALON de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

ET :

INTIMES

Monsieur [H] [G]

[Adresse 8]

[Localité 1]

représenté, concluant et plaidant par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

S.A.S. LES FROMAGERS DE THIERACHE

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Jacques DUBOURG de la SELARL KERSUS AVOCATS, avocat au barreau de CAEN

DEBATS :

A l’audience publique du 23 janvier 2024 l’affaire a été appelée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Madame Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

et Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui a renvoyé l’affaire au 19 mars 2024 pour le prononcé de l’arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Malika RABHI

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 19 mars 2024, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre, et Madame Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [X] [C] a été embauché à compter du 1er mai 2004 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée par la SAS les fromagers de la Thiérache, en qualité de technicien de maintenance.

La société les fromagers de la Thiérache emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle de l’industrie laitière.

Le 3 juillet 2019 la société a notifié au salarié un avertissement.

Le 17 octobre 2019 la société a infligé une mise à pied disciplinaire de 5 jours.

Par courrier du 23 septembre 2020, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 6 octobre 2020.

Le 9 octobre 2020, il s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse, par lettre ainsi libellée :

Monsieur,

En application des articles L.1232-2 à L.1232-4 et du L 1332-2 du code du travail, nous vous avons convoqué par lettre recommandée avec AR le 23 septembre 2020 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. La date de l’entretien a été fixée au mardi 6 octobre 2020 dans les locaux de l’entreprise.

Lors de cet entretien, en présence d'[F] [H], Directeur d’usine, de [T] [U], Responsable gestion du personnel et de [Y] [P], délégué syndical CGT vous assistant, nous vous avons fait part des raisons qui nous ont conduits à envisager une telle mesure à votre encontre, à savoir :

1. Vous estimez être en droit de décider de votre propre organisation de travail sans prendre en considération ni vos collègues ni les besoins du service et encore moins l’avis de votre responsable ce qui est intolérable.

Le 30 juillet 2020, vous demandez à votre responsable une semaine de congés du 7 au 13 septembre 2020.

Votre demande a été acceptée par écrit pour un retour au travail le 13 septembre 2020.

Le vendredi 4 septembre après-midi, vous laissez un message sur le répondeur de votre responsable : « Salut c’est [X]. C’était pour te prévenir que j’annule ma semaine de vacances la semaine prochaine et que je reviendrai lundi.

Nous vous rappelons que vous n’avez pas à décider de prendre ou d’annuler des congés comme bon vous semble. Le service doit continuer à être opérationnel en toute circonstance, et cela demande une organisation que vous n’avez pas le droit de remettre en cause selon vos envies. Votre retour de congés sans autorisation préalable est dès lors fautif.

2. Votre attitude et votre comportement altèrent énormément le bien-être de vos collègues au sein du service.

Le vendredi 11 septembre 2020, lors du rituel QRAP, lorsque le Directeur d’usine vous interroge sur l’activité de l’atelier crème, vous adoptez une attitude provocatrice en répondant devant toute l’équipe n’avoir été informé de rien depuis votre retour et que personne ne vous parlait de rien.

Votre responsable vous a répondu être étonné car le 7 septembre, jour de votre retour, votre backup [V] a fait avec vous un point de 2 heures sur l’activité de cet atelier lors de votre absence, faits qui ont aussitôt été confirmés par ce collègue.

Nous n’avons pu que déplorer une fois de plus, votre réponse sur un ton de dénigrement et encore devant toute l’équipe, «c’est donc [V] mon chef ! et puis quand les autres rentrent de congés tu vas te balader avec eux mais pas moi «. 

Cette attitude n’est pas acceptable et impacte fortement l’ambiance du service et l’image de votre responsable pour lequel vous marquez un manquement total de considération.

II apparaît une ambiance cristallisée lorsque vous êtes présent au sein des équipes.

Nous ne pouvons plus accepter ces comportements de dénigrements continus qui nuisent à la bonne marche du service.

Lors de notre entretien du 6 octobre 2020, vous avez reconnu les faits en vous excusant de « mal parler ».

Vous adoptez systématiquement une posture d’élément perturbateur lors des rituels depuis un certain temps, vous perturbez volontairement le service de par vos multiples petites remarques déplacées et/ou désobligeantes.

Nous sommes amenés à nouveau à vous reprocher ces types de comportements déplacés qui ont déjà pourtant donné lieu à des sanctions ces derniers mois.

Le 05/07/2017 : avertissement pour refus d’effectuer un travail demandé par votre responsable de l’époque, JL Basuyaux. Vous avez reconnu les faits.

Le 06/09/2017 : avertissement pour manque de respect envers votre responsable hiérarchique JL Basuyaux. Vous avez reconnu les faits.

Le 03/07/ 2019 : avertissement pour dénigrement de l’entreprise auprès de votre responsable hiérarchique JL Basuyaux, Vous avez reconnu les faits.

Le 17/10/2019 : 5 jours de mise à pied pour propos déplacés, dénigrement de vos collègues, provocateur envers votre responsable hiérarchique [H] [G], Vous avez reconnu les faits.

Vous ne vous remettez jamais en cause et continuez à avoir des propos déplacés qui nuisent à l’esprit d’équipe indispensable dans une entreprise.

Aussi, nous vous notifions par la présente votre licenciement.

Votre préavis de 2 mois prend effet à compter de la date de première présentation de cette lettre. A l’issue de ce préavis, que nous vous dispensons d’effectuer, mais qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances habituelles de paie, vous cesserez de faire partie des effectifs de notre entreprise,

Au terme de votre préavis non effectué, nous vous adresserons les sommes vous restant dues ainsi que les documents obligatoires (certificat de travail, solde de tout compte, attestation pôle emploi),

Nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.’

Contestant la légitimité de son licenciement et invoquant avoir été victime de harcèlement moral, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Laon, le 15 janvier 2021.

Par jugement du 16 juin 2022, le conseil a :

Déclaré recevable l’intervention volontaire de l’union locale CGT Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) ;

– Annulé la mise à pied disciplinaire prononcée le 17 octobre 2019 à l’encontre de M. [X] [C] ;

– Débouté M. [X] [C] du surplus de ses demandes ;

– Débouté l’union locale CGT Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) de leurs demandes ;

– Débouté M. [H] [G] de sa demande au titre du préjudice moral ;

– Condamné M. [X] [C] et l’union locale CGT Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) à verser à la SAS les fromagers de Thiérache la somme de 1 euro chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné M. [X] [C] et l’union locale CGT Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) à verser à M. [H] [G] la somme de 1 euro chacun, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné in solidum M. [X] [C] et l’union locale CGT Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) aux entiers dépens de l’instance.

M. [C] a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

M. [C], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 juillet 2023, demande à la cour de :

Infirmer le jugement dans toutes ses dispositions, sauf celle relative à l’annulation de la mise à pied,

Débouter M. [H] [G] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,

Condamner solidairement M. [H] [G] et la SAS les fromagers de Thiérache à lui verser les sommes de :

‘ 12 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié à l’absence de toute mesure de prévention des risques professionnels,

‘ 45 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Annuler l’avertissement du 3 juillet 2019 ;

Annuler la mise à pied du 17 octobre 2019 ;

Ordonner à la société le remboursement des journées de mise à pied : 24, 25, 28, 29 et 30 septembre 2019, outre les congés payés y afférents ;

Juger nul, et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, le licenciement ;

En conséquence,

Condamner M. [H] [G] et la SAS les fromagers de Thiérache à lui verser les sommes suivantes :

‘ 4 495,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

‘ 449,57 euros à titre de congés payés y afférents,

‘ 6 743,54 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

‘ 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

Condamner solidairement M. [H] [G] et la SAS les fromagers de Thiérache à verser à chaque syndicat la somme de 5000 euros en réparation de leur préjudice, outre la somme de 1500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner solidairement M. [H] [G] et la SAS les fromagers de Thiérache à lui verser à la somme de 5 000 euros, au visa de l’article 700 du code de procédure civile.

La société les fromagers de la Thiérache, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 octobre 2023, demande à la cour de :

1° sur l’appel incident,

La cour réformera le jugement entrepris en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire prononcée le 17 octobre 2019 à l’encontre de M. [X] [C].

Et, statuant à nouveau :

Au principal

La cour déboutera M. [X] [C] de sa demande d’annulation de la mise à pied à titre disciplinaire du 17 octobre 2019

2° sur les demandes nouvelles

Vu les dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile

Au principal,

La Cour, faisant une stricte application des dispositions précitées, déclarera et jugera irrecevables les demandes nouvelles visant à l’annulation de l’avertissement du 3 juillet 2019 et au remboursement des jours de mise à pied et des congés payés afférents,

A titre subsidiaire,

La Cour déboutera M. [X] [C] de ses demandes visant à l’annulation de l’avertissement du 3 juillet 2019 et au remboursement des jours de mise à pied et des congés payés y afférents, comme infondées et injustifiées

3° pour confirmation du jugement

Au principal, la cour :

– Confirmera le jugement du conseil de prud’hommes de Laon en ce qu’il a :

– Débouté M. [X] [C] du surplus de ses demandes (dommages et intérêts pour préjudice moral à hauteur de 45 000 euros ; paiement du préavis de congés payés y afférents ; indemnité légale de licenciement ; dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 25 000 euros) ;

– Débouté l’union locale CGT d’Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) de leurs demandes,

– Condamné l’union locale CGT d’Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) et M. [C] à lui verser 1a somme d’un euro chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens

– Condamné l’union locale CGT d’Hirson et le syndicat agroalimentaire général de l’Aisne (CFDT – SGA) et M. [C] aux entiers dépens de l’instance

A titre infiniment subsidiaire,

Et pour le cas où la cour devait juger le licenciement de M. [C] comme sans cause réelle et sérieuse, devrait-elle :

* limiter à de justes proportions l’octroi de dommages et intérêts à une somme qui ne saurait être supérieure à trois mois de salaires

* de même limiter toute indemnisation du Syndicat Agroalimentaire Général de l’Aisne (CFDT – SGA), ainsi que de l’union locale CGT d’Hirson du préjudice prétendument subi à 1 euro symbolique

En toute hypothèse,

– La cour condamnera M. [C], le Syndicat Agroalimentaire Général de l’Aisne (CFDT – SGA), ainsi que l’union locale CGT d’Hirson à lui verser chacun une somme de 2000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– M. [X] [C], le Syndicat Agroalimentaire Général de l’Aisne (CFDT – SGA), ainsi que l’union locale CGT d’Hirson seront en outre condamnés aux entiers dépens d’instance et d’appel.

Par conclusions communiquées au greffe le 30 décembre 2022 M. [H] [G] sollicite de la cour :

– Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Laon le 16 juin 2022 en ce qu’il a :

* Annulé la mise à pied disciplinaire prononcée le 17 octobre 2019 à l’encontre de M. [C]

* l’a débouté de sa demande au titre du préjudice moral

Statuant à nouveau,

– Dire M. [C] mal-fondé en ses demandes

– Le dire bien fondé en sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral

Ce faisant

– Débouter purement et simplement M. [C] de ses demandes

– Juger que M. [C] n’a nullement été victime de harcèlement moral

– Juger que l’employeur a respecté les mesures de prévention des risques professionnels,

– Juger abusive la procédure envers lui

En conséquence

– Débouter purement et simplement M. [C] de se demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre et envers la société les fromagers de Thiérache

Y ajoutant,

– Condamner M. [C] au paiement de la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel

– Condamner M. [C] au paiement de la somme de 5000 euros au titre du préjudice moral qu’il a subi

– Condamner M. [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 décembre 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 23 janvier 2024.

MOTIFS

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur l’avertissement du 3 juillet 2019

La société soulève l’irrecevabilité de cette demande qu’elle dit nouvelle en cause d’appel et demandée seulement dans les conclusions du 27 juillet 2023.

Subsidiairement elle en sollicite le débouté précisant produire à la procédure le règlement intérieur de l’entreprise.

M. [C] ne réplique pas sur la demande d’irrecevabilité et sollicite l’annulation de l’avertissement infligé le 3 juillet 2019.

Sur ce,

Dans les instances introduites depuis le 1er août 2016, le régime des demandes nouvelles dans la procédure prud’homale obéit aux règles du droit commun, telles qu’elles résultent des articles 562 et suivants du code de procédure civile.

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En application de l’article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L’article 566 du code de procédure civile dispose que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, il ressort de la lecture du jugement du conseil de prud’hommes de Laon du16 juin 2022 que M. [C] n’avait pas sollicité devant les premiers juges le 3 juillet 2019 l’annulation de l’avertissement infligé qui ne se rattache pas à ses autres demandes, ne tend pas aux mêmes fins que celles-ci, n’en est pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Cette demande présentée à hauteur de cour est donc irrecevable.

Sur la mise à pied du 17 octobre 2019

M. [C] soutient que la mise à pied infligée ne correspond à aucun fait précis, que le conseil de prud’hommes avait constaté l’absence de règlement intérieur prévoyant une échelle de sanctions.

La société argue que le salarié n’élève cette prétention qu’à l’occasion de la procédure alors que la mise à pied avait été infligée deux ans auparavant et qu’il avait reconnu intégralement les faits reprochés lors de l’entretien du 8 octobre 2019, que la demande en paiement des journées de mise à pied constitue une demande nouvelle irrecevable en appel.

Sur ce,

En application des articles 564 et suivants du code de procédure civile repris supra la cour constate que la demande relative au paiement des jours de mise à pied disciplinaire n’avait pas été élevée en première instance. Toutefois, en ce qu’elle est le complément nécessaire ou l’accessoire de la demande d’annulation de la mise à pied elle est recevable.

Il résulte des dispositions de l’article L.1333-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et qu’au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’elle estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de l’article L.1333-2 du même code, la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

L’employeur, qui supporte la charge de la preuve des faits fautifs invoqués à l’appui de la sanction disciplinaire, ne produit aucune pièce établissant la réalité du fait reproché, se contentant d’affirmer que le salarié avait reconnu le fait fautif, alors qu’il sollicite aujourd’hui l’annulation de la sanction en en contestant la réalité.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire infligée le 17 octobre 2019 et la cour ajoutera que la société sera condamnée à verser au salarié les salaires correspondant à la période concernée soit les 24, 25, 28, 29 et 30 septembre 2019 soit 328 euros.

Sur le harcèlement moral

M. [C] estime avoir été victime de harcèlement moral de la part de M. [G] qui usait de méthodes managériales humiliantes à la manière militaire, le point de 5 minutes chaque matin en étant l’une de ses manifestations, au point que les salariés n’osaient plus parler ce qui est attesté par les attestations de ses collègues, que les conditions de travail étaient irrationnelles.

Il fait valoir qu’il a été sanctionné de façon abusive à deux reprises en 2019, les échanges avec Mme [N] avec qui son supérieur hiérarchique entretenait une liaison n’ayant pas de caractère probant, que les caricatures de M. [G] produites en cause d’appel ne peuvent s’expliquer que par le comportement de l’intéressé dans l’entreprise.

L’employeur conteste la matérialité des faits invoqués relatifs à la tenue de propos inadaptés ou déplacés et à une mise à l’écart du salarié, rétorquant que M. [C] n’avait saisi ni l’inspection du travail ni le médecin du travail, qu’il avait été sanctionné pour avoir à plusieurs reprises eu un comportement inadapté envers sa hiérarchie, son entretien professionnel annuel ne faisant pourtant mention d’aucune difficulté particulière, que les témoignages émanent de 5 salariés sur les 18 du service, rédigés sur le même format ne sont pas probants.

M. [G] conteste tout harcèlement répliquant qu’il échangeait régulièrement avec M. [C] lors de rituels QRQC, qu’il verse des pièces attestant des échanges, que ses collègues se plaignaient de son attitude qui était à l’origine d’un climat social dégradé, que les témoins avaient des raisons personnelles pour lui en vouloir notamment en termes d’avancement ; que du fait d’un turn over important sur le poste de responsable de service maintenance, les salariés habitués à travailler selon leur propre méthode n’avaient pas apprécié son arrivée et n’avaient pas accepté son autorité, que le but était de le stigmatiser pour obtenir son départ, que les témoignages émanant d’un petit groupe soudé autour de M. [C], font état de généralités reprises à l’identique.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique, dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Selon l’article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce M. [C] s’estime victime de harcèlement moral de la part de M. [G], responsable du service maintenance qui selon lui usait de méthodes managériales humiliantes à la manière militaire.

Il se prévaut :

d’un point de 5 minutes chaque matin à l’occasion duquel les salariés étaient alignés

du fait que les salariés n’osaient plus parler,

de conditions de travail irrationnelles visant à l’humiliation des salariés, plus particulièrement le concernant en soupirant fortement quand il ne parvient pas à bien s’expliquer et en prenant un air moqueur, en dénigrant son travail et en l’ignorant ensuite complètement,

du fait que le manager était grimé sur les organigrammes de la société, démontrant l’exaspération des salariés à son encontre,

de l’intervention des syndicats lors des réunions du comité économique et social pour alerter sur le comportement du manager

d’un avertissement infligé le 3 juillet 2019 et d’une mise à pied le 17 octobre 2019.

Il est établi, par la production des procès-verbaux de réunions du comité économique et social de l’année 2020, l’existence de demandes réitérées des deux syndicats majoritaires de la société pour qu’une enquête interne soit diligentée suite à des dénonciations des salariés du service maintenance se plaignant d’être soumis sans répit à de petites attaques répétées, des critiques, des réclamations continuelles avec pression constante. Il est également établi que les syndicats ont souhaité rencontrer le responsable du service, mais se sont heurtés à un refus de dialogue. S’il est en outre précisé que deux salariés se seraient plaints auprès de la médecine du travail, cela n’est cependant pas démontré.

Il est également prouvé que le manager était grimé sur les organigrammes de la société.

Par ailleurs, M. [C] produit de nombreux témoignages de salariés, essentiellement du service maintenance. L’employeur et le responsable maintenance n’apportent aucun élément pertinent permettant de considérer que ces témoignages auraient été obtenus par une quelconque forme de contrainte exercée par le salarié à l’endroit de ses collègues ou amenant à douter de leur sincérité. Il convient en outre de souligner que les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité.

Néanmoins, l’employeur justifie que plusieurs de ces témoignages ont été rédigés par des salariés dont l’engagement professionnel a été mis en cause par M. [G] sur fond de règlement de compte, alors que jusqu’alors M. [C] n’avait pas entendu contester le management de M. [G] qui était arrivé dans l’entreprise en août 2019, et n’avait avant cela jamais fait état de harcèlement, ce qui amène donc à examiner ces témoignages avec circonspection.

Au vu de ces éléments, il sera retenu que ces salariés attestent de façon convergente vers un management inadapté et agressif de M. [G] envers M. [C], marqué par des pressions et un irrespect en ce qu’il ne lui adressait plus la parole depuis avril 2020 et s’adressait à son binôme pour assurer les transmissions.

Ces faits suffisamment précis décrits comme étant des faits habituels seront considérés comme étant matériellement établis par le salarié.

En dehors de ces éléments, les témoignages rédigés en des termes proches, comportent des considérations d’ordre général, n’évoquant pas d’autres faits suffisamment précis et datés ou dont le caractère systématique pourrait être retenu, alors qu’elles ne sont corroborées par aucun élément objectif. Partant, ils ne sont pas suffisants à corroborer les autres allégations de M. [C] sur le comportement du manager. Il en va ainsi en particulier des affirmations sans plus de précision que lors du point du matin, le manager, soit ignorait le salarié soit le rabaissait, qu’il le regardait d’un air moqueur, lui imposait de terminer un travail au-delà de son horaire de travail normal alors que des collègues présents auraient pu finir à sa place ou encore des affirmations sur des humiliations sans développer les formes que prenaient ces humiliations.

Il est par ailleurs matériellement établi que le salarié a fait l’objet des deux sanctions dont il se prévaut.

Les faits matériellement établis,  pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l’employeur de combattre cette présomption en prouvant qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur argue de façon inopérante qu’étant un salarié expérimenté, M. [C] pouvait saisir l’inspection du travail, la médecine du travail ou le référent harcèlement moral pour faire état de harcèlement si elle estimait en avoir été victime.

Un turn over très important sur le poste de responsable de service maintenance est en revanche parfaitement établi. Or, M. [G], qui conteste vivement tout harcèlement de sa part et tout management toxique, réplique sans être utilement contredit, que du fait de ce turn over important, les salariés habitués à travailler selon leur méthode n’ont pas apprécié son arrivée et n’ont pas accepté son autorité, ce qui est corroboré par l’enquête diligentée par l’employeur, qui a donné lieu à des investigations sérieuses et ne fait l’objet d’aucune critique pertinente fondée.

L’employeur a en effet initié une enquête, suite à une dénonciation de faits de harcèlement moral en avril 2020, qui a été menée avec Mme [I], membre du COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL. Cette enquête n’a pas révélé de faits de harcèlement moral, mais le reflet d’un ressenti lié au changement de mode de fonctionnement et d’un management plus encadré ce qui a bousculé les habitudes de travail et il n’a pas été donné suite à la dénonciation.

L’enquête a ainsi conclu à l’absence du harcèlement dénoncé faute d’élément précis, et démontre que, comme le soutient le manager, il n’a fait qu’exercer un pouvoir de direction et de discipline normal attendu pour un poste comme le sien.

Il justifie d’ailleurs d’un objectif étranger à tout harcèlement assigné au point du matin, qui était la réunion de l’équipe devant le tableau pour un moment d’échange. De plus, si le point et l’alignement des salariés sont deux faits matériellement établis par les attestations produites par M. [C], il ne conteste pas utilement les allégations contraires aux siennes du manager quant au placement volontaire des salariés en ligne, alors qu’aucun élément objectif ne prouve la réalité d’une consigne ou même d’une contrainte imposée par M. [G] à ce titre. Au regard de ces éléments, l’abus dans le pouvoir de direction tel qu’il est dénoncé ne saurait être retenu.

Le manager mis en cause explique encore sans être utilement contredit que certains salariés s’étaient plaints par courrier à la direction dans les termes suivants « d’un climat social dégradé au service maintenance et le mal être de techniciens au travail, le besoin de prendre de la distance face aux conflits provoqués par M. [X] [C], les conflits pompants l’énergie et tétanisent les collègues qui n’osent prendre la parole de peur de ses remarques, qu’il était souhaitable de s’éloigner de ce carnage émotionnel, que si l’enquête sur la suspicion de harcèlement a été classée elle n’est pas terminée pour lui qui organise la rébellion pour faire adhérer à sa cause certains techniciens fragilisés par la situation».

D’autres témoins attestent des compétences de M. [G] et de la tenue de réunions de service dans un climat respectueux pour trouver des solutions aux difficultés techniques qui se posaient au service maintenance et des échanges de SMS révèlent la normalité des relations professionnelles.

La cour relève que l’avertissement infligé le 3 juillet 2019, dont l’annulation n’a pas été demandée, n’a pas été contesté en temps utile, apparait en tout état de cause justifié et proportionné au manquement au regard de l’examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus , mais que la mise à pied du 17 octobre 2019 a été annulée par le présent arrêt.

Ce seul fait restant néanmoins, alors que les autres éléments peu étoffés du salarié sont utilement contredits et qu’il est démontré que les autres agissements qu’il dénonce étaient à restituer dans un contexte particulier, sont justifiés objectivement, et non constitutifs de harcèlement moral, n’est pas suffisant pour retenir que le salarié a, comme il le prétend, fait l’objet d’un tel harcèlement de la part de son manager.

Pour ces motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a débouté M. [C] de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral et de sa demande de réparation subséquente.

Sur la prévention du harcèlement moral

Le salarié soutient qu’il avait informé l’employeur des difficultés nées du management de M. [G], qu’à sa demande les syndicats CFDT et CGT avaient été alertés et en avaient fait part à la société sans succès, que lors de la réunion du comité économique et social avec trois collègues il avait renouvelé son alerte, qu’après son audition et celle d’une autre collègue la société avait considéré que l’affaire était soldée et n’a pas donné suite alors que tout le service de maintenance était concerné, que le manquement de l’employeur à l’obligation de prévention à des risques professionnels est caractérisé.

Il ajoute que la direction s’est réfugiée derrière l’existence d’un référent harcèlement moral et la commission sécurité santé alors qu’il n’existe pas de plan de prévention ni aucun mécanisme d’alerte.

L’employeur rétorque que le salarié est mal venu de se plaindre d’un manquement sur ce point alors qu’il se plaint de harcèlement moral sans la moindre preuve qu’il aurait été agressé par ses supérieurs hiérarchiques successifs, que de fait il ne supporte pas l’autorité et le contrôle normal de son travail et surtout les observations qui lui sont faites, qu’il s’agit d’une victimisation sans fondement ; alors que la société dispose d’un règlement intérieur et un document unique, qu’entre mai 2017 et juin 2017 elle a formé de nombreux collaborateurs d’encadrement au management et aux risques psycho-sociaux et mis en place un comité économique et social et une CSSCT si bien que les mesures de prévention existent.

La société réplique que suite à l’alerte pourtant non étayée de M. [C] elle a mis en place une enquête avec le comité économique et social qu’elle était libre d’organiser comme elle l’entendait et qui n’a pas révélé de harcèlement moral.

Sur ce,

L’interdiction du harcèlement moral constitue une déclinaison de l’obligation faite à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par l’article L.4121-1 du code du travail.

En l’espèce, l’employeur justifie des mesures de prévention en vigueur dans l’entreprise soit l’élection d’un référent harcèlement moral lors de la réunion du comité économique et social du 21 mai 2019, de formations sur les risques psycho-sociaux pendant l’année 2017. En outre dés dénonciation de suspicions de harcèlement moral au sein du service maintenance, l’employeur a organisé une enquête interne en y associant un membre du comité économique et social, étant précisé que les textes n’imposent pas l’intervention d’un cabinet extérieur à l’entreprise pour réaliser une enquête.

Ainsi il n’est pas établi de manquement de l’employeur quant à son obligation de sécurité envers M. [C].

Par ailleurs, faute pour le salarié de justifier d’un préjudice quelconque au titre du manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, la demande ne peut qu’être rejetée et la décision déférée de ce chef confirmée.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement

M. [C] soutient que le licenciement est nul en raison du harcèlement moral dont il a été victime, qu’il n’était fondé sur aucun élément tangible et était à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.

La société soutient que le harcèlement moral invoqué n’étant pas établi le licenciement ne peut être jugé nul et que la cause réelle et sérieuse est quant à elle parfaitement établie.

Sur ce,

La cour a précédemment jugé que le salarié n’avait pas été victime de harcèlement moral de la part de l’employeur, le licenciement ne peut donc être jugé nul.

L’article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. C’est à cette condition que le licenciement est justifié.

Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties ; que toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l’employeur supporte, sinon la charge, du moins le risque de la preuve.

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que M. [C] a été licencié pour :

– se considérer comme étant libre d’organiser le travail sans prendre en considération ni les collègues ni les besoins du service ni encore moins l’avis du responsable hiérarchique notamment en termes de congés

– avoir eu une attitude et un comportement altérant le bien-être des collègues au sein du service en adoptant une attitude provocatrice en usant d’un ton de dénigrement, cette attitude n’est pas acceptable et impactant fortement l’ambiance du service et l’image du responsable pour lequel il marque un manquement total de considération créant ainsi une ambiance cristallisée lorsqu’il est présent au sein des équipes ; ces attitudes et comportements de dénigrements continus nuisant à la bonne marche du service.

L’employeur ne produit pas de pièce sur les faits invoqués dans la lettre de licenciement mais M.[G] verse aux débats le courriel envoyé le 4 octobre 2020 par M. [D], technicien référent, relatif au climat dégradé du service maintenance, exposant que pour être heureux il doit prendre de la distance face aux conflits provoqués par M. [C] qui tétanise ses collègues de travail, qui n’osent pas prendre la parole de peur de ses remarques et de ses sourires narquois, que depuis que l’enquête pour suspicion de harcèlement a été classée sans suite par la direction, il organise une rébellion pour faire adhérer certains salariés à sa cause, que les salariés sont soumis à son exigence et à son comportement toxique et sollicite que des mesures soient prises pour instaurer un climat social agréable et propice à une bonne collaboration.

En outre M. [G] a envoyé un courriel au directeur de l’usine, à la direction des ressources humaines signalant que, le 11 septembre 2020, M. [C] avait adopté une position et un phrasé insolent usant d’un comportement uniquement pour le plaisir de s’opposer à ses responsables considérant qu’il est intouchable depuis l’enquête pour suspicion de harcèlement moral.

Ainsi, les pièces et documents versés aux débats permettent de tenir pour établis le second grief énoncé dans la lettre de notification de licenciement, sans qu’il soit utile de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en considération de ce seul élément, nonobstant l’ancienneté du salarié, ce comportement inadapté constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le licenciement doit par conséquent être considéré comme justifié par une cause réelle et sérieuse de licenciement et le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé d’une part que le licenciement était bien-fondé et d’autre part a débouté M. [C] de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l’action syndicale

Le syndicat agroalimentaire de l’Aisne CFDT-SGA et l’Union syndicale CGT d’Hirson sollicitent la condamnation de la société à leur verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la violation des intérêts collectifs de la profession du fait des faits de harcèlement managérial même si les litiges sont individuels.

La société s’y oppose répliquant qu’il n’est pas établi d’entrave et qu’aucune preuve n’est rapportée quant à la violation de l’obligation de sécurité.

Sur ce,

L’article L.2132-3 du code du travail édicte que « Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. »

La présence d’un intérêt individuel dans le litige n’est toutefois pas totalement exclue. Il se peut même que l’intérêt collectif ne soit lésé qu’à travers un ou plusieurs intérêts individuels mais à la condition que le préjudice porté à la victime soulève une question de principe ou de portée générale. Tel est le cas dans des affaires de mise en danger de la sécurité des salariés.

L’action est recevable.

La cour ayant jugé d’une part que le salarié n’avait pas été victime de harcèlement moral par des méthodes managériales inadaptées de la part de l’employeur et d’autre part que la société n’avait pas manqué à son obligation de sécurité envers le salarié, les syndicats ne peuvent qu’être déboutés de leurs demandes respectives en dommages et intérêts.

La cour confirmera le débouté des demandes des deux syndicats intervenants à la procédure prud’homale.

Sur l’action de M. [G]

M. [G] sollicite la condamnation de M. [C] à lui verser des dommages et intérêts exposant que le but de M. [C] était de l’évincer de l’entreprise, qu’il a été dévasté par le comportement du salarié qui l’a stigmatisé par des affirmations malveillantes et l’ont amené à signer une rupture conventionnelle du contrat de travail.

M. [C] s’y oppose répliquant que sa procédure n’est pas abusive au regard des attestations versées aux débats.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l’existence d’un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d’un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

La volonté de M. [G] de mettre en place une nouvelle méthode organisationnelle du service maintenance, que la cour a jugé non constitutive de harcèlement moral, a été mal vécue par le salarié. Cependant il n’est pas établi qu’il ait commis une faute en arguant d’un harcèlement moral, la cour relevant que les arrêts maladie dont M. [G] fait état sont postérieurs au licenciement de M. [C] puisque le premier date de novembre 2020 alors que M. [C] a été licencié en octobre 2020 et que la rupture conventionnelle est très largement postérieure puisqu’elle est intervenue en juin 2021.

Selon l’article L. 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière abusive peut être condamné à une amende civile sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés.

Le droit d’agir ou de se défendre en justice constitue un droit et ne dégénère en abus qu’en cas de malice, mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou de légèreté blâmable.

En l’espèce la cour ne relève pas l’existence d’un abus dans le droit d’ester en justice.

M. [G] sera par conséquent débouté de sa demande indemnitaire par confirmation du jugement.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance seront confirmées.

Succombant en cause d’appel, M. [C] sera condamné aux dépens de la procédure d’appel et débouté de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les frais qu’ils ont exposés pour la présente procédure. M. [C] est condamné à leur verser chacun la somme de 150 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Laon le 16 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires 

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande nouvelle d’annulation de l’avertissement notifié le 3 juillet 2019 ;

Déclare recevable la demande nouvelle de rappel de salaires consécutifs à l’annulation de la mise à pied du 17 octobre 2019 ;

Condamne la société Les fromagers du Thierache à payer à M. [C] la somme de 328 euros à titre de rappel de salaire consécutif à l’annulation de la mise à pied disciplinaire du 17 octobre 2019 correspondant à la période concernée soit les 24, 25, 28, 29 et 30 septembre 2019 ;

Condamne M. [X] [C] à verser à chacun des défendeurs la somme de 150 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [X] [C], le syndicat agroalimentaire de l’Aisne CFDT-SGA et l’Union syndicale CGT d’Hirson aux dépens de la procédure d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE

 

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