L’obligation de formation de l’employeur n’a pas seulement pour objet l’adaptation du salarié à son poste mais également le maintien de son employabilité.
L’employeur qui s’abstient de justifier de toute proposition de formation durant 11 ans d’activité du salarié est nécessairement défaillant dans son obligation de formation.
Ce manquement de l’employeur à l’obligation de formation a amoindri les chances de progression de carrière du salarié dans l’entreprise. Ce manquement a également nécessairement réduit l’employabilité du salarié sur le marché du travail.
En vertu de l’article L6321-1 du code du travail l’employeur a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller à leur capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Nos conseils :
– Assurer la formation continue des salariés pour maintenir leur employabilité et favoriser leur progression de carrière.
– Respecter les dispositions légales en matière de harcèlement moral et veiller à prévenir tout comportement pouvant porter atteinte à la santé mentale des salariés.
– Répondre de manière transparente et rapide aux demandes des salariés concernant leurs droits et documents professionnels, afin d’éviter tout contentieux ultérieur.
M. [O] a été embauché par la société GP2i en 2007 en tant qu’approvisionneur, puis a été transféré à la société Excent France en 2012. Après avoir été déclaré inapte à son poste, il a été licencié pour inaptitude physique non professionnelle en 2019. M. [O] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Toulouse, qui a jugé le licenciement comme étant pour une cause réelle et sérieuse. M. [O] a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour de reconnaître qu’il a été victime de harcèlement moral, que son licenciement est entaché de nullité et de lui verser diverses sommes. La société Excent France conteste ces allégations et demande le rejet des demandes de M. [O]. L’affaire est en attente de jugement après la clôture de l’instruction en 2024.
Manquement à l’obligation de formation
L’employeur a été condamné à verser 2 000 euros de dommages et intérêts au salarié pour ne pas avoir proposé de formation pendant 11 ans malgré les demandes réitérées de ce dernier.
Harcèlement moral
Le salarié a présenté des éléments laissant supposer l’existence de harcèlement moral, notamment des agissements dévalorisants et une surveillance accrue de la part de ses supérieurs. La cour a jugé que ces agissements constituaient du harcèlement moral et a accordé au salarié 3 000 euros de dommages et intérêts.
Conséquences du harcèlement
Le salarié a été déclaré inapte au travail en raison de l’état dépressif causé par le harcèlement. Son licenciement a été jugé nul et il a obtenu une indemnité de préavis, des dommages et intérêts pour licenciement nul, ainsi que des indemnités chômage.
Sur le surplus des demandes
La société EXCENT France a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser 2 400 euros au salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation
– 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– 21 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
– 4 350 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 435 euros au titre des congés payés afférents
– 2 400 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
Réglementation applicable
– Code du travail
– Code de la sécurité sociale
– Code de la sécurité intérieure
– Code de la santé publique
Article L6321-1 du code du travail:
« L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille à l’adaptation des salariés à leur poste de travail et doit veiller à leur capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. »
Article L.1152-1 du code du travail:
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Article L.1154-1 du code du travail:
« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. »
Article L.1235-3-1 du code du travail:
« En cas de licenciement nul, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. »
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Pierre THERSIQUEL de l’AARPI HANDBURGER-DARROUS-THERSIQUEL AVOCATS
– Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS
– Me Gilles SOREL
Mots clefs associés
– Obligation de formation
– Adaptation des salariés
– Evolution des emplois
– Harcèlement moral
– Conditions de travail
– Dignité
– Santé physique et mentale
– Employabilité
– Préjudice
– Licenciement nul
– Obligation de formation : devoir pour l’employeur de permettre aux salariés de se former et d’acquérir de nouvelles compétences pour évoluer dans leur poste de travail.
– Adaptation des salariés : capacité des salariés à s’adapter aux évolutions de leur environnement professionnel et à acquérir de nouvelles compétences.
– Evolution des emplois : changements dans les missions, les compétences requises et les conditions de travail liés à l’évolution des métiers et des secteurs d’activité.
– Harcèlement moral : comportements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié.
– Conditions de travail : ensemble des éléments qui définissent l’environnement dans lequel les salariés exercent leur activité professionnelle.
– Dignité : respect de la personne humaine et de ses droits fondamentaux, notamment dans le cadre de son travail.
– Santé physique et mentale : état de bien-être physique et mental des salariés, qui peut être influencé par leurs conditions de travail.
– Employabilité : capacité des salariés à conserver leur emploi ou à en trouver un nouveau en fonction de l’évolution du marché du travail.
– Préjudice : dommage subi par un salarié du fait d’une action ou d’une décision de l’employeur.
– Licenciement nul : rupture du contrat de travail considérée comme abusive et pouvant donner lieu à des sanctions pour l’employeur.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
07/05/2024
ARRÊT N°2024/155
N° RG 22/00509 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OTBV
SB/CD
Décision déférée du 16 Décembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/01578)
P. BOUCHER
Section Industrie
[S] [O]
C/
SAS EXCENT FRANCE
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 7/5/2024
à Me GHERSIQUEL,
Me SOREL
Ccc à FRANCE TRAVAIL
Le 7/5/24
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU SEPT MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANT
Monsieur [S] [O]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Pierre THERSIQUEL de l’AARPI HANDBURGER-DARROUS-THERSIQUEL AVOCATS, avocat au barreau de GERS
INTIM »E
SAS EXCENT FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Yannick LIBERI de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant, S. BLUM », présidente, chargée du rapport et M. DARIES, conseillère. Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM », présidente
M. DARIES, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [S] [O] a été embauché le 27 juillet 2007 par la société GP2i en qualité d’approvisionneur suivant contrat de travail à durée déterminée allant du 6 août au 2 novembre 2007, régi par la convention collective nationale des industries métallurgiques, électriques et électroniques de Midi-Pyrénées.
Par un premier avenant du 31 octobre 2007, le contrat de travail de M. [O] a été prolongé jusqu’au 31 janvier 2008.
Par un second avenant du 31 janvier 2008, le contrat de travail de M. [O] a été prolongé jusqu’au 30 avril 2008, en qualité d’assistant achats.
Un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu entre les parties le 6 mai 2008.
Le 1er juillet 2012, la société GP2i et d’autres filiales du groupe Excent ont fusionné pour devenir la société Excent France. Dans ce cadre, M. [O] a été embauché le 1er juillet 2012 par la société Excent France en qualité d’approvisionneur avec reprise d’ancienneté.
A compter du 1er janvier 2016 et jusqu’à la fin de la relation de travail, M. [O] a occupé le poste de manufacturing manager.
M. [O] a été placé en arrêt de travail le 24 juin 2016.
Par courrier du 14 septembre 2016, M. [O] a sollicité un passage à temps partiel. La société Excent France a rejeté sa demande par courrier recommandé du 31 janvier 2017.
M. [O] a de nouveau été placé en arrêt de travail du 30 janvier 2017 au 25 mars 2019.
En février 2017, la société Excent France a proposé à M. [O] la signature d’une rupture conventionnelle. Le salarié l’a refusé.
A l’occasion d’une visite de reprise, la médecine du travail a déclaré M. [O] inapte à son poste de travail avec impossibilité de reclassement dans un emploi.
Après avoir été convoqué par courrier du 9 mai 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 mai 2019, M. [O] a été licencié par courrier du 28 mai 2019 pour inaptitude physique non professionnelle.
M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 3 octobre 2019 pour contester son licenciement, demander la reconnaissance d’agissements de harcèlement moral et demander le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud’hommes de Toulouse, par jugement du 16 décembre 2021, a :
– dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce n°33 du salarié
– dit que le licenciement de M.[O] repose sur une cause réelle et sérieuse
– débouté M.[O] de l’ensemble de ses demandes
– débouté les parties de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile
-dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens
***
Par déclaration du 18 janvier 2022 M. [S] [O] a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 1er avril 2022, M. [S] [O] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions sur le fondement des articles 542 et 954 du code de procédure civile,
– le constater tant recevable que bien-fondé en son action,
– constater que la Sas Excent France a manqué à son obligation d’adaptation, en privant son salarié de formation durant onze ans,
– constater que Monsieur [O] a été victime de harcèlement moral ;
– constater que le licenciement pour inaptitude est entaché de nullité, en ce qu’il est lié audit harcèlement.
En conséquence :
– condamner la Sas Excent France à lui régler les sommes de :
9 051,40 euros à titre de dommages intérêts pour le manquement à l’obligation d’adaptation,
10 861,68 euros à titre de dommages-intérêts suite aux agissements de harcèlement moral,
21 723,36 euros à titre de dommages-intérêts quant à la nullité du licenciement,
5 430,84 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
– ordonner à la Sas Excent France de rembourser une somme équivalant à 6 mois d’indemnité de chômage,
– condamner la Sas Excent France au paiement d’une somme de 2 400 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Sas Excent France en tous les dépens.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 30 juin 2022, la Sas Excent France demande à la cour de :
A titre principal :
– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu que la pièce n°33 (devenue pièce n°29 en appel) avancée par le demandeur devait être retenue comme élément de preuve,
– confirmer le jugement pour le surplus.
Et statuant à nouveau,
– à titre liminaire, écarter du débat la pièce adverse n°29, en ce qu’elle constitue un moyen de preuve déloyal et illicite,
– rejeter les prétentions de M. [O] relatives à un prétendu manquement à son obligation de formation et d’adaptation,
– rejeter les prétentions de M. [O] tendant à dire qu’il aurait été victime de harcèlement moral et qu’elle aurait manqué à son obligation de sécurité,
– rejeter la demande de nullité du licenciement pour inaptitude formulée par M. [O] en l’absence de tout harcèlement moral affectant son prononcé.
En conséquence,
– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Et statuant à nouveau,
– rejeter les prétentions de M. [O] relatives à un prétendu manquement à son obligation de formation et d’adaptation,
– rejeter les prétentions de M. [O] tendant à dire qu’il aurait été victime de harcèlement moral et qu’elle aurait manqué à son obligation de sécurité,
– rejeter la demande de nullité du licenciement pour inaptitude formulée par M. [O] en l’absence de tout harcèlement moral affectant son prononcé.
En tout état de cause, à titre reconventionnel :
– condamner M. [O] à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [O] aux entiers dépens.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 23 février 2024.
***
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le manquement à l’obligation de formation
En vertu de l’article L6321-1 du code du travail l’employeur a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller à leur capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Au cas d’espèce alors que le salarié établit par la production de ses comptes rendus d’évaluation annuelles de 2010, 2013, 2014 et 2015 ainsi que par un courriel du 19 février 2013 ,avoir sollicité de manière réitérée une formation au logiciel EXCEL, l’employeur ne justifie d’aucune proposition de formation au salarié pendant toute la relation contractuelle d’une durée de 11 ans.
L’employeur rétorque que les connaissances du salarié étaient adaptées à son poste ainsi qu’en atteste son évolution professionnelle, passant en 2012 d’un poste d’assistant achat à celui d’approvisionneur (niveau V-1 échelon 395) puis en janvier 2016 à un poste de manufacturing manager. Ces changements de postes, dont certains n’ont pas été accompagnés d’un changement de classification conventionnelle, ne sauraient exonérer l’employeur de l’obligation de formation qui n’a pas seulement pour objet l’adaptation du salarié à son poste mais également le maintien de son employabilité. Si l’employeur, ainsi qu’il le soutient, n’était pas dans l’obligation d’accéder à la demande de formation du salarié sur EXCEL , il s’abstient de justifier de toute autre proposition de formation durant 11 ans d’activité .
Ce manquement de l’employeur à l’obligation de formation a amoindri les chances de progression de carrière du salarié dans l’entreprise. Ce manquement a également nécessairement réduit l’employabilité du salarié sur le marché du travail.
Le préjudice subi de ce fait par le salarié justifie la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur le harcèlement moral
En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
M.[O] soutient avoir fait l’objet de plusieurs agissements de harcèlement moral à compter de son refus en novembre 2012 d’accepter la clause de mobilité insérée dans le contrat de travail. Il fait état des griefs suivants:
– le retrait de 8 heures de son compte personnel de formation, qu’il a signalé le 29 janvier 2015,
– un compteur d’heures négatif à compter de janvier 2013 dont l’effacement n’est intervenu que le 27 février 2018 après intervention de l’inspection du travail auprès de l’employeur par courrier du 5 décembre 2017,
– la dévalorisation de son travail lors d’une réunion de suivi d’activité du 30 août 2016 , pour des manquements correspondant à sa période d’arrêt maladie ( compte rendu de réunion pièce 24 salarié): une douzaine de points à améliorer alors que les grilles d’évaluation de son travail des années précédentes montraient qu’il donnait satisfaction à son employeur (pièce 17) .S’ajoute aux critiques une surveillance renforcée par ses supérieurs avec des points sur son activité chaque semaine le vendredi à 16h . Il fait état d’une seconde réunion du 24 janvier 2017 au cours de laquelle ses supérieurs ont exprimé leur hostilité à sa demande de travail à temps partiel en évoquant des retours négatifs sur son travail. Il produit au soutien de son argumentation un compte rendu des deux réunions précitées.
– la pression de son supérieur M.[I] qui ressort d’un compte rendu de réunion du 13 décembre 2018. Alors que sa fiche de fonction prévoit qu’en cas d’absence sa fonction est assurée par un autre manufacturing manager, il n’a pas été remplacé pendant son arrêt maladie.
Il ajoute que 14 nouveaux projets lui ont pour autant été confiés .
– l’hostilité de ses deux supérieurs hiérarchiques MM.[K] et [I] à sa demande de temps partiel pour des raisons exposées lors d’une réunion le 24 janvier 2017, tenant à des retours négatifs mais non justifiés sur son travail, en termes offensants rapportés dans un compte rendu de réunion reprenant les propos de chacun (pièce 29 salarié) tels que: ‘…tu vas déchanter [S], parce que honnêtement , moi le premier, je dis que je cachais ce qui n’allait pas, mais je ne te le foutais pas à la gueule à chaque fois, mais là tu vas comprendré.
– ses arrêts de travail du 24 juin au 24 juillet 2016, du 30 janvier 2017 au 25 mars 2019 pour syndrôme dépressif.
– une surveillance et une surcharge de travail : malgré les reproches articulés à son encontre le 30 août 2016, 14 nouveaux projets lui ont été confiés quelques jours plus tard(pièce 30) et un point tous les 15 jours a été prévu sur son activité avec ses supérieurs ainsi qu’en atteste le compte rendu de réunion du CHSCT du 13 décembre 2018(pièce 31). Une ingérance dans sa vie personnelle dont attestent les captures d’écran de son téléphone , notamment un SMS du 25 janvier 2017 de son supérieur:’d’ailleurs hier t’as vu le doc ».
– la suppression du complément de salaire en septembre 2017
– la suppression de salaire en compensation d’une dette en 2018
– la rétention de son dossier professionnel: il indique avoir sollicité les 22 mai 2017 et 15 juin 2017 la copie de tous ses entretiens annuels depuis 2011, il a réclamé par ailleurs le 23 janvier 2019 l’ensemble des données relatives à son recrutement, l’historique de sa carrière, la valeur de son classement, l’évaluation de ses compétences. Il indique avoir fait intervenir la CNIL en mai 2019 auprès de l’employeur qui in fine, lui a transmis les informations de façon parcellaire, soit les seules pages impaires des documents demandés, aucun des comptes rendus d’entretien annuel postérieurs à 2014.
– il évoque dans un courrier recommandé adressé au DRH le 22 décembre 2017 ses réclamations relatives au paiement des indemnités complémentaires, à la privation de salaire en septembre 2017, et à la disparité inexpliquée de rémunération de mai à novembre 2017, outre les agissements de harcèlement moral de ses supérieurs hiérarchiques.
Il fait état d’une dégradation de son état de santé mentale dans le contexte d’une guerilla avec son employeur, justifiant d’un arrêt de travail le 28 janvier 2017, de la prescription d’antidépresseurs le 30 janvier 2017 et d’un état dépressif constaté dans un certificat médical du 28 novembre 2017 avec nécessité d’un suivi psychologique. Il produit le dossier médical de la médecine du travail indiquant notamment le 12 mai 2017: ‘lors de la reprise prévoir changement de mission avec environnement hiérarchique différent.’, évoquant également des relations professionnelles conflictuelles.
La cour estime que M.[O] présente ainsi à la cour des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence de faits de harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail susvisé.
Il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En réponse, la société EXCENT France qui dénie tout agissement de harcèlement fait valoir les contestations suivantes :
– une clause de mobilité est insérée dans tous les contrats de travail au sein de la société , ce dont attestent les divers contrats produits aux débats, et la proposition faite d’un contrat comportant une telle clause ne procède d’aucune intention frauduleuse ou attentatoire aux droits du salarié. La société précise que les négociations sur la clause de mobilité sont intervenues en avril et mai 2008 (pièce 70 du salarié), soit près de 8 ans avant les faits de harcèlement dont se prévaut le salarié en 2016 et 2017. Ladite clause non acceptée par le salarié n’a jamais été actionnée de sorte que le salarié ne subit aucun préjudice. Ce grief est écarté par la cour au vu de ces éléments en réponse de l’employeur.
– sur le retrait de 8 heures du compte professionnel de formation, elle expose qu’elle a rectifié dès le 10 mars 2015 l’erreur signalée par le salarié le 29 janvier 2015. De fait l’échange de courriels avec le salarié courant février-mars 2015 démontre que l’employeur a rectifié l’erreur dans les semaines qui ont suivi sa saisine après s’être excusé , sans qu’il en résulte un préjudice moral ou matériel pour le salarié. L’employeur précise que cette erreur est intervenue dans une période de transition du dispositif DIF à celui du CPF au 1er janvier 2015, ce dont M.[O] a été informé par courriel du 28 janvier 2015. La régularisation de l’erreur intervenue dans un délai rapide et le contexte de celle-ci sont exclusifs de tout manquement de nature à occasionner un préjudice au salarié. Ce fait est donc écarté.
– l’employeur souligne que le salarié évoque la mise en place d’un compteur d’heures négatif en janvier 2013, soit près de 5 ans après le débat sur la clause de mobilité, ce qui exclut tout lien de causalité avec le refus de cette clause. Il ajoute que cette situation s’explique par le changement de SIRH en 2017 et par la mise en place d’un module de planification sur le dernier trimestre 2017 avec un mauvais paramétrage du fait des arrêts maladie. Il évoque la régularisation intervenue et l’absence de préjudice subi.
Il ne ressort d’aucune pièce produite aux débats que le salarié ait alerté l’employeur sur une quelconque anomalie touchant au compteur d’heures en 2013 et en tout état de cause avant la saisine par ses soins de la DIRECCTE le 27 octobre 2017. Il est par ailleurs constant qu’une régularisation est intervenue ainsi qu’en a été informé le salarié par courriel du DRH du 27 février 2018 après interrogation de la DIRECCTE par courrier du 5 décembre 2017, sans que puisse être retenue le caractère tardif d’une correction qui est intervenue dans un délai raisonnable après une interrogation de la DIRECCTE sans que le salarié ait adressé une réclamation préalable à l’employeur .
– le refus de passage à un travail à temps partiel
Par courrier du 14 septembre 2016 réitéré le 15 décembre 2016 le salarié a informé son employeur de sa décision de renouvellement de son congé parental à temps partiel jusqu’en février 2017. L’employeur par LRAR du 31 janvier 2017 l’a avisé qu’en l’état de l’expiration du délai de congé parental, sa demande s’analysait en une demande de travail à temps partiel soumise à l’accord de l’employeur, et qu’au vu de l’organisation de son service et après entretien avec ses supérieurs hiérarchiques le 24 janvier 2017 sa demande était rejetée.
En vertu de l’article 115-1 de la convention collective de la métallurgie, des horaires à temps partiel peuvent être mis en ‘uvre à la demande des salariés.
La demande du salarié de bénéficier d’un horaire à temps partiel précise la durée et la répartition du travail souhaitée, ainsi que la date envisagée pour la mise en ‘uvre du nouvel horaire. Elle est adressée six mois au moins avant cette date.
L’employeur répond à la demande du salarié dans un délai de trois mois à compter de la réception de celle-ci.
En cas de refus, l’employeur apporte une réponse écrite.
Au cas d’espèce la demande du salarié, qu’il s’agisse de celle du 14 septembre 2016 ou du 15 décembre 2016 n’a pas été présentée dans le délai imparti d’au moins 6 mois précédant la date d’effet de la demande le 24 février 2017. En tout état de cause l’employeur a répondu par écrit conformément aux exigences précitées en évoquant les besoins du service.
Ce fait est écarté par la cour.
– sur l’absence de remise des copies de documents.
Si , ainsi que le relève à juste titre le DRH dans un courrier au salarié le 27 février 2018, M.[O] s’est vu remettre en main propre un exemplaire de ses comptes rendus d’entretien annuel à l ‘issue de chacun d’eux , l’employeur n’explique pas les motifs qui s’opposaient à la délivrance des copies réclamées depuis mai 2017, s’agissant de documents usuellement informatisés dont la réédition était aisée. L’obstruction dont a fait preuve l’employeur en ne donnant suite à cette demande que deux ans plus tard, après intervention de la CNIL ne trouve aucune explication objective . Aucune des explications fournies par l’employeur sur ce point ne justifie un tel retard, perçu par le salarié comme un nouveau sujet de ‘guerilla’ à son encontre.
– s’agissant de la rémunération perçue par le salarié pendant son arrêt maladie, le salarié se prévaut d’une privation de complément de salaire en septembre 2017. L’employeur expose que la subrogation prévue par la CPAM a pris fin le 17 juin 2017 et que le salarié n’ayant pas remis les décomptes CPAM permettant de calculer le complément de salaire, des indemnités complémentaires estimatives ont été versées par l’employeur en juillet et août 2017 puis le versement du complément de salaire a été interrompu à compter de septembre 2017 mais régularisé sur le bulletin de salaire d’octobre 2017 à hauteur de 1066,40 euros dès la communication des décomptes CPAM par le salarié le 4 octobre 2017 ( au titre de la période du17 juin au 2 octobre) , éléments qui ont été précisés au salarié par mail du gestionnaire de paye au 4 octobre 2017 puis par courrier du DRH du 27 février 2018.
Quant au trop perçu par le salarié d’un montant de 745,28 euros, il correspond à la différence entre les indemnités de prévoyance estimatives versées au salarié en juin et juillet 2017 en l’absence des décomptes CPAM , et les indemnités versées ensuite par Malakoff.
Il ne résulte pas de ces circonstances un manquement de l’employeur relevant du harcèlement.
– sur la dévalorisation de son travail et la surveillance.
La société EXCENT France dénie toute dévalorisation du travail du salarié par ses supérieurs hiérarchiques et conteste la valeur probante des compte rendus de réunions des 30 août 2016 et 13 décembre 2018 unilatéralement établis par le salarié et qui déforme les propos tenus par chacun. Elle ajoute que nonobstant les 14 nouveaux projets confiés au salarié, sa charge de travail était la plus faible du service ainsi qu’il ressort d’un tableau versé aux débats précisant l’activité par collaborateur(pièce 48).
La cour considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats les comptes rendus de réunions établis par le salarié , la preuve n’étant pas rapportée que le compte rendu est issu d’un enregistrement opéré par M.[O] de façon déloyale à l’insu des participants. Il demeure que la force probante de ces comptes rendus doit être relativisée, s’agissant de documents unilatéralement établis par le salarié et dont le contenu- contesté par l’employeur- n’est pas authentifié. Il convient de constater néanmoins qu’ils sont partiellement confortés sur le suivi rapproché instauré à l’égard du salarié, d’une part, par le compte rendu de réunion du CHSCT du 13 décembre 2018 (pièce 36 employeur ) qui fait état d’un point hebdomadaire effectué avec le salarié avec ses deux supérieurs hiérarchiques tous les vendredi à 16h , d’autre part, par le compte rendu de réunion de suivi d’activité du 30 août 2016 établi par le supérieur hiérarchique du salarié, évoquant la mise en place d’un point toutes les quinzaines jusqu’à la fin de l’année puis mensuel (pièce 33). Il ressort de ce dernier document que l’insatisfaction de l’employeur qui motive ce suivi rapproché résulte de retards de livraison dans divers dossiers énumérés dans lesquels il est reproché une absence de livraison entre le 23 juin et le 25 juillet 2016, une absence d’action pendant trois semaines, ‘une absence de directive pour assurer un relais durant l’absencé.
Il en résulte que les éléments produits n’établissent pas avec certitude des manquements imputables au salarié en dehors des périodes d’arrêt maladie au cours desquels le suivi du travail devait être assuré par l’encadrement de sorte que la surveillance accrue qui a été instaurée au retour d’arrêt maladie du salarié (arrêt du 24 juin au 24 juillet 2016) n’est pas justifiée par des carences démontrées du salarié ; d’autant que le salarié qui n’avait fait l’objet d’aucune remontrance antérieure sur son travail, bénéficiait de bonnes appréciations de ses supérieurs dans les comptes rendus d’évaluation annuels produits aux débats. Ces procédés de surveillance mis en oeuvre à l’égard du salarié dans les conditions précitées caractérisent des agissements de harcèlement par leur caractère humiliant et dévalorisant.
La dégradation de l’état de santé morale du salarié est établie par l’ensemble des pièces médicales produites qui attestent de troubles dépressifs constatés en lien avec un environnement professionnel marqué par un conflit important avec les supérieurs hiérarchiques du salarié et des agissements répétés à caractère dévalorisant sans motivation objective établie.
La cour estime en conséquence que, pris dans leur ensemble, certains éléments de fait dénoncés par M.[O] sont constitutifs d’agissements de harcèlement moral ayant dégradé la santé de l’appelant qui justifient réparation du préjudice subi à ce titre par le salarié par l’octroi de la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts .
Il ressort de l’enchainement chronologique des faits, que les arrêts maladie pour état dépressif ont été prolongés de façon continue du 30 janvier 2017 jusqu’au prononcé de l’inaptitude du salarié le 3 mai 2019, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi. Il s’en déduit que la dégradation de l’état de santé qui a conduit à l’inaptitude du salarié est imputable aux agissements de harcèlement dont celui-ci a été l’objet. Le licenciement pour inaptitude prononcé le 28 mai 2019 est donc nul par application de l’article L.1152-3 du code du travail, par infirmation du jugement déféré.
M. [O] était âgé de 43 ans lors de la rupture et bénéficiait d’une ancienneté de 12 ans dans l’entreprise . Il justifie avoir perçu des indemnités chômage du 20 juin 2019 au 29 juillet 2021 sans autre élément depuis sur sa situation professionnelle et financière.
M.[O] est bien fondé à se voir allouer en conséquence de ce licenciement nul:
– une indemnité de préavis de 4 350 euros correspondant à deux mois de salaire, outre 435 € au titre des congés payés correspondants,
– 21 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul en application de l’article L.1235-3-1 du code du travail.
Sur le surplus des demandes
La SAS EXCENT France qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M.[O] la somme de 2 400 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau, et y ajoutant,
Prononce la nullité du licenciement de M.[S] [O] pour harcèlement moral,
Condamne la SAS EXCENT France à payer à M.[S] [O] les sommes suivantes:
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation
– 4500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– 21 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
– 4 350 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 435 euros au titre des congés payés afférents,
– 2 400 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
Ordonne le remboursement par la SAS EXCENT France à France Travail des indemnités chômage perçues par le salarié dans la limite de trois mois d’indemnités,
Condamne la société SAS EXCENT France aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE
C. DELVER M. DARIES
.