L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due, soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.
Il est constant qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et de vérifier que l’insuffisance repose sur des faits objectifs, matériellement vérifiables, imputables au salarié. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Dès lors que l’insuffisance professionnelle est un motif non disciplinaire, les règles applicables au licenciement disciplinaire, et notamment celle relative à la prescription de la faute, ne peuvent être invoquées par la salariée.
Par ailleurs l’insuffisance professionnelle est constitutive d’un manque de compétence du salarié, sans que cela ne résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation.
L’affaire concerne le licenciement de Mme [R] par la SARL IMAGINE SOFT pour insuffisance professionnelle et faute grave, incluant un usage abusif de l’internet pendant les heures de travail. Mme [R] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Marseille, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a également noté que l’entreprise avait manqué à son obligation de formation et d’adaptation envers elle.
En conséquence, le conseil de prud’hommes a condamné la SARL IMAGINE SOFT à verser à Mme [R] diverses indemnités et dommages-intérêts, totalisant une somme significative. L’entreprise a fait appel de ce jugement, demandant à la cour d’infirmer la décision et de juger le licenciement fondé, tandis que Mme [R] a également formulé des demandes pour confirmer et augmenter certaines des sommes qui lui ont été accordées.
L’affaire est actuellement en appel, et les deux parties ont présenté leurs arguments et demandes respectives à la cour. L’instruction de l’affaire a été clôturée le 21 décembre 2023, en attente d’une nouvelle décision.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La SARL IMAGINE SOFT conclut au possible cumul des motifs du licenciement dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, dès lors qu’il procède de faits distincts et que l’absence de caractérisation de la faute grave ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Mme [R] soutient que, si la SARL IMAGINE SOFT a pris le soin d’invoquer deux motifs distincts dans sa lettre de licenciement, à savoir d’une part une prétendue insuffisance professionnelle et d’autre part l’usage prétendument abusif d’internet, elle l’a licenciée pour faute et a donc bien entendu donner un caractère disciplinaire au licenciement.
Sur le cumul des motifs du licenciement
L’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans les lettres de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts. En l’espèce, la lettre de licenciement comporte deux causes (l’insuffisance professionnelle et la faute grave), qui sont fondées sur des faits distincts. Si la SARL IMAGINE SOFT fait mention des sanctions disciplinaires antérieurement infligées à la salariée, elle lui reproche, in fine, son incapacité à assumer ses tâches de travail dans le délai requis du fait de son incurie, ce qui relève d’un motif tiré d’une insuffisance professionnelle. Par ailleurs, il n’est pas établi ni même allégué que les conditions procédurales applicables à chaque cause de licenciement n’ont pas été respectées. Dans ces conditions, il convient d’examiner chaque cause évoquée dans la lettre de licenciement.
Sur l’insuffisance professionnelle
Invoquant de nombreuses alertes émises par sa hiérarchie et adressées à la salariée quant à l’insuffisance de son travail, la SARL IMAGINE SOFT fait valoir que Mme [R] n’a jamais entendu les prendre en compte et s’impliquer pour améliorer la qualité de sa prestation de travail. La SARL IMAGINE SOFT soutient qu’elle a été continuellement à l’écoute des attentes de la salariée et lui a dispensé des formations techniques. Elle produit également des éléments attestant des manquements de la salariée dans l’accomplissement de ses missions. De son côté, Mme [R] conteste ces accusations et affirme ne pas avoir bénéficié d’une formation adéquate tout au long de ses dix-huit années d’exécution du contrat de travail. Elle soutient que les difficultés rencontrées ne lui sont pas personnellement imputables, mais sont dues à une défaillance liée aux moyens mis à sa disposition. Au vu des éléments fournis par les parties, l’insuffisance professionnelle de Mme [R] n’est pas caractérisée et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la faute grave
La SARL IMAGINE SOFT soutient que Mme [R] a commis une faute grave en utilisant de manière abusive l’outil internet pendant ses heures de travail. Elle produit des éléments de preuve, notamment des captures d’écran et des attestations de salariés, pour étayer ses accusations. Cependant, Mme [R] conteste la recevabilité de ces preuves et affirme que son droit à la vie privée a été violé. Le tribunal conclut que les preuves illicites doivent être écartées des débats et que les éléments restants ne suffisent pas à prouver une faute grave de la part de la salariée. Par conséquent, le licenciement de Mme [R] est jugé non fondé sur une faute grave.
Sur la demande de dommages-intérêts
Mme [R] réclame des dommages-intérêts pour le manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel. Le tribunal constate que l’employeur n’a pas respecté ces obligations, causant ainsi un préjudice à la salariée. Il accorde à Mme [R] une somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts. Les autres dispositions du jugement, telles que les indemnités de préavis, de congés payés, de rappel de
– 2 500 € à Mme [D] [M] pour dommages et intérêts pour dégradations des conditions de travail et préjudice moral.
– 2 000 € à Mme [D] [M] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– URPS condamnée aux dépens d’appel.
Réglementation applicable
Selon l’article L. 6321-1 du code du travail, l’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et il doit veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS
– Me Aude ADJEMIAN
Mots clefs associés
– Motifs de la décision
– Cumul des motifs du licenciement
– Insuffisance professionnelle
– Faute grave
– Obligation de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement
– Adaptation des salariés à leur poste de travail
– Maintien de la capacité à occuper un emploi
– Preuve de l’insuffisance professionnelle
– Obligation de l’employeur de formation et d’adaptation
– Atteinte à la vie privée
– Secret des correspondances
– Contrôle des connexions internet des salariés
– Usage abusif de l’outil internet pendant les heures de travail
– Preuve illicite
– Indemnité de préavis
– Congés payés
– Rappel de salaire
– Indemnité de licenciement
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel
– Suivi régulier de l’activité du salarié
– Préjudice causé par le manquement à l’obligation d’adaptation
– Entretien professionnel
– Formation et soutien du salarié
– Evaluation des compétences
– Evolution du poste de travail
– Préjudice causé par l’absence d’entretien professionnel
– Remise des documents sociaux
– Régularisation de la situation de la salariée auprès des organismes sociaux
– Rejet de l’astreinte
– Intérêts
– Article 700 du code de procédure civile
– Dépens
– Frais non compris dans les dépens
– Astreinte
– Confirmation de la décision du jugement
– Motifs de la décision : Raisons légales et factuelles justifiant une décision judiciaire ou administrative.
– Cumul des motifs du licenciement : Association de plusieurs raisons pour justifier le licenciement d’un salarié.
– Insuffisance professionnelle : Manquement d’un salarié à atteindre le niveau de compétence ou de performance requis dans son travail.
– Faute grave : Comportement du salarié qui constitue une violation importante des obligations résultant de son contrat de travail, justifiant un licenciement sans préavis ni indemnité.
– Obligation de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement : Nécessité pour l’employeur de suivre les procédures légales spécifiques à chaque motif de licenciement.
– Adaptation des salariés à leur poste de travail : Efforts requis par l’employeur pour aider les employés à s’ajuster aux exigences de leur poste.
– Maintien de la capacité à occuper un emploi : Obligation de l’employeur de veiller à ce que les employés restent compétents et capables d’exercer leur travail.
– Preuve de l’insuffisance professionnelle : Éléments de preuve que l’employeur doit fournir pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle.
– Obligation de l’employeur de formation et d’adaptation : Responsabilité de l’employeur de fournir formation et soutien nécessaires pour que le salarié puisse accomplir ses tâches efficacement.
– Atteinte à la vie privée : Violation des droits personnels d’un individu, notamment dans le contexte de son emploi.
– Secret des correspondances : Protection légale de la confidentialité des communications écrites.
– Contrôle des connexions internet des salariés : Surveillance par l’employeur de l’utilisation d’Internet par les employés sur le lieu de travail.
– Usage abusif de l’outil internet pendant les heures de travail : Utilisation inappropriée d’Internet par un employé durant le temps de travail.
– Preuve illicite : Élément de preuve obtenu de manière illégale et qui est inadmissible en justice.
– Indemnité de préavis : Compensation financière due au salarié licencié pour la période de préavis non effectuée.
– Congés payés : Droit du salarié à bénéficier de jours de repos rémunérés.
– Rappel de salaire : Paiement des salaires dus mais non payés à un employé.
– Indemnité de licenciement : Somme versée à un salarié licencié en compensation de la perte d’emploi.
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : Compensation due au salarié si le licenciement est jugé sans motif légitime.
– Dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel : Compensation financière pour préjudice subi par le salarié en raison de la négligence de l’employeur.
– Suivi régulier de l’activité du salarié : Surveillance continue par l’employeur des performances et activités du salarié.
– Préjudice causé par le manquement à l’obligation d’adaptation : Dommages subis par le salarié en raison de l’insuffisance de mesures d’adaptation par l’employeur.
– Entretien professionnel : Discussion formelle entre l’employeur et le salarié pour évaluer les performances et discuter des perspectives de carrière.
– Formation et soutien du salarié : Mesures prises par l’employeur pour développer les compétences professionnelles du salarié.
– Evaluation des compétences : Processus par lequel les compétences d’un salarié sont mesurées et évaluées.
– Evolution du poste de travail : Changements dans les responsabilités ou les conditions de travail d’un poste.
– Préjudice causé par l’absence d’entretien professionnel : Dommages subis par le salarié en raison de l’omission de l’entretien professionnel obligatoire.
– Remise des documents sociaux : Obligation de l’employeur de fournir au salarié les documents relatifs à son emploi et à sa rémunération.
– Régularisation de la situation de la salariée auprès des organismes sociaux : Correction des déclarations et cotisations sociales concernant un employé.
– Rejet de l’astreinte : Décision de ne pas imposer une contrainte judiciaire à une partie dans le cadre d’une procédure.
– Intérêts : Sommes dues en compensation d’un retard de paiement.
– Article 700 du code de procédure civile : Disposition permettant le remboursement des frais de justice non couverts par les dépens.
– Dépens : Frais de justice qui doivent être payés par la partie perdante.
– Frais non compris dans les dépens : Coûts engagés dans une procédure judiciaire qui ne sont pas inclus dans les dépens.
– Astreinte : Somme d’argent qu’une partie doit payer pour chaque jour de retard dans l’exécution d’une décision de justice.
– Confirmation de la décision du jugement : Validation par une juridiction supérieure de la décision rendue par une juridiction inférieure.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 23 FÉVRIER 2024
N° 2024/54
Rôle N° RG 20/07442 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGEFO
S.A.R.L. IMAGINE SOFT
C/
[L] [R]
Copie exécutoire délivrée le :
23 FÉVRIER 2024
à :
Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MARSEILLE en date du 08 Juillet 2020 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/02158.
APPELANTE
S.A.R.L. IMAGINE SOFT prise en la personne de son gérant en exercice, M. [E] [J], y domicilié en cette qualité, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Lucille RINGENBACH, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [L] [R], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseillère, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique SOULIER, Présidente
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseillère
Mme Emmanuelle CASINI, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Février 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Février 2024
Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
Mme [L] [R] a été engagée par la SARL IMAGINE SOFT, par contrat de travail à durée indéterminée du 6 décembre 1999, en qualité d’analyste programmateur, technicien.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseils (dite SYNTEC).
Mme [R] a été sanctionnée par deux avertissements, les 20 juillet 2015 et 24 août 2016.
Par courrier du 13 novembre 2017, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement et par courrier du 24 novembre 2017, elle a été licenciée, en ces termes, exactement reproduits :
‘Nous vous avons convoquée à un entretien préalable dont nous avions fixé la date au 20 novembre 2017 au siège de notre Société, entretien au cours duquel vous êtes venue assistée par un conseiller extérieur.
Je vous ai exposé, au cours de cet entretien, les motifs pour lesquels nous envisagions votre licenciement et suscité sur chacun des griefs vos observations.
A mon grand étonnement, vous n’avez pas jugé devoir formuler la moindre observation sur chacun des griefs que j’ai évoqués me laissant même présumer qu’ils étaient parfaitement justifiés.
A l’issue du délai de réflexion que je me suis donné, je suis amené à vous notifier par la présente, votre licenciement pour des faits d’insuffisance professionnelle et pour faute grave.
Les motifs de ce licenciement sont, je vous le rappelle, les suivants :
1 – Vous avez été d’ores et déjà sanctionnée antérieurement à plusieurs reprises au titre des faits d’insuffisance professionnelle lesquels étaient de nature à perturber de façon notable le bon fonctionnement de notre Société.
Nous avions été amenés en effet, à vous reprocher d’ores et déjà antérieurement à un manque d’implication dans les dossiers qui vous étaient confiés, tout comme la perte inutile de temps à des activités autres que professionnelles et plus généralement à un comportement désinvolte vis-à-vis des règles et instructions qui vous étaient sans cesse rappelées. Nous pouvions légitimement espérer qu’à la suite de ces avertissements et nombreux rappels à l’ordre, vous seriez amenée à modifier fondamentalement votre attitude dans le travail, ce qui malheureusement n’a pas été le cas.
Encore récemment, nous avons été amenés à constater des problèmes récurrents concernant les missions qui vous ont été confiées telles que ce celui relatif:
‘ A l’Hôtel [6],
‘ Le Constructeur Mitel,
‘ Ou même encore, les nombreux « Back-up» des sites manifestement non-faits alors que vos comptes rendus précisaient que ceux-ci étaient prétendument réalisés … !
Je vous rappelle qu’il s’agit notamment à titre d’exemple :
‘ De l’Hôtel [7]
‘ L’Hôtel [4]
‘ Ou le [5] de [Localité 2]
Votre manque de travail et de rigueur a eu malheureusement un impact très négatif puisque les clients se sont plaints de votre incurie, aucune réponse ne leur étant donnée en temps utile, ce que peuvent d’ailleurs confirmer plusieurs de vos collègues de travail.
Votre incapacité à assumer vos tâches de travail dans le délai requis n’est plus tolérable et constitue une insuffisance professionnelle justifiant d’ores et déjà votre licenciement.
2 – A ces faits d’insuffisance professionnelle s’ajoutent malheureusement des manquements plus graves à vos obligations notamment en ce qui concerne votre usage abusif répété de l’outil internet.
Nous avons été amenés en effet, à vous rappeler à l’ordre à plusieurs reprises y compris par écrit sur l’utilisation abusive que vous faisiez d’internet pendant vos heures de travail.
Nous vous avons encore rappelé récemment à l’occasion de notre réunion d’information du 11 septembre 2017, que l’accès à internet devait présenter un caractère strictement professionnel et que toute utilisation, à des fins personnelles, demeurait interdite pendant les heures de travail.
Nous ne pouvions à la rigueur tolérer une utilisation très ponctuelle de l’outil informatique et d’internet en dehors des heures de travail sous réserve d’un contrôle effectif par la direction.
Or, malgré ces rappels à l’ordre, vous vous êtes ouvertement affranchie de cette directive puisque vous persistez à consacrer une partie non négligeable de votre temps de présence à l’entreprise à consulter différents sites internet qui ne présentent manifestement aucun caractère professionnel.
Un tel manquement est d’autant plus déloyal dans la mesure où vous négligez dans le même temps, l’exécution normale de vos tâches de travail.
Nous considérons en tous les cas que ces connexions internet à des fins personnelles répétées sont constitutives d’une faute grave de nature à empêcher le maintien de votre collaboration ne serait-ce que pendant la période limitée du préavis.
En conséquence, votre licenciement prendra effet, à compter de la date de la présentation de la présente lettre sans indemnité de préavis ou de licenciement’.
Contestant son licenciement, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille, lequel, par jugement de départage du 8 juillet 2020, a :
– dit le licenciement de Mme [R] sans cause réelle et sérieuse.
– dit que le SARL IMAGINE SOFT a manqué à son obligation de formation et d’adaptation.
– condamné en conséquence la SARL IMAGINE SOFT à payer à Mme [R] les sommes suivantes :
* 1.159,08 euros à titre de rappel de salaire sur période de mise à pied, outre 115,90 euros de congés payés y afférent.
* 5.100 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 510 euros de congés payés y afférents.
* 11.626,42 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
* 1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation.
* 21.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– condamné la SARL IMAGINE SOFT :
* à remettre à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformément la présente procédure.
* à régulariser la situation de la salariée auprès des organismes sociaux.
– dit n’y avoir lieu à assortir cette remise d’une astreinte.
– précisé que :
* les condamnations concernant des créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.
* les condamnations concernant des créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
* toutes les condamnations bénéficieront de la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l’article 1343-2 du code civil.
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire des dispositions du présent jugement qui ne sont pas de plein droit exécutoires par provision.
– condamné la SARL IMAGINE SOFT à payer à Mme [R] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– dit n’y avoir lieu à statuer sur les frais d’huissier.
– rejeté toute autre demande.
– condamné la SARL IMAGINE SOFT aux dépens.
La SARL IMAGINE SOFT a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2023, elle demande à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement de départage rendu le 8 juillet 2020 par le conseil de prud’hommes de Marseille.
Et, statuant à nouveau,
– juger que le licenciement prononcé à l’endroit de Mme [R] est parfaitement fondé.
– juger que la SARL IMAGINE SOFT a respecté ses obligations à l’égard de Mme [R], et notamment son obligation de formation et d’adaptation.
En conséquence,
– débouter Mme [R] de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
– condamner Mme [R] à verser à la SARL IMAGINE SOFT la somme 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– subsidiairement, limiter les condamnations aux montants suivants :
* indemnité de licenciement : 10.980,51 euros.
* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7.751 euros.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2023, Mme [R] demande à la cour de :
– débouter la SARL IMAGINE SOFT de toutes ses demandes, fins et conclusions.
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré la pièce adverse n°10, mise en garde du 3 février 2009, comme étant recevable.
– statuant de nouveau, écarter la pièce adverse n°10, mise en garde du 3 février 2009, comme étant irrecevable en application des dispositions de l’article L.1332-5 du code du travail.
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a écarté les pièces adverses n°22 et 23, devenues la pièce n°48 (copies d’écran de l’ordinateur de Mme [R]), faute pour la SARL IMAGINE SOFT de démontrer que l’outil de contrôle mis en place sur le poste de Mme [R] a fait l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL, du caractère partielle de l’information portée à la connaissance de la salariée, et en raison de l’atteinte à la vie privée ainsi qu’au secret des correspondances concernant les captures d’écran de la messagerie personnelle de Mme [R].
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit le licenciement de Mme [R] sans cause réelle et sérieuse.
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que la SARL IMAGINE SOFT a manqué à son obligation de formation et d’adaptation.
En conséquence,
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la SARL IMAGINE SOFT à payer à Mme [R] les sommes suivantes :
* 1.159,08 euros à titre de rappel de salaire sur période de mise à pied, outre 115,90 euros de congés payés y afférents.
* 5.100 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 510 euros de congés payés y afférents.
* 11.626,42 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
A titre principal et d’appel incident, concernant le quantum des dommages-intérêts :
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la SARL IMAGINE SOFT à verser à Mme [R] les sommes suivantes:
– 21.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel.
Statuant de nouveau,
– condamner la SARL IMAGINE SOFT à verser à Mme [R] les sommes suivantes :
* 25.836 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L.1235’3 du code du travail.
* 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel.
A titre subsidiaire, concernant le quantum des dommages-intérêts :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la SARL IMAGINE SOFT à lui verser les sommes suivantes:
* 21.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* 1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation.
En tout état de cause :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
* condamné la SARL IMAGINE SOFT à remettre à Mme [R] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conforme à la présente procédure.
* condamné la SARL IMAGINE SOFT à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux.
* précisé que les condamnations concernant les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et que celles concernant les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance.
* précisé qu’en tout état de cause ces condamnations bénéficieront de la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l’article L.1343’2 du code civil et condamné la SARL IMAGINE SOFT à régler à Mme [R] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
* condamné la SARL IMAGINE SOFT aux entiers dépens
Y ajoutant :
– condamner la SARL IMAGINE SOFT à verser à Mme [R] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d’appel et la condamner aux entiers dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 21 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le cumul des motifs du licenciement
La SARL IMAGINE SOFT conclut au possible cumul des motifs du licenciement dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, dès lors qu’il procède de faits distincts et que l’absence de caractérisation de la faute grave ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Mme [R] soutient que, si la SARL IMAGINE SOFT a pris le soin d’invoquer deux motifs distincts dans sa lettre de licenciement, à savoir d’une part une prétendue insuffisance professionnelle et d’autre part l’usage prétendument abusif d’internet, elle l’a licenciée pour faute et a donc bien entendu donner un caractère disciplinaire au licenciement.
* * *
L’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans les lettres de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.
En l’espèce, la lettre de licenciement comporte deux causes (l’insuffisance professionnelle et la faute grave), qui sont fondées sur des faits distincts. Si la SARL IMAGINE SOFT fait mention des sanctions disciplinaires antérieurement infligées à la salariée, elle lui reproche, in fine, son incapacité à assumer ses tâches de travail dans le délai requis du fait de son incurie, ce qui relève d’un motif tiré d’une insuffisance professionnelle.
Par ailleurs, il n’est pas établi ni même allégué que les conditions procédurales applicables à chaque cause de licenciement n’ont pas été respectées.
Dans ces conditions, il convient d’examiner chaque cause évoquée dans la lettre de licenciement.
Sur l’insuffisance professionnelle
Invoquant de nombreuses alertes émises par sa hiérarchie et adressées à la salariée (mise en garde du 3 février 2009, courriels des 7 novembre et 17, 18 et 19 décembre 2012, courriel du 14 janvier 2015, courriel du 2 juin 2016, avertissement du 20 juillet 2015, courriel du 17 août 2015, courriel du 28 janvier 2016, avertissement du 24 août 2016, courriels du 6 octobre 2016) quant à l’insuffisance de son travail qui devenait néfaste pour la société, la SARL IMAGINE SOFT fait valoir que Mme [R] n’a jamais entendu les prendre en compte et s’impliquer pour améliorer la qualité de sa prestation de travail. La lettre de licenciement fait expressément état de récents problèmes récurrents concernant l’accomplissement des missions de Mme [R] (intervention de maintenance mal réalisée auprès du client Hôtel [6] que Monsieur [D] a dû corriger lui-même, intervention de maintenance non réalisée auprès du constructeur Mitel qui s’est impatienté en constatant qu’après deux relances sa demande n’était toujours pas traitée, de nombreux ‘Back-up’ de sites non réalisés, alors même que Madame [R] les présente comme étant réalisés).
La SARL IMAGINE SOFT soutient qu’elle a été continuellement à l’écoute des attentes de la salariée; qu’elle a fait évoluer son activité au fil des années et à sa demande; qu’elle a continuellement mis à sa disposition les moyens suffisants lui permettant d’accomplir ses missions; qu’elle lui a dispensée des préparations et des formations notamment technique ( Mme [R] a suivi une formation concernant le système de réveil automatisé « Wakeup Server» au mois de septembre 2017).
La SARL IMAGINE SOFT indique que, dans un document d’évaluation du 16 janvier 2006, rempli par Mme [R] elle-même, celle-ci s’attribue la note de 4 (‘Bon’) pour la fonction dans le cadre de la connaissance de l’outil informatique et reconnaît donc détenir de bonnes compétences, suffisantes pour l’exercice de ses fonctions, sur ce logiciel pour lequel elle a bien bénéficié de formations.
La SARL IMAGINE SOFT soutient encore que Mme [R] a régulièrement effectué des interventions sur le logiciel Com&View, l’utilisait pour effectuer des dépannages et non pas de simples enregistrements, a été formée et était apte à utiliser ce logiciel et qu’à aucun moment elle ne précise en quoi sa formation aurait été défaillante ou insuffisante.
La SARL IMAGINE SOFT produit :
– le courrier de M. [D] du 10 novembre 2017 adressé à M. [J] qui indique : ‘Une fois de plus la qualité de travail de Mme [R] n’est pas satisfaisante.
En effet suite à une correction effectuée sur un site hier, je lui est demandé de vérifier le bon fonctionnement des messages de checkout. Elle m’a répondu que cela fonctionnait.
L’hôtel [6] étant un client très sensible, car il s’agit d’un filetest, il y a d’autres dossiers prévus avec notre partenaire Eona si le client est satisfait.
J’ai donc vérifié moi-même et j’ai constaté que le fonctionnement n’était pas correct et nécessitait une correction. Ce contrôle n’a pas nécessité d’investigation particulières il a seulement fallu vérifier l’ensemble des traces.
Conclusion, si je n’avais pas vérifié, le client aurait à nouveau constaté notre incompétence.
Encore une fois je vous demande de remédier à cette situation’.
– le courrier de M. [D] du 10 novembre 2017 adressé à M. [J] qui indique : ‘Toujours concernant le travail de Mme [R], voici une demande non traitée par Mme [R] et le client s’impatiente, Ce client est Mitel et vend et installe nos solutions dans le cadre d’un contrat en marque blanche. La qualité de notre travail peut donc impacter l’image de Mitel, ce qui n’est pas acceptable’.
– le courrier de M. [D] du 13 octobre 2017 adressé à M. [J] qui indique : ‘Comme vous me l’avez demandé lors de notre dernière réunion sur l’organisation des données avec la mise en place de la GED, j’ai réalisé un contrôle des backup sur les mises en services de 2017. Vous constaterez dans la pièce jointe qu’il y a un nombre important de backup non fait. Je ne comprends pas cette situation car ce backup fait partie du processus de mise en service, et l’importance de cette opération a été mainte fois soulignée au personnel du support dont fait partie Mme [R]’.
– le courrier de M. [D] du 25 octobre 2017 adressé à M. [J] qui indique ‘Vous trouverez ci-joint les compte rendu de Mme [R] concernant la migration des 3 sites suivants
– [7] Hl091 ccl029
– [4] H0802 ccl091
– [5] [Localité 2] H1282 ccl051
II reste sur 2 sites à traiter le changement de PABX. Les 3 sites ont été migrés en 5.2.2 et aucun Backup n’est présent sur le répertoire de notre serveur prévu à cet effet.
Ceci est totalement inacceptable, Mme [R] une fois de plus ne termine pas son travail alors qu’elle a été maintes fois rappelée à l’ordre.
De plus dans un des compte rendu (ci-joint) le backup est indiqué comme étant fait.
Non seulement les backup ne sont pas fait mais ils sont indiqués comme faits dans les compte rendus.
Je vous demande de bien vouloir prendre, une fois pour toutes, les dispositions nécessaire pour remédier à cette situation préjudiciable pour nos clients et notre entreprise.
Vous devez comprendre que cette personne n’en fait qu’à sa tête et cela ne fait qu’empirer. Nos différentes remarques et remontrances que nous lui avons faites à maintes reprises n’ont eu aucun effet.
En conséquence, compte tenu des dérives auxquelles nous arrivons aujourd’hui, je tiens à préciser que je dégage ma responsabilité sur les problèmes en cours et à venir avec nos clients.
Je ne peux et ne veux pas être associé à ces problèmes et situations qui sont totalement en dehors du fonctionnement de notre entreprise’.
– l’attestation de M. [D] qui indique : ‘J’ai plusieurs fois constaté qu’elle ne réalisait pas les sauvegardes à la fin de l’installation. J’ai dû reprendre à plusieurs reprises son travail qui n’était pas terminé en raison de la plainte de clients Exemple : Dépannage du CNRS le 6/10/17 toujours en panne le 25/10/17. Elle a aussi engagé des dépannages sur des sites qui n’avaient pas de contrat de maintenance sans vérifier sur le logiciel de gestion des pannes.
Elle complétait de façon irrégulière les comptes rendus d’intervention qui sont indispensables pour clôturer la demande de la commande et déclencher la facturation.
J’ai pu constater de façon flagrante et non dissimulée au cours des 12 derniers mois la dégradation significative de la qualité de son travail malgré mes relances et mises en garde répétées. ».
– l’attestation de M. [H], administrateur système, qui indique : ‘Le travail laissant à désirer l’insatisfaction des clients n’a fait que s’accroître, au risque de mettre en péril la crédibilité de la société. En plus de mon travail, il m’avait été demandé de récupérer une partie de ses tâches car elle s’était plainte d’être surchargée, ce qui expliquait ses retards dans les dépannages. Du fait de ma fonction, j’ai pu constater les abus et le manque de sérieux dont elle a fait preuve les derniers temps avant son renvoi’.
– des fiches intitulées ‘suivi des développements’ des années 2007 et 2011, des notes manuscrites attribuées à Mme [R] dont le titre est ‘penser en JAVA’ et qui auraient été rédigées en 2008, le document d’évaluation interne du 16 janvier 2006, des extraits de recherches des requêtes archivées de l’outil de suivi des installations du logiciel Com&View (pièces 37-38), un courriel de l’organisme American Center indiquant le nom de Mme [R] en qualité de ‘stagiaire’, une copie d’écran indiquant une formation Wakeup Server le 13 septembre 2017 de 9 h à 11 h dispensée à Mme [R].
Pour sa part, Mme [R] fait valoir qu’elle n’a eu aucune évolution professionnelle et a toujours exercé les mêmes fonctions en lien avec la clientèle; qu’elle n’a jamais sollicité de ne plus avoir à se déplacer sur sites et ce sont les nouveaux moyens de communication qui, à compter du 2010, ont rendu les déplacements plus rares; qu’elle n’avait pas les moyens d’exercer ses missions et qu’elle ne disposait pas de la totalité des informations pour traiter les dossiers; qu’elle n’a pas bénéficié d’une formation adéquate tout au long des dix-huit années d’exécution du contrat de travail et qu’en 2004 déjà le personnel avait fait remonter cette problématique; que l’employeur échoue à rapporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation de formation et d’adaptation et que les pièces produites démontrent au contraire sa carence à ce sujet; qu’elle n’a jamais été formée sur le logiciel Com&View et qu’une formation de base sur un langage général qui serait utilisé par plusieurs logiciels ne saurait démontrer qu’elle a reçu la formation adéquate nécessaire à l’utilisation des logiciels spécifiques utilisés par la SARL IMAGINE SOFT; que les pièces produites ne démontrent pas qu’elle réalisait des prestations de dépannage pour les clients; qu’il ne peut lui être reproché une quelconque insuffisance professionnelle dès lors que les difficultés rencontrées ne lui sont pas personnellement imputables, mais sont dues à une défaillance liée aux moyens mis à sa disposition et les éventuels mécontentements des clients résultaient, non de sa prétendue incurie, mais de difficultés relatives aux logiciels proposés par la SARL IMAGINE SOFT; que les courriels internes produits par l’employeur ne sont corroborés par aucun éléments justifiant les dires de M. [D], telles que des captures d’écran de ses interventions démontrant qu’elle aurait été défaillante dans l’accomplissement de ces tâches et/ou des plaintes des clients prétendument concernés.
Mme [R] demande d’écarter des débats le pièce 10 qui est une mise en garde notifiée en 2008 laquelle, en application de l’article L.1332-5 du code du travail, ne peut plus être évoquée à l’appui de la sanction en raison de la prescription de la faute disciplinaire.
Mme [R] produit :
– le compte rendu de la réunion du 5 novembre 2004 qui indique : ‘Intégration de l’équipe Com&View : A nouveau la direction n’a pas préparé l’intégration de cette équipe et la formation des personnels, à tel point que de nombreux problèmes techniques et humains sont apparus. Le statut des nouveaux venus n’est pas clair. L’ancienneté des salariés déjà présents n’est pas prise en compte et les postes n’évoluent pas. Un fort sentiment d’injustice dans la gestion des ressources humaines prévaut donc.
Moyens techniques : les moyens techniques sont insuffisants pour réaliser un travail de qualité.
Motivation et investissement personnel : La direction est prompte à demander une motivation accrue aux salariés. Or la direction ne montre jamais l’exemple : équipe commerciale non remplacée, gestion des projets bâclée, formation non assurée, fiches de frais systématiquement en retard, appels constants des fournisseurs au standard pour paiements en retard, intégration ratée des nouveaux personnels, pas d’investissement dans les projets véritablement porteurs (Club Med, partenaires Anglais, Meteor à rentabiliser, etc’)’.
– le courriel de M. [D] du 19 décembre 2012 qui indique : ‘Je rappelle que les demandes de dépannage de Com&View doivent être traitées par le support uniquement et non par [P] [M].
Vous devez enregistrer la demande sur le CCS. Ensuite puisque [L] et [Z] vous n’êtes pas formés sur Com&View vous ferez le dépannage avec moi. Si je suis absent, vous devrez m’informer par mail de cette demande (ou [E] si je ne suis pas joignable) et je prendrais les mesures nécessaires pour soit traiter le dépannage soit vous le faire faire avec des instructions, soit le donner à [P].
Donc la décision de transmettre la demande de dépannage à [P] doit être prise par [E] ou moi, quelles que soit les circonstances et la clôture du dépannage sera faites par vous. Je vous remercie de respecter cette règle’.
– la lettre de contestation de l’avertissement du 25 août 2016 dans laquelle elle indique : ‘J’accuse réception de votre lettre d’avertissement et j’accorde une grande importance à vos observations.
Néanmoins, je me permets de souligner que concernant le manque d’implication dont vous me faites part, je vous ai déjà signalé le manque ou l’absence totale d’informations dont je disposais sur certains dossiers m’empêchant de les traiter correctement, et j’ai également demandé à plusieurs reprises à être impliquée dans l’entreprise (responsabilité, gestion de projet) ce qui m’a toujours été refusé’.
* * *
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due, soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.
Il est constant qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et de vérifier que l’insuffisance repose sur des faits objectifs, matériellement vérifiables, imputables au salarié. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Dès lors que l’insuffisance professionnelle est un motif non disciplinaire, les règles applicables au licenciement disciplinaire, et notamment celle relative à la prescription de la faute, ne peuvent être invoquées par la salariée. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu, et par confirmation du jugement, d’écarter des débats le pièce n°10 produite par la SARL IMAGINE SOFT.
Par ailleurs l’insuffisance professionnelle est constitutive d’un manque de compétence du salarié, sans que cela ne résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation.
Selon l’article L. 6321-1 du code du travail, l’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et il doit veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
A ce titre, si la SARL IMAGINE SOFT produit des mails dans lesquels M. [D] se plaint de Mme [R] auprès de la direction (mail du 17 août 2015 et les mails qui ont conduit à l’avertissement du 24 août 2016 qui a été contesté par la salariée), il convient de relever que les mails en réponse de Mme [R] ne sont pas produits et que, concernant les faits visés dans la lettre de licenciement (concernant les clients de l’Hôtel [6], du Constructeur Mitel, de l’Hôtel [7], de l’Hôtel [4] ou du [5] de [Localité 2]), la SARL IMAGINE SOFT se contente de produire les courriels que M. [D] a adressé à M. [J] (et non les preuves des interventions techniques de M. [D] et les plaintes des clients) ce qui, en l’état de la contestation de la salarié des motifs de son licenciement, est insuffisant à rapporter la preuve de faits objectifs, matériellement vérifiables et imputables à la salariée.
Par ailleurs, il ressort des propres déclarations de M. [D] qu’en 2012, Mme [R] n’était pas formée sur le logiciel Com&View sur lequel elle devait travailler et les pièces produites ne rapportent pas la preuve d’une formation depuis 2012.
Par contre, Mme [R] rapporte la preuve, par le compte rendu de la réunion du 5 novembre 2004, que la problématique d’une absence de formation des salariés au logiciel Com&View préexistait depuis 2004.
De même, la SARL IMAGINE SOFT procède par affirmations dès lors que les pièces produites (37, 39), qui sont de simples listings, ne permettent pas d’établir qu’elle a assuré à Mme [R] la capacité à occuper son emploi au regard des technologies mis à sa disposition et de l’organisation du travail au sein de la société.
Ainsi, la production de simples notes manuscrites attribuées à la salariée qu’elle auraient rédigées en 2008 (intitulées ‘Penser en Java’), le suivi d’une formation en anglais en novembre 2008 et d’une formation en septembre 2017 de deux heures (formation Wakeup server) ne suffisent pas à justifier que la SARL IMAGINE SOFT a respecté son obligation de formation et d’adaptation de la salariée à son emploi s’agissant d’un contrat de travail qui s’est exécuté pendant dix-huit années et d’outils informatiques spécifiques mis à sa disposition pour l’accomplissement de ses missions.
Il convient encore de relever qu’en août 2016, Mme [R] s’est plainte auprès de son employeur d’un manque ou d’une l’absence totale d’informations sur certains dossiers l’empêchant de les traiter correctement.
Ainsi, alors que la SARL IMAGINE SOFT entend soutenir une insuffisance professionnelle de sa salarié depuis 2011, il convient de relever, dans le même temps, qu’elle ne justifie pas des moyens de formation, de soutien, de suivi et d’adaptation à son emploi qu’elle a mis en oeuvre avant de procéder au licenciement de la salariée.
Ainsi, au vu des éléments fournis par les parties, l’insuffisance professionnelle de Mme [R] n’est pas caractérisée et il convient de confirmer le jugement dans cette appréciation.
Sur la faute grave
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Elle doit être prouvée par l’employeur.
Pour démontrer la réalité, l’imputabilité à la salarié et la gravité des faits commis et reprochés dans la lettre de licenciement, la SARL IMAGINE SOFT soutient qu’elle était parfaitement en mesure, au regard de la jurisprudence, de faire effectuer par un salarié habilité un contrôle ponctuel de l’historique des connections internet des salariés et verse :
– une note de service signée par Mme [R] qui indique que : ‘Disposition particulière concernant l’utilisation du réseau Internet.
Le réseau Internet est au même titre que l’ensemble du matériel mis à votre disposition, un outil réservé à un usage strictement professionnel. Il en va de même pour l’utilisation de la messagerie électronique. Les salariés ayant accès à Internet doivent dans la mesure du possible veiller à ne pas diffuser d’informations sensibles ou confidentielles sur les activités de l’Entreprise. L’utilisation d’Internet doit être réalisée dans le respect des règles de sécurité et des dispositions légales relatives notamment au droit de propriété, à la diffamation, aux fausses nouvelles, aux injures et provocations.
Des moyens de contrôle sont mis à la disposition de la Direction afin de vérifier l’état des connexions internet pour chaque salarié’.
– l’attestation de M. [H] qui indique : ‘ En la qualité d’administrateur système réseaux et à la demande de mon directeur, j’ai effectué des contrôles ponctuels sur le PC de Madame [R] [L].
En effet, ce dernier ayant été alerté par plusieurs collaborateurs sur ses agissements sur Internet. Moi-même, à plusieurs reprises, j’ai pu constater ses actions et visites sur des sites qui n’avaient rien à voir avec son activité.
Je tiens aussi à préciser que lors d’une collation organisée par la direction à l’occasion de la présentation des v’ux pour la nouvelle année et des objectifs de la société, il avait été répété à l’ensemble du personnel que des contrôles ponctuels pouvaient être effectués sur leur PC respectif. » (…) « J’affirme que ces contrôles ont été faits de façon ponctuelle en accord avec la clause que nous avons signé en annexe de notre contrat de travail. D’autre part, la Direction a rappelé à plusieurs reprises la possibilité de contrôle ponctuel, si cela s’avérait nécessaire, dans le cadre de réunions internes entreprise (auxquelles étaient présents tous les salariés, dont Mme [L] [R] et sans que cela ne soulève une quelconque remarque ou objection de sa part). J’atteste qu’il n’a jamais été mis en place de système, ni de procédure de contrôle automatisé concernant la surveillance et l’utilisation d’internet dans l’entreprise Imagine Soft. ».
– l’attestation de M. [B] qui indique : ‘ Lors d’une réunion annuelle présentant le bilan et les objectifs de l’année, la direction nous a informés de la mise sous contrôle de nos postes de travail dans le cadre du travail effectué sur ces dits postes.
Suite à quelques discussions avec les collègues de travail, en tant que responsable, je suis allé voir la direction pour en savoir plus sur ce contrôle et les moyens mis en ‘uvre.
Il m’a été informé que ce contrôle est juste un contrôle ponctuel qui peut se faire sur n’importe quel poste de travail et dans ce même cadre, et qu’en l’occurrence la direction avait remarqué l’utilisation abusif de logiciels qui n’entrent pas dans les outils de travail et que c’est pour cela qu’elle nous a fait «une piqûre de rappel ». Je précise par cette information que toute l’équipe de travail était au courant que nos postes pouvaient être contrôlés dans le cadre du travail’.
– le courriel de M. [D] du 10 août 2016 qui indique : ‘ J’ai à plusieurs reprises constaté qu'[L] [R] utilisait son poste de travail à des fins personnelles, pendant les heures de service pour des jeux en ligne qu’elle cachait à mon arrivée.
Elle a reconnu les faits et ne m’a pas contredit lors de mes avertissements.
Dans une démarche constructive, je lui ai demandé oralement, et à plusieurs reprises de cesser ces activités. Malgré mes nombreux avertissements (dans son intérêt) cette dernière a continué. C’est pourquoi je suis dans l’obligation de vous signaler son comportement préjudiciable au service SUPPORT de l’entreprise. Ne constatant aucun changement, nous avons avec l’assistance du responsable réseau modifié la configuration de son poste de travail, afin de stopper ces dérives. De son propre chef, elle a reconfiguré son poste de travail et a continué.’.
– l’attestation de M. [H] qui indique : ‘ J’ai pu constater à plusieurs reprises le fait que Mme [R] était souvent sur des sites de jeux, de décoration ou de bricolage, plutôt que sur les dépannages.
Dès qu’une personne approchait de son bureau elle basculait d’un navigateur à un autre pour dissimuler sa fumisterie.
J’ai pu observer ce manège car mon bureau se situait juste derrière elle. Ayant été rappelée à l’ordre plusieurs fois, elle avait mis en place une technique qui consistait de recopier sur des pages Word l’ensemble des sites sur lesquels elle avait l’habitude d’aller.
Comme elle était amenée à travailler très régulièrement sur des documents techniques au format Word, avec cette astuce son navigateur ne comportait plus de sites inappropriés pendant les heures de travail.’.
– des copies d’écran (pièce 48).
– la liste des connexions internet de Mme [R] le 26 octobre 2017 (pièce 50).
La SARL IMAGINE SOFT soutient qu’elle n’a eu recours à aucun stratagème pour obtenir ces documents qui ressortent uniquement du contrôle effectué par M. [H] sur l’ordinateur mis à disposition et dont la salariée était informée; que l’atteinte à la vie privée de Mme [R] n’est pas établie puisqu’aucune correspondance privée ne ressort des éléments produits ; qu’en tout état de cause, cette potentielle atteinte n’est pas disproportionnée au but poursuivi, à savoir la protection des intérêts légitimes de l’entreprise qui ne peut se permettre que son personnel vaque à des occupations personnelles au temps et au lieu de travail; que la production de ces éléments est indispensable à l’exercice du droit à la preuve.
Elle considère qu’elle pouvait se prévaloir des captures d’écran qui ne peuvent pas être considérées comme personnelles du seul fait qu’elles émanant initialement de la messagerie électronique personnelle de la salariée.
Elle fait valoir que ces éléments indiquent que Mme [R] se connectait régulièrement sur des sites sans lien avec son activité professionnelle et passait un temps considérable sur sa messagerie personnelle, notamment le 26 octobre 2017. Elle relève que c’est Mme [R] qui utilisait de subterfuges, décrits par M. [H], pour consulter des sites à des fins personnelles pendant ses heures de travail.
Mme [R] demande de déclarer irrecevable la pièce 48, faute pour la SARL IMAGINE SOFT de démontrer que l’outil de contrôle mis en place sur son poste a fait l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL (elle fait valoir que la présentation des pièces versées aux débats laisse supposer qu’elles ont pu être extraites à l’aide d’un dispositif particulier car il ne s’agit pas d’une capture d’écran de l’historique des connexions internet mais de pièces qui ont un format vidéo ce qui laisse suggérer l’utilisation d’un logiciel), du caractère partiel de l’information portée à sa connaissance en ce qu’elle n’a pas été informée des garanties accordées en matière de protection des données personnelles au regard de l’article L.1222-4 du code du travail, et en raison de l’atteinte à la vie privée ainsi qu’au secret des correspondances concernant les captures d’écran de sa messagerie personnelle.
Elle fait valoir que ces éléments de preuve illicites doivent être écartés des débats car leur production n’est pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve puisque la société pouvait très bien verser aux débats -comme elle l’a d’ailleurs fait en pièce 50 – la liste de ses connexions, et l’atteinte à sa vie personnelle n’est aucunement proportionnée au but poursuivi, alors que les captures d’écran en format vidéo laissent apparaître une surveillance excessive, en temps réel de son écran d’ordinateur et non, comme indiqué dans la note de service versée aux débats, une simple vérification de l’état de ses connexions internet.
Elle conteste les valeurs probantes des attestations de M. [H] et de M. [D] du fait du lien de subordination avec l’employeur et de ce qu’elles ne démontrent aucun abus de sa part.
* * *
Il ressort de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, qu’il est reproché à Mme [R] un usage abusif et répété de l’outil internet pendant les heures de travail consistant en des consultations de sites internet sans caractère professionnel.
La SARL IMAGINE SOFT produit des captures d’écran issues de la messagerie personnelle de Mme [R] (pièce 48), une liste des connexions internet de Mme [R] du 26 octobre 2017 (pièces 50) et plusieurs attestations de salariés.
Il ressort des éléments du dossier, et notamment de l’attestation de M. [H], que l’employeur n’a pas utilisé d’outil de contrôle, comme l’affirme la salarié, mais a réalisé un contrôle ponctuel sur l’outil professionnel utilisé par Mme [R].
Il est de principe que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur.
Si l’accès à un serveur de l’opérateur internet sur lequel étaient stockés les messages, s’effectue au moyen de l’ordinateur professionnel, cette circonstance est sans incidence sur le caractère privé de la boîte aux lettres électronique personnelle de la salariée.
Il en résulte que les courriels provenant de la messagerie personnelle de Mme [R] sont couverts par le secret des correspondances, même si elle les consulte depuis son ordinateur professionnel.
En l’espèce, dès lors que les messages provenaient de la messagerie personnelle de la salariée, distincte de la messagerie professionnelle, la SARL IMAGINE SOFT ne pouvait, par principe, les produire en justice dans le cadre d’un litige prud’homal.
Cependant, si une preuve illicite ou obtenue de manière déloyale n’est plus nécessairement écartée des débats dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. En effet, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, il convient de relever que la SARL IMAGINE SOFT est en mesure de produire d’autres éléments, à savoir un relevé des connexions internet de la salarié et des attestations de salariés, de sorte que la production de captures d’écran issues de la messagerie personnelle de la salariée n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve.
Par ailleurs, alors que le droit à la vie privée et, celui qui en découle, au secret des correspondances, sont des droits d’une particulière importance, il doit être considéré que le fait de porter à la connaissance de la cour les contenus des messages qui n’ont pas d’intérêt direct sur le litige, dès lors que leur caractère personnel est établi, porte une atteinte disproportionnée au but poursuivi invoqué par l’employeur, à savoir la protection des intérêts de la société.
En conséquence, la preuve illicite découlant de la pièce 48 doit être écartée des débats.
D’autre part, alors que Mme [R] a été parfaitement informée par une note de service qu’elle a signée, que l’employeur pouvait vérifier l’état des connexions internet de chaque salarié, il est de principe que les connexions établies par un salarié sur des sites pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail, sont présumées avoir une caractère professionnel de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors la présence du salarié.
Il en résulte que la pièce n°50 est parfaitement recevable.
Alors que le relevé des connexions ne concerne qu’une seul journée, l’examen de cette pièce permet d’établir que l’essentiel des connexions a eu lieu entre douze heures et quatorze heures, ce qui correspond au temps de la pause méridienne de la salariée. Par ailleurs, les connexions à la messagerie personnelle de la salariée ont été réalisées sur de courtes durée (ainsi, par exemple, pour la plus longue, entre 16 heures 10 et 16 heures 16).
En conséquence, il ne ressort pas de cette pièce le grief d’un usage abusif de l’outil internet pendant les heures de travail.
Enfin, les attestations produites par l’employeur ne sont pas suffisamment circonstanciées quant aux dates des faits relatés (le mail de M. [D] étant du 10 août 2016), ne permettent pas de caractériser un abus de l’utilisation de l’outil internet pendant le temps de travail ni, à défaut d’élément objectif corroborant, de l’utilisation de subterfuges par la salariée.
Dans ces conditions, il s’ensuit que non seulement le licenciement de Mme [R] ne repose pas sur une faute grave mais est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Il convient d’accorder à Mme [R] les sommes de 5.100 euros au titre de l’indemnité de préavis, de 510 euros au titre des congés payés afférents, 1.159,08 euros au titre du rappel de salaire et de 115,90 euros au titre des congés payés afférents.
Selon l’article 19 de la convention collective SYNTEC, l’indemnité de licenciement se calcule en mois de rémunération sur les bases suivantes : pour une ancienneté acquise entre 2 ans et 20 ans : 0,25 mois par année de présence et, pour les années incomplètes, l’indemnité est calculée proportionnellement aux nombre de mois de présence.
Ainsi, Mme [R] qui, au moment du licenciement avait une ancienneté de 18 années, est en droit de réclamer une indemnité de licenciement de 11.626,42 euros.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de la taille de la société qui emploie habituellement moins de onze salariés, son âge au moment de la rupture du contrat de travail (49 ans), de son ancienneté (18 ans), de sa qualification, de sa rémunération (2.583,65 euros ), des circonstances de la rupture, d’une période d’arrêt maladie de six mois puis d’une période de chômage et d’un nouvel emploi le 20 août 2018, il convient d’accorder à Mme [R] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 21.000 euros.
Le jugement sera confirmé sur l’ensemble des sommes allouées.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation et de tenue de l’entretien professionnel
Mme [R] fait valoir qu’elle n’a pas bénéficié d’un entretien professionnel postérieurement à l’année 2006, n’a pas été formée à son poste et, compte tenu de l’absence d’entretien professionnel, l’employeur a manqué à son obligation générale d’adaptation. Elle considère que ces manquements lui ont causé un préjudice car elle n’a connu aucune évolution en dix-huit années et a finalement été licenciée en raison d’une prétendue insuffisance professionnelle qualifiée de faute grave.
La SARL IMAGINE SOFT conclut que Mme [R] a toujours bénéficié d’un suivi régulier de son activité, que la société a toujours été à son écoute et a satisfait à ses souhaits en termes de diversification et d’évolution du poste de travail, que la salariée ne justifie pas avoir sollicité de suivre des formations alors qu’elle produit des pièces attestant des actions de formations utiles suivies par Mme [R].
* * *
Alors que l’employeur est tenu à une obligation effective de formation du salarié et d’adaptation à l’emploi, la SARL IMAGINE SOFT ne produit aucun entretien d’évaluation des compétences ou d’entretien professionnel concernant Mme [R] depuis 2006.
De plus, il a été jugé que, reprochant à sa salariée une insuffisance professionnelle, la SARL IMAGINE SOFT ne justifie pas des moyens de formation, de soutien, de suivi et d’adaptation à son emploi qu’elle a mis en oeuvre avant de procéder à son licenciement, la réalisation de courtes formations, en 2008 et 2017, est insuffisante s’agissant d’un contrat de travail qui s’est exécuté pendant 18 ans.
Ce manquement a causé à Mme [R] un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail en ce que la salariée n’a pas été en mesure d’être évaluée dans son travail à compter de 2016 et ni de bénéficier de toutes les possibilités d’adaptation et d’évolution de son emploi dans l’entreprise.
Par confirmation du jugement, il convient d’accorder à Mme [R] la somme de 1.000 euros de dommages-intérêts.
Les dispositions de jugement relatives à la remise des documents sociaux, à la régularisation de la situation de la salariée auprès des organismes sociaux, au rejet de l’astreinte, aux intérêts, à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, seront également confirmées.
Il est équitable de condamner la SARL IMAGINE SOFT à payer à Mme [R] la somme de 1.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens que Mme [R] a engagés en cause d’appel.
Les dépens d’appel seront à la charge de la SARL IMAGINE SOFT, partie succombante par application de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SARL IMAGINE SOFT à payer à Mme [L] [R] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne la SARL IMAGINE SOFT aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE