Un décor de magasin dont la protection est sollicitée, même à le considérer comme formant un ensemble précisément identifiable, procède du fonds commun du décor de style traditionnel japonais (ou perçu comme tel) exploité dans divers restaurants de gastronomie nippone.
Or il n’est pas possible, au titre de la protection du droit d’auteur, de revendiquer la propriété d’un style ou d’un genre, impropre à refléter la personnalité de son auteur. Les demandes au titre de la contrefaçon de la société Sushi Shop ont été rejetées. Nos conseils : 1. Attention à démontrer le caractère original de votre œuvre pour pouvoir revendiquer la protection du droit d’auteur. Il est recommandé de justifier que votre création reflète un parti pris esthétique et traduit l’empreinte de votre personnalité. 2. Il est recommandé de prouver le caractère déloyal des méthodes de votre concurrent en matière de concurrence déloyale. Vous devez démontrer que les actes de votre concurrent portent atteinte à vos efforts et investissements. 3. Veillez à éviter tout risque de confusion dans l’esprit de la clientèle pour établir un cas de concurrence déloyale. Il est essentiel de montrer qu’il existe une distinctivité claire entre votre activité et celle de votre concurrent pour éviter toute confusion. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire oppose la société Sushi Shop Restauration et Sushi Shop Management à la société Sushi Les Angles. Les sociétés du groupe Sushi Shop reprochent à Sushi Les Angles d’avoir reproduit l’agencement intérieur de leurs restaurants, ainsi que leur logo, ce qui constituerait une violation de leurs droits d’auteur et des actes de concurrence déloyale. Elles demandent des dommages et intérêts, ainsi que des injonctions pour faire cesser ces pratiques. De son côté, Sushi Les Angles conteste ces accusations en arguant que leur décor n’est pas original et qu’il n’y a pas de confusion possible entre leurs établissements et ceux de Sushi Shop. L’affaire est en attente de jugement.
|
→ Les points essentielsMOTIFS DE LA DECISION :Sur la contrefaçon :L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » Cependant, une création intellectuelle n’est protégeable que si elle reflète la personnalité de son auteur, autrement dit si elle est originale, ce quels que soient son genre, ses mérites ou sa destination. Il faut, mais il suffit, que l’œuvre dont la protection est revendiquée porte une empreinte réellement personnelle et traduise un travail et un effort créateur exprimant la personnalité de son auteur pour que celui-ci puisse se revendiquer de la protection organisée par le code de la propriété intellectuelle. Il appartient donc au tribunal, en procédant à des constatations de fait, de vérifier si le modèle revendiqué est protégeable, c’est à dire de rechercher en quoi il résulte d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur, seul de nature à leur conférer le caractère d’une œuvre originale protégée, comme telle, par le droit d’auteur, avant, le cas échéant, de rechercher en quoi le modèle est contrefait. Il incombe à celui qui prétend se prévaloir des droits d’auteur de caractériser l’originalité de l’œuvre revendiquée, c’est-à-dire de justifier que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Si certains des éléments qui composent chacun des modèles sont connus ou fonctionnels et, pris séparément, peuvent être considérés comme appartenant au fonds commun de l’univers du mobilier, la combinaison des lignes de chaque modèle, dès lors que l’appréciation doit s’effectuer de manière globale en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments et non par l’examen de chacun d’eux pris individuellement, peut leur conférer une physionomie propre qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur. L’œuvre dont la protection est sollicitée se compose, selon les dernières conclusions de la société SUSHI SHOP RESTAURATION d’un ensemble d’éléments mobiliers formant un décor de restaurant, comprenant des luminaires, des façades de bar en briques apparentes irrégulières en matière brute, des paravents de bois, des tables en bois de couleur naturelle, de fauteuils, de grand panneaux de bois lumineux composés de cases imbriquées, de murs peints en noir mat. Selon les demanderesses, cette combinaison d’éléments conduit à mettre à l’honneur le Japon par une décoration minimaliste, délicate, avec des matières naturelles, en y intégrant les codes du luxe et du premium en privilégiant la couleur noire et les lumières tamisées. Cependant il résulte des pièces mêmes communiquées par la société SUSHI SHOP RESTAURATION, et notamment des illustrations du « Design manual », que la combinaison revendiquée n’est pas précisément identifiée, dans la mesure où ce catalogue liste deux types de décors muraux, cinq types de tables, deux types de chaises, un tabouret, une banquette murale, deux types de panneaux muraux à cases, deux types de façades de bar, douze types de buffets, deux types de comptoirs réfrigérés et plusieurs types d’enseignes. Enfin il est à noter que ce catalogue ne fait que lister séparément les éléments mobiliers devant être intégrés aux restaurants exploités sous l’enseigne SUSHIS SHOP, mais ne contient aucune indication relative à l’aménagement d’ensemble. Il ne peut donc dans ces conditions être affirmé qu’il existe un ensemble cohérent formant décor, et donc une œuvre protégeable. En outre la société SUSHI LES ANGLES produit divers clichés représentant le décor intérieur d’autres restaurants de cuisine japonaise, reprenant le même style de décor destiné à évoquer le Japon, par la présence de matériaux bruts en façade de bar, de cloisons de bois, d’un éclairage tamisé, d’un revêtement mural en lattes de bois clair sur fond sombre, et d’un mobilier en bois clair contrastant avec un sol ou des murs plus sombres. Il apparaît dans ces conditions que le décor dont la protection est sollicitée, même à le considérer comme formant un ensemble précisément identifiable, procède du fonds commun du décor de style traditionnel japonais (ou perçu comme tel) exploité dans divers restaurants de gastronomie nippone. Or il n’est pas possible, au titre de la protection du droit d’auteur, de revendiquer la propriété d’un style ou d’un genre, impropre à refléter la personnalité de son auteur. Les demandes au titre de la contrefaçon doivent en conséquence être rejetées. Sur la concurrence déloyale :La concurrence déloyale et le parasitisme consacrent des fautes susceptibles, dans les conditions fixées par l’article 1240 du Code civil, d’engager la responsabilité civile de leur auteur. Ils supposent la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien de causalité direct avec celle-ci. La faute en matière de concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe général de libre concurrence qui est un principe fondamental des rapports commerciaux. Elle implique que tout commerçant a la possibilité d’attirer à lui la clientèle de ses concurrents sans que ceux-ci puissent le lui reprocher, de vendre des produits similaires à ceux d’un concurrent ou même identiques en l’absence de droit privatif dans la mesure où tout produit qui n’est pas l’objet d’un droit privatif est en principe dans le domaine public, et de vendre des produits similaires ou identiques de qualité moindre à un prix inférieur. Ainsi, même si la reprise procure à celui qui la pratique des économies, elle ne saurait à elle seule être tenue pour fautive sauf à vider de toute substance le principe de liberté ci-dessus rappelé. Il appartient donc au commerçant qui se plaint d’une concurrence déloyale de démontrer le caractère déloyal des méthodes développées par son concurrent. Il en va de même du parasitisme qui suppose de démontrer l’existence d’actes de captation indue des efforts et investissements du concurrent. Enfin et surtout, le demandeur doit démontrer l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle. Les clichés photographiques figurant au procès-verbal de constat que les restaurants exploités à l’enseigne KALY SUSHI par la société SUSHI LES ANGLES se distinguent, en ce qui concerne leur décor intérieur, par un éclairage nettement plus vif que ceux exploité par la société SUSHI SHOP RESTAURATION, qui au contraire revendique un éclairage tamisé destiné à produire un ambiance intimiste associée à l’univers du luxe. Surtout, le cliché figurant en page 20 du procès-verbal de constat montre que l’enseigne KALY SUSHI avec le logo associé figure en très gros caractère à l’intérieur de l’établissement exploité par la société SUSHI LES ANGLES à [Localité 4]. Dans ces conditions il apparaît qu’il existe une forte distinctivité dans le décor des restaurants de la défenderesse, de nature à exclure tout risque de confusion dans l’esprit du public, et ce nonobstant le fait que les établissements des deux parties au litige se trouvent, au moins à [Localité 4], à 500 mètres l’un de l’autre. S’agissant de la signalétique extérieure, le « Design manual » édité par les sociétés SUSHI SHOP montre que celle-ci se compose, au choix, d’un large panneau rectangulaire de façade figurant la marque semi-figurative SUSHI SHOP, sur une seule ligne, en caractères foncés sur fond clair ou en caractères claires sur fond sombre, rétro-éclairés, ou encore d’un panneau carré de type enseigne en surplomb sur la rue, représentant sur deux lignes la marque semi-figurative SUSHI SHOP (l’élément figuratif sur la première ligne, l’élément verbal sur la seconde ligne), en caractères rétro-éclairés clairs sur fond sombre, et également d’un store sombre sur le lambrequin duquel sont écrits les mots « livraison/click and collect » ou « livraison/click and collect / à emporter / sur place » en caractères clairs. Aucun de ces éléments ne se retrouve sur la devanture des restaurants exploités par la société SUSHI LES ANGLES selon les photographies produites aux débats. En particulier il n’apparaît pas de similitude entre les éléments figuratifs de la marque SUSHI SHOP et le logo de l’enseigne KALY SUSHI. En effet l’élément figuratif de la marque SUSHI SHOP se compose d’un cercle à l’intérieur duquel se trouve un poisson stylisé en position verticale tête en haut : tandis que le logo accompagnant l’enseigne KALY SUSHI se compose d’un cercle inachevé dans lequel se trouvent deux têtes de poissons stylisées représentées à l’horizontale et tête bêche, évoquant selon la défenderesse le signe du Ying et du Yang propre à la philosophie extrême-orientale : Si la police de caractères apparaît semblable, le nom de la marque apparaît dans l’un des cas écrit sans espace entre les mots, alors que dans l’autre les deux termes sont nettement séparés. Il sera rappelé que dans un signe semi-figuratif, l’élément verbal est considéré comme dominant. La prononciation des termes « sushi shop » d’une part, et « kaly sushi » d’autre part, ne présentent pas d’occurrences suffisantes, hors le terme générique « sushi », pour être considérée comme étant identiques ou semblables et créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen de langue française. Ainsi les éléments verbaux diffèrent suffisamment pour éviter tout risque de confusion, le seul élément commun « sushi » n’étant que la désignation de l’un des produits commercialisés. Il ne peut en effet être reproché à un commerce de sushis de faire mention du nom de sa spécialité dans son enseigne, celle-ci n’étant pas susceptible d’appropriation ou de monopole. Enfin il est montré par les photographies produites que sur l’enseigne des restaurants exploités par la société SUSHI LES ANGLES, les termes « kaly sushi » apparaissent en très gros caractères, d’une police ayant la même taille que l’élément figuratif, et mettant en évidence le terme « kaly » écrit en caractères gras. Il ne peut dans ces conditions y avoir de doute dans l’esprit du consommateur même inattentif sur le fait qu’il ne s’adresse pas à un restaurant des sociétés SUSHI SHOP, en l’absence de similitude dans l’impression d’ensemble des deux enseignes en cause. Les faits de concurrence déloyale n’étant pas constitués, les demandes à ce titre seront également rejetées. Sur les autres demandes :La demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la société SUSHI LES ANGLES n’est pas motivée. Celle-ci ne justifie en outre d’aucun préjudice qu’elle aurait subi du fait des sociétés demanderesses. La société SUSHI LES ANGLES sera donc déboutée de ce chef de demande. Les sociétés SUSHI SHOP RESTAURATION et SUSHI SHOP MANAGEMENT, qui succombent à l’instance, en supporteront in solidum les dépens. Elles seront en outre condamnées in solidum à payer à la société SUSHI LES ANGLES la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. Les montants alloués dans cette affaire: – Les sociétés SUSHI SHOP RESTAURATION et SUSHI SHOP MANAGEMENT sont condamnées à payer à la société SUSHI LES ANGLES la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Les sociétés SUSHI SHOP RESTAURATION et SUSHI SHOP MANAGEMENT sont condamnées aux dépens |
→ Réglementation applicable– Article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » – Article 1240 du Code civil « La concurrence déloyale et le parasitisme consacrent des fautes susceptibles, dans les conditions fixées par l’article 1240 du Code civil, d’engager la responsabilité civile de leur auteur. Ils supposent la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien de causalité direct avec celle-ci. » – Article 700 du code de procédure civile « Le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, sauf si les motifs de l’équité commandent de la dispenser, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Emilie BERTAUT
– Me Nathalie BOKSENBAUM – Me Catherine Marie DARBIER-VOISIN – Me Julien HERISSON |