Une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, qu’elle ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.
Il s’en déduit qu’une partie de la rémunération du salarié peut être constituée par des indicateurs financiers de la société dès lors que ceux-ci varient pour des motifs indépendants de la volonté de l’employeur.
M. [Z] [E], initialement engagé en tant que technicien chez Europac le 20 octobre 2000, a gravi les échelons pour devenir directeur d’exploitation à [Localité 2] le 1er avril 2017. Suite au rachat d’Europac, son contrat de travail a été transféré à DS Smith packaging Seine-Normandie le 23 janvier 2019. M. [E] a démissionné le 2 novembre 2020, après une demande de rupture conventionnelle restée sans réponse. Il a respecté un préavis de trois mois, quittant officiellement l’entreprise le 31 janvier 2021.
M. [E] a par la suite saisi le conseil de prud’hommes de Rouen, demandant la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture, arguant que celle-ci devrait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il réclamait également un rappel de salaire et diverses indemnités. Cependant, le 15 mars 2022, le conseil de prud’hommes a rejeté ses demandes et l’a condamné à payer 1 000 euros à DS Smith packaging Seine-Normandie en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [E] a fait appel de cette décision le 13 avril 2022. Dans ses conclusions d’appel, il demande notamment le paiement de rappels de salaire et d’indemnités, la requalification de sa rupture de contrat, ainsi que la remise de documents légaux conformes à la décision à venir, sous astreinte.
De son côté, DS Smith packaging Seine-Normandie, dans ses conclusions du 9 janvier 2024, demande principalement la confirmation du jugement initial, et subsidiairement, reconnaît devoir certaines sommes à M. [E] tout en contestant d’autres aspects de ses demandes.
La procédure a été clôturée le 11 janvier 2024, en attente d’une décision finale de la cour.
Sur la demande de rappel de prime de bonus
M. [E] réclame le versement de sa prime de bonus suite à des changements unilatéraux des règles d’attribution par la société DS Smith. La société conteste en arguant que la prime n’était pas garantie et reposait sur des critères financiers propres au groupe.
Sur la qualification de la démission
M. [E] affirme avoir démissionné en raison du non-paiement de sa prime de bonus, tandis que la société DS Smith soutient qu’il s’agit d’une démission claire et non équivoque sans lien avec la prime. La cour analyse les circonstances pour déterminer s’il s’agit d’une prise d’acte de la rupture ou d’une démission.
Sur la remise de documents
La cour ordonne à la société DS Smith de remettre à M. [E] une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire rectifiés.
Sur les intérêts
Les sommes allouées porteront des intérêts au taux légal à partir de la convocation de l’employeur en conciliation ou du présent arrêt.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société DS Smith est condamnée aux dépens et à verser une somme à M. [E] au titre des frais irrépétibles.
– Condamnation de la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie à payer à M. [Z] [E] :
– 16 002,99 euros pour rappel de prime-bonus pour l’exercice 2019-2020.
– 1 600,30 euros au titre des congés payés afférents.
– 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Réglementation applicable
Une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, qu’elle ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.
Il s’en déduit qu’une partie de la rémunération du salarié peut être constituée par des indicateurs financiers de la société dès lors que ceux-ci varient pour des motifs indépendants de la volonté de l’employeur.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Céline ULBRICH
– Me Valérie GRAY
– Me Florent MILLOT
Mots clefs associés
– Prime de bonus
– Promotion
– Rémunération annuelle
– Véhicule de fonction
– Prime variable
– Licenciement
– Objectifs
– Performance individuelle
– Conditions financières
– Plan de bonus
– Atteinte des performances
– Indicateurs financiers
– Rupture de contrat
– Démission
– Prise d’acte de la rupture
– Manquement de l’employeur
– Réclamation
– Réponse de l’employeur
– Courrier de démission
– Preuve du manquement
– Témoignages
– Reconnaissance du travail
– Attestation Pôle emploi
– Bulletin de salaire
– Intérêts
– Dépens et frais irrépétibles
– Prime de bonus : Somme d’argent versée à un employé en plus de son salaire de base, généralement en reconnaissance de performances exceptionnelles ou atteinte d’objectifs spécifiques.
– Promotion : Élévation d’un employé à un poste supérieur avec souvent une augmentation de salaire et de responsabilités.
– Rémunération annuelle : Total des gains d’un employé sur une année, incluant le salaire de base, les primes, les bonus et autres avantages.
– Véhicule de fonction : Voiture fournie par l’employeur à l’employé pour les besoins de son travail.
– Prime variable : Partie de la rémunération d’un employé qui dépend de l’atteinte de certains objectifs ou de la performance de l’entreprise.
– Licenciement : Rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour des raisons personnelles ou économiques.
– Objectifs : Buts ou cibles fixés par une entreprise pour ses employés, dont l’atteinte est souvent liée à des récompenses ou des évaluations de performance.
– Performance individuelle : Évaluation des résultats et des comportements d’un employé par rapport aux attentes de son poste.
– Conditions financières : Termes relatifs aux aspects monétaires d’un contrat, incluant salaire, primes, bonus, et autres avantages.
– Plan de bonus : Programme établi par une entreprise définissant les critères selon lesquels les bonus sont attribués aux employés.
– Atteinte des performances : Réalisation ou dépassement des objectifs de performance fixés par l’employeur.
– Indicateurs financiers : Mesures quantitatives utilisées pour évaluer la santé financière d’une entreprise, souvent utilisées pour déterminer les bonus ou la performance.
– Rupture de contrat : Fin d’un accord contractuel entre deux parties, pouvant être initiée par l’une ou l’autre des parties.
– Démission : Acte par lequel un employé met fin volontairement à son contrat de travail.
– Prise d’acte de la rupture : Procédure par laquelle un employé rompt son contrat de travail en raison de fautes graves commises par l’employeur, avec les effets d’un licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement.
– Manquement de l’employeur : Faute ou négligence grave de l’employeur dans ses obligations contractuelles ou légales envers l’employé.
– Réclamation : Demande formelle par un employé adressée à son employeur concernant un différend ou une insatisfaction.
– Réponse de l’employeur : Communication officielle de l’employeur en réponse à une réclamation ou une préoccupation soulevée par un employé.
– Courrier de démission : Lettre formelle par laquelle un employé informe son employeur de son intention de quitter l’entreprise.
– Preuve du manquement : Élément de preuve apporté par l’employé pour démontrer la faute ou la négligence de l’employeur.
– Témoignages : Déclarations de témoins pouvant être utilisées comme preuves dans des litiges ou des procédures judiciaires.
– Reconnaissance du travail : Acte par lequel l’employeur exprime sa reconnaissance des efforts et des résultats d’un employé.
– Attestation Pôle emploi : Document délivré par l’employeur à un employé licencié, nécessaire pour faire une demande d’allocations chômage.
– Bulletin de salaire : Document détaillant le salaire et les diverses déductions appliquées à un employé pour une période donnée.
– Intérêts : Sommes dues en plus du principal, souvent en cas de retard de paiement ou de dommages financiers.
– Dépens et frais irrépétibles : Frais de justice non remboursables par la partie adverse en cas de procès, incluant les honoraires d’avocat et autres frais liés à la défense.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/01244 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JBVP
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 21 MARS 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Mars 2022
APPELANT :
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Céline ULBRICH, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉE :
S.A.S.U. DS SMITH PACKAGING SEINE NORMANDIE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Valérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Florent MILLOT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 24 Janvier 2024 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 24 janvier 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 mars 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 21 Mars 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Z] [E] a été engagé par la société Europac le 20 octobre 2000 en qualité de technicien, et après plusieurs évolutions professionnelles, il a été promu directeur d’exploitation de l’établissement de [Localité 2] le 1er avril 2017.
A la suite du rachat de la société Europac, son contrat de travail a été transféré à la société DS Smith packaging Seine-Normandie le 23 janvier 2019.
Il a démissionné le 2 novembre 2020 dans les termes suivants :
‘(…) Par cette lettre, je vous informe de ma décision de quitter le poste de plant manager que j’occupe depuis le 1er avril 2017 dans votre entreprise. N’ayant pas eu de retour de ma demande de rupture conventionnelle faite le 16 octobre 2020 par mail, je me vois obligé de vous transmettre ce courrier pour confirmer ma volonté de quitter DS Smith cartonnerie de Rouen. Dans le regret de ne pas avoir été entendu sur ma demande.
Comme l’indique la convention collective papier/carton 3054 IDCC 925, applicable à notre entreprise, je respecterai un préavis de départ d’une durée de 3 mois. Donc je quitterai l’entreprise à la date du 31 janvier 2021.
La fin de mon contrat sera donc effective le 31 janvier 2021.
A cette date, je vous demanderai de bien vouloir me remettre le solde de mon compte, ainsi qu’un certificat de travail. (…)’.
Par requête reçue le 27 septembre 2021, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en requalification de la rupture en prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.
Par jugement du 15 mars 2022, le conseil de prud’hommes a débouté M. [E] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer à la société DS Smith packaging Seine-Maritime la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [E] a interjeté appel de cette décision le 13 avril 2022.
Par conclusions remises le 11 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [E] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
– condamner la société DS Smith packaging Seine-Normandie à lui payer la somme de 32 005,98 euros à titre de rappel de salaire sur prime variable contractuelle 2019/2020, outre 3 200,60 euros au titre des congés payés afférents,
– requalifier la rupture de son contrat de travail en prise d’acte de la rupture et, en conséquence de la faute grave commise par la société DS Smith packaging Seine-Normandie de la condamner à lui payer les sommes suivantes :
indemnité conventionnelle de licenciement : 119 722 euros nets
dommages et intérêts pour préjudice moral : 80 000 euros nets
– ordonner à la société DS Smith packaging Seine-Normandie de lui remettre des documents légaux conformes à la décision à intervenir (bulletin de salaire, certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle emploi) sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, à compter du 15ème jour suivant la décision, la cour se réservant la compétence de liquider l’astreinte,
– assortir les condamnations d’un intérêt au taux légal,
– débouter la société DS Smith packaging Seine-Normandie de l’ensemble de ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens comprenant les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir.
Par conclusions remises le 9 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société DS Smith packaging Seine-Normandie demande à la cour de :
– à titre principal, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– à titre subsidiaire, dire qu’elle doit verser la somme de 32 005,98 euros, outre les congés payés afférents, à titre de bonus pour l’exercice 2019/2020, confirmer le jugement pour le surplus et condamner M. [E] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– à titre infiniment subsidiaire, dire qu’elle doit verser la somme de 32 005,98 euros, outre les congés payés afférents, à titre de bonus pour l’exercice 2019/2020, dire que la démission doit s’analyser en une prise d’acte de la rupture à ses torts, juger que l’indemnité conventionnelle est d’un montant de 119 722 euros bruts, juger que M. [E] ne justifie pas de ses autres demandes et le débouter du surplus de ses demandes.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 11 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de prime de bonus
M. [E] explique qu’il a été prévu lors de sa promotion au poste de directeur d’exploitation de l’établissement de [Localité 2] en 2017 qu’il bénéficierait d’une rémunération annuelle brute de 100 000 euros, d’un véhicule de fonction et d’une prime variable de 30 % sur la rémunération brute annuelle ‘selon les conditions d’attribution déterminées par le groupe’, étant précisé que cette prime lui était habituellement versée au mois de juillet, suivant la clôture de l’exercice précédant au 30 avril.
Il expose néanmoins que, suite au rachat de la société Europac par la société DS Smith en 2019, son N+1 a été licencié, les augmentations générales pour les cadres annulées et il lui a été annoncé deux jours avant le versement prévu que la prime bonus ne serait pas distribuée, et ce, alors que sur l’exercice 2019-2020, malgré la crise ‘Covid’, le groupe avait battu tous les records de résultat.
Or, il rappelle que si les objectifs peuvent être fixés unilatéralement par l’employeur, ils doivent être licites, raisonnables, définis et connus des intéressés en début de période et reposer sur des critères objectifs sans pouvoir dépendre de la seule volonté de l’employeur qui ne peut modifier à tout moment les taux et modalités, ni faire peser le risque d’entreprise sur le salarié.
En l’espèce, outre qu’il n’est versé aucun document comptable certifié et probant, il considère qu’il aurait dû lui être fixé des objectifs individuels dès lors qu’il résulte des documents mêmes versés par la société DS Smith que les performances individuelles étaient prises en compte, et qu’outre que les objectifs n’ont jamais été négociés mais imposés de manière unilatérale, c’est à deux jours du versement que les règles permettant la perception de ce bonus ont été modifiées puisqu’il a été prévu de prendre en compte l’EBTA ajusté alors que seul l’EBTA devait l’être.
En réponse, la société DS Smith rappelle que le bonus prévu dans l’avenant signé en 2017 n’était aucunement garanti, tant dans son existence que dans son montant, et que cette rémunération variable n’était pas définie par le contrat de travail mais par le programme de bonus DS Smith, qui est un plan qui repose sur le volontariat, commun à tous les salariés du groupe décidant d’y adhérer et dont le versement n’est pas conditionné à la réalisation d’objectifs individuels, mais à des paramètres financiers propres au groupe, ce qui explique que l’examen de l’atteinte des performances est réalisé à l’issue de l’audit réglementaire des comptes après la fin de l’exercice.
Elle précise que pour l’exercice 2019-2020, les conditions de performance n’ont pas été atteintes, ce qui a été expliqué aux salariés du groupe par une note mentionnant expressément les chiffres qui pouvaient être retrouvés dans le document comptable mis en ligne par le groupe, lequel est un document officiel pour être issu du rapport annuel du groupe, sachant que les chiffres qui y figurent font l’objet d’un audit par le cabinet Deloitte, le groupe étant côté à la bourse de Londres, ce qui permet de s’assurer d’une communication financière très encadrée.
Elle conteste en outre recourir à des indicateurs qui ne dépendraient que de sa seule volonté puisqu’il s’agit d’indicateurs financiers qui varient en fonction des conditions économiques externes à l’entreprise, sans qu’il puisse être considéré que la société DS Smith ferait peser sur les salariés le risque de l’entreprise alors même que M. [E] avait une rémunération fixe de 100 000 euros et qu’il ne s’agissait que d’un bonus. A cet égard, elle rappelle que les dispositifs de participation et d’intéressement, prévus par le code du travail, sont très similaires à la prime bonus qu’elle a mise en place, étant noté que pour l’intéressement, l’accord mettant en place ce dispositif peut être conclu à fin juin pour une application au titre de l’année en cours.
Elle réfute encore avoir mis en place une prime sur objectifs et s’il est évoqué que la prime peut être réduite si le bénéficiaire ne satisfait pas les normes de performance et de comportement, ce n’est nullement pour demander aux salariés d’atteindre des objectifs mais uniquement pour prendre en compte le cas exceptionnel de collaborateurs en insuffisance professionnelle dont le versement d’un bonus serait en totale contradiction avec leur prestation de travail.
Enfin, elle conteste que ‘les règles du jeu’ aient été modifiées s’agissant de l’EBTA puisqu’il a simplement été pris en compte les règles du plan telles que communiquées à M. [E] et acceptées par lui.
*
Une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, qu’elle ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.
Il s’en déduit qu’une partie de la rémunération du salarié peut être constituée par des indicateurs financiers de la société dès lors que ceux-ci varient pour des motifs indépendants de la volonté de l’employeur.
En l’espèce, il résulte de l’avenant au contrat de travail de M. [E] qu’il devait percevoir au titre de sa rémunération une base annuelle brute de 100 000 euros et un potentiel variable de 30 % sur la rémunération brute annuelle selon les conditions d’attribution déterminée par le groupe.
La rédaction de cette clause permet de s’assurer que la part variable de la rémunération ainsi prévue n’était pas acquise, de même qu’il en résulte suffisamment que la société DS Smith ne faisait pas peser sur M. [E] le risque de l’entreprise au regard du montant de la rémunération fixe.
Il convient néanmoins de s’assurer que cette part variable était fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur mais aussi qu’elle n’était pas déterminée par l’atteinte d’objectifs individuels, sachant qu’il est constant qu’aucun objectif n’a été fixé à M [E].
Pour ce faire, il est produit le courrier d’acceptation du plan de bonus signé le 13 décembre 2019 par M. [E], ainsi que la présentation de ce plan mentionnant expressément les chiffres devant être atteints pour en bénéficier, à savoir pour 50 % 591 millions de livres au titre de l’EBTA, avec cette précision qu’il correspondait aux bénéfices du groupe avant impôts et amortissements et qu’il n’incluait pas le résultat des participations financières, et pour 50 % 118,8 millions de livres au titre du fonds de roulement.
Il était par ailleurs précisé qu’à ces conditions financières s’ajoutait une condition essentielle de performance personnelle satisfaisante, les primes pouvant être réduites si le bénéficiaire ne satisfaisait pas les normes de performance et de comportement de DS Smith. Il était encore noté que s’agissant de la mesure relative au fonds de roulement, celle-ci reposait également sur des performances satisfaisantes au niveau local et qu’en conséquence, les primes pourraient être réduites si les équipes locales obtenaient un rendement nettement inférieur aux objectifs locaux, et que la société DS Smith estimait qu’elles auraient pu faire mieux.
Enfin, il était mentionné que la performance relative aux objectifs de bonus serait décidée par le comité de rémunération à l’issue du contrôle de l’exercice, tel que prévu par le règlement, avec cette précision qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de passer outre les résultats conventionnels pour s’assurer que le pourcentage d’atteinte reflétait le véritable rendement de l’entreprise, par exemple, en procédant à un ajustement pour inclure une activité de restructuration d’entreprise non prise en compte lors de la définition des fourchettes cibles.
Il est enfin produit le mail du 17 juillet 2020 émanant de M. [N] [M], group chief executive, aux termes duquel il avisait les salariés adhérant à ce plan de bonus que le groupe n’avait pas atteint les principales performances financières permettant de verser un bonus dans le cadre du plan de bonus du groupe 2019/2020, précisant que les seuils devant être atteints, soit 591 millions de livres au titre de l’EBTA ajusté et 118,8 millions de livres au titre du fonds de roulement ne l’avaient pas été puisque l’EBTA ajusté était de 577 millions de livres et le fonds de roulement était quant à lui négatif de 2,7 millions de livres.
Il était précisé que l’EBTA ajusté correspondait au résultat publié avant impôts et amortissements (EBTA) de 660 millions de livres de bénéfice d’exploitation moins 87 millions de livres de coûts financiers nets, selon le taux de change budgétaire.
Si la rédaction de ce plan offrait à la société DS Smith la possibilité de réduire de manière discrétionnaire la prime bonus en invoquant le manque de performance individuelle, pour autant, elle n’était pas attribuée en fonction d’objectifs individuels devant être atteints, s’agissant davantage d’une appréciation globale.
Surtout, il résulte du mail précité que la non-attribution de cette prime n’a nullement été motivée par une non-atteinte d’un objectif individuel ou local et il ne peut donc sur ce fondement être considéré que M. [E] devrait bénéficier de la prime pour ne pas avoir été mis en mesure d’atteindre les objectifs fixés.
De même, s’agissant du fonds de roulement, celui-ci a été pris en compte conformément au plan de bonus, sans une quelconque intervention pouvant s’apparenter à un pouvoir discrétionnaire de l’employeur, celui-ci ne ressortant pas du simple fait d’être en partie dépendant de sa gestion pour être au contraire particulièrement soumis aux aléas économiques extérieurs, étant au surplus relevé qu’étant cotée en bourse, les comptes de la société DS Smith sont publiés, permettant ainsi à M. [E] de s’assurer de la sincérité du chiffre avancé.
Au contraire, quand bien même il était effectivement prévu au plan ‘le pouvoir discrétionnaire pour le comité de rémunération de passer outre les résultats conventionnels pour s’assurer que le pourcentage d’atteinte reflétait le véritable rendement de l’entreprise, par exemple, en procédant à un ajustement pour inclure une activité de restructuration d’entreprise non prise en compte lors de la définition des fourchettes cibles’, outre que cette mention pose en soi difficulté, il ne peut qu’être constaté en l’espèce que l’explication apportée pour parvenir au chiffre de 591 millions de livres est particulièrement lacunaire et ne permet en aucune manière de s’assurer de ce que ce chiffre reposerait sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de la société DS Smith.
Aussi, et alors que l’EBTA avait atteint la performance cible maximum de 653,2 millions de livres pour être de 660 millions de livres, il convient de condamner la société DS Smith à payer à M. [E] la somme de 16 002,99 euros correspondant à 50 % de la prime, seul cet objectif ayant été atteint, outre 1 600,30 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la qualification de la démission
M. [E] indique que, s’étant senti floué par le refus d’attribuer la prime bonus en juillet 2020 et en l’absence de réponse satisfaisante à ses réclamations, il a été contraint de rompre le contrat, ce qui doit conduire la cour à redonner son exacte qualification à la démission, à savoir une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur.
A cet égard, il estime que les échanges de mails produits aux débats, ainsi que les attestations d’anciens salariés, permettent de s’assurer que c’est bien ce manquement qui est à l’origine de sa démission, lequel constitue un manquement grave pour porter sur le non-paiement d’une rémunération, et ce, d’autant plus au regard de son ancienneté et des efforts qu’il avait fournis durant la crise ‘Covid’.
En réponse, la société DS Smith relève que la lettre de démission ne contient aucun grief et se contente de faire référence à l’absence de réponse de la société à sa demande de rupture conventionnelle formulée quinze jours avant, ce qui corrobore l’absence de tout différend entre les parties et la volonté de M. [E] de quitter rapidement l’entreprise pour relever de nouveaux défis dans une autre entreprise, comme le corroborent la note qu’il a adressée aux salariés le 17 novembre 2020 mais aussi son profil Linkedin qui démontre qu’il travaillait dans une nouvelle société dès le mois de février 2021, soit exactement à l’issue de son préavis.
En tout état de cause, elle considère que le manquement invoqué ne présente pas un caractère de gravité justifiant la rupture dès lors que ce n’est que cinq jours avant la fin du préavis et plus de six mois après l’annonce de l’absence de versement du bonus, que M. [E] a soulevé la difficulté, sachant que la demande de requalification de la rupture n’est quant à elle intervenue qu’au mois de septembre 2021, soit près d’un an après l’envoi de la lettre de démission.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture.
La prise d’acte produit les effets d’un licenciement si les faits allégués sont établis par le salarié et suffisamment graves pour la justifier, dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission.
En l’espèce, le courrier de démission de M. [E] du 2 novembre 2020 est en soi non équivoque dès lors qu’il résulte clairement de sa lecture que le fait de ne pas avoir été entendu sur sa demande renvoie directement à l’absence de réponse à sa demande de rupture conventionnelle, et il n’est produit aucun courrier ou mail de sa part faisant état d’un quelconque manquement de son employeur antérieurement à cette lettre de démission, ou même concomitamment, le premier mail évoquant le non-versement de la prime-bonus datant du 26 janvier 2021, soit près de trois mois plus tard.
Bien plus, par un communiqué envoyé à ses équipes, il expliquait vouloir éviter toutes polémiques ou utilisation de son départ et concluait en indiquant qu’il souhaitait aujourd’hui relever d’autres challenges, qu’il avait donc décidé de partir, cette décision lui appartenant et étant son choix, notant que les autres informations ne seraient que mensonges.
Ainsi, les premières allusions à un contentieux relatif au non-versement du bonus, qui serait ‘la cause de son départ’ datent, comme indiqué précédemment, du 26 janvier 2021, soit plus de six mois après le mail ayant averti les salariés du non-versement de la prime-bonus, près de trois mois après le courrier de démission et cinq jours avant la fin du préavis.
Par ailleurs, si M. [E] produit trois ‘attestations’ de personnes évoquant le fait que son départ serait en lien avec ce non-paiement, il ne peut leur être attribué aucune valeur probante tant au regard du non-respect des formalités prévues par l’article 202 du code de procédure civile et notamment, celles relatives au rappel des sanctions encourues en cas de fausse attestation, qu’au regard de l’imprécision de leur contenu.
Ainsi, Mme [H], dont on ne connaît pas le lien l’unissant à M. [E], indique ‘qu’à sa connaissance’, ce dernier a quitté la société DS Smith suite au non-paiement de son variable annuel et qu’il a mal vécu de ne pas percevoir son bonus quand M. [I], contrôleur de gestion de DS Smith, déclare, quant à lui, ‘penser’ que M. [E] a quitté l’entreprise DS Smith suite au non-paiement de sa prime variable sur le résultat du site, et ce, alors que les résultats financiers étaient bons.
Enfin, si M. [F] explique que M. [E] lui a fait part à plusieurs reprises de sa volonté de demander une rupture conventionnelle à la société DS Smith suite au non-paiement de la part variable de son salaire et que, sans réponse, il a dû donner sa démission, il ne peut qu’être relevé qu’il n’est pas apporté la moindre indication quant au lien l’unissant à
M. [E] et l’imprécision du propos ne permet pas davantage d’en retenir la force probante, étant au surplus relevé que dans la deuxième attestation qu’il produit, conforme aux formalités de l’article 202 du code de procédure civile, il n’évoque plus cette question.
Par ailleurs, si ses proches, père, soeur et ami, ont également attesté dans les formes prévues à l’article 202 du code de procédure civile pour expliquer avoir été inquiets sur sa santé mentale au mois de juillet 2020 et au cours des mois qui ont suivi sa démission, étant très perturbé par le manque de reconnaissance de son travail fourni au sein de l’entreprise durant vingt années, précisant qu’une démission est une décision très compliquée et lourde à assumer, sachant qu’aucun travail ne l’attendait après, il doit être relevé qu’aucun n’évoque la question de la prime-bonus et le lien de proximité les unissant ne permet pas de leur accorder une forte force probante et ce, d’autant, qu’aucune pièce du dossier ne permet de conforter l’existence d’un manque de reconnaissance, étant rappelé que la prime bonus n’a été versée à aucun salarié, et non pas spécifiquement à M. [E], pas plus qu’il n’est corroboré le fait que M. [E] n’avait aucun travail l’attendant après sa démission.
Au contraire, M. [E] ne fournit aucun élément sur sa situation professionnelle postérieurement à la rupture de son contrat de travail avec la société DS Smith et ce, alors qu’il résulte de son profil Linkedin qu’il était plant manager pour la société Sleever dès le mois de février 2021, soit à l’issue même de son préavis.
A cet égard, c’est à juste titre que la société DS Smith fait valoir qu’il lui a laissé peu de temps pour répondre à sa demande de rupture conventionnelle, puisqu’il a démissionné quinze jours après l’avoir sollicitée, ce qui conforte le fait qu’il n’était pas sans perspective d’emploi au moment où il a démissionné.
Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la démission de M. [E] n’était pas équivoque et ne pouvait s’analyser en une prise d’acte de la rupture, étant surabondamment relevé que le manquement invoqué ne pouvait revêtir un caractère de gravité suffisant dès lors que M. [E] ne justifie pas avoir antérieurement à sa démission remis en cause le non-versement de cette prime, et ce, alors que son niveau de rémunération permet de relativiser le montant dû.
Sur la remise de documents
Il convient d’ordonner à la société DS Smith de remettre à M. [E] une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés, sans que les circonstances de la cause justifient de prononcer une astreinte.
Sur les intérêts
Les sommes allouées en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt pour les dispositions prononcées.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie partiellement succombante, il y a lieu de condamner la société DS Smith aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] [E] de ses demandes de rappel de prime-bonus et de remise de documents et l’a condamné au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’infirmant de ces chefs, statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie à payer à M. [Z] [E] la somme de 16 002,99 euros à titre de rappel de prime-bonus pour l’exercice 2019-2020, outre 1 600,30 euros au titre des congés payés afférents ;
Dit que les sommes allouées en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt pour les dispositions prononcées ;
Ordonne à la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie de remettre à M. [Z] [E] une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés ;
Dit n’y avoir lieu à astreinte ;
Condamne la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie à payer à M. [Z] [E] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SASU DS Smith packaging Seine-Normandie de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente