Facebook condamnée pour clôture abusive de compte

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La clôture d’un compte Facebook sans préavis et pour un motif erroné engage la responsabilité de Meta.

En la cause, une abonnée a vu son compte clôturé suite à la publication d’un article sur Daesh en Algérie. Les propos en cause constituaient sans ambiguïté une dénonciation du groupe terroriste dont la demanderesse ne cautionne pas les actions. La simple reproduction d’un communiqué de Daesh ne peut être considérée comme une approbation de leurs agissements au vu de la contextualisation faite au sein de la publication.

Le contenu de cette publication ne relève pas des actions non autorisées sur le réseau social listées dans le mail générique d’explications mentionné plus haut et ne peut, dès lors, être considéré comme correspondant aux conditions posées par l’article 4.2 des conditions générales pour suspendre ou résilier un compte (1).

Par conséquent, en résiliant le compte Facebook puis la page de la demanderesse, la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED a manqué à ses obligations contractuelles et ainsi commis une faute contractuelle.

En application de l’article 1211 du code civil « lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

L’article L.132-1 du code de la consommation devenu l’article L. 212-1, dispose que, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191, et 1193 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse (…) ».

Selon les dispositions de l’article R.212-2 du code de la consommation, « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l’article L.212-1 sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (…)
4° Reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable ; ».

En application de l’article L.241-1 du même code devenu l’article L.241-1 du même code, « les clauses abusives sont réputées non écrites ».

Le texte prévoit, en des termes généraux, les motifs pouvant entraîner la suspension ou la désactivation du compte, puis la procédure suivie dans ces hypothèses en énonçant : « Si nous procédons ainsi, nous vous en informerons et vous expliquerons les options à votre disposition pour demander un examen ».

A la lecture de cette clause, il apparaît que le réseau social informe ses utilisateurs de la suspension ou de la désactivation, sans qu’il ne soit prévu de préavis, même d’une très courte durée. Un « examen » ultérieur, alors que le consommateur est déjà privé du service, ne saurait être assimilé à un préavis, lequel doit nécessairement précéder l’interruption du service et permettre ainsi au consommateur de présenter des observations et de procéder à toute diligence lui semblant utile pour préserver ses droits, tout en disposant dudit service.

En privant le consommateur du bénéfice de ce délai de préavis, cette clause crée au profit du professionnel, et au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif au sens des dispositions précitées du code de la consommation, le professionnel ne rapportant pas la preuve contraire.

Contrairement à ce qu’invoque la société défenderesse, le seul respect des dispositions de l’article 1211 du code civil n’est pas suffisant, les dispositions spéciales et d’ordre public du code de la consommation primant sur ce texte.

La clause litigieuse a donc été considérée comme abusive et par conséquent réputée non écrite.

Au vu de ce qui précède, les conditions de résiliation du compte et de la page Facebook de la société demanderesse l’ont été en considération d’une clause abusive, venant augmenter le préjudice de la demanderesse en sus du manquement contractuel déjà constaté.

(1) Une des priorités de Facebook est de proposer un site sur lequel chacun se sent en sécurité. Les actions suivantes ne sont pas autorisées sur Facebook :
– Le soutien à une organisation ou à un groupe violent et/ou criminel
– Les menaces crédibles à l’encontre d’autrui ou la promotion de l’auto-mutilation
– Les attaques à l’encontre d’autrui
– Les propos incitant à la haine ou attaquant directement des personnes à cause de leur origine ethnique, origine nationale, religion, sexe, genre, orientation sexuelle, infirmité ou état de santé
– Les contenus présentant des actes de violence à l’encontre de personnes ou d’animaux, y compris les violences sexuelles
– La vente de drogues ou de médicaments » .

Résumé de l’affaire

L’affaire oppose [V] [B] à la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED (anciennement FACEBOOK IRELAND LIMITED) suite à la désactivation injustifiée du compte et de la page Facebook de [V] [B]. [V] [B] demande la réparation des dommages subis, notamment la réactivation de son compte et de sa page, la restitution des publications perdues, des dommages pour perte de communication, atteinte à son image et à sa réputation, violation de son droit à la liberté d’expression, perte de ses œuvres de l’esprit, dépenses de publicité inutiles, perte de temps de travail et perte de visibilité. La société META PLATFORMS IRELAND LIMITED conteste les demandes de [V] [B] et demande à être déboutée de l’ensemble de ses demandes. L’affaire a été plaidée à l’audience du 27 mars 2024 et le jugement sera mis à disposition au greffe le 5 juin 2024.

Les points essentiels

Sur le rappel des faits et la procédure


Dans son assignation en date du 13 janvier 2021, [V] [B] indique être “retraitée” après avoir exercé le métier d’enseignante en « histoire de l’art, de l’architecture et des civilisations à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, puis à l’Université Libanaise” pendant plusieurs années. Elle se présente comme historienne politologue et spécialiste du monde arabe contemporain tout en précisant ne pas avoir de formation ou de diplôme en ce domaine. Elle ajoute être l’autrice de “plusieurs essais historiques et politiques”, portant notamment sur “le terrorisme islamiste et le djihadisme” qu’elle condamne (pièces n°1, 2, 2 bis et 2 ter en demande).

Facebook est un réseau social présenté, au sein des dernières conclusions de la société défenderesse, comme “ayant pour but de donner à tous la possibilité de créer une communauté”. Facebook est opéré et hébergé en Europe par la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED, qui est également la responsable de traitement des données à caractère personnel des utilisateurs situés en Europe.

MOTIFS

Sur la responsabilité contractuelle de la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED


Pour engager la responsabilité contractuelle de la société défenderesse, la demanderesse invoque, d’une part, le non-respect de ses obligations contractuelles par la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED et, d’autre part, la mauvaise foi de la société et plus particulièrement, excipe du caractère abusif de la clause 4.2 intitulée « Suspension ou résiliation d’un compte » des conditions générales d’utilisation du réseau social qui, selon elle, doit être réputée non-écrite.

Sur le respect des obligations contractuelles par la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED


La demanderesse soutient que la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED n’a pas respecté ses obligations contractuelles en résiliant de manière fautive son compte et sa page Facebook. Reprenant les conditions générales d’utilisation de Facebook en date du 31 juillet 2019, elle relève que la société défenderesse s’engage, en son article 4.2, à faire de son réseau social « un lieu à la fois chaleureux et sécurisé, où chacun peut s’exprimer et partager ses opinions et idées » offrant à ses utilisateurs « les moyens de [s’]exprimer et de communiquer à propos de ce qui compte pour [lui], notamment par « l’ajout de contenu à [son] profil », et à ne suspendre ou résilier les comptes et pages que si leur titulaire a « manifestement, gravement ou à maintes reprises enfreint [les]Conditions ou [les] Règlements, et notamment [les] Standards de la communauté ». La demanderesse soutient qu’elle n’a pas enfreint gravement, ou à maintes reprises, les conditions d’utilisation de la plateforme, mais a uniquement partagé son analyse à propos d’un communiqué publié par Daesh, dans un objectif de dénonciation des agissements du groupe terroriste et d’alerte des lecteurs sur les ambitions de ce groupe. Elle souligne également que la société défenderesse n’a jamais motivé ou justifié sa décision de désactivation de son compte et de sa page. Elle affirme que la réouverture au mois de juin 2023 constituerait en réalité un aveu implicite de l’irrégularité de la mesure prise.

La société défenderesse, pour sa part, ne conteste pas formellement le manquement contractuel invoqué en demande.

Les montants alloués dans cette affaire: – 4.008 euros en réparation du préjudice lié aux dépenses de publicité engagées
– 1.000 euros en réparation du préjudice lié à la perte des œuvres de l’esprit de la demanderesse
– 2.000 euros en réparation du préjudice fondé sur la privation d’un moyen de communication
– 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code civil
– Code de la consommation
– Règlement général sur la protection des données

Article du Code civil cité:
Article 1134: Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Article du Code de la consommation cité:
Article L.132-1: Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Article du Règlement général sur la protection des données cité:
Article 15: Le responsable du traitement fournit à la personne concernée une copie des données à caractère personnel qui font l’objet du traitement.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Camille ALLIGAND, avocat au barreau de PARIS
– Maître Bertrand LIARD du LLP WHITE AND CASE LLP, avocats au barreau de PARIS

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