En matière de critiques de produits (Rolex) sur Instagram, la prudence et la mesure dans l’expression s’impose, sous peine de condamnation pour diffamation publique.
La liberté d’expression
La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La bonne foi de celui qui s’exprime
En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.
De plus, ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.
Contrôle de proportionnalité
Il appartient en outre aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression défini par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne, et de vérifier que le prononcé d’une condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.
Affaire rolex
En l’espèce, si les propos litigieux publiés sur Instagram peuvent répondre au but légitime d’informer un nombre très limité de consommateurs s’intéressant aux montres ROLEX, en leur relatant une mauvaise expérience avec un professionnel se prétendant spécialiste de cette marque, ils ne s’inscrivent pas pour autant dans un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils ne visent pas une personne publique, qu’ils ne concernent pas une question importante pour la majorité du public et qu’ils ne sont pas susceptibles d’intéresser tout consommateur.
Par ailleurs, l’animosité personnelle ne peut se déduire seulement de la gravité des accusations ou du ton sur lequel elles sont formulées, mais elle n’est susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l’auteur des propos que si elle est préexistante et extérieure à ceux-ci et si elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs.
La mesure dans l’expression
L’acheteur d’une montre Rolex n’était pas autorisé à s’exprimer comme il l’a fait, sans aucune prudence, en généralisant ses reproches (‘Toutes les pièces que j’ai eu en main de chez eux n’étaient pas clean du tout … insert, aiguilles, boîtes…’) et en utilisant des termes dépourvus de toute nuance, tels que ‘tu es carrément menacé’, ‘C’est pour çà qu’ils existent encore !’, ‘c’est un mensonge totalement délibéré, aucune omission mais plutôt une bonne arnaque d’escrocs !’
Dans ces conditions, le bénéfice de la bonne foi ne peut pas être accordé au défendeur ; le prononcé d’une condamnation civile mesurée ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et n’est pas de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté, notamment en l’absence de contribution à un débat d’intérêt général.
En droit, il n’est pas nécessaire, pour que la diffamation publique envers un particulier soit caractérisée, que la personne visée soit nommée ou expressément désignée, mais il faut que son identification soit rendue possible par les termes du discours ou de l’écrit ou par des circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation de manière à la rendre évidente.
En outre, lorsque les imputations sont formulées de manière à faire planer le soupçon sur plusieurs personnes -d’un groupe suffisamment restreint-, chacune peut agir en réparation du préjudice subi.
Le périmètre de la diffamation
Pour rappel, l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’ ;
- il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
- l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent les imputations formulées par le demandeur ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question ; les juges sont également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément selon leur contexte, leur présentation ou non au sein d’un même texte ou d’une publication unique, ainsi que des diverses allégations qu’ils peuvent contenir dans chaque cas d’espèce.
Cependant, pour apprécier leur caractère diffamatoire et déterminer leur signification véritable, les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément, mais être interprétés les uns par rapport aux autres.