Concurrence déloyale du costumier : affaire du Moulin Rouge

Notez ce point juridique

De simples mentions sur un profit linkediln ou Instagram ne suffisent à rapporter la preuve d’une activité professionnelle de la part d’un costumier du Moulin Rouge pendant l’exécution du contrat de travail et il n’est produit aucun autre élément ni pour la justifier ni pour justifier d’une utilisation professionnelle des costumes du Moulin Rouge par le salarié (licenciement nul).

1. Attention à respecter les clauses de votre contrat de travail, notamment celles concernant les activités parallèles et la confidentialité, pour éviter tout litige avec votre employeur.

2. Il est recommandé de conserver des preuves tangibles pour défendre votre position en cas de litige, telles que des documents, des témoignages ou des captures d’écran.

3. En cas de contestation d’un licenciement, il est essentiel de faire valoir vos droits en apportant des arguments solides et en vous appuyant sur la législation en vigueur pour obtenir une réparation adéquate de votre préjudice.

Résumé de l’affaire

Sur le bien fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :

 » [‘] comme vous le savez, les costumes du Moulin-Rouge font partie de son patrimoine artistique et sont le résultat d’un savoir-faire résultant d’investissements constants et importants de la part du groupe, de sorte qu’aucune atteinte à ceux-ci, de quelque sorte que ce soit, ne peut être admise.

Nous avons pourtant découvert des faits très graves, en particulier par l’intermédiaire du compte Instagram « sublyme-official » administré par M. [F], ponctuellement embauché par notre société sous contrat de travail à durée déterminée en qualité d’Habilleur. Plusieurs publications le représentent en effet vêtu de costumes reproduisant à l’identique ceux de la revue Féerie produite par le Moulin-Rouge. Vous y êtes également présenté comme le concepteur de ces costumes. Il s’avère en outre que M. [F] se produit dans des spectacles emportant ses reproductions.

Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer que c’est précisément pour éviter ce type de comportement dommageable pour l’entreprise, que votre contrat de travail comporte une clause indiquant que vous êtes dans l’obligation de demander l’autorisation préalable de la direction, si vous souhaitez développer une activité parallèle à votre travail pour le Moulin-Rouge (article 6.3 du dernier avenant à votre contrat de travail), afin qu’un contrôle puisse être exercé sur la nature de celle-ci.

Au surplus, cette activité parallèle illicite à laquelle vous vous êtes livré avec M. [F] est de nature à porter confusion avec votre activité pour le Moulin-Rouge et le spectacle Féerie, laissant penser qu’elle était autorisée par la direction.

Ces agissements extrêmement graves sont constitutifs d’une faute au regard de la relation contractuelle salariale, dès lors que vous êtes tenu, du fait de votre contrat de travail, à une obligation de loyauté envers votre employeur, mais aussi de confidentialité (article 5 du dernier avenant à votre contrat de travail). Ils portent également atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Moulin-Rouge, s’agissant desquels nous nous réservons tout droit d’actions.

Nous ne pouvons donc en aucun cas tolérer de tels actes. Ceux-ci sont d’autant plus graves que votre ancienneté dans l’entreprise et le poste que vous occupez vous permettent d’avoir un accès direct aux costumes, à leurs patrons, ainsi qu’aux différents ateliers travaillant à leur conception.

Nous avons enfin déploré, lors de l’entretien préalable, que vous n’avez à aucun moment pris conscience des responsabilités qui vous sont confiées dans le cadre de vos missions et de la gravité des faits qui vous sont reprochés. Vous vous êtes contenté de rejeter la responsabilité sur M. [V] [F], qui plus est en tentant de minimiser la gravité de la situation, en nous indiquant que vous l’aidiez « seulement » à s’habiller et à ajuster les costumes sur lui avant ses représentations.

Ces explications, aux termes desquelles nous avons compris que vous assistiez M. [V] [F] à sa demande au sein de son domicile, au sein duquel il disposait de tout le matériel ainsi que des machines nécessaires pour produire l’ensemble des costumes litigieux, et d’après vos dires sans que cela ne vous interpelle à aucun moment, ne fait que renforcer la gravité des faits qui vous sont reprochés.

Compte tenu de tout ce qui précède, votre maintien même temporaire dans l’entreprise s’avère impossible [‘] « .

La faute grave est celle qui rend impossible la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve repose sur l’employeur qui l’invoque.

La société soutient que le licenciement est justement causé et s’appuie sur les éléments suivants :

– un constat d’huissier dressé le 19 novembre 2019 par Me [J] [U] dont il ressort selon elle les éléments suivants :

* la publication par M. [F] sur Instagram de photographies de ses représentations dans des spectacles sous le pseudonyme « sublyme-official » communiquant à cet effet des photographies,

* les costumes portés par M. [F] correspondent en tout point à ceux qui sont conçus par le Moulin-Rouge pour la revue Féerie, versant aux débats pour en justifier des photographies et des croquis de costumes (number girl ou soliste plumes rouges),

* ces publications sont associées par « hashtag » aux termes « Moulin-Rouge », « féerie » ou encore « number girl »,

– la fabrication des costumes est très clairement attribuée à M. [T] par la mention sous les photographies « costumeby@alexandrepierrebodin », produisant en outre une photographie en ce sens,

– le compte [M][G][T] comprend une photographie d’identité de ce dernier ainsi qu’un statut qui le décrit comme « costumes et coaching » « managment costumes Moulin-Rouge, coaching-stylisme-personnal shopper, »

– des captures d’écran d’interventions de M. [T] sur le compte Instagram de M. [F] pour exemple, le 31 mai 2018, le 1er mai 2019 ou encore le 25 septembre 2019 établissant qu’il appréciait les publications de ce dernier,

– une photographie du 2 novembre 2019 d’une représentation costumée de M. [F] portant la copie d’un costume du Moulin-Rouge sur son compte Instagram relayant une image postée par M. [T] lui-même,

– un extrait du profil LinkedIn de M. [T] par lequel il se présente comme « coach en image et relooking pendant deux ans de 2017 à 2019, c’est-à-dire pendant l’exécution du contrat de travail,

– des publications Instagram et YouTube de vidéos faisant apparaître leurs deux noms sur le site Internet de la revue ‘sublimes [Localité 5]’ avec la mention « costuming: [M] [T] [V] [F] »

– le compte rendu d’un entretien avec M. [F] et la direction en date du 28 novembre 2019 par lequel celui-ci confirme qu’il fabriquait les costumes avec M. [T], chez lui et l’attestation de Mme [E], responsable juridique, ayant assisté à l’entretien qui confirme l’exactitude des propos rapportés,

– l’attestation de Mme [K], chef costumière, qui précise que M. [T] assurait son remplacement en cas d’absence et avait accès pendant ses jours de repos et ses congés à l’ensemble des interlocuteurs et des lieux cités dans sa fiche de poste et qu’il pouvait accéder avec un passe général, à sa discrétion, aux ateliers de couture au stock aux réserves de costumes ainsi qu’aux croquis des costumes et à leurs patrons.

De son côté, M. [T] conteste la matérialité des faits en faisant valoir qu’il ne résulte d’aucun élément issu de la lettre de licenciement qu’il aurait commis un quelconque manquement dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Il invoque le manque de précision de la lettre de licenciement sur les costumes impliqués, la date et l’heure des photographies incriminées, le lieu où les costumes auraient été portés par M. [F]. Il soutient également que l’obligation de loyauté figurant dans son contrat de travail ne lui permet en aucune manière de retenir des informations qui sont d’ores et déjà accessibles aux autres salariés a fortiori à un autre habilleur. Il conteste avoir facilité une quelconque activité parallèle pour lui-même ou un autre salarié, les photos sur le réseau social ne suffisant pas à rapporter cette preuve. Il fait valoir que c’est sa vie privée qui a fait l’objet de questionnements puisque s’il a pu aider M. [F] à son domicile, c’est dans le cadre d’une relation amicale, en vue d’une soirée privée, et non pas dans une relation de travail dans le cadre d’une représentation. Enfin, M. [T] produit un extrait d’un site chinois allie expresse comprenant des photographies de costumes ressemblant à ce du Moulin-Rouge en date du 14 mai 2018 et les proposant à la vente faisant je valoir que chacun peut ainsi recopier des costumes aussi visibles

La cour considère que les éléments versés par l’employeur ne suffisent pas à établir l’existence de la faute grave alléguée.

En effet, s’agissant en premier lieu de la violation de l’obligation de loyauté, les seules mentions du compte Instagram de M. [F] ou les photographies peu probantes communiquées daute d’éléments précis sur ce qu’elles reproduisent, ne caractérisent pas la réalité des faits reprochés à M. [T] ni qu’il a copié les costumes créés pour les spectacles du Moulin Rouge, le fait qu’il ait pu « aimer » le compte de ce dernier n’y suffit pas davantage, pas plus que les mentions du compte de M. [F] se rapportant à la fabrication des costumes avec le nom de M. [T] n’établissent une vérité.

Par ailleurs, il ne ressort pas de l’attestation de Mme [E], rédactrice du compte rendu de l’entretien de M. [F] selon laquelle ce document est fidèle aux propos tenus, des éléments suffisamment probants pour établir la réalité de ceux-ci, d’autant que dans une attestation, M. [F] a contesté les termes des réponses qui lui ont été prêtées, indiquant avoir confectionné lui-même ses costumes grâce à ses compétences et rappelant qu’il avait été recruté comme habilleur par la société.

Enfin, la cour relève que de simples mentions sur un profil LinkedIn ne suffisent à rapporter la preuve d’une activité professionnelle de la part de M. [T] pendant l’exécution du contrat de travail et il n’est produit aucun autre élément ni pour la justifier ni pour justifier d’une utilisation professionnelle des costumes du Moulin Rouge par le salarié.

En conséquence de ce qui précède, la cour considère que ni la faute grave ni la cause réelle et sérieuse de licenciement ne sont établis. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Au vu des bulletins de salaire, la cour fixe le salaire de référence à la somme de 6 207,17 euros.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société à verser à M. [T] la somme de 34 139,43 euros brut au titre de l’indemnité légale de licenciement dont le montant a été évalué conformément aux dispositions légales et aux données contractuelles.

S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis, le jugement est également confirmé en ce qu’il a condamné la société à verser au salarié la somme de 12 414,34 euros brut dont le montant n’est pas contesté utilement par l’employeur ainsi que la somme de 1 241,43 euros au titre des congés payés afférents.

S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [T] sollicite la condamnation de l’employeur à lui verser une somme de 90 000 euros en réparation de son entier préjudice en faisant valoir que le barème fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail ne permet pas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée à la réalité de son préjudice le contrôle de conventionnalité ne dispensant pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du salarié concerné.

Eu égard à son ancienneté dans l’entreprise (17 années complètes), au montant de son salaire brut, son âge au moment du licenciement (né en 1978), aux circonstances du licenciement, à ce qu’il justifie de sa situation postérieure à celui-ci (attestation de chômage du 6 juin 2022 pour la période en cours depuis le17 décembre 2019), la cour condamne la société à verser à M. [T] la somme de 86 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice par une indemnisation adéquate et appropriée. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, la cour n’ayant pas retenu la faute grave, la société est condamnée à verser à M. [T] la somme de 2 669,64 euros correspondant au montant retenu au titre de la mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents à hauteur de la somme de 266,96 euros, le jugement est confirmé de ce chef.

Enfin, s’agissant de l’application de l’article, L. 1235-4 du code du travail, le jugement est confirmé.

Sur le préjudice moral :

M. [T] reproche à la société le caractère brutal et vexatoire de son licenciement et l’atteinte à sa réputation.

La société conclut au débouté.

La cour considère que que M. [T] ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et le déboute de sa demande de dommages-intérêts, le jugement est confirmé de chef.

Sur les autres demandes :

Le jugement est confirmé en ce qu’il a statué sur les intérêts au taux légal.

La capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière, est ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

La société, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit indemniser, M. [T] des frais exposés par lui et non compris dans les dépens en sus de la somme allouée par les premiers juges à hauteur d’une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

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