Cession de parts sociales : que devient la marque ?

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La cession de parts sociales d’un associé n’emporte pas cession de la licence d’utiliser la marque concédée à sa société.

Compte tenu du caractère “intuitu personae”, l’autorisation d’exploiter une marque peut ne bénéficie exclusivement qu’à la personne morale contrôlée par l’associé.

Résumé de l’affaire

L’affaire oppose la société CLAUS-ROULIER, titulaire de marques verbales pour des produits pharmaceutiques et des appareils auditifs, à la société AMPLIFON FRANCE, accusée de contrefaçon et de concurrence déloyale en utilisant la dénomination « TERCINET » pour ses prothèses auditives et services associés. La société CLAUS-ROULIER a obtenu une ordonnance du juge des référés condamnant AMPLIFON à cesser ses agissements et lui verser une provision. Les parties ont ensuite été assignées devant le Tribunal judiciaire de Lyon. Les demanderesses réclament des dommages et intérêts ainsi que des mesures d’injonction, tandis qu’AMPLIFON conteste les accusations de contrefaçon et de concurrence déloyale, affirmant avoir cessé l’usage du nom « TERCINET » depuis janvier 2020. L’affaire est en attente de jugement.

Les points essentiels

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les exceptions d’incompétence et de nullité

Selon l’article 789 du Code de procédure civile, le Juge de la Mise en Etat est seul compétent pour statuer, jusqu’à son dessaisissement, sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions ou incidents ultérieurement, à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge.

Sur la contrefaçon

Les actes de contrefaçon

Selon l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 13 novembre 2019, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

Il résulte des débats que Monsieur [N], qui était dirigeant de la société C2A AUDITION, en a cédé en 2013 les parts sociales à la société AMPLIFON dont il est demeuré salarié. Le protocole contenant garantie d’actif et de passif dans le cadre de cette cession indique que la société C2A utilise notamment le nom commercial TERCINET et précise :
“aux termes de l’acte sous seing privé de cession de branche d’activité “de négoce de matériel d’audioprothèse” de la SNC BELLY GILLIOT CLAUS au profit de la société C2A AUDITION en date du 5 septembre 2007, enregistré au SIE DE CHBERY, le 24 septembre 2009, Bordereau n°2007/1214, Case n°12, Ext 5161, il est mentionné :
“le cédant autorise par ailleurs le cessionnaire à utiliser le nom commercial et l’enseigne TERCINET CORRECTION AUDITIVE. Compte tenu de son caractère “intuitu personae”, cette autorisation bénéficiera exclusivement à la personne morale contrôlée par Monsieur [B] [N].” ”
Il résulte de cette mention que l’autorisation d’utiliser le signe TERCINET délivrée par la société BELLY GILLIOT CLAUS, devenue société CLAUS-ROULIER, ne bénéficiait à la société C2A qu’en ce qu’elle était dirigée par Monsieur [N], ce qui n’était plus le cas suite à la cession de ses parts sociales. Si la société CLAUS-ROULIER n’a pas contesté la poursuite de cet usage tant que Monsieur [N] est demeuré employé de la société AMPLIFON, elle était bien fondée, après le licenciement de ce dernier, à solliciter la cessation de l’usage du signe qu’elle avait entretemps déposé à titre de marque, ce que la société AMPLIFON ne conteste pas.

Les procès-verbaux de constat d’huissier des 27 mai et 25 juillet 2019 établissent que des recherches à partir des termes “TERCINET SAVOIE”, “TERCINET [Localité 3]”, “AMPLIFON TERCINET” et “APMPLIFON” sur un navigateur internet renvoient à des liens mentionnant des centres d’audioprothèse AMPLIFON TERCINET [Localité 3], AMPLIFION TERCINET [Localité 4] et AMPLIFION TERCINET [Localité 2], et que cette dénomination est utilisée sur plusieurs sites tels que les pages jaunes, annuaire-audition.com ou encore horaires.lefigaro.fr pour désigner des centres d’audioprothèse de la société AMPLIFON. Toutefois ainsi que le fait justement remarquer la défenderesse, l’usage du signe TERCINET sur des sites internet qu’elle ne contrôle pas ne peut lui être imputé et ne caractérise pas des actes de contrefaçon dès lors qu’elle justifie avoir accompli plusieurs démarches dès début 2019 pour faire cesser ces usages.
En revanche, le procès-verbal de constat du 25 juillet 2019 montre que le site internet amplifon.com continue d’utiliser le signe AMPLIFON TERCINET [Localité 2] pour désigner son établissement de [Localité 2]. Par ailleurs le procès-verbal de constat du 27 mai 2019 contient en annexe plusieurs documents publicitaires et commerciaux de la société [N] montrant l’usage du signe AMPLIFON TERCINET pour désigner ses établissements de [Localité 3] et [Localité 2] et les services de solution auditive qu’ils proposent. Contrairement à ce que soutient la défenderesse, ces documents sont bien datés, notamment d’octobre, novembre et décembre 2018 et janvier 2019.

Le signe litigieux est utilisé par la société AMPLIFON pour désigner des services de vente d’appareils auditifs et de leurs accessoires, de conseils et de suivis relatifs à des solutions auditives.
Ces services sont similaires à certains produits visés par le dépôt de la marque PHARMACIE TERCINET TERCINET SANTE, à savoir les produits pharmaceutiques et vétérinaires ; appareils et instruments médicaux ; prothèses.
Ils sont également similaires à certains produits et services visés par le dépôt de la marque AUDITION TERCINET, TERCINET AUDITION, à savoir les adaptateurs auriculaires pour prothèses auditives ; amplificateurs acoustiques [appareils auditifs] pour malentendants ; appareils analogiques de correction auditive ; appareils auditifs ; appareils auditifs électroniques ; appareils auditifs numériques ; appareils auditifs pour malentendants ; appareils auditifs pour malentendants [corrections acoustiques] ; appareils de correction auditive ; appareils de prothèse auditive ; embouts en tant que pièces de prothèses auditives ; implants [prothèses] ; instruments auditifs à usage médical ; instruments médicaux à usage de prothèses auditives ; instruments médicaux pour système auditif ; protections auditives sans possibilité de reproduction ou d’émission de sons ; prothèses à usage médical ; prothèses auditives ; prothèses auditives à alimentation électrique ; prothèses auditives analogiques ; prothèses auditives électriques ; prothèses auditives programmables ; prothèses implantées ; entretien et réparation d’appareils auditifs pour personnes malentendantes ; ajustement d’appareils auditifs ; ajustement de prothèses ; pose d’appareils prothétiques et de prothèses ; services d’orthophonie et d’éducation auditive ; services de conseils en matière de prothèses ; services de conseils médicaux en matière de déficience auditive.

S’agissant de la marque PHARMACIE TERCINET TERCINET SANTE, le signe TERCINET constitue l’élément distinctif dominant puisque les signes PHARMACIE et SANTE sont descriptifs au regard des produits pharmaceutiques et médicaux visés par le dépôt.
Il en va de même de la marque AUDITION TERCINET, TERCINET AUDITION, pour laquelle le signe TERCINET est dominant tandis que le signe AUDITION est descriptif au regard des produits et services en lien avec l’audition visés par le dépôt.

Le signe TERCINET utilisé par la société AMPLIFON pour désigner plusieurs de ses établissements et les produits ou services qu’ils proposent, bien qu’associé au signe AMPLIFON et le cas échéant à la localisation géographique de l’établissement, constitue un usage de l’élement distinctif des marques déposées. Cet usage entraîne un risque de confusion au regard de la proximité des signes et des services, renforcé par la proximité géographique de l’exploitation de la société CLAUS-ROULIER, située à [Localité 3], et de celle des établissements AMPLIFON à [Localité 3] et [Localité 2].

En conséquence, la contrefaçon de la marque PHARMACIE TERCINET TERCINET SANTE n°4163351 et de la marque AUDITION TERCINET, TERCINET AUDITION n°4524700 par la société AMPLIFON FRANCE est établie.

Les mesures de réparation

L’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

L’article L 716-7-1 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

En l’espèce la société CLAUS-ROULIER sollicite une indemnisation forfaitaire de son préjudice, à parfaire en fonction des éléments qui seront communiqués sur le fondement de son droit à l’information.
Si le droit d’information permet d’ordonner au défendeur de produire des informations et éléments, de nature commerciale ou comptable, susceptibles de permettre au titulaire de droits sur la marque, qui a rapporté par ailleurs la preuve de la contrefaçon alléguée, de déterminer l’origine et l’étendue de la contrefaçon et de parfaire ses demandes, la demande de communication de pièces est toutefois ici formée dans des termes trop généraux, qui ne permettent pas de cibler les pièces que la société CLAUS-ROULIER estime utiles à l’évaluation de son préjudice. De plus cette demande qui n’a pas été formée préalablement devant le juge des référés ou le juge de la mise en état apparaît tardive. Il n’y a donc pas lieu d’y faire droit.
Si aucune pièce produite aux débats ne justifie le quantum sollicité, la contrefaçon porte nécessairement atteinte au monopole du propriétaire sur les marques, dont le pouvoir distinctif se trouve dilué.
La société AMPLIFON FRANCE sera donc condamnée à verser à la société CLAUS-ROULIER la somme forfaitaire de 6 000 € à titre de dommages-intérêts.

Afin d’assurer la cessation des actes de contrefaçon, il convient d’interdire à la société AMPLIFON FRANCE de faire usage du signe TERCINET pour désigner des prothèses auditives et services de diagnostic et correction auditifs, sous astreinte provisoire de 300 euros par infraction constatée à compter la signification du présent jugement.

Il n’y a pas lieu d’enjoindre à la société AMPLIFON FRANCE de corriger son indexation et d’en justifier, cette demande étant formulée de manière insuffisamment précise.

Sur la concurrence déloyale

Les demandes de la société CLAUS-ROULIER

Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la société CLAUS-ROULIER reproche à la société AMPLIFON FRANCE d’avoir porté atteinte à son enseigne et à son nom commercial alors qu’elle agit dans le même secteur d’activité, entraînant une confusion dans l’esprit du public.

Il ressort de l’extrait Kbis produit que la société CLAUS-ROULIER exploite son activité de pharmacie et activité acoustique située à [Localité 3] sous le nom commercial et l’enseigne PHARMACIE TERCINET.
Il est établi et non contesté que la société AMPLIFON FRANCE a utilisé le signe AMPLIFON TERCINET pour désigner ses centres de distribution de solutions auditives implantés en Savoie, notamment à [Localité 3] et [Localité 2]. Cet usage du signe TERCINET pour une activité concurrente de celle de la société CLAUS-ROULIER, développée dans le même secteur géographique, entraîne un risque de confusion pour le consommateur qui peut être amené à croire que les deux sociétés sont économiquement liées.
Ces griefs sont par ailleurs distincts des actes reprochés par la société CLAUS-ROULIER au titre de la contrefaçon de marque, puisqu’ils concernent d’autres signes distinctifs de la demanderesse.
La société CLAUS-ROULIER est donc bien fondée en son action en concurrence déloyale formée à l’encontre de la société AMPLIFON FRANCE.

La société CLAUS-ROULIER ne justifie pas de l’étendue de son préjudice économique. Seul le préjudice moral pourra donc être indemnisé, à hauteur de 3 000 €. La société AMPLIFON FRANCE sera condamnée au paiement de cette somme.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’interdiction sous astreinte, qui est redondante avec celle déjà prononcée au titre de la contrefaçon.

Les demandes de la société AUDITION JPJ

Selon l’article L 716-5 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au présent litige, toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par une autre partie afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.
Cette action consiste en une action en concurrence déloyale fondée sur l’article 1240 du Code civil.

En l’espèce si la société AUDITION JPJ est bien recevable en sa qualité de licenciée exclusive de la marque AUDITION TERCINET, TERCINET AUDITION à intervenir à la présente instance en vue d’obtenir la réparation de son préjudice, il lui appartient de démontrer l’existence d’une faute constitutive d’un acte de concurrence déloyale, ce qu’elle ne fait pas. Il sera par ailleurs relevé que le contrat de licence dont elle se prévaut date du 11 juin 2019, que le seul usage du signe TERCINET démontré à l’encontre de la société AMPLIFON FRANCE postérieur à ce contrat consiste dans l’utilisation du nom AMPLIFON TERCINET [Localité 2] pour désigner son établissement de [Localité 2], ainsi qu’établi par le procès-verbal de constat du 25 juillet 2019, et que la société AUDITION JPJ ne justifie pas de ses conditions d’exploitation de la marque à cette date, ni de l’existence d’un risque de confusion.
Elle sera déboutée de sa demande indemnitaire formée de ce chef.

La société AUDITION JPJ reproche encore à la défenderesse de se placer dans son sillage en promouvant sur son site internet un porte-masque à destination des personnes porteuses d’une aide auditive identique à celui qu’elle a conçu et sur lequel elle a communiqué. Elle

Les montants alloués dans cette affaire: – La société AMPLIFON FRANCE doit verser à la société CLAUS-ROULIER la somme de 6 000 € en indemnisation du préjudice causé par la contrefaçon
– La société AMPLIFON FRANCE doit verser à la société CLAUS-ROULIER la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale
– La société AMPLIFON FRANCE doit verser à la société CLAUS-ROULIER la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code de la propriété intellectuelle
– Code civil

Article 789 du Code de procédure civile:
Le Juge de la Mise en Etat est seul compétent pour statuer, jusqu’à son dessaisissement, sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions ou incidents ultérieurement, à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge.

Article 75 du Code de Procédure Civile:
L’exception d’incompétence relève de la compétence exclusive du Juge de la Mise en Etat.

Articles 112 et suivants du Code de Procédure Civile:
L’exception de nullité relève de la compétence exclusive du Juge de la Mise en Etat.

Article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle:
Interdiction de la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque sans autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public.

Article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle:
Fixation des dommages et intérêts en prenant en considération les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, le préjudice moral causé à la partie lésée et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Article L 716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle:
Possibilité d’ordonner la production de documents ou informations pour déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon.

Article 1240 du Code civil:
Responsabilité pour concurrence déloyale en cas d’atteinte à l’enseigne et au nom commercial.

Article 700 du Code de procédure civile:
Versement d’une somme à titre de frais de justice.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Laurent PRUDON
– Maître Jean-pierre STOULS
– Maître Pierre-Jacques LABARDE

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