Le fait qu’un litige proche a opposé les mêmes parties par le passé peut, dans de rares cas, être un élément pertinent pour apprécier la légitimité d’un nouveau litige et de ce fait, indirectement, la proportionnalité d’une mesure demandée au titre de ce nouveau litige, mais seulement si, par ses circonstances et sa proximité avec celui-ci, il révèle un risque de détournement de la procédure qui rend nécessaire une attention et le cas échéant une protection renforcée contre les abus. Inversement, tirer des conséquences défavorables pour le demandeur de la simple existence d’un litige passé relèverait du préjugement et violerait ainsi le principe d’impartialité, donc le droit au procès équitable.
Le fait qu’un procès-verbal de constat (autorisé par ordonnance) ne permette pas de distinguer ce qui relève des dispositions relatives à une saisie-contrefaçon et des dispositions relatives à une mesure de droit commun, n’est pas un motif de rétractation de l’ordonnance ni même, au demeurant, de nullité ; il a seulement une conséquence éventuelle sur l’étendue de la nullité, le cas échéant (s’il est impossible de distinguer ce qui est nul de ce qui ne l’est pas, l’acte entier doit être annulé) et la nullité ne relève pas de la compétence du juge de la rétractation (la demande en ce sens a donc été abandonnée par la société Weill depuis l’assignation).
Les articles 496 et 497 du code de procédure civile prévoient que tout intéressé peut demander au juge qui a fait droit à une requête de modifier ou rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.
Toutefois, dans le cas particulier d’une saisie-contrefaçon fondée sur un droit d’auteur, autorisée sur requête, l’article L. 332-2 du code de la propriété intellectuelle permet au saisi et au tiers saisi de demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d’en cantonner les effets. Ce recours spécial est exclusif du recours de droit commun qu’est le référé rétractation (Cass. Com., 3 avril 2012, pourvoi n° 11-13.897 ; 1re Civ., 30 mai 2000, pourvoi n° 97-16.54).
Au cas présent, l’ordonnance, rendue sur requête, a d’une part autorisé une saisie-contrefaçon, d’autre part autorisée une mesure selon le droit commun. Chacun des deux recours visés ci-dessus est donc ouvert contre cette ordonnance, dans la seule mesure concernée par chacun des deux régimes (dispositions relatives à la saisie-contrefaçon d’une part, dispositions relatives au droit commun de l’autre). Il est évident, contrairement à ce qu’affirment les parties, qu’aucun de ces régimes ne peut neutraliser l’autre du seul fait qu’ils sont mis en oeuvre par une décision unique.
La saisie-contrefaçon en matière de droit d’auteur est prévue par l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle, dans les termes suivants :
« Tout auteur d’une œuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des œuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux œuvres prétendument contrefaisantes en l’absence de ces dernières. »
onformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, seule est protégée par les droits d’auteur « l’oeuvre de l’esprit », notion qui, à la lumière de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, implique un objet original, c’est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; cet objet devant être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l’objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).
Toutefois, dans le cadre de la saisie-contrefaçon, la Cour de cassation estime que « L’auteur, ses ayants droit ou ses ayants cause ont qualité pour agir en contrefaçon et solliciter à cet effet l’autorisation, par ordonnance rendue sur requête, de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, sans avoir à justifier, au préalable, de l’originalité de l’œuvre sur laquelle ils déclarent être investis des droits d’auteur », et elle interdit au juge du fond d’apprécier l’originalité, même pour annuler ex post une saisie-contrefaçon (Cass. 1re Civ., 6 avril 2022, n°20-19.034, points 20 à 22).
Contrairement à l’action en contrefaçon en général, qu’aucun texte ne réserve expressément à certaines personnes qualifiées, la saisie-contrefaçon est quant à elle ouverte par l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle au seul auteur d’une oeuvre protégée par le livre 1er du code de la propriété intellectuelle, à ses ayants droit et à ses ayants cause.
En application de l’article 3 de la directive 2004/48, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les États membres doivent être loyales et proportionnées.
En outre, en application de l’article 10 du code civil, les parties ont l’obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de modifier l’opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044).
Il en résulte que le requérant à une mesure de saisie-contrefaçon doit faire preuve de loyauté dans l’exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’autoriser une mesure proportionnée en exerçant pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause (Cass., Com., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.071, points 10 à 12 et point 15).