Le bailleur ne peut demander la nullité du bail commercial pour erreur de droit en raison des travaux majeurs à sa charge.
En l’occurrence, l’acte dont l’annulation est demandée précise en page 4 que la société preneuse prendra les lieux loués dans leur état actuel, tel qu’il ressort d’un état des lieux contradictoire du 5 février 2018, sans pouvoir faire aucune réclamation. L’acte stipule ensuite que le preneur supportera la charge de toutes les transformations et réparations rendues nécessaires par l’exercice de son activité, après avis favorable du bailleur, lequel l’autorise dès à présent à effectuer à ses frais divers « travaux d’installation » énumérés ensuite, parmi lesquels la réfection de la plomberie et de l’électricité, et celle de la « toiture/verrière », travaux dont la société preneur déclarait faire son affaire personnelle sur le plan technique et financier, sans recours contre le bailleur.
Le même acte contractuel met encore à la charge du preneur les travaux de mise en conformité aux prescriptions légales et réglementaires applicables à l’exercice de son activité, et précise ensuite : « Le tout, sauf lorsque ces travaux relèvent des grosses réparations visées à l’article 606 du code civil, où dans ce dernier cas lesdits travaux seront à la charge du bailleur ». Et il rappelle les dispositions de l’article R. 145-35 du code de commerce, interdisant aux parties d’imputer au locataire les dépenses relatives aux travaux qui ont pour objet de mettre le local loué, ou l’immeuble dans lequel il se trouve, en conformité avec la réglementation, dès lors que ces travaux relèvent des grosses réparations sur les gros mûrs, voûtes, « les poutres et les couvertures entières ». L’article 606 du code civil reprend les mêmes termes : « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ».
Il résulte de ces dispositions contractuelles, et des dispositions légales ou réglementaires citées dans l’acte, que les parties était clairement informées, à la seule lecture de cet acte, d’une part des travaux spécialement mis à la charge du preneur, mais aussi du fait que certains travaux restaient, en toute hypothèse, à la charge du bailleur la SCI LEO : c’était notamment la réfection de la toiture, et de la verrière formant une partie de la toiture, dans l’hypothèse où il s’avérerait nécessaire de réaliser la reprise complète de la couverture.
L’affaire concerne un litige entre la SCI LEO et la SARL T-Tracks concernant un bail commercial pour un ensemble immobilier destiné à une activité de bowling, laser game, location de salle de restauration et bar. La SARL T-Tracks a constaté des inondations dans les locaux loués et a demandé à la SCI LEO de réaliser les travaux de remise en état, en vain. Suite à une expertise judiciaire, la SARL T-Tracks a assigné la SCI LEO en justice pour obtenir le paiement des travaux de remise en état, des dommages et intérêts pour perte de jouissance, ainsi que des loyers indûment versés. Le tribunal a condamné la SCI LEO à payer ces sommes et à signer l’acte de vente du bien en cause. La SCI LEO a interjeté appel, contestant la nullité du bail et de la promesse de vente, ainsi que les demandes de la SARL T-Tracks. Les parties ont exposé leurs arguments devant la cour, qui a ordonné la clôture de l’affaire le 9 janvier 2024.
Motifs de la décision :
Selon l’article 1132 du code civil, l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation ou sur celles du cocontractant. L’article 1136 du même code dispose que l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité.
L’acte dont l’annulation est demandée précise en page 4 que la société preneuse prendra les lieux loués dans leur état actuel, tel qu’il ressort d’un état des lieux contradictoire du 5 février 2018, sans pouvoir faire aucune réclamation. L’acte stipule ensuite que le preneur supportera la charge de toutes les transformations et réparations rendues nécessaires par l’exercice de son activité, après avis favorable du bailleur, lequel l’autorise dès à présent à effectuer à ses frais divers « travaux d’installation » énumérés ensuite, parmi lesquels la réfection de la plomberie et de l’électricité, et celle de la « toiture/verrière », travaux dont la société preneur déclarait faire son affaire personnelle sur le plan technique et financier, sans recours contre le bailleur.
La SCI LEO ne saurait donc invoquer une erreur de droit, l’acte ayant été passé au surplus par devant notaire.
Sur la demande de caducité :
Selon l’article 1186 du code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.
La SCI LEO fait valoir qu’elle a consenti une promesse de vente sur un bâtiment ancien à rénover, non sur ce même bâtiment après qu’il a fait l’objet d’importants travaux. Cependant la réalisation de travaux dans le bien en cause, le cas échéant à la charge du bailleur, résulte dans le cas particulier de la seule application des dispositions de l’acte de bail, tel que conclu entre les parties ; l’accomplissement de ces travaux n’a nullement pour effet de faire disparaître un élément essentiel du contrat.
Sur les dommages et intérêts :
1) Préjudices matériels :
Le tribunal, faisant droit en totalité à la demande présentée de ce chef par la SARL T-Tracks, a condamné la SCI LEO au paiement d’une somme globale de 65 893,20 euros, au titre des frais de réparation d’éléments de couverture et de zinguerie (remplacement des tuiles et de verrières notamment, traitement généralisé des chéneaux encaissés), de dépose d’une souche de cheminée, de la reprise du mur de clôture et du rétablissement de l’alimentation électrique ; le tribunal a énoncé que ces frais relevaient des grosses réparations, au sens de l’article 606 du code civil.
2) Préjudices immatériels :
Le tribunal, accueillant pour partie les demandes de la SARL T-Tracks, lui a alloué la somme de 80 000 euros en réparation de la perte d’exploitation pendant une période de quatre mois, durée des travaux de remise en état du local estimée par l’expert ; le tribunal a calculé cette somme sur la base du chiffre d’affaires de la société preneuse : 30 000 euros par mois soit 120 000 euros pour quatre mois, somme qu’il a réduite de 30 % pour tenir compte de ce que le préjudice d’exploitation consistait en une perte de chance de réaliser le chiffre d’affaires théorique.
Sur les autres chefs de litige :
C’est à bon droit, et par des motifs adoptés par la cour, que le tribunal a condamné la SCI LEO à signer l’acte de vente dans les termes du projet dressé par Me [U], cette demande étant conforme à la promesse valablement faite par cette société. C’est encore à bon droit qu’il a condamné la SCI LEO aux dépens de la procédure de première instance, y compris les frais de l’expertise judiciaire.
– La SCI LEO est condamnée à payer à la SARL T-Tracks une somme de 36 000 euros en réparation de la perte de chance d’exploiter le local
– La SCI LEO est condamnée à payer à la SARL T-Tracks une somme de 3 510 euros en restitution de loyers
– La SCI LEO est condamnée à payer à la SCI SYLBFRAN une somme de 67 200 euros en restitution des loyers indûment perçus arrêtée au 31 décembre 2021, ainsi que tous les loyers versés à compter du 1er janvier 2022 jusqu’au jour du présent arrêt.
Réglementation applicable
– Article 1132 du code civil
– Article 1136 du code civil
– Article 606 du code civil
– Article 1719 du code civil
– Article 1186 du code civil
– Article R. 145-35 du code de commerce
– Cass. Civ. 3ème, 2 juillet 2013, pourvoi n° 11-28.496
– Cass. Civ. 3ème, 10 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.277
Texte de l’article 1132 du code civil:
« L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation ou sur celles du cocontractant. »
Texte de l’article 1136 du code civil:
« L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »
Texte de l’article 606 du code civil:
« Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. »
Texte de l’article 1719 du code civil:
« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en état de servir à l’usage pour lequel elle est louée. »
Texte de l’article 1186 du code civil:
« Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »
Texte de l’article R. 145-35 du code de commerce:
« Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté du bien loué, ou de le mettre en conformité avec la réglementation, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil, ne peuvent être imputées au locataire. »
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Isabelle DUBOIS de la SCP DUBOIS – CHEMIN-NORMANDIN
– Me Marie-josèphe LAURENT de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES
– Me Philippe BOISSIER de la SCP BOISSIER
Mots clefs associés
– Erreur de droit ou de fait
– Nullité du contrat
– Qualités essentielles de la prestation
– Article 1132 du code civil
– Article 1136 du code civil
– Acte contractuel
– Travaux à la charge du preneur
– Grosses réparations
– Article 606 du code civil
– Vétusté du bien loué
– Obligation de délivrance du bien loué
– Article R. 145-35 du code de commerce
– Dommages et intérêts
– Préjudices matériels
– Préjudices immatériels
– Perte d’exploitation
– Restitution des loyers
– Acte de vente
– Dépens de la procédure
– Erreur de droit ou de fait: une erreur commise lors de la conclusion d’un contrat, soit sur le plan juridique, soit sur le plan des faits
– Nullité du contrat: l’annulation d’un contrat en raison d’un vice qui le rend invalide
– Qualités essentielles de la prestation: les caractéristiques principales d’une prestation qui doivent être respectées pour que le contrat soit valable
– Article 1132 du code civil: disposition légale concernant les conditions de validité d’un contrat
– Article 1136 du code civil: disposition légale concernant les obligations du preneur dans un contrat de bail
– Acte contractuel: document écrit qui officialise un accord entre les parties
– Travaux à la charge du preneur: travaux que le locataire est tenu d’effectuer dans le bien loué
– Grosses réparations: réparations importantes et coûteuses qui incombent au propriétaire
– Article 606 du code civil: disposition légale concernant la répartition des charges entre propriétaire et locataire
– Vétusté du bien loué: dégradation naturelle du bien loué due à son ancienneté
– Obligation de délivrance du bien loué: devoir du bailleur de mettre à disposition du locataire un bien conforme au contrat
– Article R. 145-35 du code de commerce: disposition légale concernant les conditions de renouvellement d’un bail commercial
– Dommages et intérêts: réparation financière versée à la victime d’un préjudice
– Préjudices matériels: dommages causés à un bien matériel
– Préjudices immatériels: dommages causés à une personne sur le plan moral ou psychologique
– Perte d’exploitation: diminution des revenus d’une entreprise suite à un préjudice
– Restitution des loyers: obligation pour le locataire de restituer les loyers perçus indûment
– Acte de vente: document officiel constatant la vente d’un bien
– Dépens de la procédure: frais engagés lors d’une procédure judiciaire
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°102
DU : 28 Février 2024
N° RG 22/02171 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F5FH
FK
Arrêt rendu le vingt huit Février deux mille vingt quatre
décision dont appel : Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 07 Novembre 2022, enregistrée sous le n° 19/04102 Ch1c1
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
S.C.I. LEO
inscrite au RCS de Clermont-Ferrand sous le numéro 501 313 605
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentants : Me Isabelle DUBOIS de la SCP DUBOIS – CHEMIN-NORMANDIN, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Marie-josèphe LAURENT de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON (avocat plaidant)
APPELANTE
ET :
S.A.R.L. T-TRACKS
inscrite au RCS de Clermont-Ferrand sous le numéro 835 172 313
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Philippe BOISSIER de la SCP BOISSIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
S.C.I. SYLBFRAN
inscrite au RCS de Clermont-Ferrand sous le numéro 844 363 572, prise en la personne de sa gérante, Madame [X] [R] venant aux droits de la SARL T-TRACKS (RCS CLERMONT-FERRAND 835 172 313) ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentant : Me Philippe BOISSIER de la SCP BOISSIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉES
DEBATS : A l’audience publique du 10 Janvier 2024 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 28 Février 2024.
ARRET :
Prononcé publiquement le 28 Février 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
Suivant un acte authentique reçu le 13 février 2018 par Me [M] [G] notaire associé à Riom, la SCI LEO a donné à bail commercial, à la SARL T-Tracks, un ensemble immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 6], local comportant une surface couverte en rez-de-chaussée d’environ 2 100 m².
La durée du bail était fixée à neuf ans, à compter rétroactivement du 1er janvier 2018 ; les locaux donnés à bail étaient destinés à une activité de bowling, laser game, location de salle de restauration et bar ; la société preneuse était autorisée à réaliser à sa charge divers travaux d’installation et de rénovation des lieux ; la société bailleresse s’engageait d’ailleurs unilatéralement à consentir à la société preneuse la vente des locaux, pour une durée expirant le 31 décembre 2019, et au prix de 340 000 euros.
Après l’entrée dans les lieux, la SARL T-Tracks a entrepris les travaux prévus, consistant à aménager les locaux, anciennement à vocation industrielle, pour y pratiquer l’activité convenue dans l’acte de bail.
Cette société a constaté en juillet 2018 la survenue d’inondations dans les locaux, et par une lettre recommandée du 9 août 2018 elle a mis la SCI LEO en demeure de faire les travaux de remise en état nécessaires, sans résultat.
Suivant une ordonnance du 13 novembre 2018 rendue sur assignation de la SARL T-Tracks, le juge des référés du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a prononcé une mesure d’expertise, portant notamment sur la question de la propriété du bâtiment à sa destination, et a autorisé la SARL T-Tracks à consigner 50 % des loyers sur le compte séquestre du bâtonnier de l’ordre des avocats.
L’expert a déposé son rapport le 3 mars 2020 ; il a fait état de diverses anomalies, affectant entre autres l’étanchéité de la couverture et l’installation électrique.
Le 13 août 2020, la SARL T-Tracks a fait assigner la SCI LEO devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, en condamnation au paiement de coût de travaux de remise en état du bâtiment, et de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance.
Le 17 octobre 2019, la SCI LEO avait elle-même fait assigner la SARL T-Tracks et Me [G] devant le même tribunal, pour obtenir l’annulation de l’acte de bail et de la promesse de vente qu’il contient, et pour engager la responsabilité du notaire. Suivant acte du 18 octobre 2019, la SCI SYLBFRAN est intervenue à la procédure pour faire connaître qu’elle se substituait à la SARL T-Tracks et qu’elle entendait lever l’option d’achat. Le 24 décembre 2019, le notaire chargé de rédiger l’acte de vente, Me [C] [U], a établi un procès-verbal de carence, vu le défaut de représentation de la SCI LEO, à qui la SCI SYLBFRAN avait fait délivrer une sommation de se faire représenter à cette vente.
Le tribunal, par jugement contradictoire du 7 novembre 2022, a statué sur ces différentes actions en prononçant les dispositions suivantes :
– déboute la SCI LEO de toutes ses demandes contre la SARL T-Tracks et la SCI SYLBFRAN ;
– condamne la SCI LEO à payer les sommes suivantes à la SARL T-Tracks : 65 893,20 euros au titre des travaux de reprise ; 80 000 euros en réparation de la perte de chance d’exploiter les locaux ; 123 360 euros au titre des loyers indûment versés « entre le 1er janvier 2018 jusqu’au 31 décembre 2021 jusqu’à la date » du jugement, outre 11 040 euros au titre de l’augmentation des loyers depuis le 1er janvier 2020, sauf à parfaire sur la base de 460 euros par mois à compter du 1er janvier 2022 ;
– dit que la SARL T-Tracks pourra se faire rembourser les loyers consignés sur le compte du bâtonnier séquestre ;
– condamne la SCI LEO à signer l’acte de vente du bien en cause, conformément à un projet établi par Me [U] notaire à [Localité 6], dans un délai de trente jours à compter d’un mois suivant la signification du jugement ;
– déboute la SCI LEO de ses demandes contre Me [G] ;
– condamne la SCI LEO aux dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire, et au paiement, par application de l’article 700 du code de procédure civile, de 5 000 euros à la SARL T-Tracks et de 2 500 euros à Me [G] ;
– rejette le surplus des demandes.
La SCI LEO, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 21 novembre 2022, a interjeté appel de ce jugement, dans ses dispositions lui faisant grief, à l’égard des sociétés T-Tracks et SYLBFRAN.
La société appelante demande à la cour de réformer le jugement de ces chefs, de prononcer l’annulation du bail commercial et de la promesse de vente, et de rejeter toutes les demandes des sociétés T-Tracks et SYLBFRAN.
Elle fait valoir que son consentement au bail et à la promesse de vente a été vicié par une erreur portant sur le droit, et sur le fait : elle ne pensait pas que les travaux qui devaient être effectués dans les locaux relevaient des « grosses réparations », qui lui incombent selon l’article 606 du code civil, et cette caractéristique n’est apparue, pour certains des travaux, qu’au cours de l’expertise ; elle avait initialement l’intention de vendre les locaux, le bail avec promesse de vente n’ayant été conclu qu’à la demande de la société T-Tracks et dans son intérêt, vu les importantes garanties légales qu’il comporte. La SCI LEO souligne que le jugement du tribunal a pour conséquence de l’obliger à verser une somme totale de 280 000 euros, à parfaire, tout en l’obligeant à les vendre ensuite au prix de 340 000 euros, de sorte qu’elle ne retirerait en définitive de cette vente qu’une somme nette de moins de 60 000 euros.
À titre subsidiaire, la SCI LEO demande à la cour de constater que la promesse de vente est devenue caduque : elle invoque l’article 1186 du code civil, selon lequel un contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Elle soutient que la promesse de vente qu’elle a faite portait sur un bâtiment ancien à rénover, non sur ce même bâtiment après qu’il ait fait l’objet d’importants travaux. Et elle expose que la levée de l’option d’achat, opérée par la SCI SYLBFRAN substituée à la SARL T-Tracks, est entachée de fraude, nulle et non avenue, par suite des manoeuvres frauduleuses de cette dernière société, qui a pris prétexte des intempéries survenues pendant l’été 2018 pour faire supporter à la SCI bailleresse la charge d’importants travaux sur le bâti, et faire ensuite lever l’option d’achat sur un bâtiment restauré, alors qu’elle s’était elle-même engagée à réaliser à ses frais les travaux en cause.
La SCI LEO demande à la cour, pour le cas où elle ne retiendrait la nullité ou la caducité que de la promesse de vente, en laissant subsister le bail, de rejeter cependant les demandes de la SARL T-Tracks en réparation de ses préjudices : elle conteste le caractère de « grosses réparations » des travaux d’électricité et de couverture, vu les stipulations de l’acte de bail sur ces points ; elle conteste aussi le préjudice de jouissance ou d’exploitation, en relevant que la SARL T-Tracks n’en rapporte pas la preuve, et que ce préjudice ne pourrait être d’ailleurs évalué que sur la base de la perte de marge, non de la perte de chiffre d’affaires comme l’a fait le tribunal. La SCI LEO s’oppose encore à l’indemnisation pour la perte de loyers, au motif notamment que la société preneuse avait prévu en toute hypothèse d’importants travaux d’aménagement pour l’exercice de son activité, et que la réparation pour la perte de loyers lui procurerait une seconde indemnisation pour le même préjudice, vu les dommages et intérêts accordés pour le préjudice d’exploitation.
La SARL T-Tracks et la SCI SYLBFRAN concluent au principal à la confirmation du jugement. Elles font valoir que la clause du bail l’autorisant à réaliser à ses frais les seuls travaux d’aménagement, ne dispensait pas la SCI LEO de son obligation légale de délivrance des lieux loués, et de son obligation de supporter les grosses réparations de l’article 606 du code civil ; que cette SCI a manqué à ces obligations, et a d’ailleurs dissimulé l’état réel du bâtiment, en affirmant dans l’annonce publicitaire qu’il pouvait être utilisé en l’état, alors que le clos et le couvert n’étaient pas garantis. Les sociétés intimées décrivent les différentes anomalies affectant les lieux donnés à bail, rappellent le coût des travaux supportés par la SARL T-Tracks (environ 988 000 euros au 31 janvier 2020), dont elles estiment qu’une part incombe à la SCI LEO. Elles contestent la demande d’annulation de l’acte de bail, faisant valoir que l’ignorance d’une des parties sur les conséquences de cet acte résultant de dispositions légales impératives ne saurait constituer une erreur sur la substance de l’objet de l’opération ; et elles contestent la caducité de la promesse unilatérale de vente, en exposant que cette promesse ne constituait pas une condition de validité du bail.
À titre subsidiaire, pour le cas où la cour prononcerait l’annulation du bail, ou constaterait la caducité de la promesse de vente, les sociétés intimées demandent que les parties soient replacées dans leur situation antérieure, et que la SCI LEO soit condamnée à verser à la SARL T-Tracks diverses sommes, entre autres celle de 1 245 032 euros pour prix des travaux qu’elle a réalisés dans les lieux, et 156 960 euros en restitution des loyers.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 9 janvier 2024.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 15 mai et le 4 décembre 2023.
Motifs de la décision :
Sur la demande d’annulation :
Selon l’article 1132 du code civil, l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation ou sur celles du cocontractant. L’article 1136 du même code dispose que l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité.
L’acte dont l’annulation est demandée précise en page 4 que la société preneuse prendra les lieux loués dans leur état actuel, tel qu’il ressort d’un état des lieux contradictoire du 5 février 2018, sans pouvoir faire aucune réclamation. L’acte stipule ensuite que le preneur supportera la charge de toutes les transformations et réparations rendues nécessaires par l’exercice de son activité, après avis favorable du bailleur, lequel l’autorise dès à présent à effectuer à ses frais divers « travaux d’installation » énumérés ensuite, parmi lesquels la réfection de la plomberie et de l’électricité, et celle de la « toiture/verrière », travaux dont la société preneur déclarait faire son affaire personnelle sur le plan technique et financier, sans recours contre le bailleur.
Le même acte contractuel met encore à la charge du preneur les travaux de mise en conformité aux prescriptions légales et réglementaires applicables à l’exercice de son activité, et précise ensuite : « Le tout, sauf lorsque ces travaux relèvent des grosses réparations visées à l’article 606 du code civil, où dans ce dernier cas lesdits travaux seront à la charge du bailleur ». Et il rappelle les dispositions de l’article R. 145-35 du code de commerce, interdisant aux parties d’imputer au locataire les dépenses relatives aux travaux qui ont pour objet de mettre le local loué, ou l’immeuble dans lequel il se trouve, en conformité avec la réglementation, dès lors que ces travaux relèvent des grosses réparations sur les gros mûrs, voûtes, « les poutres et les couvertures entières ». L’article 606 du code civil reprend les mêmes termes : « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ».
Il résulte de ces dispositions contractuelles, et des dispositions légales ou réglementaires citées dans l’acte, que les parties était clairement informées, à la seule lecture de cet acte, d’une part des travaux spécialement mis à la charge du preneur, mais aussi du fait que certains travaux restaient, en toute hypothèse, à la charge du bailleur la SCI LEO : c’était notamment la réfection de la toiture, et de la verrière formant une partie de la toiture, dans l’hypothèse où il s’avérerait nécessaire de réaliser la reprise complète de la couverture.
La SCI LEO ne saurait donc invoquer une erreur de droit, l’acte ayant été passé au surplus par devant notaire.
Cette société ne peut davantage fonder sa demande sur l’ampleur imprévue des travaux, en particulier de couverture, que comportait l’état du local : en sa qualité de propriétaire, elle ne pouvait ignorer la consistance du bien qu’elle donnait à bail, bien qu’elle avait acquis elle-même en 2007, et qu’elle proposait à la vente depuis au moins l’année 2014, d’après l’annonce qu’elle a fait publier à la date du 1er décembre 2014 ; la SCI LEO s’est d’ailleurs montrée, dans cette annonce, assez évasive sur l’état du local et notamment de la toiture : elle affirmait que le local était utilisable en l’état, laissait sans réponse la rubrique « Travaux à prévoir », et ne mentionnait ensuite que la nécessité de « finitions », en précisant que le gros oeuvre était « fait » (pièce n°35 des intimées). La SCI LEO ne peut donc soutenir qu’elle aurait été induite en erreur sur l’ampleur des travaux nécessaires pour assurer le clos de son propre immeuble.
La circonstance que l’opération aboutisse pour elle à un profit limité, par suite notamment du coût des travaux qui lui incombent en sa qualité de bailleur, au regard du prix de vente convenu entre les parties, révèle le cas échéant une erreur d’appréciation de la SCI LEO sur l’intérêt économique de l’opération, au sens de l’article 1136 du code civil ; cette erreur d’appréciation ne saurait constituer un vice du consentement, cause de nullité du contrat.
La demande d’annulation formée par la SCI LEO n’apparaît donc pas fondée, que ce soit sur l’acte du 13 février 2018 dans sa totalité, ou de la seule promesse de vente qu’il contient. Le jugement sera confirmé, en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de caducité :
Selon l’article 1186 du code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.
La SCI LEO fait valoir qu’elle a consenti une promesse de vente sur un bâtiment ancien à rénover, non sur ce même bâtiment après qu’il a fait l’objet d’importants travaux. Cependant la réalisation de travaux dans le bien en cause, le cas échéant à la charge du bailleur, résulte dans le cas particulier de la seule application des dispositions de l’acte de bail, tel que conclu entre les parties ; l’accomplissement de ces travaux n’a nullement pour effet de faire disparaître un élément essentiel du contrat : il a pour seul effet de permettre à la société preneuse d’occuper le bien conformément au bail, et éventuellement d’augmenter la valeur de ce même bien, destiné à la vente par l’effet de la promesse consentie par la SCI LEO ; le déséquilibre économique qui peut en résulter pour cette société relève de l’aléa inhérent à la vie des affaires, éventuellement d’une erreur d’appréciation de la SCI LEO, comme déjà énoncé : il ne met pas à néant l’un des éléments essentiels de l’acte du 13 février 2018, qu’il s’agisse du bail ou de la promesse de vente.
La SCI LEO est d’ailleurs mal venue à reprocher à la SARL T-Tracks des manoeuvres afin d’obtenir la prise en charge indue de travaux, sous le prétexte d’intempéries survenues en juillet 2018 : la société preneuse se borne à présenter des demandes fondées sur le bail, demandes dont le bien-fondé est examiné dans le cadre de la présente instance, en considération d’un avis d’expert. C’est aux juridictions qu’il appartient de vérifier le bien-fondé de ces demandes, et s’il y a lieu de le rejeter. Les demandes de la société preneuse, au titre des travaux, ne sont pas de nature à causer la caducité du contrat, le jugement sera encore confirmé, en ce qu’il a rejeté cette demande de la SCI LEO.
Sur les dommages et intérêts :
1) Préjudices matériels :
Le tribunal, faisant droit en totalité à la demande présentée de ce chef par la SARL T-Tracks, a condamné la SCI LEO au paiement d’une somme globale de 65 893,20 euros, au titre des frais de réparation d’éléments de couverture et de zinguerie (remplacement des tuiles et de verrières notamment, traitement généralisé des chéneaux encaissés), de dépose d’une souche de cheminée, de la reprise du mur de clôture et du rétablissement de l’alimentation électrique ; le tribunal a énoncé que ces frais relevaient des grosses réparations, au sens de l’article 606 du code civil.
La SCI LEO conteste cette analyse, et relève que l’article 606 du code civil limite les grosses réparations, s’agissant des travaux de couverture, à la reprise des couvertures entières, ce qui n’est pas le cas des reprises recommandées par l’expert pour la couverture du local en cause, que d’autre part les travaux sur l’installation électrique ne relèvent pas de l’article susdit. Elle rappelle que la SARL T-Tracks a pris le local en l’état, et s’est expressément engagée à prendre à sa charge divers travaux, parmi lesquels ceux de réfection de la toiture/verrière et de l’électricité.
Cependant, comme le répliquent les sociétés intimées, le bailleur est tenu d’une obligation de délivrance du bien qu’il donne à bail (article 1719 du code civil) et il doit, dans le cadre de cette obligation, procéder aux travaux rendus nécessaires par des vices affectant la structure de l’immeuble, et ce nonobstant toute clause contraire (Cass. Civ. 3ème, 2 juillet 2013, pourvoi n° 11-28.496) ; la clause selon laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance (Cass. Civ. 3ème, 10 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.277). L’article R. 145-35 du code de commerce, qui est d’ordre public au contraire de ce que prétend la SCI LEO, interdit les clauses imputant au locataire, entre autres les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté du bien loué, ou de le mettre en conformité avec la réglementation, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil.
Il ressort du rapport d’expertise de M. [E], qui n’est pas contesté sur le plan technique, que le local en cause est ou était affecté des désordres suivants : des fuites d’eaux pluviales depuis les parties de toiture en sheds, ayant pour origine les chéneaux, les descentes d’eau, les tuiles et les verrières ; des chéneaux pendants, remplacés sur la façade sud-ouest pour appliquer les enduits ; des fuites d’eaux au travers des toitures des parties de bâtiments situées au sud ; la ruine menaçant une souche de cheminée, qui a dû être détruite par sécurité ; la vétusté d’un mur de clôture (page 24 du rapport) ; et le défaut de conformité aux normes actuelles de l’installation électrique, datant de 1958, de sorte que le fournisseur d’électricité ENEDIS a refusé d’alimenter les locaux (pages 43 et 44). Ces défauts, qui sont tous dus à la vétusté, n’ont pas permis à la SARL T-Tracks de faire usage des lieux, en ne lui assurant pas le clos (la protection contre les intempéries), en la privant de l’usage de l’électricité, à moins de travaux importants, et en l’exposant au risque de chute de la cheminée et d’un mur. D’ailleurs l’importance des reprises sur la toiture, qui comporte le remplacement de toutes les verrières, d’une partie des tuiles a minima, le traitement de tous les chéneaux encaissés, la reprise des raccordements et le remplacement partiel des descentes d’eaux pluviales, permet de considérer ces travaux comme une reprise de la couverture entière, au sens de l’article 606 du code civil.
La SCI LEO n’est donc pas fondée à se prévaloir des clauses du contrat selon lesquelles la SARL T-Tracks prenait le local en l’état, et devrait assumer la charge des travaux portant sur la toiture/verrière ou sur l’installation électrique : la société bailleresse est tenue, par l’effet de son obligation de délivrance, et de l’article R. 145-35 du code de commerce dûment rappelé dans l’acte, de répondre des défauts ci-avant relevés, nonobstant les clauses contraires. C’est à bon droit que le tribunal a accueilli la demande de la société preneuse, en paiement de dommages et intérêts destinés aux travaux nécessaires pour remédier à ces défauts. L’expert a évalué le coût de ces travaux à la somme de 65 893,20 euros hors taxe, sur la base de devis, de ses estimations personnelles, et d’une facture de travaux réalisés pour la dépose de la souche de cheminée qui menaçait ruine, dépose déjà réalisée en 2018, vu l’urgence ; cette estimation, établie au terme d’une discussion argumentée et minutieuse, sera entérinée, le jugement étant confirmé de ce chef.
2) Préjudices immatériels :
Le tribunal, accueillant pour partie les demandes de la SARL T-Tracks, lui a alloué la somme de 80 000 euros en réparation de la perte d’exploitation pendant une période de quatre mois, durée des travaux de remise en état du local estimée par l’expert ; le tribunal a calculé cette somme sur la base du chiffre d’affaires de la société preneuse : 30 000 euros par mois soit 120 000 euros pour quatre mois, somme qu’il a réduite de 30 % pour tenir compte de ce que le préjudice d’exploitation consistait en une perte de chance de réaliser le chiffre d’affaires théorique.
Le préjudice en cause apparaît certain dans son existence même, la SARL T-Tracks ayant été privée de la possibilité d’exploiter les locaux pendant la période nécessaire pour réaliser les travaux susdits, en raison de la carence de la SCI LEO à remplir son obligation de délivrance du bien loué ; l’expert a estimé cette période, et le retard à l’ouverture du local au public (s’agissant d’un établissement de jeux tels que le bowling), à quatre mois, en page 61 de son rapport ; il a en revanche énoncé, en page 68 du même rapport, que les travaux de remise en état, « dont certains peuvent être réalisés de manière simultanée, demandent une durée d’intervention que nous estimons être de six semaines pour les locaux utilisés par T-Tracks », indépendamment d’autres locaux destinés au stockage, dont les défauts n’ont pas eu incidence sur la date d’ouverture au public.
Au vu de ces énonciations contradictoires du rapport d’expertise, et en l’absence d’autre élément de preuve décisif sur ce point, il convient de limiter à six semaines la période pendant laquelle la SARL T-Tracks a subi une perte d’exploitation, seule durée pendant laquelle ce préjudice apparaît établi ; la perte d’exploitation constitue elle-même une perte de chance de gains, comme l’a relevé le tribunal, et doit être calculée sur la base non pas du chiffre d’affaires mais de la marge de bénéfices ; l’expert, après avoir indiqué en page 61 de son rapport que la perte de marge a été de 171 762 euros sur cinq mois, selon une attestation de l’expert- comptable de la SARL T-Tracks (pièce n°61 des sociétés intimées), a estimé pour sa part que la perte de marge pourrait être de l’ordre de 30 000 euros mensuels (page 62 du rapport).
Il convient de retenir cette dernière somme, peu différente de celle attestée par l’expert- comptable de la SARL T-Tracks ; la perte de chance d’obtenir ce gain sera fixée à 80 %, de sorte que ce préjudice s’établit lui-même, pour une période de six semaines soit un mois et demi, à : 30 000 x 80 % x 1,5 = 36 000 euros. Le jugement sera réformé de ce chef.
La SCI LEO conteste d’autre part la disposition du jugement l’ayant condamnée à restituer une partie des loyers ; elle fait valoir que cette condamnation procure à la société preneuse une indemnisation supplémentaire, à celle accordée sous forme de dommages et intérêts pour la perte de marge ; que les travaux nécessaires pour mettre fin aux défauts du local n’ont duré que six semaines, la SARL T-Tracks ayant eu d’autres travaux d’aménagement importants à réaliser pour son compte ; et que la société preneuse a été finalement en mesure d’ouvrir le local au public dès le 14 mai 2019.
En droit : le locataire est fondé à ne pas payer le loyer, sur autorisation de justice, lorsqu’il ne peut faire usage de la chose louée ; cette règle se rattache à l’exception d’inexécution, et n’interdit pas au locataire de demander en outre au bailleur réparation du préjudice qu’il lui cause le cas échéant, au-delà de la seule privation de l’usage du bien loué, en ne remplissant pas son obligation de délivrer la chose vendue.
La SARL T-Tracks est donc recevable à demander, en plus de la réparation de la perte de marge pendant la période des travaux, à être dispensée du paiement de tout ou partie du loyer, pendant la période lors de laquelle il lui a été impossible d’user normalement du bien loué.
Le tribunal a estimé que la société preneuse était fondée à demander remboursement des loyers qu’elle avait versés « pendant la période litigieuse », et a condamné la société bailleresse à lui payer à ce titre une somme de 123 360 euros, au titre des loyers indûment payés « entre le 1er janvier 2018 jusqu’au 31 décembre 2021 jusqu’à la présente décision, outre 11 040 euros hors taxe au titre de l’augmentation des loyers depuis le 1er janvier 2020 en dépit de la levée d’option du 18 octobre 2019, sauf à parfaire sur la base de 460 euros par mois à compter du 1er janvier 2022 » ; il a prononcé en outre que la SARL T-Tracks pourrait se voir rembourser les loyers consignés sur le compte du bâtonnier séquestre, sur présentation du jugement.
La période pendant laquelle la SARL T-Tracks n’a pas pu faire usage du local, en raison des manquements de la SCI LEO, apparaît cependant limitée à la durée nécessaire pour effectuer les travaux propres à remédier aux défauts imputables à la SCI : un mois et demi, comme déjà énoncé ; la société locataire a fait réaliser à son initiative de nombreux autres travaux d’aménagement, qu’elle avait prévus pour pouvoir y exercer son activité, et qui ont inévitablement retardé l’ouverture du local au public, sans qu’il y ait faute du bailleur ; le local a pu en définitive être ouvert le 14 mai 2019, selon l’affirmation de la SCI LEO non contredite par ses adversaires, quand bien même celles-ci ont fait l’avance du prix des travaux : la SARL T-Tracks ne demande pas réparation des frais financiers qu’elle dit avoir supportés pour ce motif (les intérêts des emprunts souscrits pour les travaux). La demande relative aux loyers n’apparaît donc fondée, vu la carence ci-avant relevée de la SCI bailleresse, que dans la limite de la durée des travaux ci-avant déterminée : un mois et demi, soit une somme de 2 340 x 1,5 = 3 510 euros, sur la base du loyer alors en cours.
La SCI SYLBFRAN demande d’autre part à titre subsidiaire, pour le cas où la cour infirmerait la condamnation de la SCI LEO à verser à la SARL T-Tracks la somme de 123 360 euros en restitution des loyers, que cette SCI soit condamnée à lui payer l’ensemble des loyers qu’elle a perçus depuis le 1er janvier 2020, sur la base de 2 800 euros par mois, sauf à parfaire.
La SCI SYLBFRAN rappelle à bon droit que la SCI LEO était tenue, par la promesse de vente incluse dans l’acte du 13 février 2018, de consentir à la SARL T-Tracks la vente du local au prix ferme et définitif de 340 000 euros, pour la date limite du 31 décembre 2019 (page 13 de l’acte authentique) ; en l’état de cette promesse unilatérale, faite par le bailleur au seul profit du preneur ou de celui qu’il se substituerait ( la SARL T-Tracks étant libre d’y renoncer « à tout moment »), la SCI LEO a commis une faute et manqué à son obligation contractuelle, en se refusant à passer l’acte authentique de la vente le 24 décembre 2019, malgré la sommation que lui avait faite la SARL T-Tracks le 11 décembre 2019, après que la SCI SYLBFRAN lui a fait signifier la levée d’option d’achat le 18 octobre précédent, par substitution de la SARL T-Tracks (cf. le procès-verbal de carence de Me [U] du 24 décembre 2019, pièce n°73 des intimées).
La SCI LEO, qui a manqué à sa promesse, a donc perçu sans droit les loyers, à compter du 1er janvier 2020 ; la SCI SYLBFRAN, désignée par substitution comme acquéreuse du local, est donc bien fondée à lui demander restitution de ces loyers, payés pour une période pendant laquelle la SCI LEO aurait perdu la qualité de propriétaire, si elle avait respecté son engagement ; le montant de ces loyers s’élève, selon le décompte des sociétés intimées non contesté par la société appelante, à 2 800 x 12 = 33 600 euros pour l’année 2020, et à la même somme pour l’année 2021 (montants qui correspondent à la totalité du loyer, comprenant la part effectivement perçue par la SCI LEO, et celle consignée en exécution de l’ordonnance de référé du 13 novembre 2018).
Il sera donc fait droit à la demande de la SCI SYLBFRAN en restitution des loyers à hauteur de la somme de 33 600 x 2 = 67 200 euros arrêtée au 31 décembre 2021, outre les loyers versés à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au jour du présent arrêt, y compris les augmentations appliquées le cas échéant par la SCI LEO. Le jugement sera confirmé, en ce qu’il a prononcé la restitution des loyers consignés sur le compte du bâtonnier séquestre, sur présentation de la décision, étant précisé toutefois que cette restitution s’opérera au bénéfice de la SCI SYLBFRAN, titulaire de la principale créance en restitution des loyers. Les sommes ainsi restituées s’imputeront sur la créance de la SCI SYLBRAN résultant du présent arrêt.
Sur les autres chefs de litige :
C’est à bon droit, et par des motifs adoptés par la cour, que le tribunal a condamné la SCI LEO à signer l’acte de vente dans les termes du projet dressé par Me [U], cette demande étant conforme à la promesse valablement faite par cette société. C’est encore à bon droit qu’il a condamné la SCI LEO aux dépens de la procédure de première instance, y compris les frais de l’expertise judiciaire.
Les dépens d’appel seront laissés à charge de chacune des parties qui les a exposés, dès lors qu’elles obtiennent satisfaction partielle en leurs demandes devant la cour.
PAR CES MOTIFS, et par ceux non contraires des premiers juges :
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;
Réforme le jugement, en ce qu’il a condamné la SCI LEO à payer à la SARL T-Tracks une somme de 80 000 euros en réparation de la perte de chance d’exploiter les locaux, et une somme de 123 360 euros hors taxe, au titre des loyers indûment perçus, sauf à parfaire ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la SCI LEO à payer à la SARL T-Tracks une somme de 36 000 euros en réparation de la perte de chance d’exploiter le local, et une somme de 3 510 euros en restitution de loyers ;
Ajoutant au jugement,
Condamne la SCI LEO à payer à la SCI SYLBFRAN, en restitution des loyers indûment perçus depuis le 1er janvier 2020, une somme de 67 200 euros arrêtée au 31 décembre 2021, outre tous les loyers versés à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au jour du présent arrêt ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions, sauf à préciser que les sommes consignées sur le compte séquestre du bâtonnier seront restituées à la SCI SYLBFRAN ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens et des autres frais de procédure qu’elle a exposés devant la cour ;
Rejette le surplus des demandes.
Le Greffier La Présidente