La juridiction peut toujours requalifier une action qui dépend en réalité du droit spécial de la presse et de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
1. Attention à la qualification des faits allégués : Il est recommandé de veiller à ce que les faits présentés dans une action en justice soient correctement qualifiés en fonction du droit applicable, notamment en matière de liberté d’expression et de protection de la vie privée. Il est essentiel de prendre en compte les critères spécifiques de chaque domaine juridique concerné pour éviter toute confusion dans la qualification des allégations.
2. Attention à la requalification de l’action en justice : Il est recommandé de vérifier si l’action intentée correspond effectivement aux critères et aux dispositions légales invoquées. Il est important de s’assurer que l’action est correctement qualifiée en fonction des éléments de preuve et des arguments présentés, afin d’éviter toute nullité potentielle de la procédure.
3. Attention à la notification préalable et aux formalités requises : Il est recommandé de respecter les exigences légales en matière de notification préalable au ministère public et de visa des textes, notamment dans les cas de diffamation publique. Il est essentiel de se conformer aux procédures et aux formalités prévues par la loi pour garantir la validité de l’action en justice et éviter toute contestation ultérieure.
L’affaire concerne une assignation en référé délivrée à la société BFM TV et à son directeur de la rédaction pour avoir diffusé de fausses informations sur la vie privée et la réputation de [T] [M]. Ce dernier demande la suppression du reportage incriminé, la publication de l’ordonnance dans trois journaux nationaux, une provision de 500 000 euros pour les dommages et intérêts, ainsi que des frais de justice. La société BFM TV et son directeur demandent la nullité de l’assignation et la mise hors de cause de [E] [L], ainsi que le rejet des demandes de [T] [M]. La décision sera rendue le 28 mars 2024.
Introduction de l’affaire
La société BFM TV et [E] [L] sont accusées par [T] [M] d’atteinte à ses droits de la personnalité. [T] [M] affirme que le reportage diffusé par BFM TV constitue une intrusion fautive dans sa vie privée, visant à le discréditer en utilisant des informations non vérifiées pour le présenter comme un « monstre » plutôt que comme un artiste de génie.
Liberté d’expression et responsabilité civile
Les abus de la liberté d’expression, tels que prévus par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Le juge doit requalifier les faits allégués en fonction du droit de la presse, même si l’action est engagée sur les dispositions de l’article 9 du code civil.
Détermination de l’atteinte
Il est nécessaire de déterminer si l’assignation vise uniquement des propos et actes constitutifs d’atteinte à la vie privée et/ou au droit à l’image, ou si elle tend à réparer un dommage causé par une atteinte à la réputation, telle que protégée par la loi sur la diffamation publique.
Demande de [T] [M]
[T] [M] demande des dommages et intérêts ainsi qu’une mesure de suppression de contenu en ligne, en réparation du préjudice causé par BFM TV. Il accuse la chaîne d’avoir diffusé de fausses informations sur ses vacances, accompagnées de commentaires dépréciatifs, contribuant ainsi à son lynchage médiatique.
Contenu du reportage
Le reportage diffusé par BFM TV présente [T] [M] de manière provocante, en insistant sur des comportements choquants attribués à lui. [T] [M] affirme que les informations étaient fausses et que la vidéo utilisée datait en réalité de février 2022. Il déplore que cette fausse information ait été relayée par d’autres médias, nuisant à sa réputation.
Précédents manquements
[T] [M] évoque des précédents où BFM TV aurait manqué d’impartialité à son égard, contribuant à un acharnement médiatique visant à le détruire. Il accuse la chaîne de vouloir le présenter comme un prédateur et un violeur, en utilisant de fausses informations pour ternir son image.
Atteinte à la vie privée et à la réputation
[T] [M] invoque un trouble manifestement illicite constitué par l’atteinte à sa vie privée, à sa réputation et à son image par voie de presse. Il critique les attaques basées sur une vidéo décontextualisée, visant à le présenter comme indifférent aux accusations graves portées contre lui.
Requalification de l’action
L’analyse de l’acte introductif d’instance montre que [T] [M] critique en réalité les attaques contre sa réputation, basées sur la diffusion de fausses informations. Il s’agit d’une action visant à reconnaître la faute des défendeurs pour la diffusion d’images et de propos mensongers.
Application de la loi sur la diffamation
L’action introduite par [T] [M] relève des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation publique. Il convient de requalifier son action en ce sens et de considérer qu’elle encourt la nullité, car elle ne répond pas aux critères de l’article 53 de cette loi.
Conclusion et condamnation
En conclusion, l’action de [T] [M] est requalifiée et jugée nulle. [T] [M] est condamné aux dépens et il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les autres moyens ne sont pas examinés.
Réglementation applicable
– Article 9 du Code civil
– Article 12 du Code de procédure civile
– Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881
– Article 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881
– Article 53 de la loi du 29 juillet 1881
– Article 700 du Code de procédure civile
Texte de chaque article de Code cité :
Article 9 du Code civil :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
Article 12 du Code de procédure civile :
« Le juge doit restituer aux faits allégués leur exacte qualification au regard du droit applicable, sans s’arrêter à la dénomination retenue par les parties. »
Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 :
« La diffamation commise envers une ou plusieurs personnes publiques, à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ou de leur notoriété, est punissable même en l’absence de plainte et de poursuites. »
Article 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 :
« La diffamation publique envers un particulier est punissable même en l’absence de plainte et de poursuites. »
Article 53 de la loi du 29 juillet 1881 :
« Toute citation directe ou signification de la plainte doit être notifiée au ministère public. »
Article 700 du Code de procédure civile :
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Béatrice GEISSMANN ACHILLE, avocat au barreau de PARIS
– Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
Mots clefs associés
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/51255 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4CC6
N° : 1/MM
Assignation du :
14 Février 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 28 mars 2024
par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR
Monsieur [T] [M]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Béatrice GEISSMANN ACHILLE, avocat au barreau de PARIS – G0033
DEFENDEURS
S.A.S. BFM TV
[Adresse 2]
[Adresse 2]
et pour signification au [Adresse 1]
représentée par Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – P0327
Monsieur [E] [L], es qualité de directeur de la rédaction de la socité BFM TV
[Adresse 2]
[Adresse 2]
et pour signification au [Adresse 1]
représenté par Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – P0327
DÉBATS
A l’audience du 05 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation en référé délivrée le 14 février 2024 pour l’audience du 05 mars 2024 à la société BFM TV et à [E] [L], directeur de la rédaction de ladite société, à la requête de [T] [M] qui, estimant qu’il a été porté atteinte au respect dû à sa vie privée et à sa réputation ainsi qu’à son droit à l’image en diffusant le 5 février 2024 à 7h48, sans les avoir vérifiées, de fausses informations sur de prétendues vacances à [Localité 4], nous demande, au visa des articles 9 et 1240 du code civil, 835 du code de procédure civile :
– d’ordonner la suppression de la référence audit reportage sur le site internet de BFM TV sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
– d’ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir dans trois journaux nationaux à grand tirage (Le Figaro, Le Point et le Parisien) aux frais de la société BFM TV,
– de condamner la société BFM TV à lui payer à titre de provision une somme de 500 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts dus en réparation de ses préjudices toutes causes confondues,
– de condamner la société BFM TV à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens comprenant les frais de publication dont distraction au profit de Maître Béatrice GEISSMANN-ACHILLE, avocat constitué,
– de juger l’ordonnance à intervenir commune au Directeur de la rédaction.
Vu les conclusions in limine litis de nullité et subsidiairement de mise hors de cause et d’irrecevabilité de la société BFM TV et de [E] [L], notifiées par voie électronique le 1er mars 2024 et déposées à l’audience, qui, au visa des articles 12 du code de procédure civile, 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 9 et 1240 du code civil, nous demande :
– In limine litis, de requalifier en diffamation l’action engagée par [T] [M], et en conséquence, de prononcer la nullité de l’assignation délivrée le 14 février 2024,
– Subsidiairement, de mettre hors de cause [E] [L] et de déclarer [T] [M] irrecevable en sa demande de suppression sur le site internet www.bfmtv.com,
– En conséquence et en tout état de cause, de débouter [T] [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et le condamner à payer à la société BFM TV et à [E] [L] la somme de 2 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions en réponse de [T] [M], déposées à l’audience, réitérant ses demandes initiales et réclamant le rejet de l’ensemble des demandes de la société BFM TV et [E] [L].
Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 05 mars 2024.
À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 28 mars 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exception de nullité soulevée en défense :
La société BFM TV et [E] [L] arguent de ce que les atteintes présentées dans l’acte introductif d’instance par [T] [M] comme portées aux droits de la personnalité de ce dernier ont, en réalité, vocation, sous couvert d’une action fondée sur les dispositions des articles 9 et 1240 du code civil, à faire sanctionner des atteintes à son honneur et sa réputation.
[T] [M] conteste une telle interprétation de l’action intentée en l’espèce, estimant qu’il est fondé à agir sur le fondement des dispositions de l’article 9 du code civil dès lors que le reportage en cause constitue une intrusion fautive dans sa vie privée, dans le seul but de l’exposer une fois encore à la vindicte populaire en faisant de lui une présentation volontairement altérée, pour mieux accréditer, au moyen d’informations non vérifiées, la théorie du “monstre” aux dépens de l’artiste de génie et d’un homme qui n’a cessé de proclamer qu’il n’était ni un prédateur ni un violeur.
*
Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet l88l ne pouvant être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, il appartient au juge saisi d’une action fondée sur l’article 1240 du code civil, de restituer aux faits allégués leur exacte qualification au regard du droit de la presse, sans s’arrêter à la dénomination retenue par le requérant, par application des dispositions de l’article 12 du code de procédure civile.
Il en va de même si l’action est engagée sur les dispositions de l’article 9 du code civil qui protègent contre toute atteinte à la vie privée.
Seule l’existence de faits distincts justifie que les dispositions de la loi sur la liberté de la presse n’excluent pas l’application des dispositions du code civil.
En l’espèce, il convient de déterminer si l’assignation vise uniquement des propos et actes constitutifs d’atteinte à la vie privée et/ou au droit à l’image ou si elle a tend à voir réparer, en réalité, un dommage causé par une atteinte à la réputation telle que protégée au titre de la sanction de la diffamation publique envers particulier prévue par les dispositions des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
L’action ici intentée par [T] [M] tend à obtenir une certaine somme provisionnelle à titre de dommages et intérêts et une mesure de suppression de contenu en ligne, en réparation du préjudice à lui causé par la chaîne d’information continue BFM TV ayant “diffusé le 5 février 2024 à 7h48, sans les avoir préalablement vérifiées, de fausses informations sur ses prétendues vacances à [Localité 4], assorties de commentaires délibérément dépréciatifs destinés à porter un coup supplémentaire à son image et à sa réputation, participant ainsi activement au lynchage dont il est l’objet depuis de longs mois”.
Il déplore, à travers la diffusion dudit reportage, un “pitch” consistant à le desservir en insistant sur le caractère provoquant, voire même choquant du comportement qui lui est prêté, consistant à profiter de fastueuses vacances à [Localité 4] en le mettant en parallèle avec les accusations actuellement portées contre lui, notamment pour viols et agressions sexuelles.
Il insiste sur le fait que l’information ainsi dévoilée était fausse, la vidéo Tiktok diffusée sur la chaîne de télévision à l’occasion de ce reportage datant en réalité de février 2022.
Le demandeur regrette, dans son assignation, qu’une fois “la fausse information relayée par tous les supports médiatiques”, chacun d’eux soit venu “y apporter un commentaire préjudiciable à [sa] réputation”.
Après avoir énoncé les occasions auxquelles il estime que la chaîne de télévision a, par le passé, d’ores et déjà manqué d’impartialité à son égard, il avance subir un préjudice considérable, évoquant un “acharnement médiatique qui vise à détruire un homme, à le condamner avant qu’il ait été jugé, de la part d’une chaîne qui, allant jusqu’à recourir à de fausses informations, s’emploie à faire disparaître l’artiste de génie, le poète qui chante [F], l’érudit de la grande librairie de Busnel, l’homme épris de spiritualité pour lui substituer le prédateur et violeur qu’il n’a jamais été, le porc qu’il n’est pas davantage, sa grossièreté incomprise aujourd’hui en faisant l’émule d’un Rabelais ou d’un Apollinaire”.
Le trouble manifestement illicite qu’il invoque est “constitué par l’atteinte à la vie privée et à la réputation, et à l’image par voie de presse” en raison de la présentation d’informations fausses.
L’acte introductif d’instance fait ainsi référence à de nombreuses reprises à l’atteinte à la réputation du demandeur, au moyen de la diffusion de la séquence litigieuse.
L’analyse de l’acte introductif d’instance, ainsi détaillé, permet de considérer que, sous couvert d’invoquer une atteinte au respect dû à sa vie privée et son droit à l’image, le demandeur critique en réalité les attaques dont il ferait l’objet, sur la base de la vidéo diffusée en février 2022 sur le réseau social Tiktok, décontextualisée de sorte que son comportement serait présenté comme choquant aux yeux du public en le désignant comme indifférent aux graves accusations dont il fait l’objet, ce afin de participer à l’acharnement médiatique contre sa personne. Les détails tenant au lieu qu’il a choisi pour ses vacances, ses loisirs à cette occasion et aux images alors captées, sur lesquels reposent les allégations dénoncées, ne sont pas divisibles de l’atteinte ainsi déplorée par le demandeur.
Il s’agit ici d’une action tendant à voir reconnaître la faute commise par les défendereurs du fait de la diffusion d’images et de propos divulgant de fausses informations sur les loisirs du demandeur, venant le cas échéant accréditer les critiques émises sur sa personnalité.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il doit être considéré que l’action introduite devant le présent tribunal par [T] [M] relève des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et précisément de l’article 29 alinéa 1er qui vise la diffamation publique.
Il convient ainsi de requalifier son action en ce sens et de considérer qu’elle encourt la nullité dans la mesure où elle ne répond pas aux critères posés par les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, notamment quant aux exigences de visa des textes et de notification préalable au ministère public.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens.
Sur les autres demandes :
Il convient de condamner [T] [M], qui succombe, aux dépens et en équité, de dire n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Déclarons nulle l’assignation délivrée par [T] [M], le 14 février 2024, à la société BFM TV et [E] [L],
Disons n’y avoir lieu à statuer sur les autres moyens,
Condamnons [T] [M] aux dépens,
Rejetons les demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit nonobstant appel.
Fait à Paris le 28 mars 2024
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISDelphine CHAUCHIS