Le chanteur Shaggy ne peut percevoir de rémunération équitable au titre de ses titres (phonogrammes) diffusés en France que pour ceux fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté européenne.
Première fixation européenne du phonogramme
L’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que les « utilisations de phonogrammes publiés à des fins de commerce, quel que soit le lieu de fixation de ces phonogrammes, ouvrent droit à rémunération au profit des artistes-interprètes et des producteurs ». Sous réserve des conventions internationales, les droits à rémunération reconnus par les dispositions de l’article L. 214-1 sont répartis entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes pour les phonogrammes fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté européenne.
Si la rémunération est due par les utilisateurs nonobstant le lieu de fixation du phonogramme, la répartition entre les ayants droits des recettes ainsi générées n’est effectuée que pour les phonogrammes fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté européenne, de sorte que le fait générateur de la créance des artistes interprètes est le lieu de première fixation, critère donc purement géographique non discriminatoire dénué de toute prise en compte de la nationalité de l’interprète ou du producteur.
Les exceptions de la Convention de Rome du 26 octobre 1961
La Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes dite Convention de Rome du 26 octobre 1961 a été ratifiée par la France le 3 avril 1987, et le traité de l’OMPI sur les interprétations, exécutions et les phonogrammes du 20 décembre 1996 dit Traité WPPT. L’article 12 de la Convention de Rome prévoit que « lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé directement pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public, une rémunération équitable sera versée par l’utilisateur à l’artiste-interprète ou exécutants, ou aux producteurs de phonogrammes ou aux deux. La législation nationale peut, faute d’accord entre ces divers intéressés, déterminer les conditions de la répartition de cette rémunération ».
Toutefois en application de l’article 16 a) iii), de cette même Convention, prévoyant la possibilité d’émission de réserves par les parties contractantes, la France a spécifié qu’elle excluait l’application de la rémunération équitable pour les phonogrammes « dont le producteur n’est pas ressortissant d’un Etat contractant ».
Question de la nationalité de Shaggy
Il s’ensuit que la rémunération équitable est due aux artistes-interprètes ressortissant de l’un des Etats contractants de la Convention de Rome, lorsque le phonogramme utilisé a été produit par une personne elle-même ressortissante d’un Etat contractant. Si la Jamaïque (lieu de naissance en Jamaïque de Shaggy) a ratifié la Convention de Rome, les Etats Unis n’en sont pas signataires. Il s’ensuit en l’espèce que Shaggy qui est de nationalité américaine, son « origine jamaïcaine » n’emportant pas de conséquence juridique, ne peut prétendre à une rémunération équitable sur le fondement de cette Convention à laquelle les Etats Unis ne sont pas partie.
Traité de l’OMPI du 20 décembre 1996
S’agissant du traité de l’OMPI du 20 décembre 1996 invoqué également par le chanteur, son article 15 1) prévoit un droit à rémunération équitable au titre de la radiodiffusion et de la communication au public pour les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes. Cependant l’article 4 du même traité intitulé « traitement national » dispose que « chaque partie contractante accorde aux ressortissants d’autres parties contractantes … le traitement qu’elle accorde à ses propres ressortissants en ce qui concerne les droits exclusifs expressément reconnus dans le présent traité et le droit à rémunération équitable prévu à l’article 15 », l’alinéa 2 du même article précisant que « l’obligation prévue à l’alinéa 1 ne s’applique pas dans la mesure où une autre partie contractante fait usage des réserves aux termes de l’article 15.3 du présent traité » .
Il est constant que les Etats-Unis ont fait usage de ce droit de réserve et ont notifié que « Conformément à l’article 15.3) du Traité de l’OMPI sur, les interprétations et exécutions et les phonogrammes, les États-Unis d’Amérique n’appliqueront les dispositions de l’article 15.1) dudit traité qu’à l’égard de certains actes de radiodiffusion et de communication au public par des moyens numériques pour lesquels une redevance directe ou indirecte est perçue au titre de la réception, ou pour d’autres retransmissions et communications sur phonogramme numérique, comme le prévoit la loi des Etats-Unis d’Amérique » .
Ces réserves limitent l’application du droit à rémunération équitable aux moyens numériques, ce qui exclut la communication directe d’un phonogramme dans un lieu public tout comme la radiodiffusion d’un phonogramme qui sont soumises en France à autorisation et donnent lieu à rémunération, caractérisent une absence de réciprocité, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’appliquer en France ledit traité aux phonogrammes fixés aux Etats Unis et produits par un producteur ressortissant de ce territoire.
Solution étendue à la copie privée sonore
Shaggy a également été débouté de ses demandes en rémunération au titre de la copie privée sonore. L’article L. 311-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que « Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes… ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées à partir d’une source licite dans les conditions mentionnées au 20 de l’article L. 122-5 et au 20 de l’article L. 21I-3. »
Ce droit à rémunération est réparti entre les auteurs, les artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes pour les phonogrammes et les vidéogrammes fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté européenne.
Ainsi, comme au titre de la rémunération équitable, si la rémunération est due par les fabricants et importateurs de supports nonobstant le lieu de fixation du phonogramme ou du vidéogramme, la répartition entre les ayants droits des recettes ainsi générées n’est effectuée que pour les phonogrammes et vidéogrammes fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté européenne, sous réserve des conventions internationales.
Il est cependant établi que la Convention de Rome ne contient aucune disposition spécifique relative à la rémunération pour copie privée sonore de sorte que la prétention de Shaggy de ce chef n’est pas fondée. Il n’était pas plus convaincant à invoquer les dispositions du traité de l’OMPI du 10 décembre 1996 pour soutenir avoir droit au bénéfice de la rémunération pour copie privée sonore sur ce fondement alors que tout comme la Convention de Rome ledit traité ne comprend pas de mécanisme de compensation de copie privée.