Est considéré comme une reprise d’usage sérieux de marque, des échanges entre la société Apple en vue du déploiement d’une offre de vidéos à la demande sur la plate-forme Apple TV, des articles de presse et d’actualités en ligne, onze commandes de spots publicitaires diffusés sur différentes chaînes de télévision et de promotion sur internet.
Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 14 décembre 2001, date du dépôt de la marque litigieuse, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Est assimilé à un tel usage : a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ; b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ; c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation. La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés. L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande. La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens. La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu. Ces dispositions s’interprètent à la lumière des dispositions de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, selon lequel le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée. La notion de commencement ou de reprise d’usage sérieux, permettant d’échapper à la déchéance, suppose que soit prouvé l’usage sérieux de la marque contestée (en ce sens TUE, 14 mars 2017, IR c EUIPO et Pirelli Tyre SpA, T-132/15, § 95). Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (en ce sens CJUE, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, § 43). L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (en ce sens Cour de cassation, chambre commercial, 29 janvier 2013, n°11-28.596). Enfin, la CJUE, interprétant les dispositions de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, équivalente à celles de l’article 12, paragraphe 1, de la directive précitée, a dit pour droit qu’elles doivent être interprétées en ce sens que, dans le cas d’une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l’Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l’introduction de cette demande (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co. KG, C-607/19). Cette interprétation doit également s’appliquer aux marques françaises, dans la mesure où les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne sont que la transposition de celles de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008. |
→ Résumé de l’affaireLa société SAS Bisly, spécialisée dans la production de produits audiovisuels pour les réseaux sociaux, est titulaire de la marque « explore ». Elle accuse la société SAS Mediawan Thematics, également active dans l’audiovisuel, d’utiliser le même signe pour des services de vidéos à la demande, ce qui constituerait une contrefaçon de sa marque. Après des échanges de courriers, la SAS Bisly assigne la SAS Mediawan Thematics en justice pour contrefaçon et demande également la déchéance de la marque de cette dernière. Les deux parties ont des prétentions opposées, la SAS Bisly demandant des dommages et intérêts ainsi que la cessation de l’usage du signe « explore » par la SAS Mediawan Thematics, tandis que cette dernière réclame des dommages et intérêts pour contrefaçon de la part de la SAS Bisly. L’affaire est fixée à une audience de plaidoirie en juin 2023.
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→ Les points essentielsANALYSE DE LA DÉCHÉANCE DE LA MARQUE VERBALE FRANÇAISE “EXPLORE” N°3137298La SAS Bisly fait valoir que la marque “explore” n°3137298 encourt la déchéance en raison de son absence d’exploitation dans les cinq ans suivant son dépôt. Elle soutient que la période à prendre en compte pour apprécier la déchéance doit porter sur les cinq ans suivant la date de publication de son enregistrement. La SAS Mediawan Thematics, quant à elle, oppose que son acquisition de la marque a été conclue avant la demande en déchéance et que la période à prendre en compte est celle de cinq ans précédant cette demande. RÉPONSE DU TRIBUNALSelon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, la déchéance de la marque peut être demandée en justice par toute personne intéressée. La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque. Le tribunal constate que la SAS Mediawan Thematics a fait un usage sérieux de la marque à partir de mars 2021, mais n’a pas prouvé l’usage pour certains services visés à l’enregistrement. Par conséquent, la marque sera déchue pour ces services. NULLITÉ DES MARQUES FRANÇAISES “EXPLORE” N°4406153 ET “EXPLORE MEDIA” N°4372729La SAS Mediawan Thematics demande la nullité de ces marques, arguant qu’elles sont identiques ou similaires à sa marque antérieure. La SAS Bisly conteste cette demande, mais le tribunal conclut que les marques sont similaires et annule leur enregistrement pour certains services. CONTREFAÇON DE MARQUELa SAS Mediawan Thematics accuse la SAS Bisly de contrefaçon en utilisant le signe “explore” pour des services similaires. Le tribunal constate que la contrefaçon est établie et condamne la SAS Bisly. MESURES RÉPARATRICESLe tribunal ordonne des mesures d’interdiction et accorde des dommages et intérêts à la SAS Mediawan Thematics pour le préjudice moral causé. Les demandes de la SAS Mediawan Thematics concernant les conséquences économiques négatives de la contrefaçon sont rejetées faute de preuves. CONCLUSIONEn conclusion, le tribunal déclare la déchéance de la marque “explore” n°3137298 pour certains services, annule les marques “explore” n°4406153 et “explore media” n°4372729, et condamne la SAS Bisly pour contrefaçon. Les dépens et les frais de justice sont à la charge de la SAS Bisly, et des dommages et intérêts sont accordés à la SAS Mediawan Thematics. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle
– Article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 – Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil – Article L.716-2-3 du code de la propriété intellectuelle – Article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle – Article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle – Article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle – Article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle – Article 1240 du code civil – Article 32-1 du code de procédure civile – Article 696 du code de procédure civile – Article 700 du code de procédure civile – Article 514 du code de procédure civile – Article 514-1 du code de procédure civile Texte de l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988: Texte de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil: Texte de l’article L.716-2-3 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle: Texte de l’article 1240 du code civil: Texte de l’article 32-1 du code de procédure civile: Texte de l’article 696 du code de procédure civile: Texte de l’article 700 du code de procédure civile: Texte de l’article 514 du code de procédure civile: Texte de l’article 514-1 du code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Alain BERTHET
– Maître Audrey SCHWAB – Maître Adrien COHEN-BOULAKIA |