Nos Conseils :
1. Il est essentiel de bien interpréter les clauses d’un contrat d’assurance en se basant sur la commune intention des parties, et en cas de doute, en faveur du débiteur ou du contractant d’adhésion. Il est également important de prouver l’exécution d’une obligation ou la libération de celle-ci conformément à l’article 1315 du code civil. 2. Lors de la rédaction d’un contrat d’assurance, il est crucial de définir clairement les termes et conditions, notamment en ce qui concerne les garanties de perte d’exploitation et les causes de fermeture administrative. Il est recommandé de spécifier les événements couverts et exclus pour éviter toute ambiguïté lors de la réclamation. 3. En cas de litige concernant l’interprétation d’un contrat d’assurance, il est conseillé de se référer aux dispositions légales applicables et de faire valoir ses arguments en fonction des termes du contrat. Il est également important de vérifier si le risque en question est expressément exclu par la loi ou par les conditions générales de la police d’assurance. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne un litige entre la Société Anonyme de Défense et d’Assurance et la société Loisirs Boulevard concernant une demande d’indemnisation pour perte d’exploitation survenue pendant une période spécifique. Le tribunal de commerce de Bordeaux a ordonné une mesure d’instruction et nommé un expert pour évaluer le préjudice. Les parties ont fait appel de cette décision. La Société Anonyme de Défense et d’Assurance conteste la décision du tribunal et demande le rejet des demandes de la société Loisirs Boulevard, tandis que cette dernière demande une indemnisation de sa perte d’exploitation conformément à son contrat d’assurance. L’affaire est en attente du dépôt du rapport d’expertise et sera examinée lors d’une audience ultérieure.
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→ Les points essentielsLes montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier:
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→ Mots clefs associés & définitions |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
21/05413
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 22 MAI 2024
N° RG 21/05413 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MKW5
Compagnie d’assurances SADA
c/
E.U.R.L. LOISIR’S BOULEVARD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 septembre 2021 (R.G. 2020F00620) par le Tribunal de Commerce de BODEAUX suivant déclaration d’appel du 30 septembre 2021
APPELANTE :
Compagnie d’assurances SADA, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]
Représentée par Maître Marie-Françoise LASSERRE, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Florence CUSIN-ROLLET de la SELARL DUFLOT ET ASSOCIE avocat au barrreau de LYON
INTIMÉE :
E.U.R.L. LOISIR’S BOULEVARD, prise en la personne de son gérant, Monsieur [K] [M], domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Sandra BRICOUT de la SELARL LEXIADE ENTREPRISES, avocat au barreau de BORDEAUX, et assitée de Maître Olivier BROUSSE, avocat au barreau de LIMOGES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 mars 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
Par contrat du 6 juillet 2018, modifié par un avenant du 2 avril 2020, la société à responsabilité limitée Loisirs Boulevard a souscrit auprès de la Société Anonyme de Défense et d’Assurance une police d’assurance multirisque professionnelle pour la couverture de son activité de commerce de détail de vêtements à [Localité 3].
La société Loisirs Boulevard a, le 17 mars 2020, déclaré à la Société Anonyme de Défense et d’Assurance, un sinistre lié à la perte d’exploitation consécutif à la fermeture de son établissement en raison des mesures gouvernementales décidées afin de lutter contre la propagation du virus de la Covid-19.
Par courrier en date du 6 avril 2020, la Société Anonyme de Défense et d’Assurance a fait connaître à son assurée que le sinistre déclaré n’entrait pas dans le champ des garanties contractuellement prévues.
Par acte d’huissier de justice du 23 juin 2020, la société Loisirs Boulevard a assigné la Société Anonyme de Défense et d’Assurance devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins, principalement, d’obtenir sa condamnation à indemniser la perte d’exploitation au titre de ce sinistre et ce dans la limite de 1 million d’euros.
Par jugement contradictoire prononcé le 10 septembre 2021, le tribunal de commerce a statué ainsi qu’il suit :
– dit que la perte d’exploitation de la société Loisirs Boulevard sur la période du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 doit être indemnisée par la Société Anonyme de Défense et d’Assurance.
– ordonne une mesure d’instruction et nomme Monsieur [J] [W] ,[Adresse 2], en qualité d’expert judiciaire avec pour mission de :
– convoquer les parties,
– entendre en leurs explications,
– entendre tous sachants,
– se faire remettre par les parties toutes pièces nécessaires à l’exécution de sa mission,
– donner au tribunal tous les éléments d’appréciation sur l’évolution du chiffre d’affaires, des charges et du résultat d’exploitation de la société Loisirs Boulevard sur la période de fermeture administrative prévue au contrat, à savoir du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 par rapport aux mêmes éléments et sur la même période en 2019,
– dit qu’en cas d’empêchement, l’expert pourra être remplacé par ordonnance,
– fixe à 4.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l’expert et dit que la consignation devra intervenir dans les quinze jours de la demande faite par le greffier à la société Loisirs Boulevard,
– dit que la société Loisirs Boulevard supportera à titre provisoire les frais de greffe liés au suivi de la mesure d’expertise,
– dit que l’expert devra tenir une réunion dans les 2 mois de la date de la notification de la consignation, réunion dont il fera immédiatement rapport au juge chargé du contrôle de l’exécution des mesures d’instruction ainsi qu’aux parties ; devront obligatoirement figurer dans ce rapport :
– le calendrier prévisionnel de ses opérations,
– une estimation de sa rémunération définitive,
– les tiers dont la présence à la cause lui apparaît nécessaire, et dont il adressera immédiatement le compte-rendu au juge chargé du contrôle de l’exécution des mesures d’instruction, ainsi qu’aux parties,
– dit qu’à tout moment de l’expertise, en cas d’insuffisance de la provision allouée ou de nécessité de proroger les délais, l’expert devra saisir le juge chargé du contrôle de l’exécution des mesures d’instructions tout en informant les parties de ses demandes,
– dit que, préalablement au dépôt de son rapport, l’expert transmettra aux parties et au juge chargé du contrôle de l’exécution des mesures d’instruction, un pré-rapport permettant aux parties de faire valoir leurs derniers dires, sans que le délai imparti par l’expert aux parties pour ce faire puisse excéder une durée de 30 jours,
– dit que l’expert dressera de ses opérations un rapport qu’il devra déposer au greffe dans les 6 mois de la date de notification de la consignation de la provision ;
– dit que l’affaire reviendra devant le tribunal de céans par dépôt au greffe de conclusions de remise au rôle après dépôt du rapport d’expertise ;
– sursoit à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expert ;
– dit que l’affaire reprendra à l’initiative de la partie la plus diligente ;
– réserve les dépens.
La Société Anonyme de Défense et d’Assurance a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 30 septembre 2021.
La société Loisirs Boulevard a formé un appel incident.
***
Par dernières conclusions notifiées le 12 juin 2023, la Société Anonyme de Défense et d’Assurance demande à la cour de :
Vu l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme,
Vu les dispositions des articles 16, 49 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles 1188, 1190, 1192, 1315 du code civil,
Vu les dispositions de l’article L. 3131-15 § 5 du code de la santé publique,
Vu les dispositions de l’article L. 113-5 du code des assurances,
– réformer le jugement susvisé en ce qu’il a :
-dit que la perte d’exploitation de la société Loisirs Boulevard sur la période du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 devait être indemnisée par la Société Anonyme de Défense et d’Assurance,
-ordonné une mesure d’instruction et nommé Monsieur [J] [W] , demeurant [Adresse 2], en qualité d’expert avec la mission décrite pages 6 et 7 du jugement,
-sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expert,
-dit que l’affaire reprendrait à l’initiative de la partie la plus diligente ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– en l’absence de « fermeture administrative »,
– compte-tenu de l’absence de « fermeture administrative » spécifique au local de l’assuré,
– en raison de la dénaturation du contrat d’assurance, de son objet et de l’existence d’un
préjudice anormal et spécial,
– en raison de la cession de l’activité,
– rejeter les demandes de la société Loisirs Boulevard ;
– avant dire droit, accueillir la question préjudicielle formée par la concluante en ce qui concerne la qualification de fermeture administrative attribuée à l’interdiction de recevoir du public et saisir la juridiction administrative compétente à ce titre, en l’occurrence le Conseil d’Etat ;
– rejeter la demande de condamnation à publication, cette demande n’étant pas légale ni justifiée ;
A titre subsidiaire, sur le quantum,
– en l’absence de justification des demandes par des éléments probants,
– en présence d’une cession du fonds garanti,
– rejeter les demandes de la société Loisirs Boulevard ;
– ordonner la production de l’acte de cession du fonds et de ses annexes ;
– à titre infiniment subsidiaire,
– limiter la demande de condamnation provisionnelle à la seule marge brute non justifiée à ce jour, sous déduction du délai de carence de trois jours, de la franchise et dans la limite du plafond de garantie ;
– appliquer la règle proportionnelle soit une diminution de l’indemnité d’un pourcentage de 18,7 % ;
– constater et juger que le prix de cession de 550.000 euros a totalement compensé l’éventuelle perte d’exploitation alléguée ;
En tout état de cause,
– condamner l’intimée à payer à la concluante la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’intimée aux dépens d’instance et d’appel, y compris les frais de l’expertise judiciaire.
***
Par dernières écritures notifiées le 12 juin 2023, la société Loisirs Boulevard demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 1110 et 1190 du code civil,
Vu les articles L. 113-1 et suivants du code des assurances,
Vu les articles L. 211-1 et suivants du code de la consommation,
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 10 septembre 2021 en ce qu’il a dit que la perte d’exploitation de la société Loisirs Boulevard devait être indemnisée par la société Anonyme de Défense et d’Assurance uniquement pour la période du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 ;
Statuant à nouveau,
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à exécuter son obligation d’indemniser la société Loisirs Boulevard de sa perte d’exploitation au titre de ce sinistre et ce dans la limite de 1 million d’euros pendant une durée de 18 mois à compter du 14 mars 2020, conformément au contrat multirisque optima professionnelle intitulé « SADA Optima Pro » ;
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à payer à la société Loisirs Boulevard une somme de 20.000 euros par provision à valoir sur son indemnisation qui sera définitivement arrêtée par dire d’expert, conformément au contrat ;
– désigner tel expert qu’il plaira en lui donnant mission de fixer la date de reprise de l’activité normale de la société Loisirs Boulevard et fixer le montant total de l’indemnité due par la société Anonyme de Défense et d’Assurance au titre de la perte de marge brute de la société Loisirs Boulevard ;
– dire et juger que cette expertise se fera aux frais avancés de la société Anonyme de Défense et d’Assurance ;
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à payer à la société Loisirs Boulevard une somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
***
Par arrêt prononcé le 4 octobre 2023, la cour a, au visa de l’article 16 du code de procédure civile :
– invité la société Loisirs Boulevard à présenter ses observations relatives à la cession de son fonds de commerce en réponse au moyen liminaire de la Société Anonyme de Défense et d’Assurance ;
– invité la société Loisirs Boulevard à produire l’acte de cession du fonds de commerce situé [Adresse 4] ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état du 28 novembre 2023 ;
– réservé les dépens.
***
Par dernières conclusions communiquées le 12 mars 2024, la Société Anonyme de Défense et d’Assurance demande à la cour de :
Vu l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme,
Vu les dispositions des articles 16, 49 et 122 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles 1188, 1190 et 1192 du code civil,
– réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 10 septembre 2021 en ce qu’il a :
-dit que la perte d’exploitation de la société Loisirs Boulevard sur la période du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 devait être indemnisée par la Société Anonyme de Défense et d’Assurance,
-ordonné une mesure d’instruction et nommé Monsieur [J] [W] , demeurant [Adresse 2], en qualité d’expert avec la mission décrite pages 6 et 7 du jugement,
-sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expert,
-dit que l’affaire reprendrait à l’initiative de la partie la plus diligente ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– en l’absence de « fermeture administrative »,
– compte-tenu de l’absence de « fermeture administrative » spécifique au local de l’assuré,
– en raison de la dénaturation du contrat d’assurance, de son objet et de l’existence d’un préjudice anormal et spécial,
– en raison de la cession de l’activité,
– rejeter les demandes de la société Loisirs Boulevard ;
– avant dire droit, accueillir la question préjudicielle formée par la concluante en ce qui concerne la qualification de fermeture administrative attribuée à l’interdiction de recevoir du public et saisir la juridiction administrative compétente à ce titre, en l’occurrence le Conseil d’Etat ;
– rejeter la demande de condamnation à publication, cette demande n’étant pas légale ni justifiée ;
A titre subsidiaire, sur le quantum,
– en l’absence de justification des demandes par des éléments probants,
– rejeter les demandes de la société Loisirs Boulevard ;
– à titre infiniment subsidiaire,
– limiter la demande de condamnation provisionnelle à la seule marge brute non justifiée à ce jour, sous déduction du délai de carence de trois jours, de la franchise et dans la limite du plafond de garantie ;
– appliquer la règle proportionnelle soit une diminution de l’indemnité d’un pourcentage de 18,7 % ;
En tout état de cause,
– condamner l’intimée à payer à la concluante la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’intimée aux dépens de première instance et d’appel, y compris les frais de l’expertise judiciaire.
***
Par dernières écritures notifiées le 12 juin 2023, la société Loisirs Boulevard demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 1110 et 1190 du code civil,
Vu les articles L. 113-1 et suivants du code des assurances,
Vu les articles L. 211-1 et suivants du code de la consommation,
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 10 septembre 2021 en ce qu’il a dit que la perte d’exploitation de la société Loisirs Boulevard devait être indemnisée par la société Anonyme de Défense et d’Assurance uniquement pour la période du 15 mars 2020 au 12 mai 2020 ;
Statuant à nouveau,
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à exécuter son obligation d’indemniser la société Loisirs Boulevard de sa perte d’exploitation au titre de ce sinistre et ce dans la limite de 1 million d’euros pendant une durée de 18 mois à compter du 14 mars 2020, conformément au contrat multirisque optima professionnelle intitulé « SADA Optima Pro » ;
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à payer à la société Loisirs Boulevard une somme de 20.000 euros par provision à valoir sur son indemnisation qui sera définitivement arrêtée par dire d’expert, conformément au contrat ;
– désigner tel expert qu’il plaira en lui donnant mission de fixer la date de reprise de l’activité normale de la société Loisirs Boulevard et fixer le montant total de l’indemnité due par la société Anonyme de Défense et d’Assurance au titre de la perte de marge brute de la société Loisirs Boulevard ;
– dire et juger que cette expertise se fera aux frais avancés de la société Anonyme de Défense et d’Assurance ;
– condamner la société Anonyme de Défense et d’Assurance à payer à la société Loisirs Boulevard une somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
***
L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 mars 2024.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
1. L’article L.113-5 du code des assurances dispose :
« Lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà.»
Selon l’article 1188 du code civil, le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes ; lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
En vertu de l’article 1190 du même code, dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé.
L’article 1192 du code civil énonce :
« On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.»
L’article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose :
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.»
2. Au visa de ces textes, la Société Anonyme de Défense et d’Assurance (ci-après SADA) fait grief au jugement déféré d’avoir retenu que la garantie complémentaire perte d’exploitation prévue par le contrat conclu le 6 juillet 2018 avec la société Loisirs Boulevard était mobilisable pour l’indemnisation des conséquences de la fermeture de son assurée pendant la pandémie de coronavirus.
La société SADA soutient que les décisions gouvernementales prises en 2020 relatives à l’interdiction d’accueillir du public n’entrent pas dans le champ de la fermeture administrative telle que prévue au contrat litigieux ; elle ajoute que la ‘raison sanitaire’ mentionnée au contrat ne concerne qu’un événement intrinsèque à l’activité de l’assurée, non un événement extérieur ; elle en tire la conséquence que la société Loisirs Boulevard, qui en la charge, ne rapporte pas la preuve de ce que les conditions d’applications de cette garantie sont réunies.
L’appelante fait enfin valoir que l’existence d’un préjudice anormal et spécial, telles que les pertes d’exploitation résultant des mesures gouvernementales prises pour endiguer la pandémie, ne relève pas d’une garantie individuelle de droit privé.
3. La société Loisirs Boulevard répond qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre la notion de fermeture administrative et celle d’interdiction d’accueillir le public ; que la loi d’urgence du 23 mars 2020 a créé un article L.3131-15 du code de la santé publique permettant au premier ministre d’ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ; que la stipulation des conditions particulières du contrat est parfaitement claire, les parenthèses relatives à l’arrêté de péril et à la raison sanitaire traduisant évidemment le fait que ce ne sont pas ces causes de fermeture administrative qui doivent être situées dans les locaux de l’entreprise, ce qui écarte l’interprétation de l’assureur relative au caractère intrinsèque de la cause sanitaire de la fermeture administrative.
L’intimée fait enfin valoir que seule la loi peut définir les conditions d’un préjudice qu’elle définira anormal et spécial, permettant aux compagnies d’assurance d’exclure ce risque de leur police ; elle observe que, si le risque n’a pas été exclu de la police ou n’est pas visé par une législation spécifique, il n’est assurément pas anormal et spécial.
Sur ce,
4. Il est constant que la relation contractuelle entre la société SADA et la société Loisirs Boulevard est fondée sur un contrat d’assurance conclu le 6 juillet 2018, avec effet au 4 juillet précédent, dénommé ‘Sada Optima Pro Multirisque Professionnelle’ qui comporte des conditions générales et des conditions particulières.
Le Titre 2 Chapitre 1 des conditions générales du contrat mentionne en particulier la garantie des pertes d’exploitation de l’assurée dans les cas suivants :
« Nous garantissons en cas d’interruption ou de réduction d’activité de votre entreprise consécutive à un dommage matériel ayant donné lieu à indemnisation au titre de l’une des garanties suivantes :
– incendies et événements assimilés, événements climatiques, catastrophes naturelles, dégâts des eaux
le paiement d’une indemnité (…).
Nous intervenons également :
– en cas d’interdiction d’accès émanant des autorités, d’impossibilités ou de difficultés matérielles d’accès à vos locaux professionnels, à la suite d’un incendie ou une explosion ayant atteint des bâtiments situés aux abords immédiats des locaux professionnels assurés (…)»
Les conditions particulières du contrat ajoutent l’extension de garantie suivante :
« La garantie perte d’exploitation est étendue en cas d’interruption ou de réduction d’activité de votre entreprise consécutive à une fermeture administrative de votre activité (arrêté de péril ou raison sanitaire) située dans vos locaux professionnels.»
5. L’assurée tend donc, principalement sur le fondement de cette stipulation des conditions particulières, à la garantie de la perte d’exploitation subie pendant la période de pandémie en raison de l’impossibilité d’exploiter son activité commerciale en application de l’arrêté du 14 mars 2020 et des décrets du 23 mars 2020 et du 14 avril 2020.
6. En ce qui concerne l’activité de vente de vêtements en boutique, le ministre des solidarités et de la santé a pris un arrêté en date du 14 mars 2020, complété par un arrêté du 15 mars 2020, qui interdit l’accueil du public, jusqu’au 15 avril 2020, dont le préambule précise notamment :
« (…) Considérant le caractère pathogène et contagieux du virus covid-19 ;
Considérant que le respect des règles de distance dans les rapports interpersonnels est l’une des mesures les plus efficaces pour limiter la propagation du virus ; qu’il y a lieu de les observer en tout lieu et en toute circonstance avec les autres mesures dites barrières, notamment d’hygiène, prescrites au niveau national ;
Considérant que l’observation des règles de distance étant particulièrement difficile au sein de certains établissements recevant du public, il y a lieu de fermer ceux qui ne sont pas indispensables à la vie de la Nation tels que les cinémas, bars ou discothèques ; qu’il en va de même des commerces à l’exception de ceux présentant un caractère indispensable comme les commerces alimentaires, pharmacies, banques, stations-services ou de distribution de la presse ; qu’il y a lieu de préciser la liste des établissements et activités concernés et le régime qui leur est applicable en fonction de leurs spécificités ; (…)»
Il est constant que l’activité de vente de vêtements en boutique ne fait pas partie des commerces autorisés, par exception, par ces arrêtés à accueillir du public pendant la période du 15 mars au 15 avril 2020, étant rappelé que l’échéance du 15 avril 2020 a été ultérieurement reportée au 2 juin 2020.
7. Il n’est pas discuté que le contrat litigieux ne comporte pas de définition de la notion de fermeture administrative.
Cependant, il faut tout d’abord souligner le fait que le ministre de la santé, autorité administrative, mentionne expressément le fait que les établissements recevant du public non indispensables à la vie de la Nation et les commerces ne présentant pas un caractère indispensable doivent ‘fermer’, selon le terme utilisé dans ce préambule.
De plus, il n’est pas discutable que, compte tenu de la spécificité de l’activité de la société Loisirs Boulevard, son exploitation commerciale était conditionnée par l’accueil du public dans son établissement. Dès lors, même à retenir le moyen tiré par l’appelante du fait que la fermeture n’était pas imposée et que seul était interdit l’accueil du public, il doit être considéré que, faute de clientèle, le fonds de commerce de l’intimée n’était pas exploitable, ce qui constitue une mesure de fermeture administrative.
Enfin, il n’apparaît pas nécessaire de saisir le Conseil d’Etat d’une question préjudicielle portant sur la définition des termes ‘fermeture administrative’, cette question ne relevant pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction au sens de l’article 49 du code de procédure civile.
8. Le contrat conclu entre la société SADA et la société Loisirs Boulevard envisage deux causes possibles de fermeture administrative de nature à permettre la mobilisation de la garantie : un ‘arrêté de péril’ ou une ‘raison sanitaire’.
La seule circonstance qu’un arrêté de péril procède d’un fait générateur propre à l’assurée ou à l’environnement géographique dans lequel est situé son local professionnel ne saurait conduire la cour à limiter la seconde cause prévue, c’est-à-dire la raison sanitaire, en lui attribuant une origine intrinsèque à l’activité de l’assurée.
9. De manière plus générale, l’appelante excipe du fait qu’il s’agirait ici d’un risque non assurable par un contrat de droit privé en raison du préjudice anormal et spécial constitué par la nature systémique du risque de pandémie qui compromet la couverture des pertes d’exploitation et plus généralement la technique de l’assurance, laquelle procède par mutualisation des risques suivant la loi des probabilités.
Toutefois, aucune disposition légale ne fait état du risque inassurable d’une conséquence d’une pandémie, étant rappelé que l’article L.121-8 du code des assurances prévoit que, même en cas de pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires, une convention peut prévoir que l’assureur doit répondre de ces pertes et dommages.
Or la pandémie ne figure pas dans les exclusions expressément énoncées aux Dispositions Générales Chapitre A des conditions générales de la police d’assurance.
10. En conséquence, l’extension de garantie prévue aux conditions particulières du contrat du 6 juillet 2018 pour la perte d’exploitation après fermeture administrative pour raison sanitaire est ici applicable ; c’est donc par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement remis en cause en appel, que le premier juge a retenu que la société SADA était tenue d’indemniser la perte d’exploitation subie par son assurée et a ordonné une expertise aux fins de lui donner tous les éléments d’appréciation sur l’évolution du chiffe d’affaire, des charges et du résultat d’exploitation de la société Loisirs Boulevard pendant la période de fermeture administrative, cela en faisant ressortir les éventuelles aides financières de toute nature reçues par la société.
11. Toutefois, l’intimée fait à juste titre observer que le contrat litigieux prévoit, au Titre 2 Chapitre 1 paragraphe A.II ‘période d’indemnisation’ (page 26 des conditions générales) que sont indemnisées les pertes d’exploitation subies durant la période pendant laquelle les résultats de l’entreprise sont affectés par le sinistre et que cette période « prend fin au jour de la reprise normale de [son] activité dans les conditions les plus diligentes à dire d’expert (c’est-à-dire dès que les résultats de [l’]entreprise ne sont plus affectés par le sinistre), sans pouvoir excéder la durée mentionnée aux dispositions particulière.»
Cette durée maximale est de 18 mois à la page deux des conditions particulières du contrat.
12. Il convient donc de compléter la mission de l’expert en l’invitant à mettre en évidence la date à laquelle la société Loisirs Boulevard a été en mesure de reprendre son activité dans les conditions les plus diligentes et à étendre ses investigations jusqu’à cette date, sous la réserve d’une limite de 18 mois à compter du 15 mars 2020.
13. L’affaire doit être renvoyée devant le tribunal de commerce pour la poursuite des opérations d’expertise confiées à M. [W].
En l’état de la procédure, il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront réservés.
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 10 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Invite Monsieur [J] [W] à mettre en évidence la date à laquelle la société Loisirs Boulevard a été en mesure de reprendre son activité dans les conditions les plus diligentes et à étendre ses investigations jusqu’à cette date, sous la réserve d’une limite de 18 mois à compter du 15 mars 2020.
Renvoie l’affaire devant le tribunal de commerce pour la poursuite des opérations d’expertise.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la Société SADA aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président