Nullité de la clause de bénéficiaire d’assurance-vie

Notez ce point juridique

1. Attention à la recevabilité de l’action en nullité du testament : Il est recommandé de vérifier que la qualité d’héritier est établie par tous moyens, y compris par un acte de notoriété, pour être recevable à poursuivre la nullité d’un testament.

2. Attention à l’insanité d’esprit du testateur : Il est recommandé de prouver l’insanité d’esprit du testateur pour annuler un testament, en apportant des éléments médicaux contemporains de la rédaction du testament.

3. Attention à l’abus de faiblesse constitutif d’un dol : Il est recommandé de démontrer l’existence d’un abus de faiblesse et de manoeuvres frauduleuses ayant vicié le consentement du testateur pour annuler un testament sur le fondement du dol.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne un litige autour de la modification des bénéficiaires de contrats d’assurance-vie souscrits par Mme [V] [X], décédée en 2018, au profit de M. [W] [C]. Des plaintes ont été déposées pour contrefaçon, falsification de chèques et abus de faiblesse. Suite à un jugement du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en 2023, les modifications des clauses bénéficiaires ont été déclarées nulles, et des dommages-intérêts ont été accordés aux ayants droit de Mme [V] [X]. Parallèlement, un testament olographe établi par Mme [V] [X] a été déclaré nul par un autre jugement. Les parties ont interjeté appel et demandent des réformes du jugement initial.

Les points essentiels

MOTIVATION DE LA COUR

A titre liminaire, M. [C] a interjeté appel du jugement en ce qu’il a admis aux débats les pièces n° 50 à 53 de Mme [P], sans révocation de l’ordonnance de clôture.

Si, dans le dispositif de ses dernières conclusions, il sollicite l’infirmation du jugement de ce chef, la cour n’est cependant saisie d’aucune demande tendant au rejet des pièces litigieuses.

Il s’en suit que ces pièces sont définitivement acquises aux débats. Il n’y a donc pas lieu de statuer de ce chef.

Sur la recevabilité de l’action de Mme [L] [P]

M. [E] [C] soutient que Mme [L] [P], qui ne produit aucun acte de notoriété établissant sa qualité d’héritière, n’est pas recevable à poursuivre la nullité du testament de Mme [V] [X] sur le fondement de l’article 901 du Code civil.

En vertu de l’article 31 du Code de procédure civile, ‘L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.’

Il est par ailleurs admis que la nullité des libéralités visée à l’article 901 du code civil est une nullité relative, qui ne peut être demandée que par les successeurs universels légaux ou testamentaires du de cujus (Civ. 1ère , 4 novembre 2010, n°09-68.276).

Enfin, il résulte des articles 730 et 730-1 du code civil que la qualité d’héritier s’établit par tous moyens. Elle peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire à la demande des ayants droit.

En l’espèce, Mme [P] produit son acte de naissance, celui de son père [N] [G], né à [Localité 15] le [Date naissance 6] 1900, celui de Mme [V] [X] née [G] le [Date naissance 3] 1929, et de sa mère, née [J] [G] à [Localité 15] le [Date naissance 5] 1898.

[N] et [J] [G] étaient frère et sœur pour être tous deux nés de l’union entre M. [R] [G] et Mme [O] [B].

Il est donc justifié du lien de parenté entre Mme [L] [P] et sa cousine [F], Mme [V] [X] née [G].

En outre, il ressort du tableau généalogique adressé par le cabinet de généalogie [Z] à Maître [S] le 12 février 2021 que la dévolution s’opère :

‘Dans la ligne maternelle au profit de ses six cousines au 4 ème degré. (‘) Il est ici précisé que la défunte n’a pas de filiation paternelle établie.’

Les investigations du généalogiste mandaté par le notaire chargé de la succession ont mis en évidence l’identité des héritiers légaux, parmi lesquels figure Mme [L] [P].

Par ailleurs, M. [C] est mal fondé à dénier à Mme [P] sa qualité d’héritière en l’absence d’acte de notoriété, dès lors que l’article 730-1 du Code civil dispose que l’acte de notoriété doit mentionner l’existence de libéralités à cause de mort pouvant avoir une incidence sur la dévolution successorale.

Il est certain qu’en présence d’un testament dont la validité est contestée en justice, aucun notaire n’accepterait de dresser un acte de notoriété.

Il y a donc lieu de considérer que Mme [L] [P] justifie de sa qualité d’héritière et donc de sa qualité et de son intérêt à agir.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déclarée recevable en son action.

Sur la demande de nullité du testament

Mme [L] [P] fonde sa demande sur les articles 464, 901, 1130 et 1137 du code civil.

Il résulte des dispositions de l’article 464 du code civil que ‘Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.

Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée.

Par dérogation à l’article 2252, l’action doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.’

L’article 901 du même code dispose que ‘Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.’

L’article 1130 du code civil énonce que ‘L’erreur, le dol ou la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.’

L’article 1137 du code civil précise que ‘Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges.’

En l’espèce, le testament olographe, daté du 22 janvier 2016 est rédigé en ces termes :

‘[Localité 4], le 22/01-2016

Ceci est mon testament

Je soussigné [X] [V], né le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 14] et demeurant au [Adresse 10] Ai fait mon testament ainsi qu’il vaut en cas de décès, je confirme mes ‘. D’assurance vie et institue pour mes légataires !

En ce qui concerne ma maison d’habitation et puis mes meubles la garnissant à M. [W] [C] demeurant à [Adresse 13] à [Localité 4].

En ce qui concerne mes comptes bancaires, retraite et autre bien meuble à M. [W] [C] demeurant à [Adresse 13] à [Localité 4].

Les frais et droits relatif à ses legues seront supportés par les légataires à concurrence de leurs droits.

Je révoque toutes dispositions antérieures de mes dernières volontés antérieures à le ‘ fait et écrit antérieurement de ma main

A [Localité 4], le 22 janvier 2016

Signature’

Sur l’absence d’insanité d’esprit

L’insanité d’esprit se définit comme toute affection mentale qui prive celui qui en est atteint de tout discernement et de toute aptitude à jouir d’un consentement libre et éclairé.

La preuve de l’insanité d’esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament.

En l’espèce, le testament litigieux a été rédigé de la main de Mme [V] [X] et signé par celle-ci. Il est daté du 22 janvier 2016, ce qui correspond effectivement à la période dite ‘suspecte’, précédant l’ouverture de la mesure de protection.

Mme [X] qui vivait seule était alors âgée de 86 ans. Elle est décédée le [Date décès 7] 2018.

Les parties ne produisent aucune pièce médicale contemporaine de la rédaction du testament.

Le jugement du 31 mai 2016 instituant la mesure de curatelle renforcée au bénéfice de Mme [V] [X] s’appuie sur le certificat médical du Docteur [T], daté du 27 novembre 2015, constatant :

une altération modérée des fonctions cognitives

des troubles de la mémoire immédiate

une certaine logorrhée

des capacités d’analyse et de jugement un peu émoussées.

La décision du juge des tutelles est motivée par les constatations médicales précitées, révélant l’existence d’une ‘altération des facultés même si celle-ci est pour l’instant modérée’, par l’audition de Mme [X] en date du 18 mai 2016 ayant permis de ‘constater un certain nombre de lacune et de difficulté’ainsi que par la ‘vulnérabilité soulignée tant par le requérant que par le médecin expert.’

Par ailleurs, M. [C] produit un compte-rendu de consultation externe du Docteur [I], neurologue au centre hospitalier de [Localité 16] en date du 7 mars 2016, faisant état ‘de troubles cognitifs légers’, d’une ‘atteinte au premier plan concernant la mémoire’ et de signes évocateurs d’une ‘pathologie neurodégénérative toute débutante, sans retentissement évident, chez une patiente âgée (‘).

Au vu des éléments médicaux soumis à l’appréciation de la cour, il y a lieu de considérer que l’insanité d’esprit de Mme [X] au moment de la rédaction du testament litigieux n’est pas caractérisée.

Sur l’existence d’un abus de faiblesse constitutif d’un dol

Si l’insanité d’esprit ne ressort pas suffisamment des pièces médicales produites, il est en revanche établi que Mme [X] présentait un état de vulnérabilité avéré, ayant d’ailleurs conduit le juge des tutelles à ordonner successivement une mesure de sauvegarde de justice (par ordonnance du 9 mars 2016) puis une mesure de curatelle renforcée (par jugement du 31 mai 2016),laquelle a par la suite été convertie en mesure de tutelle (par jugement du 27 février 2018).

Cet état de vulnérabilité et l’influence de M. [C] auprès de Mme [X] ont été relevés par :

La famille de Mme [X], notamment M. et Mme [H], fille et gendre de Mme [L] [P],

Le docteur [T], médecin expert, ayant décrit un ‘état de vulnérabilité’ ainsi que des ‘rapprochements intéressés’,

Le juge des tutelles, dont le jugement de mise sous curatelle renforcée est notamment motivé par cet état de vulnérabilité,

L’Ehpad dans lequel Mme [X] résidait, décrivant cette dernière comme ‘vulnérable et influençable’ selon les notes de situation de l’Udaf 22 transmises au juge des tutelles,

Mme [M] [U], mandataire à la protection des majeurs à l’Udaf 22, laquelle confirme lors de son audition par les services de gendarmerie dans le cadre de l’enquête ouverte pour abus de faiblesse, que ‘Mme [X] était sous influence de M. [C], de plus la mesure ayant déjà été lancée, Mme [X] présentait quelques signes d’incohérence.’

Par ailleurs, par jugement rendu le 26 septembre 2019, le tribunal correctionnel de Saint Brieuc a déclaré M. [W] [C] coupable des faits de falsification, contrefaçon et usage de seize chèques falsifiés ou contrefaits, au préjudice de Mme [X], faits commis du 6 décembre 2016 au [Date décès 7] 2018.

Sur cette même période de prévention, M. [C] a également été déclaré coupable d’avoir ‘abusé frauduleusement de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse de Mme [V] [X] (‘) en l’espèce en lui faisant modifier les bénéficiaires de deux assurances-vie à son profit et en ayant rédigé au nom de Mme [V] [X] des courriers manuscrits destinés au juge des tutelles pour faire annuler notamment la décision de placement sous curatelle.’

Il est observé que M. [C] n’a pas fait appel de ce jugement, nonobstant sa condamnation à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis assorti de l’interdiction d’exercer des fonctions de tuteur ou de curateur.

Comme en première instance, M. [C] fait observer de manière totalement inopérante que la période de prévention pour laquelle il a été condamné est postérieure à la date du testament dont la nullité est poursuivie.

Il est exact que M. [C] a été déclaré coupable d’abus de faiblesse à l’encontre de Mme [X] pour la période comprise entre le 6 décembre 2016 et le [Date décès 7] 2018, alors que le testament est daté du 22 janvier 2016.

Toutefois, comme l’a justement relevé le tribunal, la prévention détaillée mentionne explicitement la modification des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie comme l’un des éléments matériels constitutifs de l’abus de faiblesse. Or, les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ont été modifiées le 15 janvier 2016, au profit de M. et Mme [C].

Il doit donc être retenu, à l’instar du tribunal, qu’en dépit de l’erreur affectant la période de prévention, les manoeuvres de M. [C] en vue de profiter de la dégradation des facultés mentales et de l’état de vulnérabilité de Mme [X] ont débuté dès le 15 janvier 2016.

Dès lors que les modifications des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ont permis de caractériser l’existence d’un abus de faiblesse, il est évident que le testament litigieux rédigé seulement sept jours plus tard, se rattache à ce comportement délictueux,qui suppose pour être caractérisé la réunion d’un élément matériel mais aussi d’un élément intentionnel.

C’est donc tout aussi vainement, que M. [C] conteste l’existence de manoeuvres frauduleuses ayant vicié le consentement de Mme [X] pour la déterminer à lui consentir des libéralités, alors qu’il est établi que celui-ci avait parfaitement connaissance de l’affaiblissement constant et progressif des facultés intellectuelles de Mme [X], âgée de 86 ans et qu’il a ainsi sciemment profité de son état de vulnérabilité médicalement constaté, pour lui faire modifier les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie à son profit et lui faire rédiger un testament l’instituant comme légataire universel, et ce avant la mise en place imminente d’une mesure de protection.

De fait, M. [C] était devenu omniprésent dans la vie de Mme [X] puisque celui-ci l’accompagnait à ses rendez-vous médicaux, lui faisait ses courses et lui préparait ses repas, ainsi qu’il ressort du compte-rendu de consultation externe du Docteur [I], neurologue au centre hospitalier de [Localité 16] en date du 7 mars 2016. Il ne pouvait donc ignorer qu’une procédure de mise sous protection avait été initiée par les époux [H] et qu’à cette fin, un certificat médical avait été établi le 27 novembre 2015 par le docteur [T] faisant état d’une altération des facultés intellectuelles de cette dernière et préconisant une mesure de protection.

De même, c’est avec une parfaite mauvaise foi que M. [C] a établi et utilisé des chèques qu’il avait préalablement fait signer à Mme [X] (comme il l’indique dans son audition à la gendarmerie), alors même que celle-ci n’avait plus le droit d’émettre des chèques compte tenu de la mesure de protection ordonnée. M. [C] connaissait parfaitement cette interdiction qui lui avait été rappelée par le juge des tutelles, ainsi que le démontrent les courriers du magistrat retrouvés lors de la perquisition effectuée à son domicile.

Par sa présence constante et son discours, M. [C] est parvenu à isol

Les montants alloués dans cette affaire: – M. [W] [C] est condamné aux dépens d’appel
– M. [W] [C] est débouté sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– M. [W] [C] est condamné à payer à Mme [L] [P] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel

Réglementation applicable

– Code civil
– Code de procédure civile

Article 31 du Code de procédure civile:
« L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Article 730 du Code civil:
« La qualité d’héritier s’établit par tous moyens. Elle peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire à la demande des ayants droit. »

Article 901 du Code civil:
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »

Article 1130 du Code civil:
« L’erreur, le dol ou la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »

Article 1137 du Code civil:
« Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges. »

Article 464 du Code civil:
« Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Jean-David CHAUDET
– Me Axel DE VILLARTAY

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