Pour identifier l’auteur d’un email diffamant, la première étape est d’obtenir l’adresse IP avec laquelle le titulaire a créé son compte et celle avec laquelle il a envoyé ses message.
Pour ce faire, l’article 145 du CPC est le moyen à privilégier. Une demande de mesure d’instruction ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel. Sont légalement admissibles, au sens de l’article 145 du CPC, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur. Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, s’agissant de demandes tendant à la communication de données conservées par les hébergeurs ou fournisseurs d’accès à internet, le juge saisi peut prescrire à toute personne susceptible de contribuer à un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne de communiquer les données d’identification ayant servi à la diffusion des propos incriminés, à condition que ceux-ci soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi. Pour justifier du motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il peut être avancé que les propos tenus contre une société ou une personne sont susceptibles de qualifications pénales, que le demandeur se réservera d’invoquer devant les juridictions pénales notamment au titre des délits de diffamation, de menaces, tel que prévu à l’article 222-17 du code pénal, et de chantage prévu à l’article 312-10 du code pénal. Les messages peuvent potentiellement constituer le délit d’envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques, sanctionné par l’article 222-16 du code pénal. Une action pénale engagée sur le fondement de la diffamation publique envers particulier, réprimée par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 envers un particulier et également de chantage, réprimés par l’article 312-10 du code pénal ne serait pas manifestement vouée à l’échec. Dans la mesure où les propos litigieux sont susceptibles de constituer les délits de diffamation publique envers particulier et de chantage, un procès pénal est envisageable, une fois identifiée la personne à l’origine des courriers électroniques en cause. Les faits litigieux, en ce que la qualification pénale de chantage est envisageable, ressortent de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, s’agissant d’un délit puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, de sorte qu’est proportionnée à l’atteinte alléguée et légalement admissible, la communication des données d’identification correspondant aux 1°, 2° et 3° de l’article précité. Google (Gmail) a le statut d’hébergeur, tel que défini à l’article 6. I. 2 de la LCEN (“personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services”) s’agissant des propos envoyés depuis une adresse électronique Gmail. La société Google est donc astreinte à ce titre à l’obligation de conservation des données d’identification dans les conditions rappelées ci-dessous. L’article 6 II de la LCEN prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires. L’article L34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver : 1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ; 2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ; La nature des données mentionnées ci-avant, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné. Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci dessus : – les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone. – les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique. – les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus. |
→ Résumé de l’affaireLa société STEVE a assigné les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED en référé pour obtenir la communication d’éléments d’identification liés à un compte Gmail. La société STEVE a ensuite retiré ses demandes contre la société GOOGLE FRANCE et a demandé à la société GOOGLE IRELAND LIMITED de communiquer les données demandées. Les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED ont accepté les désistements et se sont rapportées à la décision du juge. La décision sera rendue le 29 mars 2024.
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→ Les points essentielsLes faits de l’affaireLa société STEVE, une agence créative spécialisée en publicité et social média, a été impliquée dans une affaire de harcèlement moral et sexuel. Entre le 13 et le 16 janvier 2024, plusieurs témoignages ont été publiés sur Instagram accusant un manager de la société STEVE. Le 16 janvier 2024, des courriels anonymes ont été envoyés à plusieurs clients de STEVE, dénonçant ces faits et incitant les clients à réagir. La réaction de la société STEVEEn réponse aux courriels anonymes, la société STEVE a déposé une main courante au commissariat le 17 janvier 2024. Par la suite, le 25 janvier 2024, STEVE a mis en demeure la société GOOGLE FRANCE de lui communiquer les informations relatives au compte Gmail ayant envoyé les courriels incriminés. Le désistement de STEVE à l’encontre de GOOGLE FRANCELa société STEVE a décidé de se désister de ses demandes à l’encontre de GOOGLE FRANCE. Ce désistement a été accepté par GOOGLE FRANCE, conformément aux articles 394 et 395 du code de procédure civile. La demande de communication de donnéesSTEVE a invoqué un motif légitime pour demander une mesure d’instruction afin d’obtenir les données d’identification du compte Gmail ayant envoyé les courriels. Le juge a considéré que les courriels anonymes étaient susceptibles de qualifications pénales telles que la diffamation, les menaces et le chantage, justifiant ainsi la demande de STEVE. La nature des données à communiquerSelon l’article 6 II de la LCEN et l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, les opérateurs doivent conserver certaines données permettant d’identifier les utilisateurs. Ces données incluent les informations d’identité, les informations fournies lors de la création du compte, et les données techniques de connexion. Le statut de GOOGLE IRELAND LIMITEDGOOGLE IRELAND LIMITED, en tant qu’hébergeur, est tenu de conserver les données d’identification des utilisateurs de Gmail. Le juge a ordonné la communication de ces données à STEVE, en limitant les adresses IP aux moments de la création du compte et de l’envoi des courriels litigieux. Les autres demandes et les frais de justiceLes autres demandes de STEVE ont été rejetées. En application de l’article 696 du code de procédure civile, chaque partie conservera la charge des frais qu’elle a engagés au titre des dépens. Les montants alloués dans cette affaire: – La société STEVE : aucune somme allouée
– La société GOOGLE FRANCE : aucune somme allouée – La société GOOGLE IRELAND LIMITED : aucune somme allouée – Frais de dépens : à la charge de chaque partie |
→ Réglementation applicable– Code de procédure civile
– Code pénal – Code des postes et des communications électroniques – Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse Article du Code de procédure civile cité : Article du Code pénal cité : Article du Code des postes et des communications électroniques cité : Article de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse cité : |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Armelle FOURLON de la SELEURL FOURLON AVOCATS
– Maître Aurélie BREGOU de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES |