Diffamation sur internet : le piège de la prescription courte

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Pour apprécier la prescription éventuelle de l’action en diffamation en ligne intentée, il convient de tenir compte de la première date de diffusion des propos à tout utilisateur potentiel d’internet, peu important la date à laquelle la personne qui s’estime diffamée a prix connaissance de l’existence de la publication.

Le fait que la victime ait donc pris connaissance des propos diffusés tardivement ne peut constituer en soi le point de départ du délai de prescription.

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d ‘agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Par dérogation au délai de droit commun prévu par l’article 2247 du code civil, l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 enferme l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions qu’ elle édicte dans un délai de trois mois à compter du jour de la commission des faits ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite.

Il ressort d’une jurisprudence constante que les infractions commises par voie de presse ont un caractère instantané, de sorte qu’elles sont réputées commises et consommées au moment de la publication, quel que soit le temps pendant lequel l’écrit est resté diffusé, publié ou disponible à la vente. Sur internet, le point de départ de la prescription est ainsi constitué de la première mise en ligne des propos litigieux et non de leur suppression du site : il appartient dès lors à celui qui se prévaut de la prescription de l’action de rapporter la preuve de cette première mise en ligne des propos contestés qui constitue la date de première mise à disposition des propos aux utilisateurs.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne des propos diffamatoires et injurieux publiés sur un site internet à l’encontre de M. [G] [M]. Après avoir saisi la justice, le tribunal judiciaire de Marseille a condamné le gérant du site et l’hébergeur à verser des dommages et intérêts à M. [G] [M] et à retirer les contenus litigieux du site. Les parties ont interjeté appel de cette décision. Les intimés invoquent la prescription de l’action et contestent le préjudice subi par M. [G] [M]. Le procureur général recommande de rejeter l’exception de prescription et confirme la décision du tribunal. L’affaire est en attente de jugement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Les points essentiels

MOTIFS DE LA DÉCISION

La Cour d’appel précise, à titre liminaire, qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ‘constatations’, de ‘prise d’acte’ ou de ‘dire et juger’ qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques. De plus, la compétence de la juridiction française n’a jamais été contestée et ne l’est pas aux termes des dernières conclusions transmises aux intérêts de l’ensemble des appelants. Aucune compétence d’ordre public dérogatoire n’est davantage applicable en l’espèce, de sorte qu’en l’absence de prétention particulière à ce titre, la cour statue sans se prononcer sur sa compétence, non remise en cause.

Sur la nullité

En vertu de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées. En l’occurrence, aux termes des dernières conclusions transmises aux intérêts de M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO, il n’est plus soulevé aucune exception de nullité de l’assignation délivrée par M. [G] [M], notamment pour irrespect de l’article 55 de la loi du 9 juillet 1881. La cour n’est donc saisie d’aucune exception de nullité.

Sur la prescription

Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir, M. [G] [M] invoque l’irrecevabilité de cette fin de non-recevoir soulevée pour la première fois devant la cour d’appel. Or, d’une part, la décision entreprise est une décision réputée contradictoire, puisque M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO ne s’étaient pas fait représenter en première instance et n’avaient pas comparu, bien que régulièrement cités. Désormais constitués en appel, ces derniers sont donc recevables à faire valoir des moyens et prétentions par essence non émis en première instance. D’autre part, la prescription invoquée est une fin de non-recevoir, recevable en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel, en application de l’article 123 du code de procédure civile. Cette fin de non-recevoir est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d ‘agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Par dérogation au délai de droit commun prévu par l’article 2247 du code civil, l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 enferme l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions qu’elle édicte dans un délai de trois mois à compter du jour de la commission des faits ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite. Il ressort d’une jurisprudence constante que les infractions commises par voie de presse ont un caractère instantané, de sorte qu’elles sont réputées commises et consommées au moment de la publication, quel que soit le temps pendant lequel l’écrit est resté diffusé, publié ou disponible à la vente. Sur internet, le point de départ de la prescription est ainsi constitué de la première mise en ligne des propos litigieux et non de leur suppression du site : il appartient dès lors à celui qui se prévaut de la prescription de l’action de rapporter la preuve de cette première mise en ligne des propos contestés qui constitue la date de première mise à disposition des propos aux utilisateurs. Selon M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO, l’action en réparation intentée par M. [G] [M] était prescrite au 9 avril 2019, soit préalablement à la délivrance de l’acte introductif d’instance du 17 mai 2019, dans la mesure où ils soutiennent que les propos litigieux ont été publiés au plus tard le 9 janvier 2019 sur internet. M. [G] [M] soutient pour sa part que les propos litigieux ont été publiés le 19 février 2019, de sorte que son action intentée le 17 mai 2019, moins de trois mois après, n’est pas prescrite. M. [G] [M] produit un mail de M. [E], journaliste, du 19 mars 2019, lui indiquant qu’il venait de trouver en ligne, en recherchant ses coordonnées sur Google, un site intitulé ‘[G] [M] – serial mythomane’ à l’adresse URL http://[06] et présentant les deux lignes de textes suivantes :’Baratineur, menteur, faux entrepreneur, escroc, vous saurez tout’ et ‘[G] [M] de [Localité 5], anciennement RHSI, viré de Qwamplfy et associé fantôme de T4Equity, les révélations bientôt’. Il justifie également de son dépôt de plainte du même jour, ainsi que de son nouveau dépôt de plainte, avec constitution de partie civile, du 6 juin 2019. Principalement, M. [G] [M] s’appuie sur le procès-verbal de constat qu’il a fait dresser par huissier de justice le 4 avril 2019, aux termes duquel l’officier ministériel a constaté la publication des propos intégraux ci-dessus repris sur le site http://[06], hébergé par la SELARL J&J Associates SRO. Dans les annexes de son procès-verbal de constat, l’huissier de justice a relevé le Whois du site en cause, étant observé que le Whois correspond à un protocole commun sur internet qui permet de consulter les informations d’enregistrement d’un nom de domaine ou d’un IP. Dans ce Whois, il apparaît qu’une mise à jour, ‘updtated date’, a été effectuée le 19 février 2019. Cette date correspond donc à la dernière date à laquelle une modification a été effectuée sur le domaine. Pour autant, elle ne correspond pas nécessairement à la première date de publication des propos litigieux, la mise à jour ayant pu porter sur un autre élément du domaine les cigales.org, ou seulement partiellement sur les propos incriminés. En tout état de cause, ce Whois ne permet pas d’établir avec certitude la première date de publication des propos dénoncés par M. [G] [M]. Par ailleurs, pour apprécier la prescription éventuelle de l’action intentée par M. [G] [M], il convient de tenir compte de la première date de diffusion des propos à tout utilisateur potentiel d’internet, peu important la date à laquelle la personne qui s’estime diffamée a prix connaissance de l’existence de la publication. Le fait que M. [G] [M] ait donc pris connaissance des propos diffusés par M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO le 19 février 2019 ne peut constituer en soi le point de départ du délai de prescription. M. [G] [M] fait en outre valoir que M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO ne sont pas en mesure de justifier de la réelle date de première publication des propos injurieux. Ces derniers ne le contestent pas, mais soutiennent que ceux-ci l’ont été, en tout état de cause, le 9 janvier 2019 au plus tard. En effet, M. [N] [C] et la SELARL J&J Associates SRO produisent un procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 13 novembre 2020 qui a consulté le site https://www.archive.org/, site d’archive digitale d’internet, et dont il ressort que la publication litigieuse, telle que déjà reprise, a été sauvegardée 4 fois entre le 9 janvier 2019 et le 21 mars 2020. Ce constat d’huissier de justice, qui fait foi tout autant que celui produit par M. [G] [M], ne saurait être écarté au motif qu’il relate un extrait du site archive.org auquel il ne peut être dénié toute force probante, à défaut de tout élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité. Quand bien même, ce site n’est pas un site officiel d’archivage et reconnaît lui-même que des erreurs sont possibles, puisque comprenant une clause de non garantie de son contenu, celles-ci ne peuvent être présumées et il appartient aux parties qui s’en prévalent de les démontrer. En l’état des éléments communiqués à la cour, il appert que les propos dénoncés par M. [G] [M] comme ayant été publiés sur le site hébergé par la SELARL J&J Associates SRO ont été diffusés au plus tard pour la première fois le 9 janvier 2019, de sorte que l’action intentée par M. [G] [M] en diffamation et injure le 17 mai 2019 est prescrite. Au demeurant, force est de relever que, selon décision du 26 mai 2023, le tribunal correctionnel de Marseille, saisi des chefs de prévention de diffamation et d’injure publiques entre les mêmes parties et pour les mêmes propos, a, notamment, constaté la prescription des faits poursuivis au titre de la publication du 19 février 2019 et a relaxé M. [N] [C] de ce chef. Aux termes de la déclaration d’appel intentée par M. [G] [M] contre cette décision, et ici produite, il apparaît que celui-ci ne critique pas ce chef de la décision pénale qui, dès lors, est définitif. En conséquence, cette décision a autorité de chose jugée et s’impose à la présente cour quant à l’appréciation de la prescription de l’action intentée au plan civil par M. [G] [M]. La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de M. [G] [M] doit donc être accueillie et l’ensemble de ses prétentions se trouve irrecevable. La décision entreprise sera infirmée en intégralité.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [G] [M], qui succombe au litige, supportera les dépens de première instance et d’appel, la décision entreprise étant réformée également de ce chef. En revanche, l’équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les montants alloués dans cette affaire: – M. [G] [M] est condamné au paiement des dépens
– Les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code civil
– Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881

Article 954 du code de procédure civile:
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

Article 123 du code de procédure civile:
La prescription invoquée est une fin de non-recevoir, recevable en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel.

Article 122 du code de procédure civile:
Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Article 2247 du code civil:
Le délai de droit commun prévu par cet article est dérogé par l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 pour les actions civiles résultant des crimes, délits et contraventions qu’elle édicte.

Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881:
L’article 65 de cette loi enferme l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions qu’elle édicte dans un délai de trois mois à compter du jour de la commission des faits ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Cédric MAS
– Me Xavier PIZARRO

Mots clefs associés & définitions

– Cour d’appel
– Compétence
– Nullité
– Prescription
– Fin de non-recevoir
– Délai de prescription
– Diffamation
– Injure
– Huissier de justice
– Site internet
– Archive digitale
– Chose jugée
– Article 700 du code de procédure civile
– Dépens
– Cour d’appel: juridiction chargée de statuer sur les appels formés contre les décisions des juridictions de premier degré
– Compétence: capacité d’une juridiction à connaître d’une affaire en fonction de sa nature et de son montant
– Nullité: annulation d’un acte juridique en raison d’un vice de forme ou de fond
– Prescription: délai au-delà duquel une action en justice n’est plus recevable
– Fin de non-recevoir: moyen de défense permettant de rejeter une demande en justice pour un motif de procédure
– Délai de prescription: période pendant laquelle une action en justice peut être engagée
– Diffamation: fait de tenir des propos portant atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne
– Injure: fait de tenir des propos outrageants ou offensants envers une personne
– Huissier de justice: officier ministériel chargé de signifier des actes judiciaires et de procéder à des saisies
– Site internet: ensemble de pages web accessibles en ligne
– Archive digitale: conservation de documents sous forme numérique
– Chose jugée: principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en cause
– Article 700 du code de procédure civile: disposition permettant au juge d’allouer une somme d’argent à la partie qui a obtenu gain de cause pour ses frais de justice
– Dépens: frais engagés par les parties dans le cadre d’une procédure judiciaire

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