Un éditeur de presse est en droit de reprendre des éléments évoqués par un communiqué de presse du Procureur de la République, faisant état de corruption par un fonctionnaire dans un marché public, sans être condamné pour atteinte à la présomption d’innocence.
La référence à des « manquements aux règles de la commande publique », « l’implication d’un agent public, en l’occurrence un directeur d’hôpital public », « corruption active d’agent public » et « recel de favoritisme », « favoritisme » résultent de la CJIP, du communiqué ou de l’ordonnance précités, de même que tous les détails financiers cités était issus du communiqué de presse du Procureur de la République. L’article en cause ne contient donc pas de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité du directeur d’hôpital public. L’action pour atteinte à la présomption d’innocence fondée sur l’article 9-1 du Code civil étant une action exclusivement civile, les règles spécifiques de la responsabilité en cascade prévues par la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables, de sorte que la responsabilité personnelle du directeur de publication suppose qu’il soit établi qu’il est intervenu personnellement et activement dans la publication génératrice de l’atteinte. L’article 9-1 du code civil, sur lequel se fonde les demandes de M. [R], dispose, en son premier alinéa, que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et précise, à l’alinéa 2, que le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ». Ce texte n’interdit pas de rendre compte d’affaires judiciaires en cours et même d’accorder un crédit particulier à la thèse de l’accusation, mais seulement si, de l’ensemble des propos, ne se dégage pas une affirmation manifeste de culpabilité. Ainsi pour être constituée, l’atteinte à la présomption d’innocence suppose la réunion de trois éléments qui sont : – l’existence d’une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation définitive, – l’imputation publique, à une personne précise, d’être coupable des faits faisant l’objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée, – la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l’objet d’une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d’éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d’éléments extrinsèques, tels qu’une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse. Par ailleurs, en application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe premier, toute personne a droit à la liberté d’expression, le texte prévoyant, en son paragraphe 2, que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d’innocence et le droit au procès équitable. Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne un article publié sur le site internet « Décideurs Magazine » le 1er juin 2023, évoquant la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public entre le Procureur de la République financier et les sociétés Bouygues bâtiment Sud-est et Linkcity Sud-Est. Suite à cet article, M. [C] [R] a assigné M. [E] [F], la société Leaders League et Mme [M] [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, demandant le retrait de l’article, l’abstention de toute nouvelle publication portant atteinte à sa présomption d’innocence, la diffusion d’un communiqué rectificatif, ainsi que des dommages et intérêts. Le juge des référés a débouté M. [C] [R] de ses demandes et l’a condamné à verser des frais de procédure. M. [C] [R] a fait appel de cette décision, arguant d’une atteinte à sa présomption d’innocence. Les parties ont exposé leurs arguments devant la cour, avec M. [C] [R] demandant le retrait de l’article, des rectifications, et des dommages et intérêts, tandis que les intimés demandent la confirmation de la décision du juge des référés. La décision de la cour est en attente.
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→ Les points essentielsOrdonnance de référé en cas d’urgenceIl est possible pour le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection d’ordonner en référé des mesures conservatoires ou de remise en état dans les cas d’urgence, même en présence d’une contestation sérieuse, pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Présomption d’innocence et liberté d’expressionL’article 9-1 du code civil protège le droit au respect de la présomption d’innocence, mais ne limite pas la liberté d’expression. Pour qu’une atteinte à la présomption d’innocence soit constituée, il faut réunir trois éléments : l’existence d’une procédure pénale en cours, l’imputation publique de culpabilité à une personne précise, et la connaissance de cette procédure par le public. Mise hors de cause du directeur de publicationLa responsabilité personnelle du directeur de publication pour atteinte à la présomption d’innocence nécessite une preuve de son intervention personnelle et active dans la publication incriminée. En l’absence de cette preuve, le directeur de publication ne peut être tenu responsable. Atteinte à la présomption d’innocenceDans le cas d’une publication mettant en cause la présomption d’innocence d’une personne, il est essentiel de vérifier si les éléments diffusés sont des conclusions définitives ou des affirmations péremptoires de culpabilité. La mise en balance entre le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression doit être effectuée en considération des intérêts en jeu. Décision confirmée en appelLa décision du premier juge de mettre hors de cause le directeur de publication est confirmée en appel. L’article incriminé ne contient pas d’atteinte à la présomption d’innocence, et aucune mesure n’est nécessaire pour faire cesser cette atteinte. Condamnation aux dépensEn appel, la partie appelante est condamnée aux dépens et doit verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile aux parties intimées. La décision du premier juge concernant les dépens et les frais irrépétibles est confirmée. Les montants alloués dans cette affaire: – M. [F] : mis hors de cause
– Mme [Y] et la société Leaders League : contestation de l’existence d’une procédure pénale en cours – M. [R] : demande de publication d’un communiqué et interdiction de republication maintenues – M. [R] : condamné aux dépens à hauteur de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à chacun des intimés |
→ Réglementation applicable– Article 6§2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
– Article 9-1 du Code civil – Article 835 du code de procédure civile – Article préliminaire du code de procédure pénale en son paragraphe III, premier alinéa – Article 700 du code de procédure civile – Article 699 du code de procédure civile – Article 455 du code de procédure civile Texte de l’article 6§2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme: Texte de l’article 9-1 du Code civil: Texte de l’article 835 du code de procédure civile: Texte de l’article préliminaire du code de procédure pénale en son paragraphe III, premier alinéa: Texte de l’article 700 du code de procédure civile: Texte de l’article 699 du code de procédure civile: Texte de l’article 455 du code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier:
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→ Mots clefs associés & définitions– Article
– Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) – Procureur de la République financier – Tribunal judiciaire de Paris – Juge des référés – Présomption d’innocence – Liberté de la défense – Responsabilité – Atteinte à la présomption d’innocence – Liberté fondamentale – Rédacteur en chef – Article litigieux – Diffusion d’informations – Liberté d’expression – Appel – Convention judiciaire d’intérêt public – Communiqué de presse – Préjudice – Processus judiciaire – Parquet financier – Conclusion – Ordonnance de clôture – Article: texte écrit dans un journal, un magazine ou un site web pour informer ou commenter un sujet spécifique
– Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP): accord entre une entreprise et le parquet pour régler une affaire de corruption sans procès – Procureur de la République financier: magistrat chargé des affaires financières et économiques – Tribunal judiciaire de Paris: juridiction compétente pour les affaires civiles et pénales à Paris – Juge des référés: magistrat compétent pour rendre des décisions provisoires en cas d’urgence – Présomption d’innocence: principe selon lequel toute personne est considérée comme innocente jusqu’à preuve du contraire – Liberté de la défense: droit pour toute personne accusée de se défendre et d’être assistée par un avocat – Responsabilité: obligation de répondre de ses actes et de leurs conséquences – Atteinte à la présomption d’innocence: action qui porte préjudice à la présomption d’innocence d’une personne – Liberté fondamentale: droit essentiel et protégé par la loi – Rédacteur en chef: responsable de la rédaction d’un média – Article litigieux: texte controversé pouvant donner lieu à un litige – Diffusion d’informations: transmission d’informations à un public plus large – Liberté d’expression: droit de s’exprimer librement sans censure – Appel: recours juridique permettant de contester une décision de justice – Communiqué de presse: texte officiel diffusé aux médias pour informer le public – Préjudice: dommage subi par une personne suite à une action illégale ou injuste – Processus judiciaire: ensemble des étapes d’une procédure judiciaire – Parquet financier: service du parquet chargé des affaires financières – Conclusion: fin d’un argument ou d’une démonstration – Ordonnance de clôture: décision du juge mettant fin à une procédure judiciaire |