Demander la fermeture du compte Instagram d’une société poursuivie pour contrefaçon de modèle de luxe et la suppression de publications Facebook, en anticipant une décision de justice expose à une condamnation.
Cette demande se fait aux risques et périls du demandeur. Toutefois, la victime doit établir la réalité de son préjudice pour être indemnisée. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire oppose la société Officine [K] AG et la société Cartier à la société TISM et à M. [G] [M] concernant la commercialisation de montres Augarde qui sont accusées de contrefaire les montres Radiomir de la Maison [K]. Les demandes portent sur la nullité de marques, des actes de parasitisme, des dommages et intérêts, ainsi que des frais de procédure. Le tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement en mars 2022, déclarant la nullité des marques de la société Officine [K] AG, rejetant les demandes de contrefaçon de marques, déboutant certaines parties de leurs demandes et condamnant d’autres parties à payer des dommages et intérêts. Les parties ont interjeté appel et présentent des demandes contradictoires.
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→ Les points essentielsSur les chefs du jugement non critiquésMalgré les termes de la déclaration d’appel, la cour constate que le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a : – dit dépourvue de caractère distinctif la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443, déposée le 6 juin 2017, dont la société de droit suisse Officine [K] AG est titulaire ; Le jugement sera confirmé de ces chefs pour les justes motifs qu’il comporte. Sur la demande avant dire-droit de communication de documents présentée par les sociétés Officine [K] AG et CartierIl n’y a pas lieu d’ordonner, avant dire droit, à la société TISM et à M. [M] de produire « tous les éléments en leur possession permettant de déterminer l’origine des montres Augarde litigieuses, et notamment ses éventuels fournisseurs, et toute autre personne intervenant dans la production, la fabrication, l’importation de ces produits, sous astreinte de mille (1.000) euros par jour de retard ainsi que la quantité de montres vendues par la société TISM (nom commercial Augarde) en France et à l’étranger depuis le 30 janvier 2020 directement aux consommateurs où à ses distributeurs », l’examen du bien-fondé de cette demande nécessitant, au préalable, que la cour statue sur l’existence des actes de parasitisme imputés à ces derniers. Sur la demande de mise hors de cause de M. [M]M. [M] constate que le tribunal a omis de statuer sur ce point et soutient que le seul dépôt d’un modèle n’est pas un acte de contrefaçon, de sorte qu’il doit être mis hors de cause, sa responsabilité ne pouvant être recherchée dans les faits en cause. Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent que M. [M] ne peut être mis hors de cause, puisqu’il est titulaire du dessin et modèle dont la nullité est soulevée. En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [M] est le titulaire du modèle n°20200427 déposé le 24 janvier 2020 dont il est demandé la nullité par les appelantes pour défaut de caractère propre, de sorte que sa demande de mise hors de cause doit être rejetée, le jugement ayant omis de statuer sur ce point étant complété de ce chef. Sur la recevabilité des demandes au titre du parasitisme formulée par la société Officine [K]M. [M] et la société TISM soutiennent que la société Officine [K] est irrecevable à formuler pour la première fois en appel des demandes nouvelles au titre du parasitisme. La société Officine [K] conteste cette fin de non-recevoir retenant que sa demande sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire n’est pas nouvelle en ce qu’elle tend aux mêmes fins que ses demandes formulées en première instance, soit faire interdire la commercialisation des montres Augarde litigieuses, et obtenir réparation du préjudice subi en conséquence. Elle ajoute qu’en tout état de cause cette demande constitue l’accessoire des demandes présentées en première instance et qu’elle a intérêt, en sa qualité de titulaire des marques sous lesquelles cette montre est commercialisée, à soutenir les demandes formulées par la société Cartier sur le fondement de la concurrence parasitaire. En vertu des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait », « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » et « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. » Il n’est pas contesté que, devant le tribunal, la société Officine [K] n’a formulé à l’encontre de la société TISM et de M. [M] que des demandes au titre de la contrefaçon de ses marques et, à l’encontre de M. [M] seul, une demande de dommages et intérêts résultant du dépôt du modèle 427. Aussi, la demande au titre des faits de parasitisme est une prétention nouvelle présentée pour la première en cause d’appel par la société Officine [K] et doit être déclarée irrecevable dès lors qu’elle ne tend pas aux mêmes fins que la demande présentée au titre des faits de contrefaçon, visant à sanctionner l’atteinte à un droit privatif, l’action en concurrence déloyale ou parasitaire reposant sur l’existence d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil et n’en constituant ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire. Sur le parasitismeLes sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent avoir été victimes de concurrence parasitaire commise par la société TISM et M. [M]. A cet égard, elles retiennent que la montre Radiomir constitue une valeur économique individualisée, qui leur est attribuable en raison de sa notoriété et de son prestige et des investissements qu’elles ont consentis chacune, en France et dans le monde, pour développer, accroître et maintenir son attractivité (organisation d’évènements, réédition de modèles ou éditions limitée, collections spéciales, déclinaison en plusieurs couleurs). Elles soulignent ainsi que cette montre est toujours rattachée à la société [K] par les amateurs et connaisseurs de montres de luxe, les experts et la presse spécialisée, qui soulignent son exceptionnelle notoriété. Elles considèrent que l’existence d’autres montres reprenant certaines caractéristiques de la montre Radiomir ne peut en aucun cas amoindrir cette valeur économique, aucune ne reprenant la combinaison de son boitier et de son cadran iconiques, ni davantage le fait que le public français ait une moindre connaissance de cette montre, car leur clientèle ne se confond pas avec le consommateur moyen, s’agissant du secteur de la haute horlogerie de luxe rassemblant une clientèle très spécifique composée des catégories socio-professionnelles les plus favorisées dans le monde et en France. Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent également que la société Augarde a indûment capté la valeur économique individualisée attachée à la montre Radiomir afin de développer, promouvoir et commercialiser la montre Augarde, qui en constitue, selon elles, une copie quasi-servile, et que cette captation délibérée est fautive et se caractérise tant au niveau de la collection de montres Radiomir que de leurs campagnes promotionnelles, estimant en conséquence que les intimés se sont rendus coupables de parasitisme. S’agissant de leur préjudice, les sociétés appelantes retiennent qu’en commercialisant et en faisant la promotion de la montre Augarde, la société TISM a capté leurs efforts et investissements, agissements ayant pour conséquence également de banaliser leur montre iconique et nuisant à son attractivité, s’agissant d’une montre de qualité moindre vendue à bas coût. Elles réclament en conséquence l’indemnisation du préjudice subi en prenant en compte le bénéfice indu réalisé par la société TISM du fait de la commercialisation de la montre Augarde sur le territoire français, puis le gain manqué pour la société Cartier qui commercialise cette montre en France, outre la dévalorisation et la banalisation de la montre Radiomir et des investissements consentis pour la promouvoir et, enfin, un préjudice moral et d’image. M. [M] et la société TISM contestent avoir commis les actes de concurrence parasitaire qui leur sont imputés. Ils estiment d’abord qu’il n’est nullement justifié de la notoriété en France de la montre Radiomir, malgré les efforts déployés par leur adversaire pour tenter de la faire connaître. Ils soulignent ne jamais avoir cherché à s’approprier ou même faire référence à l’histoire de [K], rappelant les conditions de la création de ce modèle de montre dans les années 30 en Italie pour l’armée. Puis, ils constatent que les éléments revendiqués au titre de la montre Radiomir sont banals et appartiennent au fonds commun de l’horlogerie que les appelantes ne peuvent s’approprier, outre que les deux montres présentent des différences notables notamment au regard de la taille et des nombreuses couleurs dans lesquelles ils proposent leurs propres modèles, de sorte qu’aucun risque de confusion ne peut exister, et ce d’autant qu’ils apposent leur marque sur chaque modèle, produisant un sondage pour conforter leur position. Ils contestent enfin s’être accaparé le moindre investissement des sociétés appelantes, arguant avoir engagé des frais pour la conception et le lancement de leur produit, en créant leurs propres concept et univers. Ils estiment que le préjudice allégué n’est nullement démontré, s’agissant notamment des investissements prétendument réalisés et retiennent qu’il n’est nullement établi qu’un amateur de montre de luxe, client de la société [K], serait susceptible de se détourner vers une montre Augarde. Sur ce, la cour rappelle que le parasitisme, fondé sur l’article 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, consiste, pour un opérateur économique, à se placer intentionnellement dans le sillage d’un autre en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion. Il requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements. La notion de parasitisme doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou plus l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, en l’absence de faute résultant d’une captation parasitaire, notamment d’investissements, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce. La charge de la preuve incombe au cas présent à la société Cartier, seule recevable à agir sur le terrain du parasitisme, comme il a été vu. Sur ce, il résulte des nombreuses pièces versées que la montre [K] a acquis une notoriété certaine chez les amateurs et connaisseurs de montres de luxe, les experts en haute horlogerie et la presse spécialisée, étant qualifiée de montre « iconique, mythique ou emblématique » de la marque [K], caractérisée par la combinaison d’un boitier en forme de coussin, associé à un cadran noir frappé de grands chiffres arabes à la forme arrondie à 3, 6, 9 et 12 heures, sur un fond très épuré, comportant des index allongés aux huit autres points, identifiable selon les experts au premier coup d »il. Ainsi, selon l’un d’eux, « plus de 80 ans après sa création, le style dépouillé particulièrement fonctionnel associé à la lisibilité du cadran ainsi qu’à la forme particulière de sa boîte et sa robustesse en font une icône intemporelle de l’horlogerie ». La notoriété de cette montre est caractérisée également par l’existence d’une communauté spontanée d’amateurs dénommée « PANERISTI » communiquant via un site internet depuis l’année 2000, communauté active dans le monde et en France. Par ailleurs, la notoriété de cette montre ressort également de sa présence sur des sites dédiés aux montres de luxe. Cette notoriété est également associée à un savoir-faire ancien en matière d’horlogerie de luxe et est entretenue par des campagnes publicitaires dans le monde entier mais aussi en France dans certains journaux ou magazines (notamment le Figaro, le Point, l’Express, les Echos), des opérations promotionnelles ou la mise en vente de collections spéciales en exemplaires limités. Il est ainsi justifié, sur la période 2013-2022, de plus de 57 millions d’euros consentis pour la promotion et la publicité des montres de la collection Radiomir de [K] dans le monde entier par la société [K], la société Cartier en charge de la distribution des montres auprès du réseau de magasins notamment, justifiant avoir engagé des investissements promotionnels et publicitaires en France à hauteur de 480.000€. Il convient en conséquence de considérer que la montre Radiomir constitue une valeur économique individualisée, fruit d’un savoir-faire et d’investissements. Cependant, s’il doit être relevé l’existence de similitudes dans l’aspect général des deux modèles en cause tenant notamment à la combinaison du boitier en forme de « coussin » associé au cadran frappé de grands chiffres arabes, ces caractéristiques ne font cependant pas l’objet de droits privatifs, étant au demeurant considérées par certains amateurs de montres comme faisant désormais partie du fonds commun de l’horlogerie, d’autres modèles à l’apparence proche ayant été commercialisés. En outre, si la montre [K] est présentée comme un produit de luxe, souvent commercialisée en édition limitée, destinée essentiellement à un public masculin et sportif de par son aspect « massif », la montre Augarde de la société TISM se présente comme une montre de fantaisie, commercialisée en de très nombreux coloris s’agissant tant du bracelet que du cadran, de dimensions et d’épaisseur moindres (12 mm minimum pour la montre [K] contre 8,8 mm pour la montre Augarde), d’un poids beaucoup plus léger (soit en moyenne plus de 140 grammes pour la montre [K] contre moins de 40 grammes pour la montre Augarde), les dos des boitiers étant totalement dissemblables, celui de la montre [K] étant constitué d’une partie centrale vitrée laissant apparaître le mouvement mécanique dans la tradition horlogère, le nom de la société [K] figurant sur le cerclage métallique sertissant la partie vitrée gravée, alors que le dos de la montre Augarde est constitué d’un boitier métallique clipsé avec son nom et son logo, les marques des deux sociétés étant, au demeurant, mentionnées chacune Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicableArticles des Codes cités
– Article 455 du Code de procédure civile – Article 480 alinéa premier du Code de procédure civile – Article 1355 du Code civil – Article 544 du Code de procédure civile – Article 32 du Code de procédure civile – Article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle – Article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle Jurisprudence citée – Cass. Civ 2, 21 mars 2013, n° 11-21495 – Cass. Civ. 2, 3 juillet 2008 n° 0716.398 – Cass. Com. 17 février 2015 n°13-27749 – Cass.1re civ., 15 mai 2015, n° 14-11.685 |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
– Me Jean-Baptiste BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0111 – Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111 – Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047 – Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147 – Me Pierre-Olivier SUR de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147 – Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148 – Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141 |
→ Mots clefs associés & définitions– motifs de la décision
– article 455 du code de procédure civile – Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle – contrefaçon de marques – demande de communication de documents – demande de mise hors de cause de M. [M] – demande au titre du parasitisme – concurrence parasitaire – montre Radiomir – montre Augarde – préjudice subi – fermeture du compte Instagram – suppression de publications Facebook – dommages et intérêts – dépens d’appel – article 700 du code de procédure civile – Motifs de la décision: Raisons ou arguments qui ont conduit à la prise d’une décision judiciaire.
– Article 455 du code de procédure civile: Article de la législation française qui concerne les modalités de motivation des décisions de justice. – Marque figurative de l’Union européenne « [K] » n°017902899: Marque enregistrée au niveau de l’Union européenne avec un élément graphique. – Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle: Organisme chargé de la gestion des marques et des dessins et modèles au niveau de l’Union européenne. – Contrefaçon de marques: Utilisation non autorisée d’une marque enregistrée par une autre personne. – Demande de communication de documents: Requête visant à obtenir la communication de certains documents dans le cadre d’une procédure judiciaire. – Demande de mise hors de cause de M. [M]: Requête visant à exclure la responsabilité d’une personne nommée dans une affaire judiciaire. – Demande au titre du parasitisme: Requête visant à obtenir réparation pour des actes de concurrence déloyale. – Concurrence parasitaire: Pratique commerciale déloyale consistant à profiter indûment de la notoriété d’une autre entreprise. – Montre Radiomir: Modèle de montre d’une marque spécifique. – Montre Augarde: Modèle de montre d’une autre marque spécifique. – Préjudice subi: Dommages ou pertes subis par une personne du fait d’une action ou d’une décision. – Fermeture du compte Instagram: Action de clôture d’un compte sur le réseau social Instagram. – Suppression de publications Facebook: Action de retirer des publications sur le réseau social Facebook. – Dommages et intérêts: Somme d’argent versée à une personne en réparation d’un préjudice subi. – Dépens d’appel: Frais engagés lors d’une procédure d’appel. – Article 700 du code de procédure civile: Article de la législation française concernant l’octroi de frais de justice à la partie gagnante d’un procès. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n° 22/06786
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 05 JUIN 2024
(n° 073/2024, 17 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/06786 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFSUX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mars 2022 -Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre – 2ème chambre – RG n° 20/03727
APPELANTES
Société OFFICINE [K] AG
Société anonyme de droit suisse
Immatriculée auprès du registre du commerce de Zoug sous le numéro fédéral CH 17030341701 (n° IDE CHE-115.371.813),
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 7]
[Localité 6]
SUISSE
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Vincent FAUCHOUX de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221
SOCIETE CARTIER
Société par actions simplifiée au capital de 25 334 196 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de sous le numéro 775 .658.859
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
INTIMES
Monsieur [G] [M]
Né le 07 Janvier 1987 à [Localité 8]
De nationalité française
Chef d’entreprise
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Assisté de Me Maryne GUYOT et Me Alexandra MIRABELLI substituant Me Marie-Hélène FABIANI de G SMART AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : R241
S.A.S. TISM
Exerçant sous le nom commercial AUGARDE
Société au capital social de 10 000,00 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 839 405 230,
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Assistée de Me Maryne GUYOT et Me Alexandra MIRABELLI substituant Me Marie-Hélène FABIANI de G SMART AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : R241
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 février 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre et Mme Déborah BOHÉE, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La société de droit suisse Officine [K] AG se présente comme titulaire des droits de propriété intellectuelle de la Maison Panerai, entreprise horlogère italienne fondée en 1860 par [B] [K], rendue célèbre par la montre Radiomir commercialisée pour la première fois en 1938.
La société Officine [K] AG est titulaire de la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443 (ci-après « 443 ») déposée le 6 juin 2017 et de la marque ‘gurative de 1’Union européenne « [K] » n°017902899 (ci-après « 899 ») déposée le 18 mai 2018, enregistrée le 19 octobre 2018, pour désigner des produits en classe 14, notamment des montres, dont les représentations sont les suivantes :
marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°443 :
marque ‘gurative de 1’Union européenne « [K] » n°899 :
La société Cartier se présente comme chargée de la distribution des montres en France auprès du réseau de magasins [K] et de leur commercialisation sur le site internet « www.[K].com ».
La société TISM, ayant pour nom commercial Augarde, est une société horlogère française créée en 2018 par M. [G] [M] qui en est le président.
Elle explique créer, fabriquer et commercialiser des modèles de montres sous la marque Augarde, et avoir lancé en janvier 2020 la commercialisation d’un modèle de montre personnalisable en fonction de plusieurs couleurs du cadran et des bracelets, la collection Augarde se déclinant ainsi en 63 modèles.
M. [G] [M] est titulaire du modèle français n°20200427 (ci-après « 427 »), déposé le 24 janvier 2020, représentant une montre vue de face et vue de profil, comme suit :
Modèle français n°427
Reprochant à la société TISM la commercialisation de la montre Augarde et de ses déclinaisons qui, selon elles, reprennent les caractéristiques des montres Radiomir et constituent une contrefaçon par imitation des marques française et de l’Union-européenne susvisées ainsi que des actes de parasitisme, les sociétés Officine [K] AG et Cartier ont fait procéder à deux constats d’huissier sur internet et un constat d’achat sur internet dont les procès-verbaux ont été dressés les 12 février et 16 avril 2020 par Maître [L] [V], huissier de justice à [Localité 9].
C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 30 avril 2020, les sociétés Officine [K] AG et Cartier ont fait assigner la société TISM devant le tribunal judiciaire de Paris.
Reprochant également à M. [G] [M] le dépôt du modèle français n°427 qu’elles estiment frauduleux, la société Officine [K] AG et la société Cartier l’ont fait assigner en intervention forcée devant la même juridiction par acte d’huissier du 30 juillet 2020, les deux instances étant jointes le 24 septembre 2020.
Par ordonnance sur incident du 4 décembre 2020, le juge de la mise en état a notamment :
– Déclaré recevables les demandes formées par la SAS Cartier ;
– Débouté la SAS Cartier et la société Officine [K] AG de leurs demandes d’interdiction provisoire visant la commercialisation et la promotion des montres Augarde litigieuses.
Par jugement rendu le 18 mars 2022 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a:
– dit dépourvue de caractère distinctif la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443, déposée le 6 juin 2017, dont la société de droit suisse Officine [K] AG est titulaire ;
– prononcé en conséquence la nullité de la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443, déposée le 6 juin 2017 ;
– dit dépourvue de caractère distinctif la marque ‘gurative de l’Union européenne « [K] » n°017902899, déposée le 18 mai 2018, enregistrée le 19 octobre 2018, dont la société de droit suisse Officine [K] AG est titulaire ;
– prononcé en conséquence la nullité de la marque ‘gurative de l’Union européenne « [K] » n°0l7902899, enregistrée le 19 octobre 2018 ;
– dit que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle aux fins d’inscription au registre des marques de 1’Unon européenne à l’initiative de la partie la plus diligente ;
– rejeté en conséquence les demandes formées au titre de la contrefaçon de marques par la société de droit suisse Officine [K] AG;
– déclaré la SAS TISM et M. [G] [M] irrecevables en leur demande tendant à voir déclarer la SAS Cartier irrecevable en ses demandes formées au titre du parasitisme ;
– débouté la SAS Cartier de ses demandes formées au titre du parasitisme ;
– débouté la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier de leur demande en nullité du modèle français n°20200427;
– condamné in solidum la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier à payer à la SAS TISM la somme dc 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la fermeture de son compte Instagram « @augarde-watches » et de la suppression de ses publications Facebook;
– débouté M. [G] [M] de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;
– condamné in solidum la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier à payer à la SAS TISM et Monsieur [G] [M] ensemble la somme de 10.000 euros au titre de l’artic1e 700 du code de procédure civile ;
– débouté la SAS TISM et Monsieur [G] [M] de leur demande relative aux frais exposés pour l’achat d’une montre [K] et la réalisation des études Vivavoice formée au titre des dépens ;
– condamné in solidum la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier aux dépens ;
– rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
La société Officine [K] et la société Cartier ont interjeté appel de ce jugement le 1er avril 2022.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 3, transmises le 15 janvier 2024, la société Officine [K] et la société Cartier, appelantes, demandent à la cour de :
Vu les articles 1240 du Code civil,
Vu l’article L511-1, L.511-2, L.511-3 et L511-4 du Code de la Propriété Intellectuelle
Avant dire droit :
– ordonner la production par la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] de tous les éléments en sa possession permettant de déterminer l’origine des montres Augarde litigieuses, et notamment ses éventuels fournisseurs, et toute autre personne intervenant dans la production, la fabrication, l’importation de ces produits, sous astreinte de mille (1.000) euros par jour de retard ainsi que la quantité de montres vendues par la société TISM (nom commercial Augarde) en France et à l’étranger depuis le 30 janvier 2020 directement aux consommateurs où à ses distributeurs ;
En tout état de cause :
– infirmer le Jugement en ce qu’il a débouté la société Cartier en ses demandes formées au titre du parasitisme ;
– infirmer le Jugement en ce qu’il a débouté la société de droit suisse Officine [K] AG et la société Cartier de leur demande en nullité du modèle français n°20200427 ;
– infirmer le Jugement en ce qu’il condamne in solidum la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier à payer à la SAS TISM et Monsieur [G] [M] ensemble la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– infirmer le Jugement en ce qu’il condamne in solidum la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier à payer à la SAS TISM la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la fermeture de son compte Instagram « @augarde-watches » et de la suppression de ses publications Facebook.
Et statuant à nouveau,
– dire et juger que la Montre Radiomir constituée de la combinaison inédite du Boitier et du Cadran Iconique constitue une valeur économique individualisée attribuable à la société de droit suisse Officine [K] AG et à la société Cartier qui en assure la commercialisation en France au titre de sa notoriété ;
– dire et juger que la Montre Radiomir constituée de la combinaison inédite du Boitier et du Cadran Iconique constitue une valeur économique individualisée attribuable à la société de droit suisse Officine [K] AG et à la société Cartier au titre de leurs investissements consentis pour en assurer l’attractivité économique ;
– dire et juger que la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] ont commis des actes de parasitisme en commercialisant et promouvant un modèle de montre de fantaisie s’inscrivant dans le sillage de la Montre Radiomir au préjudice de la société Officine [K] AG et de la société Cartier ; 92
– dire et juger que Monsieur [G] [M] a qualité pour défendre la demande de nullité du modèle français n°20200427 en sa qualité de déposant dudit modèle
– déclarer que le modèle français n°20200427, enregistré auprès de l’INPI en catégorie 1002, le 24 janvier 2020, et publié le 1er mai 2020 est nul pour défaut de caractère propre ;
En conséquence :
– débouter la société TISM (nom commercial Augarde) de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– débouter Monsieur [G] [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– ordonner la nullité du modèle français n°20200427, déposé auprès de l’INPI en catégorie 1002, le 24 janvier 2020, publié le 1er mai 2020 ;
– ordonner in solidum à la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] de cesser toute commercialisation et toute promotion la Montre Augarde Litigieuse en toutes ses déclinaisons, en ce compris les modèles ODEON C211B1101-8, AUTEUIL C201B2101 GALLION C211B1102-4, GALLION C211B1102-3, GALLION C211B1102-44, GALLION C211B1102-42, GALLION C211B1102-2, PASSY C201B2102, PASSY C211B2102-6, PASSY C211B2102-5, PASSY C211B2102-45, ODEON, C211B1101-12, ODEON C211B1101-11, ODEON C211B1101-10, AUTEUIL C211B2101-15, AUTEUIL C211B2101-16, BASTILLE C211B1111-20, BASTILLE C211B1111-19, BASTILLE C211B1111-18, CHAILLOT C211B2111-23, CHAILLOT C211B2111-22, CHAILLOT C211B2111-21, BELLEVILLE C201B1207, BELLEVILLE C211B1209-36, BELLEVILLE C201B1205, BELLEVILLE C211B1205- 52, BELLEVILLE C201B1203, BELLEVILLE C211B1203-26, BELLEVILLE C201B1204, BELLEVILLE C201B1210, BELLEVILLE C201B2313-1, BELLEVILLE C211B1210-29, BELLEVILLE C211B1207-33, BELLEVILLE C211B1208-31, BELLEVILLE C211B1206-40, BELLEVILLE C211B1208-61, BELLEVILLE C211B1203-46, BELLEVILLE C211B1209-34, MONTMARTRE C201B2207, MONTMARTRE C201B2206, MONTMARTRE C201B2205, MONTMARTRE C201B2204, MONTMARTRE C211B2203-49, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2210-50, MONTMARTRE C201B2208, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2204-51, MONTMARTRE C211B2209-38, MONTMARTRE C211B2210-50, MONCEAU C211B3301-2, MONCEAU C211B3303-2, MONCEAU C211B3309-2, MONCEAU C211B3302-2, MONCEAU C211B3311-2, MONCEAU C211B3312-2, MONCEAU C211B3306-2, MONCEAU C211B3308-2, TUILERIES C211B1313-1, TUILERIES C201B1313-2, BAGATELLE C211B1203-47, BAGATELLE C211B2313-24, BAGATELLE C211B2313-2 et tous les modèles qui auraient être créés à l’aide du configurateur de montre sur le site internet https://www.augarde.com/ ainsi que toute autre déclinaison du modèle unique qui reprendrait ou évoquerait la combinaison du Boitier et du Cadran Iconique de la Montre Radiomir de [K], sur quelque support et sous quelque forme que ce soit, et notamment sur le site internet « www.augarde.com », via des revendeurs, et sur les réseaux sociaux de la société, sous astreinte de mille (1.000) euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
– ordonner in solidum à la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] d’obtenir le retour ou le cas échéant le retrait du marché, à leurs frais exclusifs, de tous les exemplaires de la Montre Augarde Litigieuse en toutes ses déclinaisons, en ce compris les modèles ODEON C211B1101-8, AUTEUIL C201B2101 GALLION C211B1102-4, GALLION C211B1102-3, GALLION C211B1102-44, GALLION C211B1102-42, GALLION C211B1102-2, PASSY C201B2102, PASSY C211B2102-6, PASSY C211B2102-5, PASSY C211B2102-45, ODEON, C211B1101-12, ODEON C211B1101-11, ODEON C211B1101-10, AUTEUIL C211B2101-15, AUTEUIL C211B2101-16, BASTILLE C211B1111-20, BASTILLE C211B1111-19, BASTILLE C211B1111-18, CHAILLOT C211B2111-23, CHAILLOT C211B2111-22, CHAILLOT C211B2111-21, BELLEVILLE C201B1207, BELLEVILLE C211B1209-36, BELLEVILLE C201B1205, BELLEVILLE C211B1205- 52, BELLEVILLE C201B1203, BELLEVILLE C211B1203-26, BELLEVILLE C201B1204, BELLEVILLE C201B1210, BELLEVILLE C201B2313-1, BELLEVILLE C211B1210-29, BELLEVILLE C211B1207-33, BELLEVILLE C211B1208-31, BELLEVILLE C211B1206-40, BELLEVILLE C211B1208-61, BELLEVILLE C211B1203-46, BELLEVILLE C211B1209-34, MONTMARTRE C201B2207, MONTMARTRE C201B2206, MONTMARTRE C201B2205, MONTMARTRE C201B2204, MONTMARTRE C211B2203-49, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2210-50, MONTMARTRE C201B2208, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2204-51, MONTMARTRE C211B2209-38, MONTMARTRE C211B2210-50, MONCEAU C211B3301-2, MONCEAU C211B3303-2, MONCEAU C211B3309-2, MONCEAU C211B3302-2, MONCEAU C211B3311-2, MONCEAU C211B3312-2, MONCEAU C211B3306-2, MONCEAU C211B3308-2, TUILERIES C211B1313-1, TUILERIES C201B1313-2, BAGATELLE C211B1203-47, BAGATELLE C211B2313-24, BAGATELLE C211B2313-2 et tous les modèles qui auraient être créés à l’aide du configurateur de montre sur le site internet https://www.augarde.com/ ainsi que toute autre déclinaison du modèle unique qui reprendrait ou évoquerait la combinaison du Boitier et du Cadran Iconique de la Montre Radiomir de [K] actuellement en stock et/ou proposées à la vente, et de tous éléments et visuels (supports publi-promotionnels, pages Internet, collaborations, publications sur les réseaux sociaux etc.) caractérisant les agissements jugés parasitaires, sous astreinte de mille (1.000) euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir ;
– ordonner in solidum à la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] de procéder à leurs frais, dans un délai de dix (10) jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous contrôle d’huissier qui sera choisi par la société Officine [K] AG et la société Cartier, à la destruction la Montre Augarde Litigieuse en toutes ses déclinaisons, en ce compris les modèles ODEON C211B1101-8, AUTEUIL C201B2101 GALLION C211B1102-4, GALLION C211B1102-3, GALLION C211B1102-44, GALLION C211B1102-42, GALLION C211B1102-2, PASSY C201B2102, PASSY C211B2102-6, PASSY C211B2102-5, PASSY C211B2102-45, ODEON, C211B1101-12, ODEON C211B1101-11, ODEON C211B1101-10, AUTEUIL C211B2101-15, AUTEUIL C211B2101-16, BASTILLE C211B1111-20, BASTILLE C211B1111-19, BASTILLE C211B1111-18, CHAILLOT C211B2111-23, CHAILLOT C211B2111-22, CHAILLOT C211B2111-21, BELLEVILLE C201B1207, BELLEVILLE C211B1209-36, BELLEVILLE C201B1205, BELLEVILLE C211B1205- 52, BELLEVILLE C201B1203, BELLEVILLE C211B1203-26, BELLEVILLE C201B1204, BELLEVILLE C201B1210, BELLEVILLE C201B2313-1, BELLEVILLE C211B1210-29, BELLEVILLE C211B1207-33, BELLEVILLE C211B1208-31, BELLEVILLE C211B1206-40, BELLEVILLE C211B1208-61, BELLEVILLE C211B1203-46, BELLEVILLE C211B1209-34, MONTMARTRE C201B2207, MONTMARTRE C201B2206, MONTMARTRE C201B2205, MONTMARTRE C201B2204, MONTMARTRE C211B2203-49, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2210-50, MONTMARTRE C201B2208, MONTMARTRE C211B2203-48, MONTMARTRE C211B2204-51, MONTMARTRE C211B2209-38, MONTMARTRE C211B2210-50, MONCEAU C211B3301-2, MONCEAU C211B3303-2, MONCEAU C211B3309-2, MONCEAU C211B3302-2, MONCEAU C211B3311-2, MONCEAU C211B3312-2, MONCEAU C211B3306-2, MONCEAU C211B3308-2, TUILERIES C211B1313-1, TUILERIES C201B1313-2, BAGATELLE C211B1203-47, BAGATELLE C211B2313-24, BAGATELLE C211B2313-2 et tous les modèles qui auraient être créés à l’aide du configurateur de montre sur le site internet https://www.augarde.com/ ainsi que toute autre déclinaison du modèle unique qui reprendrait ou évoquerait la combinaison du Boitier et du Cadran Iconique de la Montre Radiomir de [K], et de tout élément promotionnel caractérisant les agissements jugés parasitaires, sous astreinte de mille (1.000) euros par jour de retard ;
– condamner in solidum la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] à payer à la société Cartier en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme la somme de 1.411.000 euros ;
– condamner in solidum la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] à payer à la société de droit suisse Officine [K] AG en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme la somme de 100.000 euros ;
– ordonner la publication de la décision à intervenir par extraits ou résumé :
dans trois (3) journaux ou magazines de diffusion nationale, au choix des sociétés Officine [K] AG et Cartier, aux frais avancés de la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M], dans la limite de 7.000 euros Hors Taxes par publication ;
sur la page d’accueil du site « augarde.com » placé sous le titre « CONDAMNATION JUDICIAIRE », en dehors de toute publicité, et rédigé en caractère gras de police 12, le titre étant de police 14, pendant un délai de trente (30) jours suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de mille (1000) euros par jour de retard,
Selon la forme suivante : « Par décision du XXX la Cour d’Appel de Paris a jugé que les montres Augarde proposées à la vente par la société TISM (nom commercial Augarde) caractérisaient des faits de concurrence parasitaire au détriment de la Société Cartier et Officine [K] AG »
– condamner in solidum la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] à verser à la société Officine [K] AG une somme de vingt mille (20.000) euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner in solidum la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] à verser à la société Cartier une somme de vingt mille (20.000) euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner in solidum la société TISM (nom commercial Augarde) et Monsieur [G] [M] aux entiers dépens en ce compris les frais relatifs aux saisies, dont distraction au profit de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
Dans leurs dernières conclusions numérotées 4, transmises le 29 janvier 2024, M. [M] et la société TISM, intimés et appelants incidents, demandent à la cour de :
Vu le jugement en date du 18 mars 2022, partiellement entré en force de chose jugée
Vu l’article 1240 du Code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
– réparer l’omission de statuer sur la demande de mise hors de cause de Monsieur [M] ;
– mettre hors de cause Monsieur [G] [M] ;
– dire la société Officine [K] AG est irrecevable en ses demandes nouvelles fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
– débouter les sociétés Officine [K] AG et Cartier de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
– confirmer le jugement en date du 18 mars 2022, sauf en ce qu’il a alloué la somme de 5 000 Euros à la société TISM à titre de dommage et intérêts ;
– infirmer le jugement du 18 mars 2022 en ce qu’il prononcé la somme de 5 000 Euros à titre de dommages et intérêts à la société TISM ;
Statuant à nouveau :
– condamner solidairement les sociétés Officine [K] AG et Cartier à verser à la société TISM la somme de 25 000 Euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner solidairement les sociétés Officine [K] AG et Cartier à verser à la société TISM la somme de 30 000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
– condamner solidairement les sociétés Officine [K] AG et Cartier à verser à Monsieur [M] la somme de 30 000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner solidairement les sociétés Officine [K] AG et Société Cartier aux entiers dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs du jugement non critiqués
Malgré les termes de la déclaration d’appel, la cour constate que le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a :
– dit dépourvue de caractère distinctif la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443, déposée le 6 juin 2017, dont la société de droit suisse Officine [K] AG est titulaire ;
– prononcé en conséquence la nullité de la marque semi-‘gurative française « [K] 12 3 6 9 » n°4366443, déposée le 6 juin 2017 ;
– dit dépourvue de caractère distinctif la marque ‘gurative de l’Union européenne « [K] » n°017902899, déposée le 18 mai 2018, enregistrée le 19 octobre 2018, dont la société de droit suisse Officine [K] AG est titulaire ;
– prononcé en conséquence la nullité de la marque ‘gurative de l’Union européenne « [K] » n°0l7902899, enregistrée le 19 octobre 2018 ;
– dit que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle aux fins d’inscription au registre des marques de 1’Uinon européenne à l’initiative de la partie la plus diligente ;
– rejeté en conséquence les demandes formées au titre de la contrefaçon de marques par la société de droit suisse Officine [K] AG;
– déclaré la SAS TISM et M. [G] [M] irrecevables en leur demande tendant à voir déclarer la SAS Cartier irrecevable en ses demandes formées au titre du parasitisme.
Le jugement sera confirmé de ces chefs pour les justes motifs qu’il comporte.
Sur la demande avant dire-droit de communication de documents présentée par les sociétés Officine [K] AG et Cartier
Il n’y a pas lieu d’ordonner, avant dire droit, à la société TISM et à M. [M] de produire « tous les éléments en leur possession permettant de déterminer l’origine des montres Augarde litigieuses, et notamment ses éventuels fournisseurs, et toute autre personne intervenant dans la production, la fabrication, l’importation de ces produits, sous astreinte de mille (1.000) euros par jour de retard ainsi que la quantité de montres vendues par la société TISM (nom commercial Augarde) en France et à l’étranger depuis le 30 janvier 2020 directement aux consommateurs où à ses distributeurs », l’examen du bien-fondé de cette demande nécessitant, au préalable, que la cour statue sur l’existence des actes de parasitisme imputés à ces derniers.
Sur la demande de mise hors de cause de M. [M]
M. [M] constate que le tribunal a omis de statuer sur ce point et soutient que le seul dépôt d’un modèle n’est pas un acte de contrefaçon, de sorte qu’il doit être mis hors de cause, sa responsabilité ne pouvant être recherchée dans les faits en cause.
Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent que M. [M] ne peut être mis hors de cause, puisqu’il est titulaire du dessin et modèle dont la nullité est soulevée.
En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [M] est le titulaire du modèle n°20200427 déposé le 24 janvier 2020 dont il est demandé la nullité par les appelantes pour défaut de caractère propre, de sorte que sa demande de mise hors de cause doit être rejetée, le jugement ayant omis de statuer sur ce point étant complété de ce chef.
Sur la recevabilité des demandes au titre du parasitisme formulée par la société Officine [K]
M. [M] et la société TISM soutiennent que la société Officine [K] est irrecevable à formuler pour la première fois en appel des demandes nouvelles au titre du parasitisme.
La société Officine [K] conteste cette fin de non-recevoir retenant que sa demande sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire n’est pas nouvelle en ce qu’elle tend aux mêmes fins que ses demandes formulées en première instance, soit faire interdire la commercialisation des montres Augarde litigieuses, et obtenir réparation du préjudice subi en conséquence. Elle ajoute qu’en tout état de cause cette demande constitue l’accessoire des demandes présentées en première instance et qu’elle a intérêt, en sa qualité de titulaire des marques sous lesquelles cette montre est commercialisée, à soutenir les demandes formulées par la société Cartier sur le fondement de la concurrence parasitaire.
En vertu des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait », « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » et « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »
Il n’est pas contesté que, devant le tribunal, la société Officine [K] n’a formulé à l’encontre de la société TISM et de M. [M] que des demandes au titre de la contrefaçon de ses marques et, à l’encontre de M. [M] seul, une demande de dommages et intérêts résultant du dépôt du modèle 427.
Aussi, la demande au titre des faits de parasitisme est une prétention nouvelle présentée pour la première en cause d’appel par la société Officine [K] et doit être déclarée irrecevable dès lors qu’elle ne tend pas aux mêmes fins que la demande présentée au titre des faits de contrefaçon, visant à sanctionner l’atteinte à un droit privatif, l’action en concurrence déloyale ou parasitaire reposant sur l’existence d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil et n’en constituant ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire.
Sur le parasitisme
Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent avoir été victimes de concurrence parasitaire commise par la société TISM et M. [M]. A cet égard, elles retiennent que la montre Radiomir constitue une valeur économique individualisée, qui leur est attribuable en raison de sa notoriété et de son prestige et des investissements qu’elles ont consentis chacune, en France et dans le monde, pour développer, accroître et maintenir son attractivité (organisation d’évènements, réédition de modèles ou éditions limitée, collections spéciales, déclinaison en plusieurs couleurs). Elles soulignent ainsi que cette montre est toujours rattachée à la société [K] par les amateurs et connaisseurs de montres de luxe, les experts et la presse spécialisée, qui soulignent son exceptionnelle notoriété. Elles considèrent que l’existence d’autres montres reprenant certaines caractéristiques de la montre Radiomir ne peut en aucun cas amoindrir cette valeur économique, aucune ne reprenant la combinaison de son boitier et de son cadran iconiques, ni davantage le fait que le public français ait une moindre connaissance de cette montre, car leur clientèle ne se confond pas avec le consommateur moyen, s’agissant du secteur de la haute horlogerie de luxe rassemblant une clientèle très spécifique composée des catégories socio-professionnelles les plus favorisées dans le monde et en France.
Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent également que la société Augarde a indûment capté la valeur économique individualisée attachée à la montre Radiomir afin de développer, promouvoir et commercialiser la montre Augarde, qui en constitue, selon elles, une copie quasi-servile, et que cette captation délibérée est fautive et se caractérise tant au niveau de la collection de montres Radiomir que de leurs campagnes promotionnelles, estimant en conséquence que les intimés se sont rendus coupables de parasitisme.
S’agissant de leur préjudice, les sociétés appelantes retiennent qu’en commercialisant et en faisant la promotion de la montre Augarde, la société TISM a capté leurs efforts et investissements, agissements ayant pour conséquence également de banaliser leur montre iconique et nuisant à son attractivité, s’agissant d’une montre de qualité moindre vendue à bas coût. Elles réclament en conséquence l’indemnisation du préjudice subi en prenant en compte le bénéfice indu réalisé par la société TISM du fait de la commercialisation de la montre Augarde sur le territoire français, puis le gain manqué pour la société Cartier qui commercialise cette montre en France, outre la dévalorisation et la banalisation de la montre Radiomir et des investissements consentis pour la promouvoir et, enfin, un préjudice moral et d’image.
M. [M] et la société TISM contestent avoir commis les actes de concurrence parasitaire qui leur sont imputés. Ils estiment d’abord qu’il n’est nullement justifié de la notoriété en France de la montre Radiomir, malgré les efforts déployés par leur adversaire pour tenter de la faire connaître. Ils soulignent ne jamais avoir cherché à s’approprier ou même faire référence à l’histoire de [K], rappelant les conditions de la création de ce modèle de montre dans les années 30 en Italie pour l’armée. Puis, ils constatent que les éléments revendiqués au titre de la montre Radiomir sont banals et appartiennent au fonds commun de l’horlogerie que les appelantes ne peuvent s’approprier, outre que les deux montres présentent des différences notables notamment au regard de la taille et des nombreuses couleurs dans lesquelles ils proposent leurs propres modèles, de sorte qu’aucun risque de confusion ne peut exister, et ce d’autant qu’ils apposent leur marque sur chaque modèle, produisant un sondage pour conforter leur position. Ils contestent enfin s’être accaparé le moindre investissement des sociétés appelantes, arguant avoir engagé des frais pour la conception et le lancement de leur produit, en créant leurs propres concept et univers.
Ils estiment que le préjudice allégué n’est nullement démontré, s’agissant notamment des investissements prétendument réalisés et retiennent qu’il n’est nullement établi qu’un amateur de montre de luxe, client de la société [K], serait susceptible de se détourner vers une montre Augarde.
Sur ce, la cour rappelle que le parasitisme, fondé sur l’article 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, consiste, pour un opérateur économique, à se placer intentionnellement dans le sillage d’un autre en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion. Il requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
La notion de parasitisme doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou plus l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, en l’absence de faute résultant d’une captation parasitaire, notamment d’investissements, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.
La charge de la preuve incombe au cas présent à la société Cartier, seule recevable à agir sur le terrain du parasitisme, comme il a été vu.
Sur ce, il résulte des nombreuses pièces versées que la montre [K] a acquis une notoriété certaine chez les amateurs et connaisseurs de montres de luxe, les experts en haute horlogerie et la presse spécialisée, étant qualifiée de montre « iconique, mythique ou emblématique » de la marque [K], caractérisée par la combinaison d’un boitier en forme de coussin, associé à un cadran noir frappé de grands chiffres arabes à la forme arrondie à 3, 6, 9 et 12 heures, sur un fond très épuré, comportant des index allongés aux huit autres points, identifiable selon les experts au premier coup d »il. Ainsi, selon l’un d’eux, « plus de 80 ans après sa création, le style dépouillé particulièrement fonctionnel associé à la lisibilité du cadran ainsi qu’à la forme particulière de sa boîte et sa robustesse en font une icône intemporelle de l’horlogerie ». La notoriété de cette montre est caractérisée également par l’existence d’une communauté spontanée d’amateurs dénommée « PANERISTI » communiquant via un site internet depuis l’année 2000, communauté active dans le monde et en France. Par ailleurs, la notoriété de cette montre ressort également de sa présence sur des sites dédiés aux montres de luxe.
Cette notoriété est également associée à un savoir-faire ancien en matière d’horlogerie de luxe et est entretenue par des campagnes publicitaires dans le monde entier mais aussi en France dans certains journaux ou magazines (notamment le Figaro, le Point, l’Express, les Echos), des opérations promotionnelles ou la mise en vente de collections spéciales en exemplaires limités. Il est ainsi justifié, sur la période 2013-2022, de plus de 57 millions d’euros consentis pour la promotion et la publicité des montres de la collection Radiomir de [K] dans le monde entier par la société [K], la société Cartier en charge de la distribution des montres auprès du réseau de magasins notamment, justifiant avoir engagé des investissements promotionnels et publicitaires en France à hauteur de 480.000€.
Il convient en conséquence de considérer que la montre Radiomir constitue une valeur économique individualisée, fruit d’un savoir-faire et d’investissements.
Cependant, s’il doit être relevé l’existence de similitudes dans l’aspect général des deux modèles en cause tenant notamment à la combinaison du boitier en forme de « coussin » associé au cadran frappé de grands chiffres arabes, ces caractéristiques ne font cependant pas l’objet de droits privatifs, étant au demeurant considérées par certains amateurs de montres comme faisant désormais partie du fonds commun de l’horlogerie, d’autres modèles à l’apparence proche ayant été commercialisés.
En outre, si la montre [K] est présentée comme un produit de luxe, souvent commercialisée en édition limitée, destinée essentiellement à un public masculin et sportif de par son aspect « massif », la montre Augarde de la société TISM se présente comme une montre de fantaisie, commercialisée en de très nombreux coloris s’agissant tant du bracelet que du cadran, de dimensions et d’épaisseur moindres (12 mm minimum pour la montre [K] contre 8,8 mm pour la montre Augarde), d’un poids beaucoup plus léger (soit en moyenne plus de 140 grammes pour la montre [K] contre moins de 40 grammes pour la montre Augarde), les dos des boitiers étant totalement dissemblables, celui de la montre [K] étant constitué d’une partie centrale vitrée laissant apparaître le mouvement mécanique dans la tradition horlogère, le nom de la société [K] figurant sur le cerclage métallique sertissant la partie vitrée gravée, alors que le dos de la montre Augarde est constitué d’un boitier métallique clipsé avec son nom et son logo, les marques des deux sociétés étant, au demeurant, mentionnées chacune sur le cadran de leur modèle respectif.
Il ne peut également être retenu que les intimées auraient capté de manière fautive la « structure particulière » de la collection Radiomir, déclinée certaines années en bracelets ou en cadrans de différentes couleurs, ce genre de déclinaisons étant usuel en matière de collection de montres, outre que la collection de montres Augarde est commercialisée en un plus grand nombre de couleurs avec des cadrans aux couleurs et styles très variés, comme le retient au demeurant le consommateur qui l’associe spontanément à des marques de montres « grand public » ou de fantaisie, de type Swatch comme en atteste le sondage réalisé à la demande des intimés.
La cour considère par ailleurs qu’il n’est pas démontré que la société TISM exerçant sous le nom commercial Augarde ait, comme le soutient la société Cartier, capté « l’intégralité » ni même une partie de son argumentaire de vente, codes publicitaires ou axes de communication, basés sur le rappel des origines historiques et militaires de la montre et sur des références à l’esprit marin, aventurier et à l’univers du luxe.
Ainsi, si sur une page du site internet de la société TISM, il est fait mention des origines anciennes de la forme coussin du boitier de la montre, il est rappelé la genèse de la société portée par son créateur M. [M] et sa date de création récente, la montre Augarde étant présentée comme un produit qui « vit au tempo de la mode » , « se métamorphosant en un clin d »il pour s’accorder à un look sportif, chic décontracté la montre Augarde se réinvente à l’infini », sans rapport avec l’ univers revendiqué par la société Cartier pour la montre [K].
Sur ses post Instagram, la société TISM fait évoluer ses campagnes selon les saisons et les couleurs de ses montres mais, avec en fil conducteur, des vues de monuments ou de lieux emblématiques de [Localité 9] et, selon la période de l’année, des vues de paysages de campagne, de mer ou de montagnes, sans que les thèmes du bois et de la mer soient plus prégnants que d’autres, contrairement à ce que soutient la société Cartier. Par ailleurs, le fait que certaines photographies éparses publiées sur les réseaux sociaux, parmi de nombreuses autres, représentent un paysage qui pourrait évoquer l’Italie, une vespa ou un livre en langue italienne dans le cadre de présentations des collections plus estivales, ne permet nullement de retenir que la société TISM entendrait ainsi se référer aux origines italiennes de la société [K]. Enfin, le soin apporté dans la présentation soignée des montres Augarde sur internet ne permet nullement de retenir que la société TISM s’inscrit dans le sillage de la société Cartier mais traduit uniquement son souci de promouvoir au mieux ses produits auprès des consommateurs.
En outre, il convient de relever que la montre Radiomir par son prix élevé (prix de base à 5.000€ pouvant s’élever à plus de 150.000€ pour certaines éditions) s’inscrit dans le marché de niche de l’horlogerie de luxe, destiné à un public de connaisseurs aisés nécessairement très restreint, comme le reconnaissent les appelantes, amateurs de montres destinées à l’origine à des militaires, d’aspect imposant, à la différence de la montre Augarde qui se présente davantage comme une montre de fantaisie déclinée en 63 couleurs différentes, vendue pour un prix moyen de 149 euros. Ainsi, le public cible de la société TISM diffère du public intéressé par les montres Radiomir, contrairement à ce que soutient l’appelante.
Cet élément est conforté par le sondage établi à la demande de la société TISM qui démontre que la montre Radiomir n’est que très peu connue du public sur le territoire français, 85% des personnes interrogées ne connaissant pas la marque [K], seul 2% des personnes interrogées en octobre 2020 indiquant bien connaître [K] et 6 % la connaître seulement de nom. Et si la société Cartier produit des commentaires de tiers sur des forums dédiés aux montres de luxe ou des attestations faisant état des ressemblances entre les montres en cause, elles émanent d’un public composé de spécialistes ou amateurs très avertis et ne permettent nullement de retenir que la société TISM aurait voulu se placer dans le sillage de la maison [K], outre que le risque de confusion ne constitue pas une condition requise dans le cadre de l’examen des faits de concurrence parasitaire.
Ainsi, la valeur économique individualisée bâtie autour de la montre [K], présentée comme un produit de haute horlogerie et s’inscrivant dans l’univers du luxe, n’est nullement reprise par la société TISM qui commercialise, au contraire, une montre plus fantaisie, destinée au grand public, dans un segment de marché totalement distinct, sans que jamais aucune référence explicite ou implicite ne soit faite à la montre [K] ou aux sociétés appelantes.
Aucun de ces éléments, même analysés globalement, ne permet de caractériser la volonté de la société TISM de se placer dans le sillage de la société Cartier qui doit, en conséquence, être déboutée de ses demandes au titre du parasitisme et le jugement déféré, doit être confirmé de ce chef.
Sur la nullité du modèle français N° 20200427 déposé par M. [G] [M]
Les sociétés Officine [K] et Cartier soutiennent que le modèle déposé par M. [M] est une copie quasi-servile de la montre Radiomir, seules des différences minimes étant opposées, de sorte que le modèle déposé est dépourvu de caractère propre, ne produisant pas une impression d’ensemble différente chez l’utilisateur averti de la montre Radiomir.
M. [M] et la société TISM soutiennent que les sociétés Officine [K] et Cartier ne revendiquent aucun droit d’auteur sur cette montre au soutien de leur demande de nullité sur la prétendue copie quasi-servile de la montre Radiomir, que les sociétés [K] et Cartier n’ont pas de monopole sur le modèle de montre coussin et que les montres litigieuses produisent une impression visuelle d’ensemble différente chez l’observateur averti, qui sans être un amateur de montres de luxe, est une personne qui s’intéresse au marché des montres en général.
En vertu de l’article L.512-4 du code de la propriété intellectuelle, «L’enregistrement d’un dessin ou modèle est déclaré nul par décision de justice :
a) S’il n’est pas conforme aux dispositions des articles L. 511-1 à L. 511-8 ;(…)
d) S’il porte atteinte au droit d’auteur d’un tiers ; (…)».
En outre, aux termes de l’article L.511-2 du code de la propriété intellectuelle, seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre.
La cour rappelle que la nouveauté d’un dessin ou modèle s’apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu’il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé, tous deux pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l’examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément. Seule l’identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l’absence de différences ou de l’existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté, et il appartient à celui qui conteste la nouveauté du modèle de rapporter la preuve du contenu et de la date certaine de la divulgation de l’antériorité qu’il oppose.
L’examen du caractère individuel, quant à lui, doit être effectué de manière globale, en tenant compte du degré d’attention de l’observateur averti, se définissant comme doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, de l’importance respective qu’il y a lieu d’accorder aux différentes caractéristiques des dessins ou modèles comparés et, enfin, du degré de liberté du créateur qui varie selon la nature du produit.
Sur ce, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la société Officine [K] n’oppose nullement des droits d’auteur ou de marque pour solliciter la nullité du modèle déposé par M. [M] le 24 janvier 2020 mais la montre [K], divulguée bien avant le dépôt du modèle en cause, ayant été créée dans les années 30 et dont la commercialisation a été relancée à compter de 1997.
Par ailleurs, la comparaison globale entre le modèle tel qu’il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé permet de relever que, nonobstant de réelles similitudes, il existe des différences qui ne peuvent être considérées comme insignifiantes, s’agissant des boucles des chiffres 6 et 9, de la forme du chiffre 3, du dessin du cadran du modèle litigieux, absent de la montre [K], les deux cadrans étant en outre revêtus d’éléments verbaux différents. Aussi, ces différences ne permettent pas de retenir que la montre [K] constituerait une antériorité destructrice de nouveauté du modèle déposé par M. [M].
En revanche, la cour considère que le modèle contesté procure chez l’observateur averti, amateur de montres, une impression visuelle d’ensemble qui ne diffère pas de celle produite par la montre [K] antérieurement divulguée, s’agissant de la reprise à l’identique de la combinaison suivante, soit un boitier en forme de coussin, des chiffres arabes imposant immédiatement lisibles à la typographie arrondie placés aux quatre coins cardinaux, des index des heures représentés par des lignes de tailles identiques aux chiffres, des aiguilles à bâtonnets en forme de glaives pour les heures et les minutes dont le bout est légèrement pointu, de larges cornes de formes trapézoïdales en haut et en bas de la montre permettant de relier le boitier au bracelet et le même poussoir rond et strié représentant en son centre le logo utilisé et, ce alors qu’il existe une liberté certaine pour le créateur de montre, nonobstant sa la fonction utilitaire de l’objet.
En conséquence, faute de présenter un caractère propre, le modèle français n°20200427, déposé auprès de l’INPI par M. [M], le 24 janvier 2020, publié le 1er mai 2020 est nul, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de la société TISM
La société TISM dénonce le comportement des appelantes qui, sur le fondement de marques nulles et de la notoriété de la société Cartier, ont fait fermer leur compte Instagram et supprimer des publications Facebook lui causant un préjudice important puisque les privant de la possibilité de promouvoir leurs produits alors que ces derniers sont essentiellement commercialisés sur internet et ce, en pleine période de confinement, époque où la communication numérique était encore plus essentielle. Elle dénonce aussi le comportement des appelantes qui auraient exercé des pressions pour empêcher son adhésion à la fédération de l’horlogerie.
Les appelantes contestent la moindre faute, n’ayant fait, selon elles, que mettre en oeuvre la procédure de notification et de retrait des contenus illicites disponibles pour les utilisateurs de Facebook et Instagram, qui ont, seuls, apprécié le bien-fondé de leur demande de retrait.
C’est par de justes motifs approuvés par la cour que les premiers juges ont retenu qu’en ayant demandé la fermeture du compte Instagram de la société TISM et la suppression de publications Facebook, anticipant une décision de justice à leurs risques et périls et ayant été déboutées de l’ensemble de leurs demandes sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et parasitaire, ces agissements étaient fautifs et ont causé un préjudice à cette dernière tenant à une moindre visibilité sur internet, la cour constatant que la société TISM qui sollicite l’allocation de dommages et intérêts plus importants que ceux alloués par le tribunal, ne verse à hauteur d’appel aucune pièce justifiant de réévaluer le préjudice invoqué à hauteur de 25.000€, aucun élément n’attestant en outre de pressions l’empêchant d’adhérer à la fédération de l’horlogerie.
Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
Les sociétés Officine [K] AG et Cartier, succombant principalement, seront condamnées aux dépens d’appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu’elles ont exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
Enfin, l’équité et la situation des parties commandent de condamner in solidum les sociétés Officine [K] AG et Cartier à verser à la société TISM et à M. [G] [M], chacun, une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, cette somme complétant celle allouée en première instance.
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté la société de droit suisse Officine [K] AG et la SAS Cartier de leur demande en nullité du modèle français n°20200427;
L’infirme de ce chef,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les sociétés Officine [K] AG et Cartier de leur demande avant dire droit de communication de documents,
Rejette la demande de M. [G] [M] tendant à être mis hors de cause,
Déclare irrecevables les demandes présentées par la société Officine [K] au titre du parasitisme,
Prononce la nullité du modèle français n°20200427, déposé auprès de l’INPI par M. [G] [M], le 24 janvier 2020, publié le 1er mai 2020,
Dit que la présente décision sera inscrite au Registre national des dessins et modèles à la requête de la partie la plus diligente,
Condamne in solidum la société Officine [K] AG et la société Cartier aux dépens d’appel,
Condamne in solidum la société Officine [K] AG et la société Cartier à verser à la société TISM et à M. [G] [M], chacun, une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE