Faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé des oeuvres en cire dont il revendique la titularité des droits, Daniel Druet a été déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur (défaut de mention de son nom lors des présentation des oeuvres attribuées à Maurizio Cattelan).
Aux termes de l’article 32 du code de procédure civile, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Conformément à l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée». L’auteur est donc présumé être celui ayant divulgué ll’oeuvre pour la première fois sous son nom, cette présomption simple étant réfragable. En l’espèce, les oeuvres litigieuses, sur lesquelles [I] [X] revendique la titularité des droits à titre exclusif, à savoir les oeuvres dénommées « La Nona Ora, 1999 », « La Rivoluzione Siamo Noi, 2000 », « Sans titre, 2000 », « Him, 2001», « Frank and Jamie, 2002 » (2002) ; « [U], 2002 », « Betsy, 2003 » et « Now, 2004», ont toutes été divulguées sous le seul nom de [O] [Z], aussi bien dans la presse où il est présenté comme leur unique auteur, qu’à l’occasion des expositions. En application de l’article L. 113-1 susvisé, M. [Z] est donc présumé être l’auteur desdites oeuvres. Le tribunal a justement retenu que la recevabilité des demandes de Daniel Druet formées en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à la démonstration par ce dernier de sa qualité d’auteur des oeuvres litigieuses, laquelle est contestée et nécessite de renverser la présomption de titularité dont bénéficie Maurizio Cattelan, Daniel Druet revendiquant une titularité exclusive sur lesdites oeuvres. Il est pourtant constant que Daniel Druet n’a pas assigné Maurizio Cattelan. Ce dernier a été attrait dans la cause par La Monnaie de Paris au titre d’un appel en garantie. Cependant l’appel en garantie simple ne crée de lien juridique qu’entre l’appelant en garantie et l’appelé, à l’exclusion de tout lien entre le demandeur à l’action principale et l’appelé en garantie (Cass.1re civ., 15 mai 2015, n° 14-11.685). Maurizio Cattelan et la société Magis sont devenus parties à l’instance du fait leur intervention forcée par La Monnaie de Paris, qui les a appelés en garantie sur le fondement de la responsabilité contractuelle au titre des seules oeuvres exposées, à savoir « La Nona Ora », «La Rivoluzione Siamo Noi », « Him » et « Le petit [Z] de Rotterdam », aucun lien juridique n’étant pour autant créé, du fait de cette intervention forcée, entre Maurizio Cattelan, la société Magis, appelés en garantie, et le demandeur principal, Daniel Druet. |
→ Résumé de l’affaireM. [I] [X], un sculpteur renommé, a été contacté par M. [O] [Z] pour réaliser huit sculptures en cire entre 1999 et 2006. Ces œuvres ont été exposées sans mention de son nom lors d’une exposition à la Monnaie de [Localité 12]. M. [X] a alors intenté une action en contrefaçon de droits d’auteur contre la Galerie [T] [L], la société Turenne Editions et la Monnaie de [Localité 12]. Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré M. [X] irrecevable dans ses demandes et l’a condamné à verser des sommes d’argent aux défendeurs. M. [X] a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour de le réexaminer. Les parties intimées demandent quant à elles la confirmation du jugement initial.
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→ Les points essentielsMOTIFS DE LA DECISIONEn application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées. Sur l’autorité de la chose jugée du jugement du 28 février 2020M. [X] fait valoir que la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] ont été déboutées par le jugement incident du 28 février 2020 de leur fin de non-recevoir, et ont à nouveau soulevé les mêmes arguments aux fins d’irrecevabilité lors de la procédure au fond ; qu’un jugement qui statue dans son dispositif sur la fin de non-recevoir a autorité de la chose jugée ; que le tribunal aurait dû relever d’office l’autorité de la chose jugée ; qu’il y a une triple identité de parties, d’objet et de cause entre le jugement du 28 février 2020 et le jugement dont appel ; que l’ensemble des parties présentes sont identiques ; que la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] tentent à nouveau lors de la procédure au fond de se voir accorder la fin de non-recevoir dont elles ont été déboutées ; que lorsqu’une juridiction d’une même instance rend une décision, elle n’acquiert pas le simple statut d’autorité de la chose jugée mais devient une autorité de la chose jugée d’ordre public ; que le jugement incident du 28 février 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Paris remplit les conditions de l’autorité de la chose jugée. M. [Z] et la société Magis soutiennent que le jugement incident est un jugement « en l’état » rendu « à ce stade de la procédure » ; que ce jugement ne tranche donc pas définitivement la question de le recevabilité des demandes de M. [X] au sens de l’article 480 du code de procédure civile et n’a pas autorité de la chose jugée ; que le jugement estime que la fin de non-recevoir est à ce stade de la procédure prématurée ; que M. [Z] et la société Magis, qui ne sont présents à la procédure qu’à la suite de l’appel en garantie de la Monnaie de [Localité 12], ne pouvaient pas contester la recevabilité de l’action initiale à laquelle ils n’étaient pas parties ; que les différentes écritures des parties ont sensiblement modifié la cause du litige ; que les jugements statuant sur une fin de non-recevoir ne mettant pas fin à l’instance ne sont pas susceptibles d’appel immédiat ; que par conséquent, aucune autorité de la chose jugée n’était attachée au jugement du 28 février 2020 ; que cela exclut subséquemment tout prétendu caractère d’ordre public de l’autorité de la chose jugée. La Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions rappellent qu’il n’y a pas d’autorité de chose jugée attachée à un jugement dont la juridiction a exprimé qu’il est rendu à titre provisoire, ou en l’état, ce qui s’applique aux fins de non-recevoir tel le défaut de qualité pour poursuivre l’instance ; que cela s’applique au jugement du 28 février 2020, qui a statué en l’état, remplaçant ladite formule par l’expression « à ce stade » ; que le fait que la formule « à ce stade » figure dans les motifs et non dans le dispositif est indifférent ; que le jugement du 8 juillet 2022 a statué dans le cadre d’une identité de parties, mais pas d’une identité de cause par rapport au jugement du 28 février 2020 puisqu’en l’état du premier jugement ni La Monnaie de [Localité 12], ni M. [O] [Z], ni la société Magis n’avaient conclu ; qu’elles l’ont fait en vue du second jugement à la fois sur l’irrecevabilité de la demande et aussi sur le fond, ce qui a fait considérablement évoluer la cause du litige ; que le jugement n’est pas un jugement mixte en ce qu’il n’a pas tranché de question de fond, et il ne s’est prononcé qu’à titre provisoire sur les moyens de fin de non-recevoir. La Monnaie de [Localité 12] estime qu’il est évident que le tribunal a considéré par l’expression « en l’état », qu’il fallait attendre que toutes les parties en présence concluent ainsi que les débats sur la titularité des droits pour pouvoir apprécier la recevabilité de l’action de M. [X], étant observé qu’en matière de contrefaçon de droit d’auteur la recevabilité et le fond sont étroitement liés ; que la mention relative au caractère prématuré de la fin de non-recevoir n’avait pas à figurer dans le dispositif du jugement rendu le 28 février 2020 en ce que la motivation est le soutien du dispositif de telle sorte que le second se comprend à l’aune de la première ; qu’il n’y a pas d’identité de cause puisque le litige a évolué en cours de procédure ; que le jugement du 28 février 2022 n’ayant pas mis fin à l’instance n’était pas susceptible d’être immédiatement frappé d’appel en application de l’article 544 du code de procédure civile. Sur la recevabilité de M. [X]M. [X] soutient que le tribunal a, en déclarant irrecevable son action, méconnu les dispositions de l’article L. 335-3 du code de propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon ; qu’une telle action, pour être recevable, doit nécessairement contenir la preuve que le demandeur justifie de l’appartenance des droits qu’il invoque ; qu’il a rempli cette obligation en développant dans ses écritures et en versant de nombreuses pièces prouvant qu’il était bien le titulaire des droits ; qu’en rajoutant une obligation non prévue par la loi, et alors que celui qui s’est présenté comme l’auteur véritable des oeuvres apportait des éléments dans ce sens, le tribunal ne pouvait s’exonérer d’examiner la validité des preuves avant de statuer sur le fond ; qu’il est exceptionnel que l’auteur d’une oeuvre contrefaite connaisse l’identité du faussaire ; que l’absence de mise en cause initiale de M. [Z] n’est pas un motif d’irrecevabilité alors qu’il a longuement exposé les motifs qui justifient selon lui qu’il est le réel créateur des titulaires des droits sur les oeuvres ; que l’analyse consistant à dire qu’il n’existe pas de lien juridique entre lui et M. [Z] est erronée ; qu’une fois que M. [Z] et la société Magis sont devenues parties à la procédure, il a présenté des demandes directement dirigées contre M. [Z] ; qu’un lien juridique direct est bien né. M. [Z] et la société Magis soutiennent que l’ensemble du raisonnement fondé sur une violation de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle est biaisé ; que [O] [Z] est l’auteur des oeuvres revendiquées et que c’est précisément parce que M. [X] n’établit pas sa propre qualité d’auteur qu’il n’est pas recevable à agir ; que l’appel en garantie ne crée pas de lien d’instance entre le demandeur à l’instance principale et le défendeur à l’instance en garantie ; qu’aucun lien procédural n’unit [I] [X] et [O] [Z] puisque [O] [Z] et la société Magis ont été assignés par la seule Monnaie de [Localité 12] aux fins de la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre s’agissant de quatre oeuvres qu’elle a exposées en vertu d’un contrat. La Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a considéré qu’il n’y a pas de lien d’instance entre [I] [X] et [O] [Z], ce qui justifie l’irrecevabilité du demandeur, puisque [I] [X] qui revendique un droit d’auteur exclusif devait renverser la présomption dont bénéficie [O] [Z]. La Monnaie de [Localité 12] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a tiré toutes les conséquences de l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel «La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée », qu’il a constaté que M. [Z] n’était dans la cause que comme garant de La Monnaie de [Localité 12], et que M. [X] ne prétendait même pas démontrer sa paternité sur les oeuvres qu’il revendique pourtant à titre exclusif. Sur ceAux termes de l’article 480 alinéa premier du code de procédure civile : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. » L’article 1355 du code civil énonce que « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. » Le jugement qui déclare une demande irrecevable « en l’état », parce que prématurée, est dépourvu de toute autorité de chose jugée (Cass. Civ 2, 21 mars 2013, n° 11-21495). La portée du dispositif d’un jugement peut être éclairée par ses motifs (Cass. Civ. 2, 3 juillet 2008 n° 0716.398 ; Cass. Com. 17 février 2015 n°13-27749). En l’espèce, il est constant que le jugement du 28 février 2020, statuant sur la fin de non-recevoir opposée par la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] à l’encontre de M. [X] au motif qu’il n’avait pas assigné M. [Z] lequel bénéficiait pourtant d’une présomption de titularité sur les oeuvres en cause, a dit « qu’à ce stade de la procédure » et « alors qu’il n’appartient pas encore au tribunal de statuer sur la question de la titularité des droits sur les oeuvres litigieuses », « [I] [X] est recevable en ses demandes vis-à vis des sociétés Turenne Editions et Galerie [T] [L] », ces éléments éclairant la portée du dispositif qui a débouté les sociétés Turenne Edition et Galerie [T] [L] de leur fin de non-recevoir. Il se déduit de ces mentions expresses que le tribunal a jugé prématuré de statuer sur les questions de titularité des droits sur les oeuvres litigieuses, et donc de recevabilité à agir ainsi qu’il résulte des expressions « à ce stade de la procédure » et « alors qu’il n’appartient pas encore au tribunal de statuer ». Ce jugement, en ce qu’il a débouté les sociétés Turenne Editions et Galerie [T] [L], de leur fin de non-recevoir, est donc dépourvu de toute autorité de la chose jugée, et n’avait pas, en conséquence, un caractère d’ordre public. La demande de M. [X] d’opposer l’autorité de la chose jugée du jugement du 28 février 2020 sera donc rejetée. Sur la recevabilité de M. [X]M. [X] soutient que le tribunal a, en déclarant irrecevable son action, méconnu les dispositions de l’article L. 335-3 du code de propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon ; qu’une telle action, pour être recevable, doit nécessairement contenir la preuve que le demandeur justifie de l’appartenance des droits qu’il invoque ; qu’il a rempli cette obligation en développant dans ses écritures et en versant de nombreuses pièces prouvant qu’il était bien le titulaire des droits ; qu’en rajoutant une obligation non prévue par la loi, et alors que celui qui s’est présenté comme l’auteur véritable des oeuvres apportait des éléments dans ce sens, le tribunal ne pouvait s’exonérer d’examiner la validité des preuves avant de statuer sur le fond ; qu’il est exceptionnel que l’auteur d’une oeuvre contrefaite connaisse l’identité du faussaire ; que l’absence de mise en cause initiale de M. [Z] n’est pas un motif d’irrecevabilité alors qu’il a longuement exposé les motifs qui justifient selon lui qu’il est le réel créateur des titulaires des droits sur les oeuvres ; que l’analyse consistant à dire qu’il n’existe pas de lien juridique entre lui et M. [Z] est erronée ; qu’une fois que M. [Z] et la société Magis sont devenues parties à la procédure, il a présenté des demandes directement dirigées contre M. [Z] ; qu’un lien juridique direct est bien né. M. [Z] et la société Magis soutiennent que l’ensemble du raisonnement fondé sur une violation de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle est biaisé ; que [O] [Z] est l’auteur des oeuvres revendiquées et que c’est précisément parce que M. [X] n’établit pas sa propre qualité d’auteur qu’il n’est pas recevable à agir ; que l’appel en garantie ne crée pas de lien d’instance entre le demandeur à l’instance principale et le défendeur à l’instance en garantie ; qu’aucun lien procédural n’unit [I] [X] et [O] [Z] puisque [O] [Z] et la société Magis ont été assignés par la seule Monnaie de [Localité 12] aux fins de la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre s’agissant de quatre oeuvres qu’elle a exposées en vertu d’un contrat. La Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a considéré qu’il n’y a pas de lien d’instance entre [I] [X] et [O] [Z], ce qui justifie l’irrecevabilité du demandeur, puisque [I] [X] qui revendique un droit d’auteur exclusif devait renverser la présomption dont bénéficie [O] [Z]. La Monnaie de [Localité 12] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a tiré toutes les conséquences de l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel «La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée », qu’il a constaté que M. [Z] n’était dans la cause que comme garant de La Monnaie de [Localité 12], et que M. [X] ne prétendait même pas démontrer sa paternité sur les oeuvres qu’il revendique pourtant à titre exclusif. Sur ceAux termes de l’article 32 du code de procédure civile, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Conformément à l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée ». L’auteur est donc présumé être celui ayant divulgué ll’oeuvre pour la première fois sous son nom, cette présomption simple étant réfragable. En l’espèce, il n’est pas contesté que les oeuvres litigieuses, sur lesquelles [I] [X] revendique la titularité des droits à titre exclusif, à savoir les oeuvres dénommées « Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Code de procédure civile
– Code civil – Code de la propriété intellectuelle Article 455 du code de procédure civile: Article 480 alinéa premier du code de procédure civile: Article 1355 du code civil: Article 32 du code de procédure civile: Article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle: Autres articles cités mais non reproduits: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
– Me Jean-Baptiste BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0111 – Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111 – Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047 – Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147 – Me Pierre-Olivier SUR de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147 – Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148 – Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141 |
→ Mots clefs associés & définitions– Motifs de la décision
– Autorité de la chose jugée – Identité de parties, d’objet et de cause – Jugement en l’état – Autorité de la chose jugée d’ordre public – Recevabilité de l’action – Article 480 du code de procédure civile – Article 1355 du code civil – Jugement mixte – Autorité de la chose jugée relativement à la contestation tranchée – Article L. 335-3 du code de propriété intellectuelle – Preuve de l’appartenance des droits – Lien juridique direct – Irrecevabilité de l’action – Article 32 du code de procédure civile – Article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle – Présomption de titularité – Appel en garantie – Intervention forcée – Responsabilité contractuelle – Irrecevabilité en toutes les demandes en contrefaçon de droits d’auteur – Motifs de la décision : Raisons ou arguments sur lesquels repose la décision rendue par une juridiction.
– Autorité de la chose jugée : Principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en cause. – Identité de parties, d’objet et de cause : Conditions nécessaires pour qu’une décision de justice puisse bénéficier de l’autorité de la chose jugée. – Jugement en l’état : Décision rendue par le juge sur le fond du litige sans qu’il soit nécessaire de procéder à des mesures d’instruction complémentaires. – Autorité de la chose jugée d’ordre public : Principe selon lequel l’autorité de la chose jugée s’impose à tous, même en l’absence de participation à la procédure. – Recevabilité de l’action : Conditions à remplir pour qu’une action en justice puisse être valablement introduite. – Article 480 du code de procédure civile : Disposition légale relative à la force probante des jugements. – Article 1355 du code civil : Article du code civil français traitant de la preuve de l’appartenance des droits. – Jugement mixte : Décision qui tranche à la fois sur le fond du litige et sur des questions de procédure. – Autorité de la chose jugée relativement à la contestation tranchée : Principe selon lequel la décision de justice rendue sur un point précis ne peut être remise en cause ultérieurement. – Article L. 335-3 du code de propriété intellectuelle : Article du code de la propriété intellectuelle français relatif à la contrefaçon des droits d’auteur. – Preuve de l’appartenance des droits : Moyens permettant d’établir la propriété ou la titularité de droits. – Lien juridique direct : Relation directe entre les parties à un litige, justifiant l’intervention de la justice. – Irrecevabilité de l’action : Situation dans laquelle une action en justice est déclarée invalide. – Article 32 du code de procédure civile : Disposition légale relative à l’intervention forcée en justice. – Article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle : Article du code de la propriété intellectuelle français traitant de la présomption de titularité des droits. – Présomption de titularité : Principe selon lequel une personne est présumée être titulaire de certains droits, sauf preuve contraire. – Appel en garantie : Procédure permettant à une partie de demander à un tiers de garantir sa responsabilité. – Intervention forcée : Procédure permettant à un tiers de se joindre à un litige en cours. – Responsabilité contractuelle : Obligation de réparer le préjudice causé à autrui en raison de la violation d’un contrat. – Irrecevabilité en toutes les demandes en contrefaçon de droits d’auteur : Situation dans laquelle une demande en contrefaçon de droits d’auteur est déclarée invalide. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n° 22/14922
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 05 JUIN 2024
(n°075/2024, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/14922 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJQV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2022 – Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre – 2ème section – RG n° 18/05382
APPELANT
Monsieur [I] [X]
Né le 06 Octobre 1941
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assisté de Me Jean-Baptiste BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0111
INTIMES
Monsieur [O] [Z]
Né le 21 Septembre 1960 à [Localité 11] (ITALIE)
De nationalité italienne
Demeurant [Adresse 13]
[Localité 3]
ITALIE
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistée de Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047
S.A.R.L. MAGIS SRL
Société au capital de 10 200 euros
Immatriculée sous le numéro BG 328280
Prise en la personne de ses représentants légaux
Domiciliée [Adresse 10]
[Localité 4] – ITALIE et également domiciliée
[Adresse 14]
[Localité 3]
ITALIE
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistée de Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047
S.A.R.L. TURENNE EDITIONS
Société au capital de 5 000 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 524 310 000
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147
Assistée de Me Pierre-Olivier SUR de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147
S.A.R.L. GALERIE [T] [L]
Société au capital de 8 000 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 378 834 055
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège [Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147
Assistée de Me Pierre-olivier SUR de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147
E.P.I.C. LA MONNAIE DE [Localité 12]
Pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148
Assisté de Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [I] [X] est un sculpteur, grand prix de Rome 1968, ayant notamment réalisé des bustes de personnalités françaises et internationales, ainsi que de nombreux personnages en cire pour le musée [9] à [Localité 12], dont il a été le sculpteur attitré de 1973 à 1983.
M. [O] [Z] est un artiste contemporain italien, chantre de l’art conceptuel et de l’hyperréalisme, principalement révélé par le galériste [T] [L] qui en assure la promotion et procède à la vente de ses oeuvres, notamment via la société Turenne Editions.
[I] [X] expose avoir été contacté en 1999 par [T] [L], à la demande de [O] [Z], afin de réaliser huit sculptures en cire entre 1999 et 2006, lesquelles ont été ensuite exposées sous les intitulés :
– « La Nona Ora » (version 1999), représentant le Pape [V], les yeux fermés ;
– « La Rivoluzione Siamo Noi » (2000), représentant [O] [Z] en taille réduite, en costume de laine suspendu à un portemanteau ;
– « Sans titre » ou « Le petit [Z] de Rotterdam » (2000), représentant le visage de [O] [Z] et ses deux mains transperçant le plancher d’une salle d’exposition pour rejoindre les spectateurs ;
– « Him » (2001), représentant un petit garçon à genoux, dont le visage est celui d'[H] [J] ;
– « Frank and Jamie » (2002), représentant deux policiers américains en uniforme, tête à l’envers et pieds au ciel ;
– « [U] » (2002), représentant le buste du mannequin [U] [P], seins nus, façon « trophée de chasse » ;
– « Betsy » (2003), représentant une grand-mère assise dans un congélateur, porte ouverte ;
– « Now » (2004), représentant [A] [S] [K] dans son cercueil.
Au début des années 2000, [I] [X] a vainement sollicité auprès de la Galerie [T] [L] que « toute diffusion au sujet de [ses] oeuvres mentionne [son] nom en tant que sculpteur réalisateur des personnages de cire (cela au même titre que figure le nom du photographe, auteur des images qui sont diffusées) ».
La Monnaie de [Localité 12], établissement public industriel et commercial, a accueilli du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017 une exposition intitulée « [Z], not afraid of love », dans laquelle ont été exposées quatre des oeuvres précitées à savoir « La Nona Ora », « La Rivoluzione Siamo Noi», « Him » et « Le petit [Z] de Rotterdam » sans mention du nom de [I] [X].
S’estimant lésé dans sa qualité d’auteur, selon lui exclusif, des oeuvres précitées, M. [X] a, par actes des 24 avril et 3 mai 2018, fait assigner la Galerie [T] [L], la société Turenne Editions et la Monnaie de [Localité 12] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de droits d’auteur.
Par exploits d’huissier des 6 et 10 décembre 2018, la Monnaie de [Localité 12] a fait assigner en intervention forcée et en garantie M. [O] [Z] et la société Magis au titre du contrat de partenariat, de prêt d’oeuvre et de cession de droits conclus pour les quatre oeuvres litigieuses exposées. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 10 janvier 2019.
La Galerie [L] et la société Turenne Editions ont notifié des conclusions aux fins d’irrecevabilité du fait notamment que [O] [Z], qui bénéficie d’une présomption de titularité sur les droit d’auteur revendiqués, n’a pas été assigné par M. [X]. L’incident a été renvoyé par le juge de la mise en état devant le tribunal.
Par jugement en date du 28 février 2020, le tribunal, après avoir indiqué dans les motifs du jugement, « Il ressort de ce qui précède qu’à ce stade de la procédure, (‘) et alors qu’il n’appartient pas encore au tribunal de statuer sur la question de la titularité des droits sur les oeuvres litigieuses, ni de se prononcer sur le bien-fondé de l’action en contrefaçon, [I] [X] est bien recevable en ses demandes vis-à-vis de la société Turenne Editions et de la Galerie [L]. », a notamment :
– débouté la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] de leur fin de non-recevoir,
– dit que la poursuite de l’instance sera régularisée par décision judiciaire séparée, laquelle renverra les parties vers le juge de la mise en état pour réouverture des débats sur les autres points du litige en cours.
Par jugement rendu le 8 juillet 2022, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris :
– dit M. [I] [X] irrecevable en ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur ;
– condamné M. [I] [X] à verser les sommes de 10 000 euros à la Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions ensemble, et de 10 000 euros à la Monnaie de [Localité 12] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [I] [X] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Normand et associés, pour ceux dont elle aurait fait l’avance sans en avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
M. [X] a interjeté appel de ce jugement le 5 juillet 2022.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 12 janvier 2024, M. [X], appelant, demande à la cour de :
Vu les articles 122, 480 et 1355 du Code de procédure civile,
Vu l’article L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
– juger que le jugement incident du Tribunal Judiciaire de Paris du 28 février 2020 était revêtu de l’autorité de la chose jugée ;
A titre subsidiaire :
– juger que le jugement incident du Tribunal Judiciaire de Paris du 28 février 2020 était mal fondé ;
En conséquence :
– infirmer la décision dont appel en ce qu’elle a déclarée irrecevable l’action de Monsieur [I] [X] et l’a condamné à verser 10 000 € à la Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions ensemble et 10 000 € à la Monnaie de [Localité 12] ;
Statuant à nouveau :
– débouter toutes les parties de leurs demandes fins et conclusions ;
– condamner solidairement les parties défenderesses à verser à Monsieur [I] [X] la somme de 35.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner solidairement les parties défenderesses aux entiers dépends dont recouvrement au profit de Maitre Jeanne Baechlin, Avocat au Barreau de Paris, en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Dans leurs uniques conclusions, transmises le 14 avril 2023, M. [Z] et la société Magis, intimés, demandent à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions.
Dans leurs uniques conclusions, transmises le 14 avril 2023, la Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions, intimées, demandent à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juillet 2022 ;
– débouter Monsieur [I] [X] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner Monsieur [I] [X] à payer la somme de 18.000 € à la galerie [T] [L] et la société Turenne Editions au titre de l’art. 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par FTMS Avocats conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses uniques conclusions, transmises le 14 avril 2023, La Monnaie de [Localité 12], intimée, demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juillet 2022 ;
– débouter Monsieur [I] [X] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner Monsieur [I] [X] à payer à la MONNAIE DE [Localité 12] la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, du chef de la procédure devant la cour d’appel ;
– condamner Monsieur [I] [X] aux dépens de l’instance d’appel, dont distraction au profit de la SELARL RECAMIER conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2024.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur l’autorité de la chose jugée du jugement du 28 février 2020
M. [X] fait valoir que la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] ont été déboutées par le jugement incident du 28 février 2020 de leur fin de non-recevoir, et ont à nouveau soulevé les mêmes arguments aux fins d’irrecevabilité lors de la procédure au fond ; qu’un jugement qui statue dans son dispositif sur la fin de non-recevoir a autorité de la chose jugée ; que le tribunal aurait dû relever d’office l’autorité de la chose jugée ; qu’il y a une triple identité de parties, d’objet et de cause entre le jugement du 28 février 2020 et le jugement dont appel ; que l’ensemble des parties présentes sont identiques ; que la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] tentent à nouveau lors de la procédure au fond de se voir accorder la fin de non-recevoir dont elles ont été déboutées ; que lorsqu’une juridiction d’une même instance rend une décision, elle n’acquiert pas le simple statut d’autorité de la chose jugée mais devient une autorité de la chose jugée d’ordre public ; que le jugement incident du 28 février 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Paris remplit les conditions de l’autorité de la chose jugée.
M. [Z] et la société Magis soutiennent que le jugement incident est un jugement « en l’état » rendu « à ce stade de la procédure » ; que ce jugement ne tranche donc pas définitivement la question de le recevabilité des demandes de M. [X] au sens de l’article 480 du code de procédure civile et n’a pas autorité de la chose jugée ; que le jugement estime que la fin de non-recevoir est à ce stade de la procédure prématurée ; que M. [Z] et la société Magis, qui ne sont présents à la procédure qu’à la suite de l’appel en garantie de la Monnaie de [Localité 12], ne pouvaient pas contester la recevabilité de l’action initiale à laquelle ils n’étaient pas parties ; que les différentes écritures des parties ont sensiblement modifié la cause du litige ; que les jugements statuant sur une fin de non-recevoir ne mettant pas fin à l’instance ne sont pas susceptibles d’appel immédiat ; que par conséquent, aucune autorité de la chose jugée n’était attachée au jugement du 28 février 2020 ; que cela exclut subséquemment tout prétendu caractère d’ordre public de l’autorité de la chose jugée.
La Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions rappellent qu’il n’y a pas d’autorité de chose jugée attachée à un jugement dont la juridiction a exprimé qu’il est rendu à titre provisoire, ou en l’état, ce qui s’applique aux fins de non-recevoir tel le défaut de qualité pour poursuivre l’instance ; que cela s’applique au jugement du 28 février 2020, qui a statué en l’état, remplaçant ladite formule par l’expression « à ce stade » ; que le fait que la formule « à ce stade » figure dans les motifs et non dans le dispositif est indifférent ; que le jugement du 8 juillet 2022 a statué dans le cadre d’une identité de parties, mais pas d’une identité de cause par rapport au jugement du 28 février 2020 puisqu’en l’état du premier jugement ni La Monnaie de [Localité 12], ni M. [O] [Z], ni la société Magis n’avaient conclu ; qu’elles l’ont fait en vue du second jugement à la fois sur l’irrecevabilité de la demande et aussi sur le fond, ce qui a fait considérablement évoluer la cause du litige ; que le jugement n’est pas un jugement mixte en ce qu’il n’a pas tranché de question de fond, et il ne s’est prononcé qu’à titre provisoire sur les moyens de fin de non-recevoir.
La Monnaie de [Localité 12] estime qu’il est évident que le tribunal a considéré par l’expression « en l’état », qu’il fallait attendre que toutes les parties en présence concluent ainsi que les débats sur la titularité des droits pour pouvoir apprécier la recevabilité de l’action de M. [X], étant observé qu’en matière de contrefaçon de droit d’auteur la recevabilité et le fond sont étroitement liés ; que la mention relative au caractère prématuré de la fin de non-recevoir n’avait pas à figurer dans le dispositif du jugement rendu le 28 février 2020 en ce que la motivation est le soutien du dispositif de telle sorte que le second se comprend à l’aune de la première ; qu’il n’y a pas d’identité de cause puisque le litige a évolué en cours de procédure ; que le jugement du 28 février 2022 n’ayant pas mis fin à l’instance n’était pas susceptible d’être immédiatement frappé d’appel en application de l’article 544 du code de procédure civile.
Sur ce,
Aux termes de l’article 480 alinéa premier du code de procédure civile : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. »
L’article 1355 du code civil énonce que « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »
Le jugement qui déclare une demande irrecevable « en l’état », parce que prématurée, est dépourvu de toute autorité de chose jugée (Cass. Civ 2, 21 mars 2013, n° 11-21495).
La portée du dispositif d’un jugement peut être éclairée par ses motifs (Cass. Civ. 2, 3 juillet 2008 n° 0716.398 ; Cass. Com. 17 février 2015 n°13-27749).
En l’espèce, il est constant que le jugement du 28 février 2020, statuant sur la fin de non-recevoir opposée par la société Turenne Editions et la Galerie [T] [L] à l’encontre de M. [X] au motif qu’il n’avait pas assigné M. [Z] lequel bénéficiait pourtant d’une présomption de titularité sur les oeuvres en cause, a dit « qu’à ce stade de la procédure » et « alors qu’il n’appartient pas encore au tribunal de statuer sur la question de la titularité des droits sur les oeuvres litigieuses », « [I] [X] est recevable en ses demandes vis-à vis des sociétés Turenne Editions et Galerie [T] [L] », ces éléments éclairant la portée du dispositif qui a débouté les sociétés Turenne Edition et Galerie [T] [L] de leur fin de non-recevoir.
Il se déduit de ces mentions expresses que le tribunal a jugé prématuré de statuer sur les questions de titularité des droits sur les oeuvres litigieuses, et donc de recevabilité à agir ainsi qu’il résulte des expressions « à ce stade de la procédure » et « alors qu’il n’appartient pas encore au tribunal de statuer ». Ce jugement, en ce qu’il a débouté les sociétés Turenne Editions et Galerie [T] [L], de leur fin de non-recevoir, est donc dépourvu de toute autorité de la chose jugée, et n’avait pas, en conséquence, un caractère d’ordre public.
La demande de M. [X] d’opposer l’autorité de la chose jugée du jugement du 28 février 2020 sera donc rejetée.
Sur la recevabilité de M. [X]
M. [X] soutient que le tribunal a, en déclarant irrecevable son action, méconnu les dispositions de l’article L. 335-3 du code de propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon ; qu’une telle action, pour être recevable, doit nécessairement contenir la preuve que le demandeur justifie de l’appartenance des droits qu’il invoque ; qu’il a rempli cette obligation en développant dans ses écritures et en versant de nombreuses pièces prouvant qu’il était bien le titulaire des droits ; qu’en rajoutant une obligation non prévue par la loi, et alors que celui qui s’est présenté comme l’auteur véritable des oeuvres apportait des éléments dans ce sens, le tribunal ne pouvait s’exonérer d’examiner la validité des preuves avant de statuer sur le fond ; qu’il est exceptionnel que l’auteur d’une oeuvre contrefaite connaisse l’identité du faussaire ; que l’absence de mise en cause initiale de M. [Z] n’est pas un motif d’irrecevabilité alors qu’il a longuement exposé les motifs qui justifient selon lui qu’il est le réel créateur des titulaires des droits sur les oeuvres ; que l’analyse consistant à dire qu’il n’existe pas de lien juridique entre lui et M. [Z] est erronée ; qu’une fois que M. [Z] et la société Magis sont devenues parties à la procédure, il a présenté des demandes directement dirigées contre M. [Z] ; qu’un lien juridique direct est bien né.
M. [Z] et la société Magis soutiennent que l’ensemble du raisonnement fondé sur une violation de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle est biaisé ; que [O] [Z] est l’auteur des oeuvres revendiquées et que c’est précisément parce que M. [X] n’établit pas sa propre qualité d’auteur qu’il n’est pas recevable à agir ; que l’appel en garantie ne crée pas de lien d’instance entre le demandeur à l’instance principale et le défendeur à l’instance en garantie ; qu’aucun lien procédural n’unit [I] [X] et [O] [Z] puisque [O] [Z] et la société Magis ont été assignés par la seule Monnaie de [Localité 12] aux fins de la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre s’agissant de quatre oeuvres qu’elle a exposées en vertu d’un contrat.
La Galerie [T] [L] et la société Turenne Editions sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a considéré qu’il n’y a pas de lien d’instance entre [I] [X] et [O] [Z], ce qui justifie l’irrecevabilité du demandeur, puisque [I] [X] qui revendique un droit d’auteur exclusif devait renverser la présomption dont bénéficie [O] [Z].
La Monnaie de [Localité 12] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a tiré toutes les conséquences de l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel «La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée », qu’il a constaté que M. [Z] n’était dans la cause que comme garant de La Monnaie de [Localité 12], et que M. [X] ne prétendait même pas démontrer sa paternité sur les oeuvres qu’il revendique pourtant à titre exclusif.
Sur ce,
Aux termes de l’article 32 du code de procédure civile, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ».
Conformément à l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui ll’oeuvre est divulguée».
L’auteur est donc présumé être celui ayant divulgué ll’oeuvre pour la première fois sous son nom, cette présomption simple étant réfragable.
En l’espèce, il n’est pas contesté que les oeuvres litigieuses, sur lesquelles [I] [X] revendique la titularité des droits à titre exclusif, à savoir les oeuvres dénommées « La Nona Ora, 1999 », « La Rivoluzione Siamo Noi, 2000 », « Sans titre, 2000 », « Him, 2001», « Frank and Jamie, 2002 » (2002) ; « [U], 2002 », « Betsy, 2003 » et « Now, 2004», ont toutes été divulguées sous le seul nom de [O] [Z], aussi bien dans la presse où il est présenté comme leur unique auteur, qu’à l’occasion des expositions. En application de l’article L. 113-1 susvisé, M. [Z] est donc présumé être l’auteur desdites oeuvres.
M. [Z], la société Magis, la Galerie [T] [L], la société Turenne Editions et La Monnaie de [Localité 12] opposent l’irrecevabilité à agir de M. [X] aux motifs qu’il n’a pas assigné [O] [Z], lequel a été assigné en garantie par la Monnaie de [Localité 12], qu’aucun lien procédural n’existe entre M. [X] et M. [Z], qu’il ne peut donc revendiquer des droits visant à évincer ce dernier du bénéfice de la présomption de titularité, outre que M. [X] ne cherche même pas à démontrer sa paternité sur les oeuvres qu’il revendique.
Le tribunal a justement retenu que la recevabilité des demandes de M. [X] formées en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à la démonstration par ce dernier de sa qualité d’auteur des oeuvres litigieuses, laquelle est contestée et nécessite de renverser la présomption de titularité dont bénéficie M. [Z], M. [X] revendiquant une titularité exclusive sur lesdites oeuvres.
Il est pourtant constant que M. [X] n’a pas assigné M. [Z]. Ce dernier a été attrait dans la cause par La Monnaie de [Localité 12] au titre d’un appel en garantie.
Cependant l’appel en garantie simple ne crée de lien juridique qu’entre l’appelant en garantie et l’appelé, à l’exclusion de tout lien entre le demandeur à l’action principale et l’appelé en garantie (Cass.1re civ., 15 mai 2015, n° 14-11.685).
M. [Z] et la société Magis sont devenus parties à l’instance du fait leur intervention forcée par La Monnaie de [Localité 12], qui les a appelés en garantie sur le fondement de la responsabilité contractuelle au titre des seules oeuvres exposées, à savoir « La Nona Ora », «La Rivoluzione Siamo Noi », « Him » et « Le petit [Z] de Rotterdam », aucun lien juridique n’étant pour autant créé, du fait de cette intervention forcée, entre M. [Z], la société Magis, appelés en garantie, et le demandeur principal, M. [I] [X].
Dès lors, et ainsi que l’a retenu le tribunal par des motifs que la cour adopte, faute d’avoir assigné en personne [O] [Z], auteur présumé des oeuvres dont il revendique la titularité des droits, [I] [X] doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur.
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande de M. [X] de dire que le jugement du 28 février 2020 est revêtu de l’autorité de la chose jugée ;
Condamne M. [I] [X] aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile, le condamne à verser à ce titre, aux sociétés Galerie [T] [L] et Turenne Editions, la somme globale de 5 000 euros, et à La Monnaie de [Localité 12], la somme de 5 000 euros.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE