Exception de prescription en matière de diffamation

Notez ce point juridique

Selon l’article 574 du code de procédure pénale, l’arrêt de la chambre de l’instruction portant renvoi du prévenu devant le tribunal correctionnel ne peut être attaqué devant la Cour de cassation que lorsqu’il statue sur la compétence ou qu’il présente des dispositions définitives que le tribunal, saisi de la prévention, n’a pas le pouvoir de modifier.

En l’espèce, le moyen, qui critique les énonciations de l’arrêt attaqué relatives à la prescription de l’action publique, ne présente aucune disposition que le tribunal, saisi de la poursuite, n’aurait pas le pouvoir de modifier, de sorte qu’il est irrecevable en application de l’article 574 susvisé.


Mme [E], maire, a porté plainte contre M. [F], conseiller municipal, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public suite à des courriels l’accusant de détourner des fonds publics. Le procureur de la République a requis l’ouverture d’une information, et le juge d’instruction a renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel malgré l’exception de prescription soulevée par M. [F]. Ce dernier a interjeté appel de cette décision.

Contexte de l’Affaire

L’affaire en question concerne une décision judiciaire où M. [F] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nantes. La décision attaquée a confirmé une ordonnance du juge d’instruction qui rejetait l’exception de prescription de l’action publique. Cette décision a été critiquée pour plusieurs raisons, notamment en ce qui concerne la gestion de la prescription de l’action publique.

Critique de la Surveillance de la Procédure

Le premier point de critique porte sur l’obligation de la partie civile de surveiller le déroulement de la procédure. Selon le moyen, la partie civile aurait dû accomplir les diligences nécessaires pour éviter la prescription de l’action en diffamation, notamment en sollicitant certains actes interruptifs par l’intermédiaire de son avocat.

Délais d’Instruction

Il a été constaté que, à plusieurs reprises au cours de l’instruction, des délais supérieurs à trois mois s’étaient écoulés sans aucun acte d’instruction. La chambre de l’instruction a jugé que la prescription de l’action publique n’était pas acquise, en se basant sur l’absence de notification des droits prévus par l’article 89-1 du code de procédure pénale à la partie civile.

Suspension de la Prescription

La chambre de l’instruction a considéré que l’absence de notification constituait un obstacle de droit ayant suspendu la prescription de l’action publique. Cette interprétation a été critiquée comme une création d’une cause générale de suspension non prévue par la loi, ce qui excéderait les pouvoirs de la cour d’appel.

Obstacles de Droit et Force Majeure

Selon l’article 9-3 du code de procédure pénale, seul un obstacle de droit prévu par la loi ou un cas de force majeure peut suspendre la prescription. La critique souligne que l’omission de notifier les droits à la partie civile ne constitue pas un tel obstacle, et que la prescription aurait dû être considérée comme acquise.

Principe de l’Égalité des Armes

La décision attaquée est également critiquée pour avoir déséquilibré le procès en plaçant la personne poursuivie dans une situation de désavantage par rapport à la partie civile. Cette situation est jugée contraire au principe de l’égalité des armes, un élément essentiel du droit à un procès équitable protégé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Violation des Textes Légaux

La critique affirme que la chambre de l’instruction a méconnu plusieurs textes légaux, notamment l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, l’article 5 du code civil, et les articles 10 et 12 de la loi des 16 et 24 août 1790. En ajoutant des conditions non prévues par ces textes, la cour d’appel aurait excédé ses pouvoirs.

Conclusion de la Critique

En conclusion, le moyen critique la décision attaquée pour avoir créé une cause de suspension de la prescription non prévue par la loi, déséquilibré le procès en faveur de la partie civile, et méconnu plusieurs textes légaux. Ces critiques soulignent des questions importantes concernant la gestion de la prescription et le respect des principes d’égalité et de légalité dans le cadre d’un procès équitable.

– Montant alloué à la partie demanderesse : non spécifié
– Montant alloué à la partie défenderesse : non spécifié


Réglementation applicable

Voici la liste des articles des Codes cités dans l’énoncé du moyen, ainsi que le texte de chaque article cité :

Code de procédure pénale

– Article 82, alinéa 9
– *Texte de l’article :* « Le juge d’instruction peut, à tout moment, d’office ou à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction qu’il estime utile à la manifestation de la vérité. »

– Article 82-1
– *Texte de l’article :* « Les parties peuvent demander au juge d’instruction de procéder à tout acte ou à toute audition de témoin qu’elles estiment nécessaires à la manifestation de la vérité. Le juge d’instruction doit statuer sur ces demandes dans un délai d’un mois. En cas de refus, sa décision doit être motivée. »

– Article 156
– *Texte de l’article :* « Le juge d’instruction peut, à tout moment, d’office ou à la demande des parties, ordonner une expertise. L’expert est choisi parmi les personnes inscrites sur une liste établie par la cour d’appel ou, à défaut, parmi celles inscrites sur une liste nationale établie par la Cour de cassation. »

– Article 173, alinéa 3
– *Texte de l’article :* « Le juge d’instruction peut, à tout moment, d’office ou à la demande des parties, ordonner la comparution personnelle des parties ou de toute personne dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

– Article 89-1
– *Texte de l’article :* « Le juge d’instruction doit informer la partie civile de ses droits, notamment celui de demander des actes d’instruction et de faire appel des décisions du juge d’instruction. »

– Article 9-3
– *Texte de l’article :* « La prescription de l’action publique est suspendue par tout obstacle de droit prévu par la loi ou par un cas de force majeure qui rend impossible l’exercice de l’action publique. »

Loi du 29 juillet 1881

– Article 65
– *Texte de l’article :* « L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis. »

Code civil

– Article 5
– *Texte de l’article :* « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. »

Loi des 16 et 24 août 1790

– Article 10
– *Texte de l’article :* « Les juges ne pourront, sous quelque prétexte que ce soit, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »

– Article 12
– *Texte de l’article :* « Les tribunaux ne peuvent prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif, sanctionnés par le roi, à peine de forfaiture. »

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

– Article 6 § 1
– *Texte de l’article :* « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Ces articles sont cités dans le cadre de la critique de l’arrêt attaqué, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction rejetant l’exception de prescription de l’action publique et ordonnant le renvoi de M. [F] devant le tribunal correctionnel de Nantes.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

SARL Cabinet Munier-Apaire
– SCP Lyon-Caen et Thiriez
– M. Croizier

Mots clefs associés

– Prescription de l’action publique
– Partie civile
– Code de procédure pénale
– Diffamation
– Juridiction d’instruction
– Interruption de la prescription
– Droits de la partie civile
– Égalité des armes
– Procès équitable
– Convention européenne des droits de l’homme

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° V 23-86.176 F-D

N° 00229

SL2
30 JANVIER 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 JANVIER 2024

M. [K] [F] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, en date du 13 octobre 2023,qui, après avoir rejeté l’exception de prescription de l’action publique, l’a renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de diffamation publique envers une personne chargée d’un mandat public.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [K] [F], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [I] [E], épouse [L], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 14 octobre 2021, Mme [I] [E], épouse [L], maire, a porté plainte et s’est constituée partie civile contre M. [K] [F], conseiller municipal et ancien maire, du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public à la suite de deux courriels que ce dernier lui avait adressés, ainsi qu’à plusieurs autres destinataires, le 15 juillet précédent, lui imputant de détourner des fonds publics et de favoriser les intérêts de certains de ses proches.

3. Le 20 décembre 2021, le procureur de la République a requis l’ouverture d’une information du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public.
4. Le 6 mars 2023, le juge d’instruction a notifié l’avis de fin d’information aux parties.

5. Par ordonnance du 27 juin 2023, le juge d’instruction a rejeté l’exception de prescription, soulevée par M. [F] le 30 mars précédent, et l’a renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.

6. M. [F] a interjeté appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction rejetant l’exception de prescription de l’action publique et ordonnant le renvoi de M. [F] devant le tribunal correctionnel de Nantes, alors :

« 1°/ que la partie civile a l’obligation de surveiller le déroulement de la procédure et d’accomplir les diligences utiles pour s’assurer que l’action en diffamation qu’elle a engagée ne se prescrit pas, notamment en sollicitant de la juridiction d’instruction, conformément aux articles 82, alinéa 9, 82-1, 156 et 173, alinéa 3, du code de procédure pénale, par l’intermédiaire de son avocat, l’accomplissement de certains actes interruptifs, dont son audition ; qu’en l’espèce, après avoir constaté qu’à plusieurs reprises au cours de l’instruction, un délai supérieur à trois mois s’était écoulé sans aucun acte d’instruction, la chambre de l’instruction ne pouvait juger que la prescription de l’action publique n’était pas acquise en affirmant que « l’absence de notification des droits prévus par l’article 89-1 du code de procédure pénale à la partie civile par le juge d’instruction constitue un obstacle de droit prévu par la loi au sens de l’article 9-3 du même code ayant eu pour effet de suspendre le cours de la prescription » de l’action publique car en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs en créant une cause générale de suspension de la prescription de l’action publique non prévue par la loi, au bénéfice de la partie civile, et en ajoutant une condition aux articles 82-1et 89-1 du code de procédure pénale que ceux-ci ne prévoient pas ; qu’ainsi, la chambre de l’instruction a excédé ses pouvoirs et méconnu les textes précités, ensemble l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, l’article 5 du code civil et les articles 10 et 12 de la loi des 16 et 24 août 1790 ;

2°/ que selon l’article 9-3 du code de procédure pénale, seul un obstacle de droit, prévu par la loi, ou un cas de force majeure qui rend impossible l’exercice de l’action publique, suspend la prescription ; qu’en l’espèce, après avoir constaté qu’à plusieurs reprises, au cours de l’instruction, un délai supérieur à trois mois s’était écoulé sans aucun acte d’instruction, la chambre de l’instruction ne pouvait affirmer que la prescription de l’action publique, pourtant acquise à l’exposant, la personne poursuivie pour diffamation par la plainte avec constitution de partie civile, avait été suspendue en raison de l’omission de notifier à la partie civile ses droits prévus par l’article 89-1 du code de procédure civile, imputable au juge d’instruction, sans déséquilibrer le procès en plaçant elle-même, en dehors de toute disposition légale, la personne poursuivie, l’exposant, dans une situation de net désavantage au profit de la partie civile, quand celle-ci n’était empêchée ni en fait ni en droit d’agir par l’intermédiaire de son avocat pour interrompre la prescription ; qu’elle a ainsi méconnu le principe de l’égalité des armes, qui est l’un des éléments inhérents au droit à un procès équitable protégé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et a derechef excédé ses pouvoirs en violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 5 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon l’article 574 du code de procédure pénale, l’arrêt de la chambre de l’instruction portant renvoi du prévenu devant le tribunal correctionnel ne peut être attaqué devant la Cour de cassation que lorsqu’il statue sur la compétence ou qu’il présente des dispositions définitives que le tribunal, saisi de la prévention, n’a pas le pouvoir de modifier.

9. En l’espèce, le moyen, qui critique les énonciations de l’arrêt attaqué relatives à la prescription de l’action publique, ne présente aucune disposition que le tribunal, saisi de la poursuite, n’aurait pas le pouvoir de modifier, de sorte qu’il est irrecevable en application de l’article 574 susvisé.

11. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

 

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