Une enseigne lumineuse originale est protégée par les droits d’auteur.
L’oeuvre, au sens du code de la propriété intellectuelle, est l’oeuvre de l’esprit prévue à l’article L. 111-1 selon lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
En application de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle, les oeuvres de l’esprit sont protégées quels que soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. L’article L. 112-2, 10° du même code vise spécialement les oeuvres appliquées, éligibles à la protection du droit d’auteur.
La protection conférée par le droit d’auteur ne peut s’appliquer à la forme d’une œuvre de l’esprit qu’à condition que cette dernière ne soit pas entièrement dictée par sa fonction. Il en résulte que la protection d’une œuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable.
Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut du droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
L’originalité d’une œuvre de l’esprit doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments qui la composent ; elle peut résulter de la combinaison d’éléments connus lorsque celle-ci est inédite et traduit un effort créatif (Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2001, pourvoi n° 99-13.713 ; Cass. Com., 17 mars 2004, pourvoi n°03-18.067 ; Cass. Civ.1ère, 22 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.334 ; Cass. Civ.1ère, 12 septembre 2018, pourvoi n° 17-18.390 ; Cass. Civ. 1ère, 24 octobre 2018, pourvoi n° 16-23.214).
Résumé de l’affaire
La société Live & Co accuse la société EB Créations de contrefaçon pour avoir reproduit à l’identique une enseigne lumineuse créée pour Talentsoft. Live & Co affirme que l’enseigne, conçue pour évoquer des émotions spécifiques, est une œuvre originale protégée par le droit d’auteur. EB Créations conteste l’originalité de l’enseigne, arguant que les choix créatifs proviennent de Talentsoft et que la conception est dictée par des considérations utilitaires.
Sur l’originalité
Live & Co soutient que l’enseigne lumineuse, suspendue au plafond, avec des bords arrondis et des panneaux de plexiglas colorés et rétroéclairés, est une œuvre originale. EB Créations rétorque que ces éléments sont courants et utilisés depuis longtemps dans le domaine de la signalétique. Le tribunal doit déterminer si la combinaison de ces éléments confère à l’enseigne un caractère original.
Moyens des parties
Live & Co argue que l’enseigne est une création originale répondant à une demande émotionnelle de Talentsoft. EB Créations soutient que les choix créatifs sont dictés par Talentsoft et que l’enseigne n’est pas originale, car elle utilise des éléments courants dans la signalétique. Le tribunal doit évaluer les arguments des deux parties pour déterminer l’originalité de l’enseigne.
Appréciation du tribunal
Le tribunal rappelle que pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre doit être originale et porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. Il examine les éléments de l’enseigne de Live & Co et conclut que la combinaison des panneaux de plexiglas colorés et rétroéclairés avec une forme rectangulaire aux bords arrondis est originale. Le tribunal rejette les arguments d’EB Créations et reconnaît l’originalité de l’enseigne.
Sur la contrefaçon
Live & Co accuse EB Créations d’avoir reproduit les caractéristiques essentielles de son enseigne, notamment la combinaison d’un quadrilatère aux bords arrondis avec des plaques de plexiglas colorées et rétroéclairées. EB Créations conteste, arguant que les différences entre les deux enseignes sont significatives. Le tribunal doit évaluer si les ressemblances l’emportent sur les différences.
Moyens des parties
Live & Co affirme que les caractéristiques originales de son enseigne ont été reproduites par EB Créations, tandis que cette dernière soutient que les différences entre les deux enseignes sont importantes. Le tribunal doit déterminer si la reproduction constitue une contrefaçon en se basant sur les ressemblances entre les deux œuvres.
Appréciation du tribunal
Le tribunal constate que l’enseigne d’EB Créations reprend les caractéristiques originales de celle de Live & Co, notamment la combinaison d’un quadrilatère aux bords arrondis avec des plaques de plexiglas colorées et rétroéclairées. Les différences invoquées par EB Créations sont jugées insignifiantes. Le tribunal conclut que la contrefaçon est établie.
Sur les mesures de réparation
Live & Co demande des dommages-intérêts pour manque à gagner et préjudice moral. EB Créations conteste ces demandes, arguant que le manque à gagner n’est pas prouvé et que le préjudice moral n’est pas justifié. Le tribunal doit évaluer les preuves fournies par Live & Co pour déterminer le montant des dommages-intérêts.
Appréciation du tribunal
Le tribunal reconnaît que Live & Co a subi un préjudice matériel et moral en raison de la contrefaçon. Il accorde à Live & Co des dommages-intérêts de 7.640 euros, incluant 3.640 euros pour le préjudice matériel et 4.000 euros pour le préjudice moral. Le tribunal rejette les arguments d’EB Créations concernant l’absence de préjudice.
Sur les dispositions finales
Le tribunal condamne EB Créations aux dépens de l’instance et à payer 5.000 euros à Live & Co sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter. EB Créations est déboutée de sa demande sur le même fondement.
La société Live & Co a répondu à un appel d’offres de la société Talentsoft pour la conception d’un stand sur un salon professionnel. Lors d’un salon en 2021, Live & Co a constaté qu’une enseigne lumineuse quasi identique à celle qu’elle avait créée pour Talentsoft était utilisée par la société Crosstalent, concurrent de Talentsoft, avec qui la société EB Créations travaillait. Live & Co a alors mis en demeure EB Créations de cesser toute utilisation de l’enseigne litigieuse et l’a assignée en justice pour contrefaçon et concurrence déloyale. Live & Co demande des dommages-intérêts pour préjudice économique et moral. EB Créations conteste les accusations et demande à être déboutée de toutes les demandes.
Réglementation applicable
– Article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle : Constitue le délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
– Article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
– Article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle : Les œuvres de l’esprit sont protégées quels que soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
– Article L. 112-2, 10° du code de la propriété intellectuelle : Les œuvres appliquées sont éligibles à la protection du droit d’auteur.
– Article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle : L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne.
– Article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle : Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.
– Article L. 122-3 du code de la propriété intellectuelle : La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte.
– Article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle : Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
– Article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle : Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, le préjudice moral causé à la partie lésée, et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits.
– Article 700 du code de procédure civile : Dispositions relatives aux frais de justice et aux dépens de l’instance.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Floriane GUIBERT
– Me Marc PICHON DE BURY
Mots clefs associés
– Originalité
– Contrefaçon
– Droit d’auteur
– Propriété intellectuelle
– Oeuvre de l’esprit
– Combinaison d’éléments
– Protection juridique
– Tribunal
– Preuve de création originale
– Reproduction illicite
– Dommages et intérêts
– Préjudice économique
– Préjudice moral
– Mesures de réparation
– Dépens de l’instance
– Exécution provisoire
– Originalité: Caractère de ce qui est nouveau, inédit, créatif.
– Contrefaçon: Utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur.
– Droit d’auteur: Ensemble des droits exclusifs accordés à l’auteur d’une œuvre intellectuelle.
– Propriété intellectuelle: Ensemble des droits protégeant les créations de l’esprit.
– Œuvre de l’esprit: Création originale résultant de l’expression de la personnalité de son auteur.
– Combinaison d’éléments: Assemblage d’éléments distincts formant une œuvre protégée.
– Protection juridique: Ensemble des mesures légales visant à protéger les droits de propriété intellectuelle.
– Tribunal: Juridiction chargée de trancher les litiges relatifs au droit d’auteur.
– Preuve de création originale: Élément permettant d’établir l’originalité d’une œuvre.
– Reproduction illicite: Copie non autorisée d’une œuvre protégée.
– Dommages et intérêts: Réparation financière accordée à la victime d’une contrefaçon.
– Préjudice économique: Perte financière subie en raison d’une violation du droit d’auteur.
– Préjudice moral: Atteinte à la réputation ou à l’intégrité de l’auteur d’une œuvre.
– Mesures de réparation: Actions prises pour compenser les dommages causés par une contrefaçon.
– Dépens de l’instance: Frais engagés lors d’une procédure judiciaire.
– Exécution provisoire: Mise en œuvre immédiate d’une décision judiciaire en attendant un éventuel appel.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me GUIBERT E1916
Copie certifiée conforme délivrée à : Me PICHON DE BURY D1740
■
3ème chambre
1ère section
N° RG 22/02411
N° Portalis 352J-W-B7G-CWCS7
N° MINUTE :
Assignation du :
14 février 2022
JUGEMENT
rendu le 04 avril 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. LIVE & CO
Bâtiment 1
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Floriane GUIBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E1916
DÉFENDERESSE
S.A.R.L.U ETIENNE BELLE CRÉATIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marc PICHON DE BURY de la SELAS DE BURY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1740
Décision du 04 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/02411
N° Portalis 352J-W-B7G-CWCS7
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
A l’audience du 23 octobre 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 08 février 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 04 avril 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Live & Co est spécialisée dans la conception, le montage et le démontage de stands-sur-mesure sur les salons professionnels.
La société Etienne Belle Créations (la société EB Créations) fait partie du Groupe Pallas et exerce une activité de conseil et d’assistance en communication événementielle.
Au mois de septembre 2019, la société Live & Co a répondu, dans le cadre de son activité, à un appel d’offres de la société Talentsoft visant à la conception, au montage et au démontage d’un stand pour divers salons, parmi lesquels le salon Solution Ressources Humaines (SRH) du 17 au 19 mars 2020, moyennant un devis de la société Live & Co du 13 décembre 2019, d’un montant total de 118.480 €.
Ayant été informée lors du salon SRH 2021 du montage, pour le compte de la société Crosstalent, concurrent de la société Talentsoft, d’une enseigne lumineuse jugée quasi identique à celle qu’elle avait créée pour cette dernière, la société Live & Co a fait procéder à un constat d’huissier sur le stand litigieux du salon qui s’est tenu le 8 septembre 2021.
Le 21 septembre 2021, la société Live & Co a mis en demeure la société EB Créations de cesser toute utilisation de l’enseigne litigieuse et d’indemniser son préjudice, estimant que la reprise sur le stand Crosstalent de l’enseigne lumineuse créée pour la société Talentsoft était une copie à l’identique, lui causant un préjudice commercial et d’image manifeste.
Reprochant à la société EB Créations de faire preuve de mauvaise foi et de désinvolture, la société Live & Co l’a, par acte d’huissier du 14 février 2022, assignée devant le présent tribunal en contrefaçon de son oeuvre et paiement de dommages-intérêts.
Dans ses conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 27 février 2023, la société Live & Co demande au tribunal, au visa des articles L. 335-4 et L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle et 1240 et 1241 du code civil, de :A titre principal :
– Constater que la reproduction et la représentation, lors du salon SRH 2021, par la société EB Créations de l’oeuvre conçue par la société Live & Co constitue une contrefaçon d’une oeuvre de l’esprit au sens de l’article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle ;
– Condamner la société EB Créations à lui verser la somme de 60.335 euros au titre de son préjudice économique tiré de la contrefaçon de son oeuvre, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir ;
– Condamner la société EB Créations à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral tiré de la contrefaçon de son oeuvre, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir ;
A titre subsidiaire :
– Constater que la société EB Créations a reproduit, quasiment à l’identique, l’enseigne dessinée par la société Live & Co pour la société Talentsoft au profit de l’un de ses concurrents directs, la société Crosstalent ;
– Constater que la société EB Crétions a exposé cette reproduction lors du salon RSH 2021 sur lequel l’enseigne Talentsoft avait elle-même été exposée l’année précédente ;
– Constater que ces agissements ont créé un risque de confusion majeur dans l’esprit du public et sont dès lors constitutifs d’un acte de concurrence parasitaire ;
– Constater qu’elle a subi un réel manque à gagner du fait des agissements de la société EB Créations ;
– Constater que les critères de la concurrence déloyale sont réunis ;
– Condamner la société EB Créations à lui verser la somme de 60.335 euros au titre de son préjudice économique tiré de la concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir ;
– Condamner la société EB Créations à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral tiré de la concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir ;
En tout état de cause :
– Condamner la défenderesse aux entiers dépens et à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2023, la société EB créations demande au tribunal, au visa des articles L. 122-3 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle et 1240 et 1241 du code civil, de : – Débouter la demanderesse de toutes ses demandes ;
– Condamner la société Live & Co aux entiers dépens et à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’instruction a été close le 14 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’originalité
Moyens des parties
La société Live & Co soutient qu’en reproduisant à l’identique l’enseigne lumineuse créée par la demanderesse, la société EB Créations s’est rendue coupable de contrefaçon d’une oeuvre de l’esprit au sens de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle. Elle expose qu’elle a créé cette enseigne afin de répondre dans le cadre de l’appel d’offres à une demande d’ordre émotionnel, celle de communiquer au public à partir du design du stand les émotions recherchées par la société Talentsoft en ces termes « innovant, authentique, humain, chaleureux, accueillant, coloré et dynamique ». Elle prétend que son travail l’a menée, pour créer les émotions recherchées, à intégrer au design du stand une enseigne lumineuse massive, suspendue, aux angles arrondis et présentant 4 couleurs en son centre, inspirée de l’idée du papillon, lequel en ce qu’il est coloré, joyeux et virevoltant, était perçu comme en adéquation avec les émotions recherchées par la société Talentsoft. Elle rapporte ainsi que les équipes de Live & Co ont décidé de suspendre l’enseigne au plafond pour donner l’impression qu’elle vole au-dessus du sol ; d’arrondir les bords de l’enseigne pour donner douceur et rondeur au design ; de suspendre des panneaux de plexi colorés comme les ailes du papillon ; de jouer sur la transparence de ces panneaux pour renforcer la légèreté ; de créer un camaïeu de couleurs au centre de l’enseigne pour répondre à l’exigence d’une impression visuelle colorée ; de rétroéclairer l’enseigne ; de placer des spots éclairants le reste de l’enseigne sur les bords de celle-ci ; d’apposer le nom de la marque sur chaque côté de l’enseigne. Elle ajoute que l’originalité de son enseigne tient à la combinaison entre l’enseigne de forme rectangulaire, les bords arrondis, les panneaux de plexiglass colorés et rétroéclairés ; que la suspension des panneaux de plexiglas, si l’idée n’est pas nouvelle, revêt une forme originale qui suffit à conférer à l’oeuvre son caractère protégeable.
La société EB Créations oppose essentiellement que la grande majorité des choix « créatifs » dont se prévaut la demanderesse a été faite par la société Talentsoft et non par la société Live & Co, laquelle ne justifie pas de l’originalité qu’elle allègue. Elle ajoute que le reste de l’enseigne n’est pas original dès lors que sa conception est dictée par des considérations utilitaires : suspendre l’enseigne au-dessus du stand avec le nom de l’exposant apposé sur les côtés pour répondre à l’objectif de donner de la visibilité au stand et d’indiquer son emplacement aux visiteurs. Elle soutient encore que ce type d’enseigne est exploitée, en sa partie supérieure, depuis plusieurs années par le groupe Pallas dont la société EB Créations fait partie ; que le fait de suspendre des plaques de plexiglas colorés n’est pas nouveau dans le domaine de la signalétique et des espaces publics ; que la combinaison d’un quadrilatère blancs et de pendillons colorés pour constituer une enseigne ne témoigne pas d’une grande originalité.
Appréciation du tribunal
L’oeuvre, au sens du code de la propriété intellectuelle, est l’oeuvre de l’esprit prévue à l’article L. 111-1 selon lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle, les oeuvres de l’esprit sont protégées quels que soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. L’article L. 112-2, 10° du même code vise spécialement les oeuvres appliquées, éligibles à la protection du droit d’auteur.
La protection conférée par le droit d’auteur ne peut s’appliquer à la forme d’une œuvre de l’esprit qu’à condition que cette dernière ne soit pas entièrement dictée par sa fonction. Il en résulte que la protection d’une œuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut du droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
L’originalité d’une œuvre de l’esprit doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments qui la composent ; elle peut résulter de la combinaison d’éléments connus lorsque celle-ci est inédite et traduit un effort créatif (Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2001, pourvoi n° 99-13.713 ; Cass. Com., 17 mars 2004, pourvoi n°03-18.067 ; Cass. Civ.1ère, 22 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.334 ; Cass. Civ.1ère, 12 septembre 2018, pourvoi n° 17-18.390 ; Cass. Civ. 1ère, 24 octobre 2018, pourvoi n° 16-23.214).
En l’espèce, l’enseigne créée par la société Live & Co pour la société Talentsoft, qui se présente suspendue au plafond du salon, au-dessus du stand, revêt une forme rectangulaire dotée, en partie haute, des bords arrondis et du nom de la marque sur chacun des côtés et, dans la partie inférieure, de panneaux de plexiglas transparents et colorés selon un camaïeu de quatre couleurs, suspendus au cadre de l’enseigne, laquelle est rétroéclairée de façon à illuminer les plaques colorées. Les caractéristiques invoquées par la société demanderesse au soutien de l’originalité revendiquée sont la combinaison entre l’enseigne rectangulaire aux bords arrondis et les panneaux de plexiglas colorés et rétroéclairés.
La partie haute de l’enseigne de forme rectangulaire apparaît certes banale et ne traduit aucun choix créatif. Cependant, si la société EB Créations établit qu’elle exploite la même forme d’enseigne et cela, comme elle l’allègue sans être contredite par la société Live & Co, depuis plusieurs années et si elle justifie, en outre, que la suspension de plaques dans un matériau coloré, plexiglass ou papier, est utilisée comme signalétique ou encore qu’une enseigne combinant la forme d’un quadrilatère sur lequel est apposé le nom de l’entreprise exposante avec des panneaux suspendus, a été réalisée pour la société Total Energies, aucune date certaine de leur création n’est établie.
De même, si elle se prévaut de la conception d’une enseigne sous la forme d’un rectangle blanc sur lequel est apposé le nom de l’entreprise exposante et duquel pendent des « pendrillons en papier non tissé type filandre bleu formant une vague décorative », le tout étant équipé de 10 projecteurs LED 10W sur l’extérieur de l’enseigne et 4 projecteurs LED 50 W sur l’intérieur de l’enseigne, elle ne démontre pas, ni même n’allègue que cette enseigne rectangulaire, aux pendrillons de papier colorés en une seule teinte, créant la forme d’une vague et rétroéclairés, constitue une création antérieure à celle de la société Live & Co.
Force est de constater, surtout, qu’aucune des enseignes de stands de forme rectangulaire dont la société EB Création produit les photographies, ne présentent la combinaison d’une partie haute rectangulaire et aux bords arrondis avec des panneaux suspendus en plexiglass colorés et rétroéclairés. La société Live & Co souligne à juste titre le rôle prépondérant du matériau adéquat que constitue ici l’usage du plexiglass, choix non anodin, qui plus est sous une forme suspendue et multicolore, dès lors que seul le plexiglas transparent procure une allure futuriste et aérienne, que ne peuvent rendre des matériaux naturels ou artisanaux tels que le tissu ou le papier, privilégiés dans les enseignes invoquées par la défenderesse, cependant que le rétroéclairage des plaques de plexiglas transparentes et colorées assure un caractère féérique, chaleureux et ludique à l’ensemble. En outre, les bords arrondis donnent de la rondeur au design au sens propre comme figuré. Enfin, il ne peut qu’être relevé que la société EB Créations ne démontre pas que la demanderesse n’aurait réalisé qu’une « oeuvre de commande », dont la plupart des caractéristiques auraient été dictées, voire imposées par la société Talentsoft. La combinaison nouvelle de tous ces éléments, quand bien même seraient-ils connus pris individuellement, ne peut ni être regardée comme constituant la banale reprise d’un fonds commun non appropriable, ni n’apparaît essentiellement dictée par des considérations utilitaires de visibilité et d’identification auxquelles est assujetti tout exposant dans un salon, mais revêt un caractère singulier, résultat d’un véritable processus créatif,qui doit être protégé par le droit d’auteur en l’absence d’un modèle préexistant qui comprenne tous les éléments dans la même combinaison.
Il y a donc lieu de considérer que cette enseigne est originale et éligible à la protection du droit d’auteur.
Sur la contrefaçon
Moyens des parties
La société Live & Co soutient que les caractéristiques essentielles de son oeuvre lui conférant son originalité ont été reproduites et représentées quasiment à l’identique par la société EB Créations en violation de ses droits ; que la comparaison des enseignes révèle la reprise de la combinaison d’un quadrilatère aux bords arrondis avec au centre des plaques de plexiglas colorées et transparentes, suspendues et rétroéclairées ; que les différences minimes invoquées par la défenderesse ne font pas échec à la contrefaçon qui s’apprécie en tout état de cause selon les ressemblances et non selon les différences.
La société EB Créations oppose en subtance l’existence de différences importantes entre son enseigne et celle créée par la société Live & Co, faisant valoir que l’appréciation de la contrefaçon n’implique pas de faire totalement abstraction des différences. Elle estime que des oeuvres appartenant au même genre présentent un certain nombre de ressemblances a fortiori s’agissant d’oeuvres utilitaires standardisées et constituées d’éléments similaires. Elle soutient que les éléments produits par la demanderesse sont insuffisants pour caractériser une contrefaçon.
Appréciation du tribunal
Selon l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. De la même manière, selon l’article L. 122-1, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. L’article L. 122-4 prévoit quant à lui que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. L’article L. 122-3 précise que la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte. Selon l’article L.122-2 de ce code, la représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque, tel que la présentation publique.
Aux termes de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, enfin, constitue le délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
Il est en outre constamment jugé que la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances et non par les différences (Civ. 1ère, 4 février 1992, pourvoi n° 90-21.630, Bull. 1992, I, n° 42 ; Civ. 1ère, 30 septembre 2015, pourvoi n° 14-19.105).
Le tribunal ne peut que constater ici la reprise, par l’enseigne de la défenderesse, des caractéristiques originales de la création de la société Live & Co et tenant à l’association d’un quadrilatère aux bords arrondis avec, au centre, des plaques suspendues de plexiglas colorées et transparentes, rétroéclairées.
L’enseigne Crosstalent ne se distingue de la création de la société Live & Co que par des détails insignifiants et tenant à la forme, biseautée, et à la couleur, réduite à deux, des plaques de plexiglas, outre le nom et le logo de Crosstalent sur l’enseigne, ce qui n’est pas de nature à contredire le fait que toutes les caractéristiques essentielles de l’enseigne de la demanderesse ont été reprises quasiment à l’identique, de façon telle qu’un concurrent a pu confondre les deux enseignes ainsi qu’il s’en est ouvert auprès de cette dernière.
Au demeurant, la société Live & Co démontre qu’avant le salon SRH 2020, le stand de la société Crosstalent était très différent du design de l’enseigne Talentsoft et qu’en étant présente sur le salon SRH 2020 avec un autre exposant, la société EB Création a ainsi eu connaissance de l’existence de l’enseigne Talentsoft.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société EB Création a, en toute connaissance de cause, reproduit l’oeuvre de la société Live & Co et l’a représentée au public, sans y avoir été autorisée par la société Live & Co.
La contrefaçon est ainsi établie. La demande formée à titre subsidiaire sur le fondement de la concurrence déloyale est donc devenue sans objet.
Sur les mesures de réparation
Moyens des parties
La société Live & Co sollicite l’indemnisation d’un préjudice au titre d’un manque à gagner qu’elle évalue à la somme de 45.335 euros, exposant qu’elle n’a jamais remonté le stand de Talentsoft compte tenu de sa trop grande similarité avec celui de Crosstalent ; qu’elle a engagé des frais de stockage du stand ; qu’elle a été privée des honoraires qu’elle aurait pu percevoir si elle avait monté le stand copié par la société EB Création ; que la durée de la contrefaçon importe peu dans la mesure où le salon réunit des milliers de visiteurs chaque année ; que ce manque à gagner doit être complété des bénéfices indus réalisés par la défenderesse. Elle demande également l’indemnisation d’un préjudice moral, car elle a mobilisé ses équipes pendant plus d’un mois pour concevoir le stand ce qui est beaucoup pour une société de sa taille, cependant que la société EB Création a fait preuve d’une légèreté blamable dans la mesure où elle connaissait l’existence de l’enseigne Talentsoft.
La société EB Créations soutient que les dommages-intérêts réclamés sont injustifiés. Elle considère qu’aucun manque à gagner n’est démontré en l’espèce et qu’en tout état de cause, le calcul de ce manque à gagner n’est pas sérieux puisqu’il prend en compte le montant du devis établi pour l’ensemble des prestations réalisées par la société Live & Co pour 5 salons professionnels alors que la conception de l’enseigne n’était qu’un élément du stand, et que ce calcul ne prend pas non plus en compte la durée de la prétendue contrefaçon limitée, en l’occurrence, à 3 jours. Elle ajoute que le préjudice moral n’est pas justifié. Elle prétend qu’elle était bien présente sur le salon SRH 2021 puisque la société Talentsoft a été rachetée par la société Cegid en juillet 2021 sous la bannière de laquelle elle a participé au salon et qu’en tout état de cause, la société Live & Co ne démontre pas qu’elle était au courant de l’absence de Talentsoft lors du salon de 2021.
Appréciation du tribunal
L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit quant à lui que, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
A titre liminaire, il importe de rappeler que les différents chefs de préjudice listés par l’article précité doivent être considérés distinctement et non cumulativement pour permettre un dédommagement fondé sur une base objective et l’octroi d’une répartion adaptée au préjudice subi du fait de l’atteinte. De ce fait, la demanderesse ne peut, comme elle le fait, solliciter des dommages-intérêts en cumulant les divers postes de préjudice.
En l’espèce, en portant atteinte aux droits d’auteur sur l’enseigne Talentsoft, la société défenderesse a fait subir un préjudice à la société Live & Co. Celle-ci produit un devis du 16 décembre 2019 d’un montant de 118.400 euros HT correspondant à l’installation d’un stand pour divers salons dont celui SRH 2020 ainsi qu’une attestation de son expert-comptable révélant une marge brute de 38,29% sur l’exercice 2020 et calcule son manque à gagner sur l’ensemble du devis et non sur la seule facturation de la conception de l’enseigne. Or, la société Live & Co ne démontre pas l’existence du manque à gagner qu’elle allègue et notamment que Crosstalent ou tout autre client aurait contracté avec elle si la société EB Créations n’avait pas conçu l’enseigne litigieuse. En outre, la société Live & Co allègue qu’elle n’a jamais remonté le stand pour la société Talentsoft en raison de sa trop grande similarité avec celui de Crosstalent. Elle ne démontre pas toutefois que la société Talentsoft, nonobstant sa fusion avec la société Cegid, a conservé sa marque, son stand et son enseigne. La société EB Créations justifie au contraire par le communiqué de presse du 12 juillet 2021 confirmant l’acquisition de Talentsoft par la société Cegid et les captures d’écran des publications Linkeldin de Cegid que celle-ci communiquait sous la marque et l’enseigne Cegid Talentsoft, et ce dès septembre 2021, en sorte que les frais de stockage du stand Talentsoft exposés en 2021 ne sauraient démontrer en soi une quelconque volonté de conserver le stand pour continuer d’exploiter l’enseigne Talentsoft dans des salons. Le manque à gagner invoqué, à plus forte raison sur le montant total du devis, paraît donc injustifié. De même, la société Live & Co invoque des bénéfices indus réalisés par la défenderesse qu’elle chiffre à 15.000 euros au regard du mois de travail qu’elle revendique et de son expertise, alors que comme le souligne à juste titre la défenderesse, elle a facturé la conception de l’enseigne 3.640 euros, de sorte que cette somme sera retenue en réparation de son préjudice matériel.
S’agissant du préjudice moral, elle justifie suffisamment en considération de la mobilisation de ses équipes pour la conception du stand et de l’enseigne contrefaite, ce qui est conséquent pour une société de sa taille, et du fait que l’enseigne a été reproduite et représentée au salon SRH 2021 au bénéfice d’un concurrent de la société Talentsoft, alors que la fusion de celle-ci avec la société Cegid était annoncée dans la presse dès avril 2021, peu important en revanche que la société EB Créations ait été ou non informée à l’avance de l’absence de Talentsoft lors de ce salon, que dans ce contexte témoignant à minima d’une légèreté blâmable, la contrefaçon de l’enseigne litigieuse lui a causé un préjudice moral qui sera indemnisé à concurrence de la somme de 4.000 euros.
La société EB Créations sera donc condamnée à payer à la société Live & Co la somme de 7.640 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur les dispositions finales
La société EB Créations, qui succombe, est condamnée aux dépens de l’instance, ainsi qu’à payer à la société Live & Co la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, cependant que la société EB Créations sera déboutée de sa demande sur ce même fondement.
L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter au cas présent.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL
CONDAMNE la société Etienne Belle Créations à payer 7.640 euros de dommages et intérêts à la société Live & Co au titre de la contrefaçon de droit d’auteur ;
CONDAMNE la société Etienne Belle Créations aux dépens ainsi qu’à payer la somme de 5.000 euros à la société Live & Co au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la société Etienne Belle Créations de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 04 avril 2024
LA GREFFIÈRE LA PRESIDENTE
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS