Injure en ligne : la demande de sursis à statuer

Notez ce point juridique

En matière d’injure en ligne, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, il est, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.

Il en résulte que le sursis à la poursuite et au jugement de diffamation, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, ne doit être prononcé que lorsque la preuve de la vérité du fait diffamatoire est légalement interdite et à la condition que ce dernier ait demandé, selon les formes et le délai prévus par l’article 55 de la loi précitée, à être admis à prouver la vérité des faits dénoncés.

Dans les autres cas, il appartient au tribunal d’apprécier l’opportunité d’ordonner le sursis à statuer, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.


L’affaire concerne une assignation délivrée à [IP] [I], dit « [D] [I] », par [ED] [W] pour injure publique et diffamation publique suite à des propos tenus sur Facebook. [ED] [W] demande des dommages et intérêts ainsi que le retrait des propos litigieux. [IP] [I] demande un sursis à statuer, ou à défaut, une réduction des prétentions financières de [ED] [W]. L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises et a finalement été mise en délibéré pour le 7 février 2024.

Contexte familial et succession litigieuse

Les propos litigieux ont été publiés dans le cadre d’un intense conflit familial opposant les membres de la famille de [H] [O], décédée en Israël en 2020. Ce conflit est lié à sa succession, estimée à plusieurs millions d’euros, et à des accusations de détournement d’héritage.

Propos diffamatoires sur Facebook

[IP] [I] a publié sur son compte Facebook des messages accusant [ED] [W] de détournement d’héritage et d’escroquerie. Ces propos ont été jugés diffamatoires et injurieux envers [ED] [W].

Responsabilité de [IP] [I]

En tant que titulaire du compte Facebook où les propos ont été publiés, [IP] [I] est considéré comme responsable des propos diffamatoires et injurieux. Il n’a pas agi promptement pour les retirer et a répondu aux commentaires de manière similaire.

Rejet de la demande de sursis à statuer

La demande de sursis à statuer en raison d’une enquête pénale en cours n’a pas été acceptée, car elle n’oppose pas les parties entre elles et n’influe pas sur le litige. [IP] [I] doit prouver sa bonne foi indépendamment des résultats de l’enquête.

Caractère public des propos et responsabilité de [IP] [I]

Les propos diffamatoires ont été jugés publics car publiés sur un compte Facebook accessible à tous. [IP] [I] est responsable des propos injurieux et diffamatoires publiés sur son compte.

Bonne foi et liberté d’expression

[IP] [I] n’a pas pu bénéficier de l’excuse de bonne foi pour les propos diffamatoires, car ils ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante. La liberté d’expression doit être exercée de manière proportionnée.

Condmanation et dommages-intérêts

[IP] [I] est condamné à verser 800 euros à [ED] [W] en réparation du préjudice moral causé par les propos diffamatoires. Il doit également retirer les propos litigieux de son compte Facebook.

Dépens et frais irrépétibles

[IP] [I] est condamné aux dépens et à verser 1.500 euros à [ED] [W] au titre des frais irrépétibles. La décision est de droit exécutoire par provision.

– M. [J] [N] est débouté de ses demandes.
– M. [J] [N] est condamné aux dépens.
– M. [J] [N] doit payer à la SA ING Bank N.V. une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– L’exécution provisoire est écartée.


Réglementation applicable

L’article 35 de loi du 29 juillet 1881 dispose en son deuxième alinéa, s’agissant de diffamation publique envers un particulier que “ La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne.” et que cet alinéa “ne s’applique pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur. La preuve contraire est alors réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.”.

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent,
– ces dispositions s’appliquent en matière civile, y compris devant le juge des référés.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la personne qui s’en plaint ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges de rechercher, en premier lieu, en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de légitimité du but de l’information et d’enquête sérieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement les critères de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l’expression.

Ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.

Il appartient, en outre, aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression et de vérifier que le prononcé d’une condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou ne serait pas de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Maître Luc BROSSOLLET de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY
– Me Carole MASLIAH

Mots clefs associés

– Propos litigieux
– Contexte familial
– Succession
– Conflit familial
– Testament
– Héritage
– Diffamation
– Injure
– Compte Facebook
– Responsabilité
– Bonne foi
– Liberté d’expression
– Publicité des propos
– Atteinte à l’honneur
– Considération
– Préjudice moral
– Dommages et intérêts
– Retrait des publications
– Dépens
– Frais irrépétibles

– Propos litigieux : Paroles ou écrits faisant l’objet d’un désaccord et pouvant entraîner une action en justice pour leur contenu potentiellement illégal ou offensant.

– Contexte familial : Ensemble des circonstances et des relations entre membres d’une même famille, influençant souvent les décisions juridiques, notamment en matière de succession ou de conflits.

– Succession : Transmission du patrimoine d’une personne décédée à ses héritiers selon les règles légales ou par testament.

– Conflit familial : Désaccord ou dispute entre membres d’une famille, souvent lié à des questions d’héritage, de responsabilités ou de comportements personnels.

– Testament : Document légal dans lequel une personne spécifie la manière dont ses biens doivent être distribués après sa mort.

– Héritage : Ensemble des biens, droits et obligations transmis aux héritiers après le décès d’une personne.

– Diffamation : Fait de porter atteinte à la réputation d’une personne par la publication de propos faussement accusatoires.

– Injure : Expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis.

– Compte Facebook : Profil personnel ou page sur le réseau social Facebook, utilisé pour partager des informations, des photos ou des opinions.

– Responsabilité : Obligation de répondre de ses actes devant la loi, pouvant entraîner des sanctions civiles ou pénales.

– Bonne foi : État d’une personne qui agit avec honnêteté et sans intention de tromper.

– Liberté d’expression : Droit fondamental de communiquer des pensées et des opinions sans censure préalable, mais avec certaines restrictions légales pour protéger d’autres droits comme l’honneur.

– Publicité des propos : Fait de rendre des paroles ou écrits accessibles au public, ce qui peut augmenter le risque de diffamation ou d’injure.

– Atteinte à l’honneur : Action de nuire à la réputation ou à la dignité d’une personne, souvent par des propos diffamatoires ou injurieux.

– Considération : Estime ou respect accordé à une personne, pouvant être affecté par des propos ou des actes déshonorants.

– Préjudice moral : Dommage non matériel subi par une personne, tel que la souffrance psychologique ou la perte de réputation.

– Dommages et intérêts : Compensation financière accordée par un tribunal à une personne ayant subi un préjudice du fait d’autrui.

– Retrait des publications : Action d’enlever des contenus publiés, souvent sur internet, en réponse à une plainte ou une décision de justice.

– Dépens : Frais de justice que la partie perdante d’un procès doit souvent payer, incluant les frais de tribunal et d’autres dépenses légales.

– Frais irrépétibles : Frais engagés par une partie lors d’un procès et qui ne sont pas couverts par les dépens, tels que les honoraires d’avocats. Ces frais peuvent parfois être remboursés si la partie adverse est condamnée à les payer.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile

N° RG 22/12242 – N° Portalis 352J-W-B7G-CX5IV

AJ

Assignation du :
26 Septembre 2022[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

République française
Au nom du Peuple français

JUGEMENT
rendu le 07 Février 2024

DEMANDEUR

[ED] [W]
[Adresse 5]
[Localité 4] – ISRAEL
représenté par Maître Luc BROSSOLLET de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0336

DEFENDEUR

[IP] [I]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté par Me Carole MASLIAH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0697

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNALJUDICIAIRE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe
Président de la formation
Sophie COMBES, Vice-Présidente
Amicie JULLIAND, Vice-présidente
Assesseurs

Greffier : Martine VAIL

DEBATS

A l’audience du 13 Décembre 2023
tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Vu l’assignation délivrée par acte d’huissier du 26 septembre 2022 à [IP] [I], dit “[D] [I]”, à la requête de [ED] [W], qui estimant les propos contenus dans différents messages publiés sur le réseau social Facebook depuis le compte accessible à l’adresse URL https://www.[03] constitutifs d’injure publique et de diffamation publique à son encontre, demande au tribunal, sur le fondement des articles 23, 29 alinéas 1 et 2, 32 alinéa 1 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 ainsi que de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 :
de déclarer le défendeur coupable, en qualité d’auteur, du délit d’injures publiques envers un particulier à son encontre, en raison de la publication des propos suivants tels que constatés dans le procès-verbal de constat des 27 et 28 juin 2022 :- “Escroc notoirement connu dans tous les pays où il est passé”,
– “Il vit où cette Mrd”;
de déclarer le défendeur coupable de diffamation publique envers un particulier à son encontre, en raison de la publication des propos suivants tels que constatés dans le procès-verbal de constat des 27 et 28 juin 2022 :- “ mafieux qui a essayé de détourner l’héritage de ma soeur [H] lui et son notaire que j’ai mis en pénal en bande organisée”,
et par le procès-verbal du 31 août 2022 :
– “ [ED] [W] [K] [I]. en connivence avec le notaire pour
détourner I’héritage ça s’appelle”,
– “ [ED] instigateur il a escroqué ma soeur vivante et veut l’escroquer morte pour s’accaparer de son héritage…”,
– “[Z] Tu sais qui a surnommé [ED] l’escroc au col blanc c’est [H] il n’a pas pu l’escroqué vivante il veut l’escroqué morte..”,
en réparation du préjudice moral causé par ces délits, de condamner [IP] [I] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,d’ordonner le retrait de l’intégralité des propos litigieux sous astreinte de 3.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, de condamner [IP] [I] à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.
Vu les dernières conclusions de [IP] [I] signifiées par voie électronique le 6 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, aux termes desquelles il demande au tribunal, au visa de la loi du 29 juillet 1881 :
à titre principal, de surseoir à statuer dans l’attente de l’instruction de la plainte déposée le 25 avril 2022 auprès du parquet de Paris, à titre subsidiaire, de constater les infractions reprochées comme ayant été commises dans un cadre privé et familial,à titre très subsidiaire, si le tribunal considérait caractérisées la diffamation et l’injure, de ramener les prétentions financières de [ED] [W] à de plus justes proportions.
Vu l’ordonnance de clôture du 21 juin 2023.

Appelée à l’audience du 6 septembre 2023, l’affaire a été renvoyée à celle du 13 décembre 2023, date à laquelle les conseils des parties ont oralement soutenus leurs écritures et à l’issue de laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 7 février 2024, par mise à disposition au greffe.

A cette date, la décision suivante a été rendue :

MOTIFS

Sur les propos litigieux et le contexte de leur publication

[ED] [W] se présente comme ayant été désigné président d’une institution pour orphelins, selon la volonté de sa tante, [H] [O], décédée le [Date décès 1] 2020 en Israël.

[IP], dit [D], [I], titulaire du compte Facebook précité, est le frère de [H] [O].

Les propos litigieux prennent place dans le contexte d’un intense conflit familial opposant des membres de la famille de [H] [O], en lien avec sa succession.

En effet, il est établi le 7 septembre 2020, [IP] [I] a déposé une main-courante auprès du commissariat de police du [Localité 8] pour signaler que le décès de sa soeur, qui n’avait ni mari ni enfant, n’avait toujours pas pu être déclaré en France à défaut d’avoir pu obtenir un certificat de décès, que son héritage était estimé à plusieurs millions d’euros et qu’un de ses neveux, [ED] [W] se déclarait légataire du testament qui n’avait pas été ouvert devant notaire (pièce n°3 en défense).

Le 23 septembre 2020, un autre main-courante a été déposée au commissariat du [Localité 7], par [S] [I], autre frère de [H] [O], pour signaler le refus de [C] [W], leur nièce, de déclarer le décès de leur soeur à l’ambassade de France en Israël et de leur fournir les documents permettant de le faire, outre l’affirmation par le mari de cette dernière, [ED] [W] de sa qualité de légataire d’un testament “soit disant” rédigé par la de cujus qu’il considère être un faux. Il signalait également que [Z] [I], fils de son frère [A] [T] [I], tentait de vendre sans autorisation des magasins situés à [Localité 6] appartenant à [H] [O] (pièce n°10 en défense).

Le 21 avril 2022, [IP] et [S] [I] ont déposé une nouvelle main-courante au commissariat de police du [Localité 8] pour dénoncer “une tentative de détournement de succession de [O] [H]” commise  par [ED] [W] et d’autres membres de la famille [I]. Ils expliquaient que leur soeur [H] [O] était décédée de la maladie de Charcot en Israël, où elle s’était rendue pour pouvoir bénéficier de soins présentés comme “révolutionnaires” par “[s]es parentés”. Ils indiquaient qu’alors qu’elle était invalide et placée sous respirateur, un testament manuscrit, qu’ils disaient être un faux, avait été établi au nom de cette dernière sans l’assistance d’un notaire, aux termes duquel elle léguait un million d’euros à [M] [W], fils de [ED] [W], le solde de son patrimoine devant être versé à [ED] [W] pour la construction d’une synagogue en Israël. Ils dénonçaient également la cession de fonds de commerce appartenant à leur soeur par [Z] [I], [N] [I] et [K] [I] réalisée à l’insu du notaire et des autres héritiers, ainsi que le fait qu’ils avaient “récupéré” 300.000 euros dans son coffre bancaire (pièce n°1 en défense).

Enfin, le 25 avril 2022, [IP] et [S] [I] ont déposé plainte auprès du procureur de la République de Paris contre l’étude notariale en charge de la succession, le cabinet ATTAL et ASSOCIES, soupçonnant un détournement de la succession de leur soeur, ayant conduit selon le défendeur à une enquête toujours en cours à la date du 26 juillet 2022 (pièces n°2 et 4 en défense).

C’est dans ce contexte que [IP] [I], alors âgé de 76 ans, a publié sur le compte Facebook “[D] [I]”, qu’il reconnaît être le sien, plusieurs messages suivis de commentaires, constatés par huissier de justice aux termes de procès-verbaux établis les 27 et 28 juin 2022 puis le 31 août 2022, qui se présentent comme suit (étant observé que l’ensemble des messages sont cités dans leur formulation d’origine et que les propos poursuivis sont mis en gras et numérotés par le tribunal pour les besoins de la motivation).

Publications du 26 juin 2022 (procès-verbal de constat du 27 et 28 juin 2022 page 16, pièce n°1 en demande) :

Le 26 juin 2022, le texte suivant a été publié sur la page d’accueil (“le mur”) du compte Facebook “[D] [I]” sur un fond coloré figurant le dessin d’un homme souriant parlant dans un hygiaphone : “ Merci ,a [ED] [W] d’avoir détruit la famille [I] la tienne sera détruite par Dieu .qui ta ouvert la porte de ta réussite ?”.

Sous cette publication figurent les commentaires suivants :
[D] [I] : “Oui c’est moi qui la aider à sortir de son trou et il m’a trahi”
[G] [Y] : “Non non sans connaître tes problèmes perso (et ça ne m intéresse pas ). Mais je sais que personne peut détruire la famille [I] !!!! j es suis certain et pas le seul. Oublie toutes ces saloperies. Comme tu ke sais très bien Dieu s en chargera.”
[R] [E] [V] : “tu n’es pas obligé de parler comme ça. c’est toujours HASCEM QUI décide quoi faire”
[D] [I] à [R] [E] [V] : “il faut que le monde sache le vrai visage de se personnage qui veut passer pour un saint”
[R] [E] [V] à [D] [I] : “je sais malheureusement”
[G] [Y] : “Quoi qu’il arrive lorsque que l on a fréquenté et connu ce personnage…On comprend mieux !!! Un escroc notoirement connu dans tous les pays où il est passé Connu par le nsl wu il a fait et bien reconnu par les polices international. Méfie vous !!! Eloignez vous c est une grand S…” (propos n°1 poursuivis au titre de l’injure)
(…) [JF] [J] : “Comment ça va [D] t as l air énervé”
[D] [I] à [JF] [J] : “oui contre ce mafieux qui a essayé de détourner I’héritage de ma soeur [H] lui et son notaire que j’ai mis en pénal en bande organisée”, suivi de trois émoticônes représentant des sacs contenant de l’argent (propos n°2 poursuivis au titre de la diffamation).
[F] [TC] : “Il vit ou cette Mrd”(propos n°3 poursuivis au titre de l’injure)
[D] [I] à [F] [TC] : “il a fuit la suisse pour se réfugier en Israël”.

L’huissier a constaté que le lendemain, 28 juin, la publication comportait deux commentaires supplémentaires et avait été partagée quatre fois.

Publications du 22 août 2022 (procès-verbal de constat du 31 août 2022 page 18- pièce n°2 en demande) :

Le 22 août 2022 à 06h21, [IP] [I] a écrit sur la page d’acceuil de son compte Facebook : “Septembre la sortie du film Madoff. Dans le rôle principal [ED] [W] ! [K] [I]”.

Cette publication a été suivie des commentaires suivants :
[TA] [RX] : après quinze émoticônes représentant des mains aux pouces levés, “en va suivre avec intention le temps qu il faut”
[X] [U] : “Devant tous les mensonges éhontés, les affabulations, les ignominies que tu répands lâchement sur Facebook depuis des semaines, la famille [I] souhaite rétablir la vérité pour tes amis. Nous contestons tous solennellement toutes les accusations gr…” (la suite du message n’est pas reproduite dans le constat)
[TA] [RX] : “Cependant avez vous signet un document sur so origine,pensez avoir été victime de ce type d escroquerie. Qui suppose que l auteur trompé son juge ou tout homme de loi. La peine et l amende pourront être aggravantes dans cette abus de l action…” (la suite du message n’est pas reproduite dans le constat)
[D] [I] à [TA] [RX] : “ oui le tribunal civil a jugé l’affaire graves et la transmis aux tribunal pénal et le notaire aussi de connivence doit répondre.”
[TA] [RX] à [D] [I] : “Naturellement si l affaire Civile et en désaccord en passe à la pénale.”
[TA] [RX] : “La bataille et énorme mais Dieu puissant vous donnera la victoire. AMEN.”

Publications du 26 août 2022 (procès-verbal de constat du 31 août 2022 page 16) :

Le 26 aout 2022 à 07h38, [IP] [I] a publié sur la page d’accueil de son compte Facebook : “ [ED] [W] [K] [I]. en connivence avec le notaire pour détourner l’héritage ça s’appelle” (propos n°4 poursuivis au titre de la diffamation).

Cette publication a suscité les commentaires suivants :
[D] [I] : “ Tous bientôt aux tribunal pénal [Z] et [L] [I]. Font parti de la bande”, suivi de trois émoticônes représentant une policière.
[P] [B] à [D] [I] : “CE qui t arrive est dramatique..Quelle déception… Une famille aussi soudée que la vôtre…”
[D] [I] : “[ED], instigateur il a escroqué ma sœur vivante et veut l’escroquer morte pour s’accaparer de son héritage étranger à la famille de sang incroyable sa femme [C] de laisser agir son mari ainsi et sa met une perruque religieuse et lui la kippa pour manger”, suivi de cinq émoticônes, la première représentant un personnage qui pleure et les quatre suivantes des sacs contenant de I’argent (propos n°5 poursuivis au titre de la diffamation).

Publications du 30 août 2022 (procès-verbal de constat du 31 août 2022 page 14) :

Là encore se trouve initialement une publication en date du 30 août 2022 sur la page d’accueil du compte “[D] [I]” où figure le texte suivant : “[Z] [I] L’ordre des notaires est FOU de bloqué l’héritage et le tribunal civil est Fou de renvoyer le dossier en pénal”, suivi de 3 émoticônes représentant une policière.

Cette publication est suivie de quatre commentaires, tous écrits par [D] [I] :
“[Z] ta le droit de réponse” suivi de trois émoticônes hilares,
“[Z] Si c’est faux ta le droit de déposer plainte pour mensonges . puisqu’il y’a une plainte en pénal contre toi et ta femme mais la vérité est là” suivi d’ une émoticône représentant un cœur battant,
“Tu peux écrire tout ce que tu veux à mes amis es t’inquiète ils ont tout compris la rage d’avoir bloqué l’argent va vous étouffer”,
“ [Z] tu sais qui a surnommé [ED] l’escroc au col blanc c’est [H] il n’a pas pu I’escroqué vivante il veut I’escroqué morte mais dans I’histoire il a oublié [D] pour défendre sa mémoire et son fruit de son travail” suivi de deux émoticônes représentant deux cœurs battants (propos n°6 poursuivis au titre de la diffamation).

C’est dans ces conditions que la présente assignation a été délivrée.

*

[ED] [W] considère que les propos poursuivis au titre de la diffamation (n°2, 4, 5 et 6) lui imputent d’avoir détourné l’héritage de sa soeur décédée, [H] [O], ce qui constitue un fait précis attentatoire à son honneur et à sa considération. Il estime en outre que les propos n°1 et 3 sont injurieux à son égard, les lettres “mrd” étant l’abréviation phonétique du terme “merde”, comme présentant un caractère outrageant et méprisant à son égard et pour les premiers, relevant également de l’invective.
Il soutient que l’ensemble des propos présentent un caractère public dès lors qu’ils ont été publiés sur le compte Facebook du défendeur, librement accessible à tous les internautes.
Pour lui, [IP] [I], en sa qualité de titulaire du compte Facebook concerné par les publications, est entièrement responsable des propos qui y ont été publiés, qu’il s’agisse de ceux dont il est personnellement l’auteur comme des commentaires que ses propres publications ont suscités, le défendeur ne les ayant pas supprimés alors qu’il était libre de le faire et au contraire, les ayant encouragés en y répondant lui-même.

[IP] [I] sollicite un sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la plainte déposée le 22 avril 2022 auprès du procureur de la République de Paris en soutenant que sa faculté de pouvoir rapporter la preuve des faits dénoncés dépend de l’issue de cette procédure. Il considère que trancher le litige relatif à l’injure et à la diffamation dans ces circonstances reviendrait à le priver de ses moyens de défense.
A titre subsidiaire il soutient que la preuve de son intention de rendre sa page Facebook publique n’est pas rapportée, la publicité étant la règle par défaut sur Facebook et le moyen de la restreindre lui était difficilement accessible compte tenu de son âge et de sa faible maîtrise des outils informatiques. Il souligne que sa page Facebook n’est consultée que par ses proches, et qu’il peut être considéré ainsi qu’en dépit du caractère public de la page Facebook, les propos sont destinés à “une communauté d’intérêts” et présentent un caractère privé.
S’agissant de la diffamation, il excipe de sa bonne foi en faisant valoir que les propos relayent “une difficulté familiale (…) quant à l’interprétation du testament laissé par Madame [H] [O]” qui a “donné place à des interrogations légitimes quant à sa capacité à rédiger un testament, des difficultés signalées au CRIDON, une plainte déposée contre l’étude notariale en charge du dossier de la succession”.
S’agissant de l’injure, il fait valoir qu’il n’est pas l’auteur des propos incriminés et qu’ils ont été proférés de bonne foi, nombre d’articles de presse faisant mention de la réputation “sulfureuse” de [ED] [W] (sa pièce n°7).

Sur la demande de sursis à statuer

L’article 35 de loi du 29 juillet 1881 dispose en son deuxième alinéa, s’agissant de diffamation publique envers un particulier que “ La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne.” et que cet alinéa “ne s’applique pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur. La preuve contraire est alors réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.”.
Il prévoit également, dans son alinéa 5, que lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.

Il en résulte que le sursis à la poursuite et au jugement de diffamation, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, ne doit être prononcé que lorsque la preuve de la vérité du fait diffamatoire est légalement interdite et à la condition que ce dernier ait demandé, selon les formes et le délai prévus par l’article 55 de la loi précitée, à être admis à prouver la vérité des faits dénoncés.

Dans les autres cas, il appartient au tribunal d’apprécier l’opportunité d’ordonner le sursis à statuer, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

En l’espèce, il doit être relevé, d’une part que les faits évoqués par [IP] [I] dans ses messages, comme dans ceux publiés par des tiers sur son compte Facebook, n’ont pas trait à la vie privée de [ED] [W] et que le défendeur n’a pas formulé d’offre de preuve de la vérité dans les formes et délais prescrits par l’article 55 de la loi du 29 juillet 188. Il en résulte que l’opportunité de prononcer un sursis à statuer, ici facultatif, relève de l’appréciation du tribunal.

La demande de sursis à statuer se fonde sur l’existence d’une enquête pénale en cours, consécutive à la plainte déposée par le demandeur et son frère [S] le 22 avril 2022 auprès du procureur de la République de Paris, contre le cabinet de notaires ATTAL et ASSOCIES.

Il doit être constaté que la procédure invoquée n’oppose pas les parties entre elles, le demandeur n’étant pas cité, mais vise à mettre en cause la responsabilité pénale de l’étude notariale française dans la gestion de la succession de [H] [O] en France, et en cela, n’apparait pas susceptible d’influer sur le litige.

En outre, il appartient au demandeur, s’il souhaite pouvoir bénéficier de l’excuse de bonne foi de nature à le dédouaner de sa responsabilité pénale, de justifier des éléments dont il disposait au moment de la publication des propos poursuivis. Il ne peut attendre des résultats d’une enquête pénale des éléments propres à en établir sinon l’authenticité du moins la vraisemblance.

Au vu de ces éléments, le prononcé d’un sursis à statuer n’apparait ni nécessaire, ni justifié de sorte que la demande présentée à ce titre sera rejetée.

Sur le caractère public des propos poursuivis

L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 énonce les moyens de publicité qui sont constitués, “soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique”.

Pour que la publicité soit caractérisée, il importe que les personnes ayant eu accès au message litigieux ne constituent pas un groupement lié par une communauté d’intérêts.

La distribution d’un écrit non confidentiel à divers destinataires qui ne constituent pas entre eux un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts caractérise la publicité prévue par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881.

En l’espèce, il est établi par les constats d’huissier sus- cités que le compte Facebook “[D] [I]” dont [IP] [I] est l’administrateur et sur lequel ont été publiés les propos litigieux, est accessible à tous, l’officier public s’y étant connecté librement lors de ses opérations de constat en juin puis en août 2022. Alors que ce point n’est pas contesté en défense, il est vain pour le défendeur d’arguer de sa connaissance limitée du fonctionnement du réseau social en raison de son âge et de ses moindres connaissances techniques, comme de son intention de réserver ses messages à son cercle familial, dès lors que la publicité des propos est objectivement établie et qu’il lui appartenait de prendre les mesures propres à en restreindre l’accès sur le réseau social qu’il a lui-même choisi d’utiliser pour communiquer avec ses proches.

Sur le caractère injurieux des propos poursuivis et la responsabilité du défendeur à ce titre

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime. Ainsi, il appartient aux juges de relever toutes les circonstances extrinsèques qui donnent une portée injurieuse aux propos poursuivis, même si ceux-ci ne présentent pas par eux-mêmes ce caractère, et qui sont de nature à révéler leur véritable sens.

Les règles servant de fondement aux poursuites d’injures publiques doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle du droit à la liberté d’expression, lequel comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.

L’exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Le juge se doit en conséquence d’exercer un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée en particulier à la réputation ou au droit d’autrui et l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté d’expression par la mise en œuvre de l’une des restrictions prévues par la loi. Une expression ne sera dès lors constitutive d’injure que si elle excède les limites de la liberté d’expression.

En l’espèce, les propos poursuivis au titre de l’injure publique prennent place dans des commentaires relatifs à une publication de [IP] [I] accusant [ED] [W] d’avoir “détruit sa famille”. Il ne fait aucun doute, dans ces circonstances, que les termes “escroc notoirement connu dans tous les pays où il est passé” et “mrd” visent le demandeur. Il est également indéniable que ces propos présentent le demandeur avec mépris, le premier comme une personne faisant fi des lois de manière habituelle, au service de ses intérêts, le second prenant une dimension outrageante en l’assimilant à un excrément, les lettres utilisées renvoyant phonétiquement au terme “merde”. Ces propos, qui ne se rattachent pas en eux-mêmes à un quelconque agissement précis de sa part qu’ils viendraient qualifier, présentent un caractère injurieux envers [ED] [W].

Il est constant que ces propos, mis en ligne sur le compte dont [IP] [I] reconnaît être le titulaire et l’administrateur (“[D] [I]”), ont été publiés par deux personnes utilisant les comptes “[G] [Y]” et “[F] [TC]”.

Il convient dès lors d’apprécier si la responsabilité civile de [IP] [I] peut être engagée au regard des dispositions de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1881, applicable en matière civile, qui dispose en son dernier alinéa que “Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message”.

Si rien ne montre que [IP] [I] était informé de la teneur des messages litigieux avant leur mise en ligne, ce qui n’est au demeurant pas soutenu, il résulte du fil de discussion dans lequel ils s’insèrent, qu’il a eu connaissance de leur publication et de leur teneur rapidement et que, loin d’agir promptement pour les retirer, il y a répondu, dans la foulée, sur un ton analogue. Sa responsabilité en qualité d’administrateur du compte Facebook sur lesquel les propos ont été publiés est donc susceptible d’être engagée à ce titre.

Celui-ci avance qu’il disposait d’éléments lui permettant de relayer ces injures en produisant des articles de presse faisant état de la réputation “sulfureuse” de [ED] [W]. Bien qu’il ne le formule pas ainsi, puisqu’il excipe de sa “bonne foi”, il convient dès lors d’apprécier si les propos injurieux doivent bénéficier, au vu du sujet traité et du contexte dans lequel ils ont été proférés, de la protection attachée à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, selon les principes rappelés ci-dessus.

Nul intérêt général ne se rattache au sujet traité, qui porte sur un litige familial autour d’une succession, auquel les propos injurieux ne se rattachent d’ailleurs pas en eux-mêmes directement, ceux-ci apparaissant en réalité comme des attaques gratuites de leurs auteurs envers le demandeur. Il sera observé au surplus que le seul article de presse dont se prévaut le défendeur, publié sur le site ledesk.ma le 16 décembre 2020 sous le titre “Les multiples casseroles de [ED] [W] entremetteur du deal Maroc-Israel-USA” dans lequel [ED] [W] est qualifié de “sulfureux homme d’affaires juif marocain” et où sont évoquées des relations avec un autre homme d’affaire “s’entremêlant avec des affaires interlopes et dans les paradis fiscaux”, ne permet pas de légitimer les injures prononcées dans ce contexte.

Dans ces conditions, les propos incriminés dépassant les limites admissibles de la liberté d’expression, [IP] [I] sera déclaré responsable envers [ED] [W] de la faute civile commise du fait des injures publiés sur son compte Facebook “[D] [I]”.

Sur la diffamation publique

Sur le caractère diffamatoire des propos :

Il sera rappelé que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent,
– ces dispositions s’appliquent en matière civile, y compris devant le juge des référés.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la personne qui s’en plaint ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

*

Les propos poursuivis imputent, chacun, à [ED] [W] d’avoir agi frauduleusement en vue de détourner à son profit l’héritage de [H] [O] auquel il ne pouvait légitiment prétendre.
En effet, les propos n°2 parlent expressément de “détournement” commis par des “mafieux”, au titre desquels figurent nécessairement [ED] [W], sujet de la publication à laquelle ce commentaire réagit. Le terme “détournement” induit une action illégitime, voire ici illégale dès lors qu’il est précisé qu’il a “mis”, le demandeur et le notaire (“ lui et son notaire”), au “pénal en bande organisée”, autrement dit, qu’il a déposé une plainte pénale contre eux pour avoir agi de concert.
Les propos n°4 dénoncent également l’action concertée du demandeur, désigné par son patronyme, et du notaire (“en connivence”) visant à “détourner l’héritage” de [H] [O].
Les propos n°5 vont encore plus loin puisqu’ils présentent [ED] [W], là aussi nommément désigné, comme étant à l’origine (“instigateur”) des agissements frauduleux, qualifiés ici d’ “escroqueries”, initiés du vivant de [H] [O] et visant à “s’accaparer son héritage”.
Enfin, les propos n°6 renchérissent sur cette qualification d’“escroc” pour, là aussi, dénoncer les agissements du demandeur qui, à défaut d’avoir pu escroquer [H] [O] de son vivant, veut le faire après son décès.
Il s’agit de faits précis susceptibles de faire sans difficulté l’objet d’un débat sur la preuve de leur vérité.

Les agissements frauduleux prêtés au demandeur, comme résultant de manigances visant à le faire bénéficier d’un héritage auquel il ne pouvait pas prétendre, sont susceptibles de revêtir une qualification pénale et à tout le moins unanimement réprouvés par la morale commune et portent ainsi atteinte à son honneur et à sa considération.

[IP] [I] invoquant le bénéfice de la bonne foi, il convient de l’examiner.

Sur la bonne foi

La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges de rechercher, en premier lieu, en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de légitimité du but de l’information et d’enquête sérieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement les critères de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l’expression.

Ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.

Il appartient, en outre, aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression et de vérifier que le prononcé d’une condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou ne serait pas de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

Comme il a été analysé précédemment, les propos poursuivis ne traitent pas d’un sujet d’intérêt général mais d’un conflit familial autour d’une succession. Il est manifeste que les propos tenus par [IP] [I] sont empreints de sincérité en ce qu’il exprime ses convictions personnelles, fondées sur sa propre interprétation des faits, qui rejoint celle qu’il a communiqué au service de police, quant au fait que les dispositions testamentaires de feu sa soeur, qui ne bénéficient qu’à [ED] [W] et à son fils et de fait, l’excluent, ne peuvent résulter que d’agissements frauduleux de la part du premier, compte tenu de l’état de santé de sa soeur, atteinte de la maladie de Charcot, à la date d’établissement dudit testament.

Pour autant, le ressenti du défendeur, qui procède de son interprétation subjective de la situation, ne peut suffire à justifier les propos diffamatoires tenus à l’endroit de [ED] [W], dès lors que la conviction qu’il exprime sur un ton péremptoire n’est étayée par aucun élément ou document extérieur à ses propres déclarations.

Ainsi, le défendeur n’établit pas qu’il disposait d’une base factuelle suffisante de nature à lui permettre d’exprimer sa conviction personnelle comme il l’a fait, de sorte qu’il ne peut bénéficier de l’excuse de bonne foi.

Dès lors, les propos publiés par [ED] [W] étant diffamatoires et les conditions de la bonne foi n’étant pas réunies, ils constituent une faute civile engageant sa responsabilité envers [IP] [I], étant observé en l’espèce que le prononcé d’une condamnation civile n’est pas nature à entraîner des conséquences disproportionnées sur son droit à la liberté d’expression.

Sur les demandes de dommages et intérêts et de retrait des publications

[ED] [W] sollicite la condamnation de [IP] [I] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les propos diffamatoires, soulignant qu’il est “parfaitement désagréable de se voir aussi violemment décrit comme un “escroc”, une “merde” et un “mafieux” qui, de surcroît dans une circonstance particulière et familiale, n’hésiterait pas à détourner un héritage au détriment des membres de sa famille”.

[IP] [I] relève que le demandeur ne rapporte pas la preuve que ces propos aient pu nuire à son image au-delà du cadre familial ainsi qu’il l’admet lui-même dans ses écritures (“le compte Facebook du défendeur a vocation à être suivi et consulté par les membres de sa famille qui [le] connaisse”), et qu’au contraire, ses affaires semblent toujours florissantes (pièce n°9 articles de presse concernant [ED] [W]).

Si la seule constatation de l’atteinte à la réputation par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à cette atteinte, le demandeur doit toutefois justifier de l’existence et de l’étendue du dommage allégué. L’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.

Il y a lieu de constater en l’espèce l’existence d’un préjudice réel et concret, lié à la teneur de l’imputation diffamatoire. S’agissant de l’étendue du dommage, force est de constater que [ED] [W] ne se prévaut ni ne produit d’éléments permettant d’apprécier concrètement le préjudice à hauteur de celui qu’il dit avoir subi, ce alors qu’il résulte au contraire des constats d’huissier que les publications incriminés ont généré une audience des plus réduite, se limitant pour l’essentiel à celle des personnes les ayant commentées.

Dans ces conditions, le préjudice moral de [ED] [W] consécutif aux fautes civiles retenues sera justement indemnisé par l’octroi d’une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts au paiement de laquelle [IP] [I] sera condamné.

Il y a lieu également de faire droit à la demande de retrait des propos litigieux, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte, aucun élément ne laissant supposer que le défendeur ne se conformera pas à cette condamnation judiciaire.

Sur les autres demandes

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a lieu en conséquence de condamner [IP] [I], qui succombe à l’instance, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à [ED] [W] la charge des frais irrépétibles qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y a lieu de condamner [IP] [I] à lui payer la somme globale de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est de droit exécutoire par provision.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,

Rejette la demande de sursis à statuer présentée par [IP] [I] ;

Dit que constituent une diffamation publique envers un particulier à l’égard de [ED] [W] les propos suivants :
“ mafieux qui a essayé de détourner I’héritage de ma soeur [H] lui et son notaire que j’ai mis en pénal en bande organisée”,

“[ED] [W] [K] [I]. en connivence avec le notaire pour détourner I’héritage ça s’appeIIe”,
“ [ED] instigateur il a escroqué ma soeur vivante et veut l’escroquer morte pour s’accaparer de son héritage…”,
“[Z] Tu sais qui a surnommé [ED] l’escroc au col blanc c’est [H] il n’a pas pu l’escroqué vivante il veut l’escroqué morte”,
publiés les 26 juin 2022, 26 août 2022 et le 30 août 2022 sur le compte Facebook “[D] [I]” ;

Dit que consituent des injures publiques envers un particulier à l’égard de [ED] [W] les propos suivants “escroc notoirement connu dans tous les pays où il est passé” et “Il vit ou cette Mrd” publiés le 26 juin 2022 sur le compte Facebook “[D] [I]”;

En conséquence,

Condamne [IP] [I] à verser à [ED] [W] la somme de huit cents euros (800€) en réparation de son préjudice moral,

Ordonne à [IP] [I] de procéder au retrait des propos diffamatoires et injurieux du compte Facebook “[D] [I]” dans le délai de 15 jours suivant la signification du présent jugement ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;

Condamne [IP] [I] à verser à [ED] [W] la somme de mille cinq cents euros (1.500€) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne [IP] [I] aux dépens.

Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 07 Février 2024

Le Greffier La Présidente

 

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