Commentaire LinkedIn : pas de communauté d’intérêt

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Un commentaire publié sur Linkedin fait l’objet d’une publication au-delà d’un groupement lié par une communauté d’intérêts. En cas de diffamation ou d’injure, l’exigence de publicité prévue par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 est donc caractérisée.


L’affaire concerne une demande en dommages et intérêts pour injures publiques envers un particulier, suite à des propos tenus sur le site LinkedIn. Le demandeur sollicite la condamnation de la défenderesse à lui verser 10.000 euros de dommages et intérêts, ainsi que 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La défenderesse conteste ces demandes et demande au tribunal de la débouter, ou à défaut, de réduire les montants réclamés. L’affaire a été plaidée à l’audience du 17 janvier 2024 et le jugement a été mis en délibéré pour le 13 mars 2024.

Contexte de la publication des propos litigieux

[G] [A], président de la société CAPART, a été invité à un webinaire pour partager sa vision professionnelle. Des propos litigieux ont été publiés sur LinkedIn par [J] [H], critiquant sévèrement [G] [A] pour sa politique salariale.

Caractère public des propos

Les propos litigieux ont été publiés sur LinkedIn, accessible à un large public. Le nombre d’abonnés au compte de [F] [I] atteste de la diffusion du message au-delà d’un cercle restreint.

Caractère injurieux des propos

Les propos de [J] [H] expriment une critique sévère des méthodes de [G] [A] en tant que chef d’entreprise, sans verser dans l’injure. Les termes utilisés, bien que dépréciatifs, ne sont pas outrageants, méprisants ou invectifs.

Autres demandes

[G] [A] est débouté de ses demandes, et condamné aux dépens. Il est également condamné à verser à [J] [H] la somme de 2000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Exécution provisoire

La décision est exécutoire de droit à titre provisoire, conformément à l’article 514 du code de procédure civile.

– [G] [A] est débouté de ses demandes.
– [G] [A] doit verser à [J] [H] 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– [G] [A] est condamné aux dépens.


Réglementation applicable

– Article 23 de la loi du 29 juillet 1881
– Articles 200 à 203 du code de procédure civile
– Article 441-7 du code pénal
– Article 29 de la loi du 29 juillet 1881
– Article 696 du code de procédure civile
– Article 700 du code de procédure civile
– Article 514 du code de procédure civile

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Maître Géraldine SALORD de l’AARPI METALAW
– Maître Nawel GAFSIA
– Maître Bertrand SAYN

Mots clefs associés

– Motifs
– Propos litigieux
– Contexte de publication
– Webinaire
– LinkedIn
– Capture d’écran
– Publicité
– Communauté d’intérêts
– Injure
– Liberté d’expression
– Réputation
– Droit d’autrui
– Contrôle de proportionnalité
– Contexte de lutte sociale
– Critique
– Méthodes managériales
– Charge dépréciative
– Dépens
– Frais irrépétibles
– Exécution provisoire

– Motifs : Raisons ou justifications légales sur lesquelles un juge se base pour rendre une décision.

– Propos litigieux : Paroles ou écrits faisant l’objet d’un litige ou d’une contestation devant une juridiction.

– Contexte de publication : Circonstances et environnement dans lesquels un contenu est publié, influençant son interprétation.

– Webinaire : Séminaire réalisé en ligne, accessible via internet, souvent interactif.

– LinkedIn : Réseau social professionnel en ligne où les utilisateurs peuvent publier des informations sur leur carrière, échanger des idées, et se connecter avec d’autres professionnels.

– Capture d’écran : Image enregistrée de l’affichage actuel d’un écran d’ordinateur, de téléphone ou d’une autre interface numérique.

– Publicité : Communication destinée à informer ou influencer les personnes qui la reçoivent à propos de produits, services ou idées.

– Communauté d’intérêts : Groupe de personnes partageant des intérêts communs, souvent utilisé pour déterminer le public cible ou pertinent dans des affaires juridiques.

– Injure : Expression outrageante, méprisante ou offensante envers une personne, pouvant constituer une faute civile ou un délit pénal.

– Liberté d’expression : Droit fondamental de communiquer ses pensées et opinions sans censure ou répression, sous réserve des restrictions légales.

– Réputation : Opinion publique concernant une personne ou une organisation, souvent considérée dans les cas de diffamation.

– Droit d’autrui : Ensemble des droits reconnus et protégés par la loi dont bénéficie une autre personne.

– Contrôle de proportionnalité : Principe juridique selon lequel les mesures prises doivent être appropriées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.

– Contexte de lutte sociale : Cadre dans lequel des actions sont menées pour défendre ou promouvoir des causes sociales, souvent pertinent dans l’évaluation juridique des actions militantes.

– Critique : Analyse et évaluation de quelque chose, pouvant être protégée juridiquement comme une forme de liberté d’expression.

– Méthodes managériales : Techniques ou pratiques utilisées par les gestionnaires pour diriger et contrôler une organisation.

– Charge dépréciative : Commentaire ou déclaration qui diminue la valeur ou l’estime de quelque chose ou de quelqu’un, souvent examiné dans les cas de diffamation.

– Dépens : Frais de justice que la partie perdante doit payer à la partie gagnante, incluant les frais de procédure.

– Frais irrépétibles : Frais engagés par une partie lors d’un procès qui ne sont pas couverts par les dépens et dont le remboursement peut être demandé à la discrétion du juge.

– Exécution provisoire : Mesure permettant l’application immédiate d’une décision de justice avant que tous les recours ne soient épuisés.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile

N° RG 22/13285 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXUMB

JD

Assignation du :
11 Août 2022
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

République française
Au nom du Peuple français

JUGEMENT
rendu le 13 Mars 2024

DEMANDEUR

[G] [A]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Géraldine SALORD de l’AARPI METALAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0268

DEFENDERESSE

[J] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Nawel GAFSIA, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC469, avocat postulant, et par Maître Bertrand SAYN, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

Amicie JULLIAND, Vice-présidente
Présidente de la formation

Jean-François ASTRUC, Vice-président
Jeanne DOUJON, Juge placé
Assesseurs

Greffiers :
Martine VAIL, Greffier lors des débats, Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 17 Janvier 2024
tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Par assignation délivrée en date du 11 août 2022 à [J] [H], [G] [A] sollicite la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts, sur le fondement des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en sa qualité d’autrice des propos suivants publiés selon lui le 13 mai 2022 sur le site LinkedIn, qu’il estime constitutifs d’injures publiques envers un particulier à son égard (les propos poursuivis sont mis en gras par le tribunal pour les besoins de la motivation) :

« L’embassaseur (sic) de la honte ! (…) un homme qui malmène, bafoue les droits salarial (sic), appauvrit ses salariés.. !! (…) Mr [A] n’est pas respectable lorsque l’on voit comment il traite ces gens sur lequel il s’enrichit, il vole les sociétés d’honnêtes chefs d’entreprise je ne peux cautionner une industrie manipulée par ce genre de personnage sans foi ni loi !!.. Je vous invite à vous rendre sur COMEFOR pour rencontrer les vrais acteurs de l’industrie française !! ».

Il sollicite également sa condamnation à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 03 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, [G] [A] conclut au débouté des demandes présentées par la défenderesse et maintient ses demandes initiales.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 05 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, sur le fondement des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 ainsi que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, [J] [H] demande au tribunal :

– à titre principal, de :
rejeter la demande de condamnation en dommages et intérêts formulée à son encontre ; condamner [G] [A] au paiement de la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– à titre subsidiaire, de :
allouer au demandeur la somme d’un euro de dommages et intérêts ; rejeter la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ; partager les dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 22 novembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 17 janvier 2024, date à laquelle les conseils des parties ont oralement soutenu leurs écritures et à l’issue de laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 13 mars 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur les propos litigieux et le contexte de leur publication

[G] [A] se présente comme occupant depuis le 10 août 2020 la fonction de président de la société CAPART, ayant pour activité principale de fournir aux entreprises des prestations de services d’ordre financier, stratégique, comptable, juridique, commercial, technique, social ou ayant trait à la facturation, aux ressources humaines, au marketing ou au contentieux. La société CAPART est présidente de la société ACI GROUPE, société par actions simplifiée, ayant pour activité principale les prises de participations, dans toutes sociétés, groupements ou entreprises industrielles, commerciales, financières ou immobilières. Par sa fonction de président de la société CAPART, [G] [A] représente la société ACI GROUPE (pièces 2 et 3 en demande).

[G] [A] explique avoir été convié le 12 mai 2022 en cette qualité à un webinaire organisé par « La [5] », un centre de formation dédié aux dirigeants d’entreprises, afin de partager sa vision professionnelle sur les transformations stratégiques, structurelles et humaines qu’il a pu observer dans l’industrie.

La présentation de ce webinaire a fait l’objet d’une publication promotionnelle sur le réseau professionnel LinkedIn par [F] [I], fondatrice du centre de formation « La [5] ». Cette publication dont le titre est «Webinaire : « Quel leadership à l’heure de la réindustrialisation ? » C’est la thématique que j’explorerai jeudi 12 mai à 8h30, lors de la Matinale des [5] de [G] [A] » a été diffusée le 11 mai 2022 depuis le compte LinkedIn de [F] [I].

C’est dans ce contexte qu’interviennent les propos litigieux.

Pour en justifier, il est produit par [G] [A] une capture d’écran, non datée, du compte LinkedIn de [F] [I] (pièce n°16 en demande), sur laquelle apparaît en premier lieu un message mis en ligne depuis le compte de l’intéressée – qui s’y présente comme « Directeur-fondateur chez la [5] » – rédigé comme suit : « Merci [D] [B] d’avoir suivi cette matinale de la [5] » suivi de la mention « voir plus ». Sous ce message figure un lien hypertexte : « Ensemble osons réinventer le leadership ».

Juste après ce message apparaît celui incriminé par le demandeur, publié par le compte de [J] [H], qui se présente comme« Fonctionnaire territorial chez Mairie de [Localité 6] », dont le contenu est le suivant (les propos poursuivis étant mis en gras par le tribunal pour les besoins de la motivation) :

« L’embassaseur (sic) de la honte !
Faire un article sur un homme qui malmène, bafoue les droits salarial (sic), appauvrit ses salariés.. !!
Où est l’épanouissement quand aujourd’hui je constate encore que ses salariés sont dans la rue pour réclamer ce qu’ils méritent.. un peu de reconnaissance et un peu plus de pouvoir d’achat :10 centimes de plus sur un panier-repas !!
Mr [A] n’est pas respectable lorsque l’on voit comment il traite ces gens sur lequel il s’enrichit, il vole les sociétés d’honnêtes chefs d’entreprise je ne peux cautionner une industrie manipulée par ce genre de personnage sans foi ni loi !!.. Je vous invite à vous rendre sur COMEFOR pour rencontrer les vrais acteurs de l’industrie française !! ».
Un second post de [J] [H] apparait juste après, libellé ainsi : « Manipulation !! Ou est la liberté d’expression !!?? Mon commentaire à (sic) été effacé !! Jusqu’au bout une honte !! ».

Sur le caractère public des propos

L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 énonce les moyens de publicité qui sont constitués, “soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique”.

Pour que la publicité soit caractérisée il importe que les personnes ayant eu accès au message litigieux ne constituent pas un groupement lié par une communauté d’intérêts.

La distribution d’un écrit non confidentiel à divers destinataires qui ne constituent pas entre eux un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts caractérise la publicité prévue par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881.

Pour apprécier l’existence d’une communauté d’intérêts entre les destinataires d’un message, il convient de s’attacher aux liens existant entre les divers destinataires, et non aux modalités de l’envoi ou à la présentation matérielle du message.

La caractérisation d’une communauté d’intérêts suppose la démonstration d’un ciment juridique ou contractuel, soit que les membres sont liés contractuellement entre eux, soit qu’ils sont membres d’un groupement institué par un texte légal ou réglementaire, ou par instrument juridique s’apparentant à un contrat.

[J] [H] conteste, en premier lieu, le caractère public du message incriminé, soutenant que la diffusion n’est pas établie. Elle invoque, d’une part, que le seul témoignage dont le demandeur se prévaut afin de démontrer la publication des propos, à savoir celui de [F] [I] qui fait état de la publicité du commentaire sur son compte, n’est pas suffisant puisqu’il n’est corroboré par aucun autre élément, soulignant également la communauté d’intérêt existant entre le témoin et le demandeur. Elle soutient, d’autre part, que [F] [I] est la modératrice du compte, de sorte qu’elle avait pu valablement empêcher toute publication des propos. [J] [H],conteste en second lieu, la publication à l’égard d’un public suffisamment large et relève à ce titre que le nombre d’abonnés au compte de [F] [I] n’est pas établi à la date de la publication du post, le demandeur ne produisant qu’une pièce établissant le nombre d’abonnés au mois d’août 2022, ce qu’elle considère insuffisant pour démontrer la diffusion du message en dehors d’un groupe fermé.

[G] [A] soutient, au contraire, qu’il s’agit bien d’un écrit public, les propos litigieux ayant été publiés par la défenderesse sur le réseau LinkedIn accessible à l’ensemble de la “communauté abonnée au compte LinkedIn” de [F] [I]. Pour en justifier, il produit une capture d’écran du compte comportant le post litigieux ainsi qu’une attestation de [F] [I] qui en fait état, sans qu’il ne soit démontré comme l’invoque la défenderesse qu’elle ait eu un intérêt à témoigner en faveur de [G] [A]. Il souligne que la possibilité de modération est un choix revenant à l’utilisatrice du compte pour lequel n’a pas opté [F] [I], celle-ci ne pouvant effectuer un filtre en amont de la publication. Le demandeur se prévaut enfin du nombre d’abonnés au compte, plus de 6.000 et des 8 partages de la publication initiale.

*

En l’espèce, il est produit en procédure la capture d’écran reprenant le commentaire litigieux permettant de justifier de sa matérialité.

S’agissant de la publication en tant que telle sur le réseau social LinkedIn, il est communiqué par le demandeur une attestation rédigée par [F] [I] (pièce n°4 en demande) dans les formes prescrites par les articles 200 à 203 du code de procédure civile et 441-7 du code pénal, dans laquelle elle explique avoir publié un post relatif à un webinaire et avoir personnellement constaté, le 13 mai 2022, la publication du commentaire de [J] [H] qu’elle reprend textuellement (correspondant à celui visible sur la capture d’écran du compte fournie). Elle y indique également avoir supprimé les propos suite à la demande de [G] [A]. [F] [I] fait état dans son attestation de son lien avec le demandeur (avec la précision “client-fournisseur” et de ce qu’il est invité à participer à la matinale des [5] organisée par elle), ce qui, en soit, n’est pas de nature à discréditer ses propos et à remettre en cause la force probante de son témoignage, réalisé en conformité avec les exigences légales.

Par ailleurs, il ressort de la capture d’écran fournie que la défenderesse a publié le commentaire suivant à la suite de son premier post « Manipulation !! Ou est la liberté d’expression !!?? Mon commentaire à (sic) été effacé !! Jusqu’au bout une honte !! ». Il peut en être déduit, a contrario, que le commentaire litigieux a fait l’objet d’une publication avant d’être retiré, [J] [H] ayant pu y accéder à la page de [F] [I] et manifester son mécontentement face à son effacement.

Ces éléments permettent de démontrer la réalité de la publication du post litigieux sur la page LinkedIn de [F] [I].

S’agissant de sa diffusion au-delà d’un groupement lié par une communauté d’intérêts, il est justifié du nombre d’abonnés du compte LinkedIn de [F] [I] au 05 août 2022 avec 6.729 abonnés (pièce n°7 en demande). Bien qu’il y ait un décalage de l’ordre de deux mois entre cette pièce et la date effective de la publication, et alors que la défenderesse n’allègue d’aucune circonstance qui pourrait laisser penser à un accroissement brutal du nombre d’abonnés au compte de l’intéressée intervenu dans ce laps de temps, il peut être considéré que cette pièce permet d’établir la diffusion du message à un nombre de personnes bien supérieur à ce que constitue un cercle restreint et privé.

A cela s’ajoute que le message initial posté par [F] [I] sur son webinaire correspond à un message promotionnel s’inscrivant à l’égard d’un public indéterminé et ayant vocation à toucher un public large. Le fait que la défenderesse, sans lien avec [F] [I], en ait eu connaissance en est d’ailleurs la démonstration.

Ce faisceau d’indices permet d’établir que le message litigieux a bien fait l’objet d’une publication au-delà d’un groupement lié par une communauté d’intérêts.

L’exigence de publicité prévue par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 est donc caractérisée.

Sur le caractère injurieux des propos

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime. Ainsi, il appartient aux juges de relever toutes les circonstances extrinsèques qui donnent une portée injurieuse aux propos poursuivis, même si ceux-ci ne présentent pas par eux-mêmes ce caractère, et qui sont de nature à révéler leur véritable sens.

Les règles servant de fondement aux poursuites d’injures publiques doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle du droit à la liberté d’expression, lequel comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.

L’exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Le juge se doit en conséquence d’exercer un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée en particulier à la réputation ou au droit d’autrui et l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté d’expression par la mise en œuvre de l’une des restrictions prévues par la loi. Une expression ne sera dès lors constitutive d’injure que si elle excède les limites de la liberté d’expression.

[G] [A] estime que plusieurs propos au sein du commentaire de [J] [H] sont de nature injurieuse à son égard. Il en est ainsi du terme « L’ambassadeur de la honte ! » qui constitue, selon lui, une attaque purement personnelle destinée à porter atteinte à son honneur en affirmant qu’il n’en a pas, en le décrivant comme la quintessence de la honte en matière de politique salariale. Il s’élève également contre le terme « un homme qui malmène, bafoue les droits salarial (…) » estimant que ces propos jettent le discrédit et mettent en cause sa qualité de président. Il fait état ensuite du passage « (…) ses salariés (…) Mr [A] n’est pas respectable lorsque l’on voit comment il traite ces gens sur lequel il s’enrichit (…) », renfermant selon lui plusieurs invectives qui ne sont pas étayées par des faits suffisamment précis, et démontrant ainsi le caractère personnel de l’attaque portée. Il considère que par la phrase « il vole les sociétés d’honnêtes chefs d’entreprise », il est accusé personnellement et sans aucune réserve d’être un voleur et de s’approprier toutes les sociétés de dirigeants vertueux à leur insu. Il estime que la phrase « une industrie manipulée par ce genre de personnage sans foi ni loi » le dépeint comme un homme manipulateur qui n’aurait aucune morale et ne respecterait aucune loi. Il affirme enfin que la dernière phrase « je vous invite à vous rendre sur COMEFOR pour rencontrer les vrais acteurs de l’industrie française !! » signe l’aboutissement de l’attaque personnelle dont il est la victime. Il soutient, de manière plus générale, que ces propos le visent personnellement, et non en tant que chef d’entreprise, ne s’inscrivent pas dans un contexte de lutte sociale et ne se basent pas sur des faits précis mais constituent des invectives et prises à partie.

[J] [H] conteste le caractère injurieux des propos. Elle rappelle le contexte de lutte sociale et de mouvement de grève au sein de la société COMEFOR un temps dirigée par [G] [A] dans lequel s’inscrivent les propos, précisant être déléguée du personnel et dirigeante CGT du service éducation depuis 2019, faisant part d’une importante dégradation des conditions de travail des salariés de la société. Elle indique avoir ainsi agi pour donner son opinion sur les méthodes de [G] [A] dans le cadre professionnel, en tant que dirigeant d’entreprises, et sans avoir pour objectif de le viser à titre personnel. Elle fait valoir que les propos ne sont pas grossiers ou injurieux mais critiques. Elle souligne que certaines des phrases articulent des faits tout à fait précis, par nature incompatibles avec l’injure.

En l’espèce, il doit être relevé que les propos litigieux, replacés dans le contexte de leur publication, viennent en réaction à la promotion d’un événement professionnel sur le thème global des stratégies d’entreprise et de direction auquel était convié [G] [A], en sa qualité de chef d’entreprise. Par son commentaire, [J] [H] exprime sa réprobation de le voir associé à cet évènement et porte une critique sévère sur les méthodes qu’il emploie auprès de ses salariés qu’elle estime leur être particulièrement défavorables (« malmène, bafoue les droits salarial (sic), appauvrit les salariés »), ces derniers réclamant selon elle davantage de reconnaissance et de pouvoir d’achat (« un peu de reconnaissance et un peu plus de pouvoir d’achat : 10 centimes de plus sur un panier-repas »). Ce faisant elle livre son opinion sur les méthodes managériales mises en oeuvre par ce chef d’entreprise, sans le viser sous un aspect plus personnel, ni viser de faits précis dont la preuve de la vérité pourrait être rapportée.

Dans ce contexte, [J] [H] porte cette critique avec vivacité en utilisant des termes désapprobateurs (« ambassadeur de la honte », « personnage sans foi ni loi » notamment) en cohérence avec son indignation de le voir inviter à s’exprimer sur le sujet de la direction et du management. Les propos en cause sont indéniablement porteurs d’une forte charge dépréciative, et ont pu en cela légitimement heurter la partie civile, sans pour autant verser dans l’injure, aucun des termes ne pouvant être qualifiés d’outrageants, méprisants ou d’invectives.

Par conséquent, les propos en cause ne pouvant être qualifiés d’injurieux, la responsabilité civile de [J] [H] ne peut être engagée à l’égard de [G] [A] qui sera débouté de l’ensemble de ses demandes.

Sur les autres demandes

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a lieu en conséquence de condamner [G] [A], qui succombe à l’instance, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à [J] [H] la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y a lieu de condamner [G] [A] à lui payer la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, la décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort :

Déboute [G] [A] de ses demandes ;

Condamne [G] [A] à verser à [J] [H] la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 €) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne [G] [A] aux dépens ;

Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 13 mars 2024.

La greffière La présidente

 

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