L’administration de la preuve, en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
L’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En 2004, la société Biomeca Investissements a été créée, détenant 99,5 % de la société Bronze Alu, spécialisée dans la production de cupro-aluminium, d’aluminium et de fonte. En 2017, M. [L] a été engagé en tant que directeur général du groupe Bronze Alu. En 2020, il a été licencié pour insuffisance professionnelle, ce qu’il a contesté devant le conseil de prud’hommes d’Evreux. Le conseil a jugé le licenciement comme étant pour une cause réelle et sérieuse, mais a condamné la société Biomeca à payer des rappels de prime et à fournir des documents administratifs à M. [L]. M. [L] a interjeté appel de cette décision, demandant que les sociétés Biomeca Investissements et Bronze Alu soient considérées comme ses co-employeurs et réclamant une indemnité pour licenciement abusif. Les sociétés ont demandé la confirmation du jugement initial. L’affaire est en attente de jugement après une audience en février 2024.
Sur le co-emploi
Il est rappelé que le critère déterminant du contrat de travail est l’existence d’un lien de subordination juridique. La lettre d’embauche du 21 octobre 2016 mentionne la possibilité pour la société Biomeca d’être l’employeur de l’appelant, mais le contrat de travail ne fait pas mention de cette possibilité. Malgré une convention de mutation tripartite, le salarié ne remet pas en cause l’exécution et la résiliation de son contrat de travail initial.
Sur le licenciement
Concernant le licenciement, la cour constate que certains documents en langue anglaise n’ont pas été traduits. L’employeur doit fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables. L’insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments concrets. Les griefs reprochés au salarié ne sont pas suffisamment précis et vérifiables pour justifier le licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Sur les primes d’objectifs 2019 et 2020
Le salarié a rempli à 50 % ses objectifs au titre de l’année 2019 et était en droit d’obtenir 50 % de la prime contractuellement fixée. Pour l’année 2020, la société n’a pas fixé d’objectifs, mais cela ne justifie pas le non-paiement de la prime. Le salarié est donc en droit de recevoir la prime sur objectifs pour l’année 2020.
Sur les frais du procès
Les intimées sont condamnées aux dépens de première instance et d’appel. Elles doivent également payer les frais irrépétibles de l’appelant. La demande de la société Bronze Alu fondée sur l’article 700 du code de procédure civile est rejetée.
– M. [E] [L] : 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– M. [L] :
– 24 750 euros au titre de la prime sur objectifs de l’année 2019
– 14 850 euros au titre de la prime sur objectifs de l’année 2020
– Remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de 6 mois
– M. [L] : 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Réglementation applicable
l’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve, en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
L’insuffisance professionnelle constitue une cause légitime de licenciement à condition que l’incompétence alléguée repose sur des éléments concrets et suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail en ce qu’elle perturbe la bonne marche de l’entreprise ou le fonctionnement du service, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’établir l’existence d’un préjudice chiffrable pour l’entreprise. Entrent en ligne de compte la qualification professionnelle, l’ancienneté de services, les circonstances de l’engagement, les relations antérieures.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Stéphane CAMPANARO de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau de l’EURE
– Me Jérôme TURLAN, avocat au barreau de PARIS
– Me Flore ASSELINEAU de la SELAS ASSELINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS (pour S.A.S. BIOMECA INVESTISSEMENTS et S.A.S. BRONZE ALU)
Mots clefs associés
– Sanctions disciplinaires
– Avertissement
– Mise à pied disciplinaire
– Code du travail
– Procédure disciplinaire
– Conseil de prud’hommes
– Dommages et intérêts
– Préjudice distinct
– Stock VO
– Rotation
– Audit
– Organisation du service VO
– Marges
– Budget
– Heures supplémentaires
– Convention de forfait
– Salaire mensuel
– Horaires de travail
– Feuilles d’heures
– Travail dissimulé
– Bulletin de paie
– Primes
– Objectifs
– Rupture du contrat de travail
– Prise d’acte
– Licenciement
– Démission
– Indemnité compensatrice de préavis
– Arrêt de travail
– Procédure abusive
– Dommages et intérêts
– Frais irrépétibles
– Dépens
– Sanctions disciplinaires: mesures prises par un employeur à l’encontre d’un salarié en cas de faute professionnelle
– Avertissement: notification écrite adressée à un salarié pour signaler un comportement fautif
– Mise à pied disciplinaire: suspension temporaire du contrat de travail en raison d’une faute grave du salarié
– Code du travail: recueil de lois et de règlements régissant les relations entre employeurs et salariés
– Procédure disciplinaire: ensemble des étapes à suivre pour sanctionner un salarié en cas de faute professionnelle
– Conseil de prud’hommes: juridiction compétente pour régler les litiges entre employeurs et salariés
– Dommages et intérêts: réparation financière accordée à une victime d’un préjudice
– Préjudice distinct: dommage subi par une personne de manière distincte des autres préjudices
– Stock VO: ensemble des véhicules d’occasion disponibles à la vente
– Rotation: fréquence à laquelle les véhicules d’occasion sont renouvelés dans le stock
– Audit: vérification de la conformité et de la performance d’une organisation
– Organisation du service VO: organisation des activités liées à la vente de véhicules d’occasion
– Marges: différence entre le prix de vente et le coût d’achat d’un produit
– Budget: prévision des recettes et des dépenses d’une entreprise sur une période donnée
– Heures supplémentaires: heures travaillées en plus de la durée légale du travail
– Convention de forfait: accord entre l’employeur et le salarié sur un nombre d’heures de travail fixe par période
– Salaire mensuel: rémunération versée chaque mois à un salarié
– Horaires de travail: période pendant laquelle un salarié est tenu d’être présent au travail
– Feuilles d’heures: documents permettant de noter les heures travaillées par un salarié
– Travail dissimulé: pratique illégale consistant à ne pas déclarer un salarié ou à ne pas respecter les règles en matière de rémunération
– Bulletin de paie: document remis au salarié indiquant le détail de sa rémunération
– Primes: rémunération complémentaire accordée en fonction de la performance ou de critères spécifiques
– Objectifs: buts à atteindre fixés par l’employeur pour un salarié
– Rupture du contrat de travail: cessation du contrat de travail pour diverses raisons
– Prise d’acte: démarche par laquelle un salarié met fin à son contrat de travail en raison de manquements de l’employeur
– Licenciement: rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur
– Démission: renonciation du salarié à son contrat de travail
– Indemnité compensatrice de préavis: somme versée au salarié en cas de rupture du contrat de travail sans préavis
– Arrêt de travail: suspension de l’activité professionnelle d’un salarié pour des raisons de santé
– Procédure abusive: démarche judiciaire engagée de manière malveillante ou injustifiée
– Frais irrépétibles: frais engagés lors d’une procédure judiciaire et non récupérables
– Dépens: frais de justice supportés par les parties à un procès
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/01291 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JBYL
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 21 MARS 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 22 Mars 2022
APPELANT :
Monsieur [E] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Présent
représenté par Me Stéphane CAMPANARO de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau de l’EURE substitué par Me Jérôme TURLAN, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
S.A.S. BIOMECA INVESTISSEMENTS
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Flore ASSELINEAU de la SELAS ASSELINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. BRONZE ALU
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Flore ASSELINEAU de la SELAS ASSELINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 01 Février 2024 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 01 février 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 mars 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 21 Mars 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
En 2004, la société Biomeca Investissements (ci-après la société Biomeca) a été créée et son objet social est la fourniture de prestations de services, de management, d’engineering, d’activités commerciale, financière, de recherche et de développement technique, d’achats et de gestion du personnel.
Cette société détient 99,5 % de la société Bronze Alu, spécialisée dans la production de cupro-aluminium, d’aluminium et de fonte.
La société Bronze Alu est actionnaire à 100 % de la société Bronze Alu Carpati, fonderie de pièces destinées à l’industrie automobile et autres industries, basée à Pitesti en Roumanie, ainsi qu’actionnaire majoritaire de la société Bronze Alu Masué, située dans l’Yonne.
A compter du 3 janvier 2017, M. [E] [L] (le salarié) a été engagé en qualité de directeur général du groupe Bronze Alu, alors composé des sociétés Bronze Alu, Bronze Alu Carpati et Bronze Alu Masué.
En vertu d’une convention tripartite du 26 novembre 2018, il a été mis fin au contrat de travail de M. [L] avec la société Bronze Alu et un nouveau contrat de travail avec la société Biomeca a été signé le même jour.
Par courrier du 15 décembre 2020, M. [L] a été licencié pour insuffisance professionnelle.
Contestant cette décision, il a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux qui, par jugement du 22 mars 2022, a :
– mis hors de cause la SAS Bronze Alu ;
– dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SAS Biomeca Investissements à lui payer les sommes suivantes :
22 500 euros à titre de rappel de prime d’objectifs pour l’année 2019, 45 000 euros à titre de rappel de prime d’investissement pour l’année 2020,
2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné à la SAS Biomeca Investissements de faire parvenir à M. [L] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation destinée à Pôle Emploi et un bulletin de salaire, tous conformes au présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification de la présente décision ;
– réservé le droit de liquider cette astreinte audit conseil et autorisé en tant que de besoin M. [L] à le saisir par simple requête aux fins de liquidation de ladite astreinte ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– dit que les condamnations prononcées, en ce qu’elles n’ont pas le caractère de dommages et intérêts, porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil et à compter du prononcé du présent jugement pour les condamnations à des dommages et intérêts ;
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement ;
– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire, en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la SAS Biomeca Investissements en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS Biomeca Investissements aux entiers dépens.
Le 15 avril 2022, M. [L] a interjeté appel de cette décision et par conclusions du 22 décembre 2023, demande à la cour de :
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a :
mis hors de cause la SAS Bronze Alu,
dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
ordonné à la SAS Biomeca Investissements de faire parvenir à M. [L] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation destinée à Pôle Emploi et un bulletin de salaire, tous conformes au présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification de la présente décision ;
Statuant à nouveau,
– juger que les sociétés Biomeca Investissements et Bronze Alu étaient ses co-employeurs ;
A titre principal,
– « juger que le licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse est abusif » ;
– condamner solidairement les sociétés Biomeca Investissements et Bronze Alu, au paiement d’une indemnité réparatrice du licenciement abusif, sans cause réelle ni sérieuse de 141 070 euros équivalente à 10 mois de salaire ;
Subsidiairement,
– juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner solidairement les sociétés Biomeca Investissements et Bronze Alu, au paiement d’une indemnité réparatrice du licenciement sans cause réelle ni sérieuse de 70 535 euros équivalente à 5 mois de salaire ;
– confirmer sur le principe le jugement en ce qu’il a :
condamné la société Biomeca Investissements à payer à M. [L] les sommes suivantes :
22 500 euros à titre de rappel de prime d’objectifs pour l’année 2019,
45 000 euros à titre de rappel « de prime d’investissement sur objectifs » pour l’année 2020,
2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
ordonné à la SAS Biomeca Investissements de faire parvenir à M. [L] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation destinée à Pôle Emploi et un bulletin de salaire, tous conformes au présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification de la présente décision ;
réservé le droit de liquider cette astreinte et autorisé en tant que de besoin M. [L] à le saisir par simple requête aux fins de liquidation de ladite astreinte ;
Y ajoutant,
– condamner la SAS Biomeca Investissements à lui payer :
la somme de 24 750 euros au titre de la prime d’objectif 2019,
la somme de 49 050 euros au titre de la prime d’investissement sur objectifs 2020 ;
– Et par voie de conséquence, débouter les sociétés de l’ensemble de leurs demandes,
En tout état de cause,
– les condamner solidairement à lui verser une somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 5 octobre 2022, les sociétés demandent à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis hors de cause la société Bronze Alu, jugé que le licenciement était pourvu d’une cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de ses demandes à ce titre,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Biomeca au paiement des sommes ci-dessus rappelées au titre de la rémunération variable et des frais irrépétibles,
Y ajoutant,
– condamner le salarié à verser à la société Bronze Alu la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été fixée au 25 janvier 2024.
Lors de l’audience du 1er février 2024, il a été demandé aux intimées de produire une copie lisible des pièces n° 98 et 99, ce qu’elle a fait en adressant les fichiers Excel correspondant aux dites pèces.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le co-emploi
Il doit être rappelé que le critère déterminant du contrat de travail est l’existence d’un lien de subordination juridique.
La lettre d’embauche du 21 octobre 2016, signée par la société Bronze Alu et M. [L], précise que la société Biomeca peut « être éventuellement son employeur », que l’appelant s’engage « à accepter tout changement d’employeur qu’il soit Bronze Alu ou Biomeca » et qu’il a pour mission de « proposer au président du groupe Bronze Alu une stratégie de croissance ».
Quant au contrat de travail en découlant, s’il prévoit le rattachement hiérarchique du salarié au président de Bronze Alu, il ne fait pas mention de la possibilité de changer d’employeur.
Toutefois, par la convention de mutation tripartite du 26 novembre 2018, le salarié et la société Bronze Alu ont mis fin au contrat de travail qui les liait à compter du 30 novembre 2018 « sous la condition de l’engagement du salarié par la société Biomeca » et ont « renoncé à toutes les actions qui pourraient survenir en ce qui concerne l’exécution et la résiliation du contrat » de travail.
Sur ce dernier point, les sociétés ne sont pas fondées à opposer la clause de renonciation considérée au moyen tiré du co-emploi puisque le salarié ne remet pas en cause l’exécution et la résiliation de son contrat de travail initial et qu’au surplus, il ne pouvait pas renoncer à une action qui n’était pas née au jour de la signature de ladite convention.
En outre, l’appelant ne discute pas la validité de la « résiliation » de son contrat de travail initial, ni celle du contrat de travail signé avec la société Biomeca le 26 novembre 2018, laquelle l’engage dans les mêmes fonctions que les précédentes, soit directeur général du groupe Bronze Alu, de sorte qu’il a nécessairement fourni une prestation de travail au sein des sociétés du groupe Bronze Alu composé, notamment, de la société Bronze Alu.
A cela s’ajoute le fait que M. [L] soutient que malgré la convention de mutation considérée, il est demeuré sous le lien de subordination de la société Bronze Alu.
Ainsi, le co-emploi allégué est fondé sur la seule existence d’un lien de subordination avec les deux sociétés du groupe, de sorte que l’appelant n’a pas à démontrer, comme le soutiennent à tort les intimées, « une immixtion permanente de la société Bronze Alu dans la gestion économique et sociale de la société Biomeca ».
Or, il ressort de l’article 2 du contrat de travail signé avec la société Biomeca que le salarié est « rattaché hiérarchiquement au président de Bronze Alu et à défaut au président de Biomeca Investissements ».
Il résulte des termes explicites de cet article que le salarié est contractuellement placé sous le double lien de subordination des sociétés Bronze Alu et Biomeca et ce, peu important les motifs qui ont conduit à la signature des conventions considérées.
Pour contester cette clause, les sociétés intimées se prévalent d’une maladresse de rédaction en ce que le salarié était en réalité rattaché à M. [O] [S] en sa qualité de président délégué de la société Biomeca et non en celle de président de la société Bronze Alu. Il résulte toutefois des pièces produites qu’à la date de conclusion du contrat, le président de Biomeca était M. [J] [S], M. [O] [S] étant effectivement président délégué de cette société (depuis le 1er avril 2018), mais également président de la société Bronze Alu et ce, jusqu’au 27 juin 2019.
Pour autant, l’erreur alléguée tenant à la personne du dirigeant de la société Biomeca n’explique pas que le contrat de travail prévoit expressément un double lien de subordination
Dans ses conditions, l’existence d’une situation de co-emploi est contractuellement établie sans qu’il soit produit d’élément permettant d’en contester la réalité, la décision déférée est infirmée sur ce chef.
Sur le licenciement
Préalablement, concernant les pièces produites par les parties, la cour constate que certaines d’entre elles, particulièrement techniques, sont en langue anglaise et n’ont pas été traduites. Or, si l’ordonnance de [Localité 4] ne vise que les actes de procédure, la cour est fondée, dans l’exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d’une traduction en langue française et ce, sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir à nouveau les débats ou d’inviter les parties à produire une traduction, de sorte qu’il ne sera pas tenu compte des pièces non traduites.
Sur le fond, l’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve, en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
L’insuffisance professionnelle constitue une cause légitime de licenciement à condition que l’incompétence alléguée repose sur des éléments concrets et suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail en ce qu’elle perturbe la bonne marche de l’entreprise ou le fonctionnement du service, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’établir l’existence d’un préjudice chiffrable pour l’entreprise. Entrent en ligne de compte la qualification professionnelle, l’ancienneté de services, les circonstances de l’engagement, les relations antérieures.
En l’espèce, M. [L] a été licencié pour les faits suivants :
« (‘) Votre mission consistait à proposer au Président de BRONZE ALU une stratégie de croissance discutée et arrêtée chaque année et de la mettre en application dans les sociétés du groupe. Cette stratégie de croissance devait s’appuyer fondamentalement sur la croissance des résultats ‘nanciers et la pérennité du Groupe que vous pilotiez, eu égard aux clients et aux produits.
A ce titre, vous étiez notamment chargé de veiller à la mise en place d’une politique commerciale dynamique du groupe en tenant compte notamment des contraintes économiques et financières dans la gestion des contrats.
Or, entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2019, le chiffre d’affaires de la société BRONZE ALU (société mère) est passé de 41,271 millions d’euros à 27,251 millions d’euros soit une baisse de 33,73 % en trois années.
Vous vous êtes révélé dans l’incapacité d ‘assurer le développement commercial du groupe pendant vos 3 premières années de collaboration si bien que confrontée à la crise sanitaire de 2020, notre société n’avait d’autre choix que de mettre en ‘uvre un plan de sauvegarde de l’emploi de grande importance.
Le document que vous nous avez communiqué lors de l’entretien préalable, rédigé par un cabinet extérieur, démontre d’ailleurs que la cotation commerciale de la société est très mauvaise.
Dans cette situation préoccupante, vous deviez être d’autant plus vigilant sur la politique commerciale à mettre en ‘uvre et la gestion des contrats en cours de manière à limiter les conséquences ‘nancières et économiques pour le groupe.
Or force est de constater que vous avez été totalement insuffisant notamment dans la gestion des contrats boites de vitesses gamme J RENAULT et NTN.
‘ NTN
NTN, leader de la mécanique de précision a signé avec BRONZE ALU le 14 novembre 2018, un contrat de fourniture de barres de transmission tournées et traitées. Cette fabrication concernait 6 références de barres nommément désignées et un volume total de 550000 barres /an avec une ‘exibilité annuelle de plus ou moins 10 % et ponctuellement de plus ou moins 20%, avec une référence parmi les 6 représentant 46 % du volume total.
Ce contrat prévoyait également la possibilité pour NTN de demander le transfert d’une fabrication de barre de la France vers la filiale roumaine de Bronze Alu. Dans ce contexte il était précisé que « les implications financières résultantes, la faisabilité et les contraintes de planning seraient à étudier et à prendre en considération au mieux des intérêts des parties ».
L’annexe commerciale du contrat prévoyait par ailleurs des quantités minimales de livraison de 2000 barres.
C’est dans ces conditions que BRONZE ALU France a industrialisé les références de barres contractuelles et conçu un îlot de fabrication dédié, totalement robotisé et figé compte tenu des fortes cadences.
Cependant, une fois ce dispositif mis en place à LA COUTURE BOUSSEY et avant tout démarrage de production, NTN a finalement manifesté le souhait, associé à une baisse de prix, de faire transférer sur le site roumain de BRONZE ALU la référence qui représentait 46 % du volume total de production.
Notre filiale roumaine a dû réinitialiser le process d’industrialisation de la référence dont la production lui était confiée ce qui a engendré des investissements conséquents.
Or, en dépit de dispositions contractuelles claires, vous avez accepté ce transfert de fabrication sans solliciter ni délai de transfert ni compensation ‘nancière.
De plus, NTN a remplacé cette référence au volume élevé par une dizaine de références à livrer par lots de 150 à 2 000 pièces, la plupart ne dépassant pas 1 000 pièces et vous avez accepté de faire supporter par BRONZE ALU le coût de l’industrialisation de chaque barre, l ‘immense désordre industriel et la perte en résultant : notre capacité de fabrication hebdomadaire s’est trouvée fortement impactée et nous n’arrivions plus à livrer NTN, qui nous a retiré la seule grande cadence restante pour la transférer chez lui.
En conclusion, dans cette affaire vous n’avez rien fait pour bénéficier des dispositions contractuelles que vous aviez négociées avec NTN, vous avez privilégié les intérêts de NTN au détriment de ceux de la société dont vous étiez le directeur général et créé une source de perte financière conséquente.
‘ RENAULT
BRONZE ALU fabrique, depuis une dizaine d’années, les fourchettes de boites de vitesse de la gamme J, JH et JR, à l’exception de la 5 ème vitesse.
Nous n’avons malheureusement pas les marchés d’assemblage et d’usinage de ces pièces, ces prestations à forte valeur ajoutée étant réalisées chez le constructeur.
Historiquement, compte tenu de l’importance du chiffre d’affaires de RENAULT (7 millions en 2017, 5,4 millions en 20/9), BRONZE ALU avait consenti une baisse de prix conséquente de manière à pouvoir être attributaire de la fabrication des boites de vitesse TL4 puis TL6.
Vous saviez donc que BRONZE ALU ne gagnait pas d’argent sur ces fabrications et que l’objectif était de n’accorder aucune baisse de prix quelle que soit la pression du constructeur.
Par ailleurs, la fabrication d’une nouvelle boite de vitesse RENAULT qui devait remplacer la gamme J à compter de fin 2020 avait été attribuée par le constructeur à l ‘un de nos concurrents.
Or, le 23 mars 2020, vous avez, sans nous informer ni demander notre accord, envoyé à RENAULT une acceptation de baisse de prix subordonnée à un accord volume sur les années à venir, sans prendre en compte l’impact de la crise économique sur les ventes de voitures dans les années à venir, générée par la COVlD- I9.
Vous ne nous avez informés de cette proposition que lors d ‘une réunion du CODIR le 28/09/2020 en nous précisant qu’il nous fallait baisser les prix des fourchettes de la gamme J à compter du 1er janvier 2021, alors que les volumes de vente s’écroulent à partir du mois d’octobre 2020 du fait de la crise économique et du remplacement par la nouvelle boite, à un niveau inférieur à celui initialement prévu.
Après étude du contrat que vous nous avez transmis le 29 septembre 2020, nous nous sommes aperçus que l’offre que vous aviez faite à RENAULT devait être acceptée dans un délai d’un mois et que le client ne l’ayant pas acceptée, votre offre était devenue caduque.
Ainsi, comme vous n’aviez fait aucune démarche pour constater cette caducité et que vous étiez disposé à baisser nos prix sur la production de septembre, nous avons été contraints d ‘intervenir auprès du constructeur pour lui indiquer que notre offre était caduque depuis de nombreux mois.
En synthèse, en dépit de la crise économique liée au confinement vous avez accepté de baisser les prix d’une grande fabrication, sans notre accord et pendant le confinement, alors que le produit était en forte baisse (crise économique et remplacement) et que vous auriez dû solliciter une hausse des prix de vente.
Il a fallu que nous le découvrions 7 mois plus tard par hasard pour que la caducité de cette offre soit constatée par nos soins. Vous n’aviez rien fait jusque-là et n’auriez rien fait si nous n’étions pas intervenus.
Force est de constater au travers de ces trois griefs que vous êtes dans l ‘incapacité de comprendre les enjeux économiques et financiers des relations contractuelles du groupe avec ses clients ce qui menace la pérennité financière et économique du groupe.
(‘)
Dans ces conditions il n’est plus envisageable de continuer à vous confier la Direction générale du groupe ce qui nous conduit à vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle (‘). »
Il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige et qu’aux termes de celle-ci sont exclusivement reprochés au salarié une baisse du chiffre d’affaires sur 3 ans, son incapacité à assurer le développement commercial du groupe ce qui s’est traduit par la mise en place d’un PSE et des insuffisances dans la gestion de deux contrats (NPN et Renault).
Concernant le premier grief, les sociétés intimées concluent qu’en réalité ce n’est pas la baisse du chiffre d’affaires « stricto sensu » qui est reprochée au salarié « mais son incapacité à compenser cette baisse par une politique commerciale dynamique », ce qui ne résulte pas des termes de la lettre de congédiement. En effet, celle-ci se limite à rappeler que le salarié était en charge de la politique commerciale du groupe sans mettre en exergue une insuffisance précise à ce titre, comme il le soutient à raison.
De même, il ne peut qu’être constaté que « l’incapacité [alléguée] du salarié à assurer le développement commercial du groupe pendant les 3 premières années » n’est pas explicitée par des éléments précis, objectifs et vérifiables. En effet, seule est évoquée sa prétendue conséquence, soit la mise en ‘uvre d’un PSE dont le salarié ne saurait être tenu pour responsable. Ce défaut de précision concernant ce « grief » ne saurait permettre aux sociétés intimées de modifier le périmètre de l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié en englobant, sous un vocable flou, divers prétendus manquements conduisant à reprocher au salarié tout à la fois un manque de visibilité de la politique commerciale, des démarches commerciales inefficaces ou encore l’absence de nouveaux marchés (pages 17-21 conclusions des intimées).
En revanche, il est évoqué la baisse du chiffre d’affaires (C.A) sur 3 années ou encore des insuffisances dans la gestion de deux contrats : NTN et Renault, griefs qu’il convient d’apprécier.
Sur le premier point, la cour observe que les objectifs qui ont été fixés au salarié, dans le cadre de sa rémunération variable, ne dépendaient pas de la seule évolution du chiffre d’affaires. En effet, ses performances étaient évaluées, en 2018, en fonction d’une réorganisation commerciale et de la fixation d’une politique « poignées et portes » et en 2019, en fonction du résultat d’exploitation, de l’obtention de nouveaux marchés, d’une nouvelle organisation commerciale et de la mise en place d’un réseau d’agents commerciaux, étant observé que le salarié a perçu la rémunération variable de l’année 2018. En 2017, il a perçu 40 000 euros de prime sans définition précise d’objectifs.
Cette absence de prééminence de cet indicateur (C.A) trouve sans doute son explication dans la stratégie de développement du groupe et dans les propos de M. [O] [S] dans un mail du 8 avril 2018, adressé au salarié, où il écrivait ceci : « ce qui compte c’est le résultat et pas le CA. Il vaut mieux faire un petit CA et être profitable que faire un gros et perdre de l’argent ‘ ».
Toutefois, en sa qualité de directeur général du groupe, le salarié se doit de répondre de l’évolution du chiffre d’affaires de la société et, notamment, en cas de baisse significative de cet indicateur afin de savoir si celle-ci est imputable à son éventuelle insuffisance professionnelle.
Il est établi par les pièces produites que le chiffre d’affaires de la société Bronze Alu a baissé d’environ 33 % entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2019 puisqu’il est passé de 41 271 K € à 27 256 K €.
Il convient toutefois de rappeler que le salarié n’a été engagé que le 3 janvier 2017, de sorte qu’il ne peut lui être imputé les résultats de l’exercice 2016, et il a été licencié en décembre 2020, si bien qu’il a réellement exercé ses fonctions sur les années 2017, 2018, 2019 et 2020.
Par ailleurs, le salarié indique, sans être utilement contredit, que le cycle de vente dans le secteur industriel des équipementiers automobiles est d’au moins 3 ans en tenant compte d’une durée de 2 ans de projets auquel s’ajoute le temps de négociation commerciale puis celui de la mise en production. Cette périodicité est confirmée pas les tableaux des programmes JX22, DB45 et TL4 qui évoquent une période de 4 années en moyenne pour atteindre une pleine cadence.
A cela s’ajoute, un contexte économique et sanitaire peu favorable comme cela résulte des échanges de mails du salarié avec M. [O] [S], mais également du contenu du PSE.
En effet, il ressort de la présentation des motifs économiques du projet de réorganisation que la société connaît depuis 2018 une baisse structurelle de son activité avec de fortes baisses de volumes sur l’ensemble des fabrications, ceci étant en lien, notamment, avec la diminution progressive des boîtes manuelles au profit des boîtes automatiques alors que la société fabrique principalement des fourchettes de boites manuelles (80 % du CA début 2020). Ce document précise aussi que la société Renault, 1er client de la société intimée, connaît une baisse de plus d’1 million de boîtes manuelles depuis 2016, soit 12 % de baisse par an et qui est amenée à s’amplifier. Cette diminution substantielle affectant le principal client de la société intimée a nécessairement eu un impact négatif sur le chiffre d’affaires sans que cela soit imputable à une quelconque insuffisance du salarié.
De plus, ce même document précise que le confinement lié à la crise sanitaire a entraîné « une baisse drastique des volumes présents et à venir » avec une baisse du chiffre d’affaires de la société Bronze Alu, selon les mois, « de 30 % à 85 % ».
Pour autant, il résulte des tableaux comparatifs produits par l’appelant et qui ne sont pas utilement critiqués, que la société Bronze Alu a mieux supporté que nombre de sociétés concurrentes les difficultés structurelles rencontrées par le secteur de la fonderie. En effet, malgré la baisse avérée de son chiffre d’affaires sur la période 2016-2019, cette dernière a vu sa valeur patrimoniale baisser de 2 % en 2019, alors que celle des autres sociétés a chuté de 12 à 350 %, étant observé que ce dernier chiffre concerne la société MBF que la société Bronze Alu cite dans ses conclusions comme étant un élément pertinent de comparaison. De même, le résultat avant impôt a baissé de 0,1 %, soit le pourcentage le plus bas du panel de comparaison, le taux étant porté à -21,7 % pour la société MBF.
Pour contester cette présentation plus contrastée des résultats financiers de la société Bronze Alu, avancée par le salarié, cette dernière se prévaut d’autres indicateurs financiers tels que le recul dans le classement des ventes, lequel s’explique par les éléments conjoncturels ci-dessus développés et qui ne sont pas imputables à une prétendue insuffisance du salarié, ou encore la baisse de rentabilité des capitaux propres (de 14 % à 7 %). Concernant ce dernier indicateur, il convient de constater que celui-ci demeure positif ce qui signifie qu’il y a création de valeur et de richesses. De plus, il n’est pas à lui seul un élément pertinent concernant la rentabilité de la société. Pour autant, à celui-ci s’ajoute une augmentation de la marge brute sur la même période, ce qui est un indicateur de performance non négligeable. Il doit également être noté que la note financière est passée de « Bonne à Forte » et que la valeur patrimoniale a augmenté en 2020.
En second lieu, il est reproché au salarié son insuffisance dans la gestion de deux contrats passés avec les sociétés NTN et Renault.
Concernant ce dernier contrat, aux termes de la lettre de licenciement, il est fait grief au salarié d’avoir proposé à la société Renault, au mois de mars 2020, une baisse de prix pour la fabrication de fourchettes de boîtes de vitesse de la gamme J et ce, sans informer, ni demander l’agrément de son employeur. Il lui est également reproché de ne pas avoir fait de démarche auprès du constructeur pour « constater la caducité de l’offre ».
La formalisation d’une offre par le salarié sans avoir informé préalablement l’employeur et sans son accord, relève d’un comportement volontaire, éventuellement fautif mais, en toute hypothèse, distinct de l’insuffisance professionnelle, comme le soutient valablement le salarié et alors que les intimées restent taisantes sur ce point.
En effet, l’insuffisance professionnelle ne revêt pas, en principe, un caractère fautif, sauf si elle résulte d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée du salarié. Toutefois, la société intimée qui s’est placée sur le terrain de l’insuffisance professionnelle n’est pas autorisée à invoquer un comportement fautif du salarié.
Dans ces conditions, ce grief ne peut être retenu pour fonder le licenciement prononcé pour un motif non disciplinaire.
De même, l’offre litigieuse devait être acceptée dans le délai d’un mois par la société Renault, à défaut elle devenait automatiquement caduque, de sorte qu’aucune intervention du salarié n’était nécessaire pour se prévaloir de cette caducité, si bien qu’aucune insuffisance ne peut lui être reprochée sur ce point.
Quant au contrat avec la société NTN, la cour relève que les intimées se réfèrent dans leurs conclusions à la pièce n° 28 (page 23) comme étant le contrat relatif à la production de barres de transmission, alors qu’il s’agit de son offre de prix concernant la production externalisée de tulipes (idem pièce n°29), que les références et clauses qu’elle comprend ne sont pas celles visées dans la lettre de licenciement. Les seuls contrats produits concernant la société NTN sont le protocole transactionnel et l’avenant signés le 11 mars 2021.
Toutefois, les parties s’entendent pour considérer que le contrat signé avec cette société prévoyait la production de 5/6 barres de transmission pour un volume annuel de 550 000 barres avec des quantités minimales de livraison de 2 000 pièces. Il n’est pas discuté qu’il stipulait la possibilité pour NTN de solliciter le transfert de fabrication vers la filiale roumaine de la société Bronze Alu à compter de 2023 et, dans cette hypothèse, qu’il conviendrait d’étudier « la faisabilité, les implications financières résultantes et les contraintes de planning » et qu’il évoquait également « le souhait de maintenir une production minimale pour NTN Transmissions en France » par le biais éventuel d’autres produits, comme les tulipes ou les bois.
Le calendrier de production prévoyait un démarrage des lignes d’avril à décembre 2019.
Il résulte des pièces produites, que malgré les dispositions contractuelles précédemment rappelées, la société NTN a souhaité le transfert de la production de la référence (29-5835BJ95) la plus volumineuse (253 000 pièces, soit 46 %) sur le site roumain de la société Bronze Alu.
Il ressort des échanges entre la société NTN et le salarié ou son collaborateur, M. [K], qu’au mois de septembre et novembre 2019 et non dès le mois de juillet 2019 comme l’appelant le soutient à tort à la lecture de sa pièce, il a alerté la société NTN sur le fait que de passer de « 5 références à a priori une vingtaine » pénalisait la société du fait de la fréquence des changements sur la ligne conçue pour une faible diversité de références, que le transfert en Roumanie de grosse cadence engendrait « une multiplication de changements de série et une perte de capacité associée » si bien que la société Bronze Alu subissait « une double perte : des coûts en hausse et une perte de chiffre d’affaire ».
Au mois d’octobre 2020, M. [K] (Key account manager) a formulé des demandes, nécessairement en accord avec l’appelant, son supérieur hiérarchique qui est d’ailleurs en copie des courriels, à la société NTN concernant les minimas de production à défaut desquels une augmentation de prix serait appliquée (en-deça de 2 000 pièces) et indiqué qu’une compensation des surcoûts occasionnés au cours de l’année 2020 de 83 000 euros lui serait facturée. Dans un autre courriel, il a été rappelé à la société NTN les conditions contractuelles, que la société Bronze Alu « n’acceptait pas que NTN retire la production de la seule référence grande cadence » et réitéré ses demandes précédemment exposées.
Dès lors, il ne peut être considéré que ces mails constituent une acceptation, même tacite, de M. [L] de la décision de la société NTN de retirer la référence importante en volume, puisque celle-ci a été imposée à la société Bronze Alu. Ceci est d’autant plus vrai que M. [O] [S], dans son courriel du 16 novembre 2020, a reproché à la société NTN d’avoir « rompu le contrat de façon unilatérale » en visant ce transfert et la production coûteuse de plusieurs références.
Pour autant, il est vrai que le salarié n’a pas rappelé à cette société, dès sa décision de transfert, semble-t-il en juillet 2019, ses obligations contractuelles et notamment la condition relative au délai initialement fixé ou encore n’a pas négocié un délai d’exécution pour ce transfert. Il a en effet fallu attendre le mois d’octobre 2020 pour qu’il rappelle à son partenaire commercial les dispositions les liant.
Pour autant, il résulte des attestations de MM. [K] et [D] (directeur de l’usine Bronze Alu en Roumanie) dont le caractère probant n’est pas valablement contesté, que compte tenu du contexte économique, l’appelant a privilégié, dans un premier temps, le maintien du dialogue avec la société NTN afin d’obtenir d’autres lignes de production de barres de transmission et de tulipes, ce qui a été effectivement obtenu. Ce choix stratégique peut être discuté mais il ne relève pas d’une insuffisance professionnelle et il n’est pas démontré qu’il ait été préjudiciable au groupe.
En effet, il résulte de l’examen du protocole transactionnel signé le 11 mars 2021 par la société intimée avec NTN que la compensation induite par les décisions de NTN est celle sollicitée par le salarié dans les mails d’octobre 2020, précédemment rappelés, et il a été également repris les dispositions relatives aux minimas de production et à l’augmentation des prix en cas de non-respect.
Compte tenu des développements ci-dessus, la cour constate que l’insuffisance professionnelle reprochée à l’appelant n’est pas établie si bien que son licenciement n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.
La décision déférée est infirmée sur ce chef.
Compte tenu des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, de l’ancienneté (4 ans) du salarié, de son salaire moyen (14 106,92 euros), de son âge au moment de la rupture (52 ans) et de sa situation postérieure au licenciement dont il justifie (nouvel emploi en mai 2021), il y a lieu de lui allouer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement son cause réelle et sérieuse, lequel montant sera supporté in solidum par les intimées.
Il appartiendra à la société Biomeca de remettre au salarié les documents de fin de contrat et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une astreinte.
Enfin, il convient de faire application des dispositions de l’article L. 1235-4 dont les conditions sont réunies et d’ordonner aux co-employeurs le remboursement in solidum des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de 6 mois.
Sur les primes d’objectifs 2019 et 2020
Il résulte de l’article 6 du contrat de travail que le salarié bénéficie d’une prime sur objectifs pouvant aller jusqu’à 30 % de sa rémunération brute annuelle et il est précisé que les objectifs seront définis au début de chaque année avec le président de Bronze Alu.
Il n’est pas utilement discuté que le salarié a rempli à 50 % ses objectifs au titre de l’année 2019 tels que fixés par le courriel du 20 juin 2019.
Aussi, la société Biomeca ne peut valablement s’y opposer en faisant valoir que le résultat d’exploitation a été atteint en raison d’une rentabilité exceptionnelle d’une pièce dont les prix avaient été négociés des années auparavant, alors même que la condition fixée sur ce point était « la réalisation d’un résultat d’exploitation de 200 000 euros » sans autre précision.
Par conséquent, l’appelant était en droit d’obtenir 50 % de la prime contractuellement fixée, calculée sur son salaire brut de l’année 2019 dont il n’est pas discuté qu’il s’élevait à 165 000 euros, de sorte qu’il convient de lui allouer la somme de 24 750 euros à ce titre.
Concernant la prime sur objectifs de l’année 2020, il n’est pas contesté qu’au titre de cette année et contrairement aux précédentes, la société Biomeca n’a pas fixé d’objectifs à atteindre au salarié pour le déclenchement de la prime.
La cour rappelle que l’employeur ne peut se prévaloir du défaut de détermination des objectifs à réaliser pour échapper au paiement d’un élément de la rémunération contractuellement prévue. L’intimée ne peut pas plus se prévaloir de la crise sanitaire ayant débuté à la mi-mars 2020 pour justifier de ce défaut, alors même qu’il s’agit d’objectifs annuels et, partant, qu’ils doivent être déterminés au début de la période de référence. De plus, il s’infère du mail de juin 2020 de M. [S] que cette abstention s’explique, en réalité, par son refus de tout règlement de bonus au titre de l’année 2020 en raison du PSE.
Par conséquent, compte tenu du salaire de référence ci-dessus rappelé, des conditions contractuelles fixées mais également des difficultés rencontrées par la société tant au plan économique que sanitaire de nature à altérer ses résultats et, partant, les objectifs du salarié qui n’avait atteint que 50 % de ceux-ci l’année précédente, il convient d’allouer à ce dernier la somme de 14 850 euros au titre de la prime sur objectifs 2020.
La décision déférée est infirmée sur ces chefs.
Sur les frais du procès
Les intimées, parties succombantes, sont condamnées in solidum aux dépens de première instance et d’appel et la société Bronze Alu est déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Pour la même raison, elles sont condamnées in solidum à payer à l’appelant la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Evreux du 22 mars 2022, sauf en ce qu’il a débouté la société Biomeca Investissements de ses demandes,
Statuant dans cette limite et y ajoutant,
Dit que les sociétés Bronze Alu et Biomeca investissements sont co-employeurs de M. [E] [L],
Dit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne in solidum les sociétés Bronze Alu et Biomeca Investissements à payer à M. [E] [L] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Biomeca Investissements à payer à M. [L] les sommes suivantes :
24 750 euros au titre de la prime sur objectifs de l’année 2019,
14 850 euros au titre de la prime sur objectifs de l’année 2020 ;
Rappelle que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;
Condamne in solidum les sociétés Bronze Alu et Biomeca Investissements à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de 6 mois ;
Dit que la société Biomeca Investissements devra remettre au salarié ses documents de contrat et un bulletin de salaire conformes à l’arrêt ;
Dit qu’il n’y a pas lieu d’assortir cette remise d’une astreinte ;
Condamne in solidum les sociétés Bronze Alu et Biomeca Investissements à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne in solidum les sociétés Bronze Alu et Biomeca Investissements aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente