Responsabilité d’ENEDIS dans un incendie d’origine électrique

Notez ce point juridique

ERDF qui procède à une augmentation de l’intensité de 30 A à 45 A sans modifier le câblage aval du disjoncteur, crée ainsi une non-conformité de l’installation à la norme quant à la section des conducteurs (responsabilité engagée).

1. Vérifiez toujours la conformité de vos installations électriques aux normes en vigueur, notamment en cas de changement de compteur ou d’augmentation de puissance. Assurez-vous que les câbles et les équipements sont adaptés à la nouvelle configuration pour éviter tout risque d’incendie.

2. En cas de litige avec un fournisseur d’électricité, n’hésitez pas à faire appel à un expert judiciaire pour évaluer les causes de l’incident et déterminer les responsabilités. Les conclusions de l’expert peuvent être déterminantes pour prouver la faute du fournisseur et obtenir réparation des dommages subis.

3. Assurez-vous de conserver toutes les preuves et documents relatifs à l’incident, tels que les rapports d’expertise, les factures de travaux de réparation, les échanges de correspondance avec le fournisseur, etc. Ces éléments seront essentiels pour étayer votre demande d’indemnisation et défendre vos droits en cas de litige.


Madame [V], propriétaire d’un pavillon assuré par la MAIF, a constaté un incendie d’origine électrique qui a détruit sa maison. Suite à une expertise, il a été conclu que l’incendie pouvait être dû à un défaut au niveau de l’installation électrique. La MAIF, subrogée, a assigné la société ENEDIS en justice pour obtenir des dommages-intérêts. Les parties ont présenté leurs arguments devant le tribunal, la MAIF demandant 215 837,01 € de dommages et intérêts, tandis qu’ENEDIS contestait toute responsabilité et demandait des dommages-intérêts en cas de condamnation. Le juge a mis sa décision en délibéré après les débats du 12 janvier 2024.

Responsabilité d’ENEDIS

La MAIF, subrogée dans les droits de l’assurée victime, recherche la responsabilité d’ENEDIS au visa des articles 1240, 1245 et 1384 alinéa 2 du Code civil. Elle se prévaut des témoignages de membres de la famille de son assurée selon lesquels deux jours après le changement de compteur par un technicien de ERDF, la pièce où se trouvait ce compteur était enfumée et des flammes se trouvaient à sa hauteur. Ils sont corroborés par les constatations de l’expert judiciaire qui note des combustions profondes des structures en bois confirmant foyer de départ d’incendie dans l’environnement du tableau électrique et qui conclut que le départ du feu est au niveau du tableau électrique général du logement qui comporte le tableau de comptage ERDF. Elle ajoute que les experts ont trouvé un indice d’une surchauffe des fusibles, une corrosion des portes-fusibles, le fluage des fusibles qui accréditent fortement la thèse d’un phénomène local d’échauffement anormal par effet [J] au niveau des deux connexions présentant une oxydation marquée.

Surtout l’assureur reprend les conclusions de l’expert sur le fait que ERDF a procédé à une augmentation de l’intensité de 30 A à 45 A en février 2013 sans modifier le câblage aval du disjoncteur, créant ainsi une non-conformité de l’installation à la norme quant à la section des conducteurs.

La mutuelle reproche à la société ENEDIS d’une part d’avoir procédé à cette augmentation de l’intensité sans modifier le câblage aval du disjoncteur et ainsi d’avoir créé une installation non conforme, d’autre part d’avoir changé le compteur le 23 janvier 2015 sans s’assurer qu’il était compatible avec le réseau électrique existant et qu’il ne créait pas de danger. Elle soutient que s’il n’y avait pas eu l’augmentation de l’intensité et le changement de compteur il n’y aurait pas eu d’incendie. Selon elle l’installation est devenue non conforme et l’incendie est survenu en raison des deux interventions d’ENEDIS.

Elle écarte la cause liée à la vétusté de l’installation électrique de la maison assurée en soutenant que sans l’augmentation d’intensité fautive et le changement compteur aucun incendie ne sera survenu.

Motifs de la décision

L’incendie litigieux étant survenu le 25 janvier 2015, il convient de rechercher les textes alors applicables.

L’ancien article 1382 du code civil (devenu 1240) dispose de tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

L’article 1384 alinéa 2 ancien du même Code (devenu 1242 alinéa 2) énonce que celui qui détient, un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

Aux termes de l’article 1353 du même code, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver quand celui qui s’en prétend libérer doit justifier du fait l’éteignant.

L’article 1386-1 du même code, devenu 1245, stipule que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’ils soient ou non liés par un contrat avec la victime.

Selon l’article L. 121-12 du Code des Assurances l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur. L’assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l’assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de l’assure

– La société ENEDIS est condamnée à verser à la MAIF, subrogée dans les droits de son assurée, la somme de 129.502,20 € de dommages-intérêts
– La société ENEDIS est condamnée à verser une indemnité de procédure de 4.000 € à la MAIF
– La société ENEDIS est condamnée à payer les dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire
– Les intérêts légaux seront capitalisés aux conditions légales


Réglementation applicable

– Code civil

– Article 1240 : Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

– Article 1245 : Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’ils soient ou non liés par un contrat avec la victime.

– Article 1384 alinéa 2 : Celui qui détient, un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

– Code des Assurances

– Article L. 121-12 : L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.

– Code de procédure civile

– Article 12 : Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

– Autres articles cités

– Article 1231-7 du code civil : La somme portera intérêts légaux à compter de la présente décision.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Maître Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS
– Maître Brigitte BEAUMONT de la SCP CABINET BEAUMONT CABINET BEAUMONT
– Maître Christine BLANCHARD-MASI de la SELARL CALICE AVOCATS

Mots clefs associés

– Responsabilité d’ENEDIS
– Témoignages
– Expert judiciaire
– Augmentation de l’intensité
– Changement de compteur
– Non-conformité de l’installation
– Faute de la société ENEDIS
– Vétusté de l’installation électrique
– Câblage
– Norme C15-100
– Départ de feu
– Responsabilité du détenteur du bien
– Obligation de sécurité de résultat
– Subrogation de l’assureur
– Obligation de prouver
– Faute de nature délictuelle
– Lien de causalité
– Incendie
– Expertise judiciaire
– Conclusions de l’expert
– Faute de ERDF
– Non-conformité du câble
– Perte de chance
– Vétusté de l’installation
– Faute de ERDF en 2013
– Changement de puissance du compteur
– Obligation de conseil
– Responsabilité de ERDF
– Demande indemnitaire
– Montant des dommages et intérêts
– Intérêts légaux
– Capitalisation des intérêts
– Dépens
– Indemnité de procédure
– Exécution provisoire

– Responsabilité d’ENEDIS: obligation de la société ENEDIS de garantir la sécurité et la conformité des installations électriques
– Témoignages: déclarations faites par des personnes ayant des informations pertinentes sur un événement ou une situation
– Expert judiciaire: professionnel qualifié chargé d’apporter son expertise technique dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Augmentation de l’intensité: augmentation de la puissance électrique circulant dans un circuit
– Changement de compteur: remplacement de l’ancien compteur électrique par un nouveau modèle
– Non-conformité de l’installation: non-respect des normes et réglementations en vigueur pour une installation électrique
– Faute de la société ENEDIS: erreur ou négligence commise par la société ENEDIS dans l’exécution de ses obligations
– Vétusté de l’installation électrique: état de vieillissement avancé de l’installation électrique
– Câblage: ensemble des câbles électriques utilisés pour assurer la distribution de l’électricité
– Norme C15-100: réglementation française définissant les règles à respecter pour les installations électriques
– Départ de feu: déclenchement d’un incendie
– Responsabilité du détenteur du bien: obligation du propriétaire ou de l’occupant d’un bien de garantir sa sécurité
– Obligation de sécurité de résultat: responsabilité de garantir un résultat conforme aux normes de sécurité
– Subrogation de l’assureur: transfert des droits de l’assuré à l’assureur après un sinistre
– Obligation de prouver: nécessité de démontrer la véracité d’un fait ou d’une responsabilité
– Faute de nature délictuelle: erreur ou négligence constituant une infraction
– Lien de causalité: relation de cause à effet entre un acte et un dommage
– Incendie: feu incontrôlé pouvant causer des dégâts importants
– Expertise judiciaire: évaluation technique réalisée par un expert dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Conclusions de l’expert: résultats et recommandations émis par l’expert à l’issue de son expertise
– Faute de ERDF: erreur ou négligence commise par ERDF (Electricité Réseau Distribution France)
– Non-conformité du câble: non-respect des normes pour un câble électrique
– Perte de chance: privation d’une opportunité ou d’un avantage suite à un événement
– Changement de puissance du compteur: modification de la capacité de mesure du compteur électrique
– Obligation de conseil: devoir de fournir des informations et des recommandations pertinentes
– Responsabilité de ERDF: obligation de la société ERDF de répondre de ses actes et de garantir la sécurité des installations
– Demande indemnitaire: requête visant à obtenir une compensation financière pour un préjudice subi
– Montant des dommages et intérêts: somme d’argent allouée à la victime pour compenser un dommage
– Intérêts légaux: taux d’intérêt fixé par la loi applicable en cas de retard de paiement
– Capitalisation des intérêts: calcul des intérêts cumulés sur une période donnée
– Dépens: frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Indemnité de procédure: compensation financière accordée à la partie gagnante pour ses frais de justice
– Exécution provisoire: mise en œuvre d’une décision judiciaire avant l’épuisement des voies de recours

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
29 MARS 2024

N° RG 20/00342 – N° Portalis DB22-W-B7E-PGYC
Code NAC : 64B

DEMANDERESSE :

La MAIF
Société d’assurance mutuelle à cotisations variables, entreprise régie par le Code des Assurances, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NIORT sous le numéro 775 709 702, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats plaidant/postulant

DEFENDERESSE :

S.A. ENEDIS,
anciennement ERDF, immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 444 608 442, prise en sa direction Ile de France Ouest, dont le siège est situé [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.
[Adresse 5]
[Localité 7]

représentée par Maître Brigitte BEAUMONT de la SCP CABINET BEAUMONT CABINET BEAUMONT, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, Maître Christine BLANCHARD-MASI de la SELARL CALICE AVOCATS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant

Copie exécutoire à Maître Thierry VOITELLIER
Copie certifiée conforme à l’origninal à Maître Christine BLANCHARD-MASI
délivrée le

ACTE INITIAL du 07 Janvier 2020 reçu au greffe le 15 Janvier 2020.

DÉBATS : A l’audience publique tenue le 12 Janvier 2024 Mme DUMENY, Vice Présidente, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 29 Mars 2024.

PROCÉDURE

Madame [K] [H] veuve [V] était propriétaire d’un pavillon construit en 1960, situé [Adresse 3], assuré par la MAIF au titre d’une police multirisques de l’habitation.

Le dimanche 25 janvier 2015, Madame [V] a constaté une coupure de courant puis un incendie s’est déclaré au niveau du compteur électrique et a détruit le pavillon.

La société d’assurance mutuelle MAIF a diligenté une expertise amiable confiée au Cabinet Grenez, qui a constaté “une dégradation de l’ensemble des cloisonnements, de la charpente, de la couverture, de l’ensemble des aménagements du pavillon dans sa structure bois à savoir les trois chambres, la cuisine, la salle de bains et le WC” avant de conclure “le pavillon est inhabitable”. Monsieur [I], expert en matière d’incendie, a relevé “les singularités électriques suivantes : forte dégradation de la partie supérieure du disjoncteur, barrette de neutre présentant une fusion en “V” avec un conducteur de petite section, pince métallique du conducteur neutre avec trace de fusion”. Il a conclut qu’“il nous apparaît opportun de mettre en cause judiciairement ERDF” dans la mesure où il relevait que la localisation du départ de feu était apparue “sur le panneau de comptage monophase de l’habitation [V]” et que l’incendie pouvait avoir pour cause “soit un défaut au niveau d’un élément de connexion, soit une blessure d’un conducteur consécutive aux travaux effectués”.

Sur autorisation du 11 juin 2015, Madame [V] a assigné d’heure à heure la société ERDF et le juge des référés de céans a désigné M. [X] [Z] en qualité d’expert judiciaire, selon décision en date du 16 juillet 2015 .

Madame [K] [H] veuve [V] est décédée le [Date décès 2] 2016.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 28 mai 2017.

Le 15 décembre 2020, les ayants droit de Madame [V] ont établi une quittance subrogative au bénéfice de la MAIF.

Par acte d’huissier délivré le 7 janvier 2020, la société d’assurance mutuelle MAIF, subrogée, a fait assigner devant ce tribunal la SA ENEDIS aux fins de la voir condamner à lui allouer des dommages-intérêts.

Par ordonnance prononcée le 20 septembre 2021, le juge de la mise en état a
– rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité à agir de la société d’assurance mutuelle MAIF,

– rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de la société d’assurance mutuelle MAIF,
– renvoyé le dossier à la mise en état
– réservé le sort des dépens et frais irrépétibles jusqu’à l’issue du litige.

Le 22 novembre 2022 la MAIF demande dans ses dernières conclusions de faire application des dispositions des articles L. 211-3 et suivants du Code de l’Organisation Judiciaire, 9, 42, 46, 515 et suivants du Code de procédure civile, anciens articles 1382 et 1384 alinéa 2 ancien du Code civil, nouveaux articles 1240, 1344, 1343-2, 12545, 1353 et suivants du Code civil et L. 121-12 et suivants du Code des Assurances, afin de :
– la dire et juger recevable en ses demandes, fins et prétentions et y faisant droit ;
– débouter la société ENEDIS de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner la société ENEDIS à lui payer une somme de 215.837,01 € de dommages et intérêts, outre les intérêts courus et à courir à compter de la date de la signification de la présente assignation et jusqu’à parfait paiement,
– ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la signification de la présente assignation,
– dire et juger que le jugement à intervenir sera assorti de l’exécution provisoire,
– condamner la société ENEDIS à lui payer une somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner la société ENEDIS aux entiers dépens dont ceux d’expertise judiciaire de 552,14 €, dont distraction au profit de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, conformément aux articles 699 et suivants du Code de Procédure Civile.

La société Enedis a notifié le 12 décembre 2022 ses dernières écritures contenant les prétentions suivantes :
A titre principal
– juger que la MAIF ne rapporte pas la preuve d’une faute de nature délictuelle de sa part,
– débouter la MAIF de ses demandes fins et conclusions,
– condamner la MAIF à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL CALICE AVOCATS,

A titre subsidiaire
– juger que l’action de la MAIF se limite à une perte de chance
– juger que cette perte de chance ne peut excéder 10 % des dommages matériels et immatériels
– juger que la vétusté de l’installation électrique privative a concouru pour une très large part à l’incendie
– déclarer que la part imputable à ENEDIS ne saurait excéder 20 % du préjudice lié à la seule perte de chance
– limiter en tout état de cause à 20 % la part qui lui est imputable quant aux conséquences matérielles et immatérielles de l’incendie
– débouter la MAIF de ses demandes fins et conclusions plus amples ou contraires
– condamner la MAIF à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL CALICE AVOCATS.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 avril 2023 et les débats ont eu lieu le 12 janvier 2024 devant le juge unique qui a mis sa décision en délibéré ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– sur la responsabilité d’ENEDIS

La MAIF, subrogée dans les droits de l’assurée victime, recherche la responsabilité d’ENEDIS au visa des articles 1240, 1245 et 1384 alinéa 2 du Code civil. Elle se prévaut des témoignages de membres de la famille de son assurée selon lesquels deux jours après le changement de compteur par un technicien de ERDF, la pièce où se trouvait ce compteur était enfumée et des flammes se trouvaient à sa hauteur. Ils sont corroborés par les constatations de l’expert judiciaire qui note des combustions profondes des structures en bois confirmant foyer de départ d’incendie dans l’environnement du tableau électrique et qui conclut que le départ du feu est au niveau du tableau électrique général du logement qui comporte le tableau de comptage ERDF. Elle ajoute que les experts ont trouvé un indice d’une surchauffe des fusibles, une corrosion des portes-fusibles, le fluage des fusibles qui accréditent fortement la thèse d’un phénomène local d’échauffement anormal par effet [J] au niveau des deux connexions présentant une oxydation marquée.
Surtout l’assureur reprend les conclusions de l’expert sur le fait que ERDF a procédé à une augmentation de l’intensité de 30 A à 45 A en février 2013 sans modifier le câblage aval du disjoncteur, créant ainsi une non-conformité de l’installation à la norme quant à la section des conducteurs.
La mutuelle reproche à la société ENEDIS d’une part d’avoir procédé à cette augmentation de l’intensité sans modifier le câblage aval du disjoncteur et ainsi d’avoir créé une installation non conforme, d’autre part d’avoir changé le compteur le 23 janvier 2015 sans s’assurer qu’il était compatible avec le réseau électrique existant et qu’il ne créait pas de danger. Elle soutient que s’il n’y avait pas eu l’augmentation de l’intensité et le changement de compteur il n’y aurait pas eu d’incendie. Selon elle l’installation est devenue non conforme et l’incendie est survenu en raison des deux interventions d’ENEDIS.
Elle note que dans ses précédents conclusions la société a reconnu une faute limitée à un manquement à ses obligations de mise en garde de l’abonné sur le fait que l’augmentation d’intensité lors de l’installation d’un compteur nécessitait une remise aux normes de son installation électrique ; cependant elle considère qu’il ne s’agit pas d’une perte de chance mais d’une faute à l’origine de la non-conformité et de l’incendie.

Elle écarte la cause liée à la vétusté de l’installation électrique de la maison assurée en soutenant que sans l’augmentation d’intensité fautive et le changement compteur aucun incendie ne sera survenu.
Développant la responsabilité de celui qui détient un bien mobilier dans lequel un incendie a pris naissance, tel que posé par l’article 1242 alinéa 2 du Code civil, la mutuelle affirme que Mme [V] n’était pas propriétaire du compteur qui a pris feu, qu’elle ne l’a ni acheté ni commandé ni sollicité l’installation alors que c’est la société ENEDIS qui a pris l’initiative de le changer sans vérifier s’il était compatible avec l’installation électrique interne.
À son adversaire qui soutient que selon les conditions générales l’abonné doit veiller à ce que le nouveau compteur soit compatible avec l’installation électrique de sa maison, elle répond que ce n’est pas Madame [V] qui a choisi le nouveau compteur ou son installation, que les stipulations des conditions générales ne trouvent pas à s’appliquer puisque l’incendie n’a pas pris en aval du compteur électrique mais à son niveau. Elle ajoute que la défenderesse ne rapporte pas la preuve d’avoir porté ces conditions générales à son assurée qui les aurait acceptées ce qui implique que les conditions ne sont pas opposables à celle-ci ou à ses ayants droits.

La mutuelle fait encore valoir l’absence de preuve d’une information donnée à Madame [V] sur les caractéristiques du nouveau compteur électrique avant son changement de sorte qu’il était impossible à celle-ci de vérifier ou faire vérifier la conformité de l’installation électrique de sa maison par rapport à ce nouvel équipement surtout qu’elle était profane en matière d’installation électrique et âgé de 69 ans. Elle en déduit que lorsque la société a pris l’initiative unilatérale de changer le compteur, l’abonnée n’avait aucune raison de craindre qu’il puisse être source de danger pour les biens ou les personnes de sorte que l’incendie est né sur ce compteur en raison de la seule installation par la société ENEDIS, de sa propre initiative et sans précaution.
Elle demande donc l’indemnisation de l’intégralité des préjudices sans limitation de responsabilité ni perte de chance.

La société ENEDIS conclut à titre principal au rejet en l’absence de preuve d’une faute de nature délictuelle.
Elle répond que l’article 1242 alinéa 2 du Code civil n’est pas applicable puisque il implique que l’incident ait pris naissance dans un bien immobilier appartenant à celui dont la responsabilité est recherchée alors que dans le cas d’espèce l’incendie a pris naissance dans les installations privatives de Madame [V] comme l’expert l’indique.
Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la société conteste avoir commis la moindre faute, affirmant que l’origine de l’incendie ne se trouve pas dans la partie de l’installation lui appartenant puisqu’il aurait été localisé dans le tableau divisionnaire de la maison relevant des installations privatives.
Elle plaide que l’’expert judiciaire a considéré que l’origine de la surtension était un échauffement au niveau de la borne d’alimentation des blocs de portes- fusibles de sorte que ce n’est pas le produit qui est intrinsèquement en cause mais l’intervention en 2013, surtout que son adversaire lui reproche un prétendu manquement au devoir de conseil en augmentant la puissance sans imposer la remise à niveau du tableau électrique par l’abonnée.
Elle dénie avoir commis la moindre faute, seul le constat de la non-conformité de la section des câbles aux bornes aval de l’installation privative à la nouvelle puissance ne caractérisant pas une telle faute ; sur ce point elle réfute être tenue d’un devoir de conseil sur les installations électriques privatives de ses clients ou devoir procéder à un audit de celles-ci et rappelle que c’est sa responsabilité délictuelle et non contractuelle qui est recherchée par l’assureur.

Elle invoque l’annexe 2 bis du contrat liant GRD au fournisseur dans laquelle le client s’engage à assurer la conformité des installations intérieures aux textes et normes applicables et à satisfaire à une obligation de prudence notamment pour éviter que ces installations perturbent le réseau et supportent les perturbations liées à l’exploitation du RPD ; il y est également prévu que l’installation intérieure est placée sous la responsabilité du client et doit avoir été réalisée conformément aux textes et normes en vigueur en particulier la norme NFC 15-100. Elle assure que ces dispositions sont opposables à Madame [V] puisque celle-ci a signé avec EDF, fournisseur d’électricité, un contrat unique comprenant des conditions générales et particulières de vente ainsi que ladite annexe et l’article 1.3 du modèle de contrat GRD prévoit que le client bénéficie de la possibilité de se prévaloir d’un droit contractuel direct pour les engagements vis-à-vis du client.
La société en déduit que le client voit peser sur lui une obligation d’entretien et de mise en conformité des installations électriques privatives sans pouvoir rechercher la responsabilité du gestionnaire du réseau. Dès lors la défectuosité des installations intérieures et de nature à exclure sa responsabilité.

Elle écarte le prétendu devoir de conseil évoqué par l’expert judiciaire et rappelle que dans un précédent jeu d’écritures son adversaire a indiqué qu’il ne mettait pas en cause sa responsabilité au titre d’un manquement à une obligation de conseil, ce qui vaut aveu judiciaire.

Au vu de ces éléments la défenderesse conclut à l’absence de faute prouvée ou de manquement un devoir de conseil inexistant et donc au débouté.

La société ENEDIS se prévaut ensuite d’une absence de lien de causalité entre le manquement allégué et l’incendie. Si elle ne conteste pas avoir procédé à une augmentation de puissance souscrite ni que la section du câble reliant les bornes aval du tableau distribution était de 6 et non de 10 mm², la société indique que cette non-conformité se situe sur une partie privative de l’installation électrique et ne relève pas de sa responsabilité et que les experts n’ont constaté aucune anomalie à l’origine du sinistre, ni au niveau du câble ni déconnexion amont ou aval de ce câble. Elle conteste que la non-conformité du câble reliant les bornes aval du tableau distribution soient à l’origine du sinistre puisqu’aucune anomalie n’a été constatée et donc aucun échauffement.
Elle ajoute que la puissance consommée était nettement inférieure à la puissance souscrite de 6 kW même avant l’augmentation de puissance à 9 kW.
Enfin les experts ont écarté tout défaut sur le câble de liaison entre le tableau de comptage et le tableau de distribution, si bien que ce câble n’est pas à l’origine de l’incendie ; selon elle si le câble avait été correctement dimensionné le sinistre sera survenu quand même.

À titre subsidiaire la société d’électricité considère que l’action de l’assurance se limite à une perte de chance qui ne peut excéder 10 % des dommages matériels et immatériels : dans l’hypothèse où le tribunal considérait qu’elle aurait dû exiger de la cliente la remise aux normes de son installation lors de l’augmentation de la puissance, elle plaide qu’il s’agit d’un manquement à un devoir de conseil et non d’une faute de nature délictuelle. Dans la mesure où la demanderesse ne démontre pas que son assurée aurait procédé aux travaux de remise à niveau de son installation vétuste si cela lui avait été préconisé, elle considère que la perte de chance est en réalité minime et ne saurait excéder 1/10 du préjudice global.

La société ENEDIS fait ensuite valoir que le tableau électrique du logement, propriété exclusive de Madame [V], comme l’ancienneté de l’installation privative, sont en lien causal direct et immédiat avec l’incendie. Elle oppose donc à la MAIF, subrogée dans les droits de son assurée, la vétusté de l’installation électrique malgré l’obligation de celle-ci de s’assurer de la conformité de ces installations aux textes et normes applicables. Selon elle si l’installation électrique n’avait pas été vétuste, l’accroissement d’intensité électrique n’aurait eu aucune conséquence ni engendrée l’incendie de sorte que sa responsabilité résiduelle ne saurait excéder 20 % du préjudice lié à la seule perte de chance.

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L’incendie litigieux étant survenu le 25 janvier 2015, il convient de rechercher les textes alors applicables.

L’ancien article 1382 du code civil (devenu 1240) dispose de tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

L’article 1384 alinéa 2 ancien du même Code (devenu 1242 alinéa 2) énonce que celui qui détient, un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

Aux termes de l’article 1353 du même code, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver quand celui qui s’en prétend libérer doit justifier du fait l’éteignant.

L’article 1386-1 du même code, devenu 1245, stipule que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’ils soient ou non liés par un contrat avec la victime.

Selon l’article L. 121-12 du Code des Assurances l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.
L’assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l’assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de l’assureur.
Par dérogation aux dispositions précédentes, l’assureur n’a aucun recours contre les enfants, descendants, ascendants, alliés en ligne directe, préposés, employés, ouvriers ou domestiques, et généralement toute personne vivant habituellement au foyer de l’assuré, sauf le cas de malveillance commise par une de ces personnes.

Enfin le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, en vertu de l’article 12 du code de procédure civile.

Le fournisseur d’électricité est tenu d’une obligation de sécurité de résultat sur les installations qui sont sous sa concession, de sorte que, si un incendie prend naissance dans ces installations, il en est présumé responsable, à charge pour lui de prouver l’absence de faute ou l’existence d’une cause exonératoire de responsabilité.

Le cabinet Grenez, premier à être intervenu le 28 janvier 2015 pour le compte de la MAIF, constate une forte intensité d’incendie dans la pièce WC, dans le dégagement attenant et dans la salle de bains. Les techniciens qu’il a mandatés, sur témoignage des personnes présentes, ont indiqué que les premières flammes se trouvaient au niveau du tableau de comptage. Ils ont constaté une forte dégradation de la partie supérieure du disjoncteur, une fusion en V de la barrette de neutre avec un conducteur de petite section et une pince métallique du conducteur neutre avec des traces de fusion.

L’expert désigné par le juge des référés fait état qu’à la demande de Madame [V] dont la consommation électrique s’était accrue, en février 2013 la puissance souscrite de 6 KVA pour un disjoncteur réglé sur 30 A fut porté à 9 KVA pour un disjoncteur réglé sur 45 A le disjoncteur d’origine étant d’un calibre 10/30 A, ERDF a du procéder au remplacement de ce disjoncteur par un nouveau modèle réglé sur 45 A et au remplacement du compteur électromécanique par un compteur électronique.
Le vendredi 23 janvier 2015 vers 13h30, suite au démarchage commercial d’ERDF, l’abonnement d’origine simple tarif se transformait en un abonnement double tarif avec heures pleines/ heures creuses sans augmentation de puissance. Le technicien ERDF ouvrit le capot supérieur du compteur électronique puis le paramétrait le compteur sur site, sans coupure électrique ni aucune modification de branchement, en appuyant uniquement sur divers boutons poussoir du compteur. Il reposa le capot supérieur qu’il replomba, le tout en une quinzaine de minutes. Il suggéra à la cliente de faire installer un asservissement du ballon d’eau chaude pour qu’il ne fonctionne qu’en heures creuses.

Le dimanche 25 janvier vers 13 heures l’électricité se coupa et un occupant se rendit au tableau électrique situé dans les WC où il constata que la pièce était enfumée avec des flammes à hauteur d’environ 1,50 m, ce qui correspond approximativement à la hauteur du compteur électrique ; une autre personne constata que tout le tableau électrique était en flamme puis les secours furent alertés.

L’expert judiciaire, ingénieur en génie électrique avec la spécialité incendie et explosion, s’est rendu sur place et a fait examiner par radiographie les vestiges du tableau électrique ce qui a permis de constater une singularité électrique au niveau du compteur électronique qui ne s’est pas révélé significatif d’un départ de feu après autres investigations.

Lors de son accedit sur place il a constaté que les combustions profondes des structures en bois confirmaient un foyer de départ d’incendie dans l’environnement du tableau électrique installé dans les WC. Il n’a pas relevé d’anomalie sur les
4 raccordements amont et aval du coupe-circuit EDF situé sur le tableautin au-dessus du tableau de comptage. La cartouche de neutre est déformée, ponctuellement fondue avec traces d’amorçage sur la pince amont ; un conducteur de 2,5 mm² s’est collé sur la cartouche de neutre qui est sortie de son logement, le fusible n’est pas fondu. Le compteur électronique est largement détruit mais présente quelques vestiges de plastique non totalement calciné, les 4 bornes de raccordement principal ne présentent pas d’anomalie visible à l’œil nu et il n’y a aucun câblage raccordé sur le relais de commande HP/HC.
Le disjoncteur de branchement est largement détruit mais ses bornes de raccordements amont et aval ne présentent pas d’anomalie visible.
En sortie du disjoncteur de branchement sont connectés des conducteurs vert/jaune, de section 6mm², destinés à alimenter le coffret divisionnaire : les couleurs et la section ne sont pas conformes puisque la norme C15- 100 impose une section minimale de 10 mm² à ce niveau. Le coffret divisionnaire est largement détruit mais les portes-fusibles sont pour la plupart présents et aucune singularité électrique n’est mise en évidence au niveau des raccordements sur les portes- fusibles ou du bornier du neutre.

Les clichés radio graphiques montrent pour le compteur diverses singularités dans la zone des bornes de la télé information : un condensateur éclaté, une broche de connexion dégradée avec perte de métal, une piste de circuit imprimé dégradée et une multiplicité de billes de métal fondu.

Le coupe-circuit ERDF présent une trace d’arcage au niveau du contact entre la cartouche de neutre et sa broche de connexion amont, ce dommage paraissant pouvoir être une conséquence de l’incendie du fait de la déformation du tube lié à la chaleur environnante.
Sur les blocs de portes-fusibles il n’a pas été constaté d’anomalie particulière hormis le fait que les conducteurs en cuivre sont fortement corrodés au niveau du serrage dans les bornes.
Ne peuvent pas être à l’origine de l’incendie le condensateur ni la procédure de programmation du compteur ou de ses raccordements électriques.

Les constatations et témoignages conduisent l’expert judiciaire à localiser le départ de feu au niveau du tableau électrique général du logement qui comporte le tableau de comptage ERDF et le coffret divisionnaire à fusibles privatif.
Il exclut comme à l’origine de l’incendie les portes-fusibles sous concession ERDF. Il explique la singularité d’un condensateur du compteur électronique par la chute du tableau divisionnaire enflammé dessus et considère que la procédure de programmation réalisée 2 jours avant la survenance de l’incendie ne peut être la cause du sinistre d’autant que les câblages du compteur ne révèlent également aucune anomalie de sorte que ce compteur électronique est hors de cause.

Le disjoncteur de branchement ne révèle aucune anomalie ni pièce manquante mais le câblage raccordé en aval est non conforme dans sa section insuffisante pour le nouvel ampérage de 45 A et dans les couleurs des conducteurs.

S’agissant du coffret divisionnaire constitué de 3 blocs de portes-fusibles, il relève d’une part un indice d’une surchauffe des fusibles aux côtés amont en raison d’un fluage interne du métal des fusibles et d’autre part une corrosion marquée du cuivre au droit du serrage des vis de 2 des 3 bornes principales d’alimentation des 3 blocs de portes-fusibles. Il considère que la conjonction de ces deux indices « accrédite fortement la thèse d’un phénomène local d’échauffement anormal par effet [J] au niveau des deux connexions présentant une oxydation marquée. En effet l’échauffement par effet [G] conduit à la dégradation de l’isolant PVC dont la décomposition conduit à la formation de chlore et, dans la zone de température élevée, le chlore produit la corrosion du cuivre en formant du chlorure cuivreux. »

L’expert conclut que « l’incendie a selon toute vraisemblance pris naissance au niveau du tableau divisionnaire du fait d’un échauffement anormal au niveau d’un bornier d’alimentation des blocs de portes fusibles. Cet échauffement normal est accrédité par le fluage des fusibles au niveau des 2 blocs de portes-fusibles et la corrosion ponctuelle du cuivre particulièrement marquée au niveau d’un bornier des portes fusibles. Cet échauffement anormal par effet [J] est la conséquence d’une intensité de courant trop importante par rapport à la résistance de contact au niveau de la borne ».

Il localise donc le départ de feu sur l’installation privative.

M. [Z] note que ERDF a procédé à une augmentation de l’intensité accordée en février 2013 en passant d’un disjoncteur de 30 A à un de 45 A sans modifier le câblage aval du disjoncteur créant ainsi une non-conformité de l’installation à la norme C 15-100 puisqu’une intensité de 45 A impose des conducteurs de section de 10 mm² alors que la section des conducteurs était de 6 mm², que ce soit ceux raccordés sur le disjoncteur de branchement ou ceux sur le bornier des portes-fusibles. Selon l’expert cette non-conformité à la norme explique l’échauffement anormal qui s’est produit au niveau des bornes d’alimentation des blocs de portes-fusibles. Il considère que ERDF n’aurait pas dû procéder à l’augmentation de puissance sans imposer la remise à niveau du tableau électrique situé en aval.
Il ajoute que le technicien ERDF ne pouvait pas ne pas s’apercevoir notamment que les conducteurs électriques n’étaient pas conformes au disjoncteur qu’il installait puisqu’il les a manipulés pour les reconnecter au nouveau disjoncteur. Il rappelle que n’est pas contestée la non-conformité des câbles en sortie du disjoncteur de branchement qui est sous concession ENEDIS qui a elle-même procédé au raccordement de son disjoncteur et notamment de ses bornes aval, créant ainsi la non-conformité.
S’il reconnaît que la non-conformité concerne l’installation privative, il rappelle qu’ENEDIS est intervenue sur cette partie privative en déconnectant le câble existant pour le rebrancher sur les bornes aval du nouveau disjoncteur de branchement, ces bornes étant considérées comme faisant partie de l’installation privative.
Il ajoute que les zones critiques d’échauffement d’un câble se situent au niveau des connexions, qu’il n’est pas étonnant que seule la zone de connexion du câble non conforme au bornier soit affectée de surchauffe dégénérant en incendie et qu’ainsi le câble non conforme a pu propager une surchauffe anormale sans s’altérer (réponse aux dires).

Il répond au conseil de la société d’électricité (page 23 du rapport) que la non-conformité de la section du câble en sortie de disjoncteur est due à la seule intervention d’ENEDIS qui a procédé à une augmentation de puissance sans prendre en compte l’installation privative située en aval. S’il concède que le câble en sortie disjoncteur ne présente pas de défaut, il affirme qu’il est devenu non conforme par son intervention puisqu’il présente des oxydations marquées côté raccordement au coffret divisionnaire.

S’il prend en compte l’ancienneté de l’installation d’une quarantaine d’années qui a probablement contribué à la survenance de l’incendie d’origine accidentelle, l’oxydation possible du conducteur favorisant la résistance de contact et donc l’échauffement, il considère que l’installation d’un ballon d’eau chaude à la place d’une chaudière n’est pas plus une non-conformité que l’ajout d’une machine à laver en 2013.

Il écarte l’hypothèse d’une éventuelle inadéquation de la section des câbles avec les puissances branchées et les protections mises en place puisque les fusibles n’ont pas fondu ou n’ont pas été shuntés et que les raccordements aval des portes-fusibles ne présentent pas d’anomalie. Il répond à un dire que les modifications de l’installation électrique par les propriétaires de la maison ne concernent pas le tableau électrique incendié qui ne s’est pas révélé non conforme.

Il conclut que le départ de feu s’explique en grande partie par l’intervention de ERDF en février 2013 mais en revanche il ne fait pas de lien entre l’incendie et l’intervention de reparamétrage du compteur deux jours avant le sinistre.

Au sujet de la puissance électrique consommée au moment de la survenance de l’incendie, qui été estimée à 3450 W donc était modérée, il répond que cela n’est pas en contradiction avec la cause du sinistre qu’il a déterminée car lorsque la consommation est importante le cuivre se dilate du fait de l’échauffement par effet [J] et la connexion litigieuse s’améliore temporairement alors que lorsque la puissance diminue, le refroidissement de la connexion conduite à une rétractation du cuivre et au phénomène de mauvais contact qui dégénère en incendie de sorte que c’est souvent peu après une baisse de puissance consommée que survient le départ du feu.

Il conclut qu’en 2013 l’installation électrique privative était compatible avec le disjoncteur d’origine. Avant d’installer un disjoncteur de 45 A ERDF aurait dû imposer à l’occupant de procéder à une remise à niveau de son installation électrique et en ne faisant pas il a réalisé des travaux non conformes aux règles de l’art et en particulier non conformes à la norme 15-100. Le remplacement du disjoncteur par un plus puissant a conduit à surcharger l’installation électrique privative qui a pris feu.

Ces conclusions expertales, qui ne sont remises en cause par aucune pièce communiquée au tribunal, excluent donc un défaut du produit livré par ERDF et donc sa responsabilité comme fabriquant d’un produit défectueux.

Les autres fondements alléguées sont la faute de nature délictuelle.

Le tribunal ignore les circonstances du changement d’ampérage en 2013.
En installant un disjoncteur de plus forte puissance en février 2013 dans la maison des consorts [V], ce qui impliquait des câbles de plus gros diamètre selon la norme C15-100, le technicien d’ERDF a forcément vu la vétusté du tableau électrique de la maison comme le calibre insuffisant des câbles qu’il a lui-même insérés dans l’équipement qu’il a posé ; c’est lui qui a ainsi créé une non-conformité au regard de la norme C15-100. Il appartenait à ce professionnel de l’électricité de prévenir ses clients des mesures à prendre pour assurer la sécurité de la maison et d’eux-mêmes, voire de leur imposer le changement du tableau et des câbles, comme l’énonce l’expert judiciaire.

En installant ce nouveau compteur nettement plus puissant sans vérifier si l’installation privative permettait d’y avoir accès dans des conditions de sécurité et sans respecter les normes, ERDF a commis une faute en lien causal avec l’incendie survenu le 25 janvier 2015. Le tribunal considère que sans changement de puissance du compteur il n’y aurait pas eu de survenue de l’incendie. Il ne s’agit donc pas d’une perte de chance mais d’un lien causal direct et certain avec la survenue de l’incendie.

En revanche l’intervention du 23 janvier 2015 n’a aucun caractère fautif.

La vétusté des câbles et du tableau électrique ayant favorisé voire aggravé l’incendie, qui n’est survenu que postérieurement au changement de compteur, la responsabilité d’ERDF sera retenue pour 60%.

S’agissant des conditions générales qui imposeraient au client de s’assurer de la conformité de ses installations intérieures aux textes et normes applicables et à satisfaire à une obligation de prudence, notamment pour éviter que ses installations perturbent le réseau et pour qu’elles supportent le perturbations liées à l’exploitation du RPD, ERDF se contente de communiquer un “modèle de contrat GRD/ relatif à l’accès au Réseau Public de Distribution, à son utilisation et à l’échange de données pour les Points de Connexion en Contrat Unique. Cette pièce étant datée des 12 et 17 juillet 2020, elle ne peut valablement fonder une obligation du client en 2013.

– sur les demandes indemnitaires

La MAIF lui réclame une somme de 215.837,01 € de dommages et intérêts, outre les intérêts courus et à courir à compter de la date de la signification de la présente assignation et jusqu’à parfait paiement et la capitalisation des intérêts .

La société ENEDIS ne forme aucune observation sur la qualité de son adversaire à solliciter le remboursement d’indemnités versées à son assurée ni sur les quanta réclamés.

La MAIF démontre avoir versé à Mme [V], pour les dommages mobiliers, immobiliers et indirects matériels, des indemnités à hauteur de 171.073,12 € avant l’instance puis 19.487,25 € durant celle-ci soit un total de 190.560,37 €.

Il n’est pas contesté que la mutuelle a réglé 30.515,67€ pour la sécurisation et les mesures conservatoires du bâtiment, 4.005,09 € pour la dépollution et 540 € pour un sapiteur, toutes dépenses en lien avec l’incendie.

La pièce n°25 prévoyant qu’un complément d’indemnisation interviendra de manière différée sur présentation des factures de travaux dans la limite de 34.125,51 € n’est pas plus critiquée en défense. Là encore il s’agit de la réparation des conséquences de l’incendie du 25/01/2015.

Ainsi la société ENEDIS sera condamné à régler à la MAIF, subrogée dans les droits de son assurée, 60% de ce montant indemnitaire de 215.837,01 € soit 129.502,20€.

En application de l’article 1231-7 du code civil ladite somme portera intérêts légaux à compter de la présente décision.

– sur les autres prétentions

La capitalisation des intérêts sera ordonnée aux conditions légales.

La société ENEDIS qui succombe sera condamnée aux dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire, et la distraction sera accordée à la SCP Courtaigne Avocats.

La société ENEDIS sera condamnée à verser à son adversaire une indemnité de procédure équitablement arrêtée à la somme de 4.000 €. Elle sera corrélativement déboutée de ce chef.

Enfin aucun motif ne conduit à écarter l’exécution provisoire de plein droit ;

PAR CES MOTIFS

le tribunal statuant publiquement par décision contradictoire et susceptible d’appel,

Dit que la société ENEDIS est responsable de l’incendie survenu le 25 janvier 2015 au [Adresse 3],

Retient sa responsabilité pour 60%,

En conséquence condamne la société ENEDIS à régler à la MAIF, subrogée dans les droits de son assurée Mme [K] [H] épouse [V], 129.502,20 € de dommages-intérêts, avec intérêts légaux à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts aux conditions légales,

Condamne la société ENEDIS aux dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire, et ordonne la distraction au bénéfice de la SCP Courtaigne Avocats,

Condamne la société ENEDIS à verser à la MAIF une indemnité de procédure de 4.000 € et la déboute de ce chef,

Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de plein droit;

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 MARS 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 

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