M. [E] [A] et M. [Z] [R] ont été cités à comparaître pour injure publique envers un particulier à raison de son origine en tant que directeur de publication et rédacteur du magazine [4]. Ils ont été déclarés coupables par le tribunal et condamnés à une amende de 1 500 euros chacun. Les parties ont fait appel de cette décision.
Voici 3 conseils juridiques basés sur le moyen présenté :
1. L’appréciation du caractère injurieux des propos doit être effectuée de manière objective, en tenant compte du contexte global du message et non de la perception personnelle de la victime. Il est important de souligner que les propos litigieux s’inscrivaient dans une série de fiction et qu’ils étaient destinés à mettre en lumière les horreurs de l’esclavage, sans intention discriminatoire.
2. Tout jugement ou arrêt doit comporter des motifs justifiant la décision prise et répondre aux arguments soulevés par les parties. Il est essentiel que les juges expliquent leur raisonnement et prennent en considération tous les éléments de preuve présentés lors des débats.
3. La liberté d’expression et la liberté artistique sont des droits fondamentaux qui doivent être protégés. Il est déterminant de tenir compte du contexte de l’œuvre littéraire et de la forme fictionnelle choisie par l’auteur pour mettre en perspective les propos tenus. Il est nécessaire de ne pas empiéter de manière indue sur ces libertés, sauf en cas de nécessité absolue et proportionnée.
Violation de l’appréciation du caractère injurieux des propos
Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [A], en sa qualité de directeur de publication, coupable du délit d’injure publique envers un particulier en raison de son origine et M. [R], en sa qualité de rédacteur du texte, coupable de complicité de ce délit. Le moyen soulève des arguments concernant l’appréciation du caractère injurieux des propos, notamment en ce qui concerne le contexte dans lequel les propos litigieux ont été tenus.
Manque de motifs propres justifiant la décision
Le moyen soulève également un manque de motifs propres justifiant la décision de déclarer les prévenus coupables du chef d’injure publique. Il est argumenté que les conclusions des parties n’ont pas été correctement prises en compte et que les motifs de la décision sont insuffisants pour justifier la condamnation.
Appréciation souveraine des juges du fond
Le moyen conteste l’appréciation souveraine des juges du fond concernant le caractère injurieux des propos. Il est soutenu que les juges ont basé leur décision sur des motifs contradictoires et ont dénaturé la série en question, ce qui aurait conduit à une décision sans base légale.
Caractère discriminatoire des propos
Une autre critique du moyen concerne le caractère discriminatoire des propos. Il est argumenté que le choix du personnage central de la fiction en raison de ses origines africaines ne devrait pas automatiquement être considéré comme discriminatoire, surtout dans le contexte d’une fiction sur l’esclavage en Afrique au XVIIIème siècle.
Violation de la liberté d’expression
Enfin, le moyen soulève une violation de la liberté d’expression en ce qui concerne la condamnation des prévenus pour injure publique envers un particulier. Il est soutenu que les propos tenus, même s’ils peuvent être perçus comme outrageants, relèvent de la liberté d’expression dans le contexte de la satire politique et de la liberté artistique.
Réglementation applicable
– Article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881
– Article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881
– Article 593 du code de procédure pénale
– Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
Avocats
– SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
– SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia
– SCP Lyon-Caen et Thiriez
– M. Aubert
Mots clefs
– Injure publique
– Contexte
– Fiction
– Satire politique
– Liberté d’expression
– Discrimination
– Liberté artistique
– Convention européenne des droits de l’homme
– Motifs de l’arrêt
– Appréciation des juges du fond
Définitions juridiques
– Injure publique: propos ou actes portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne publique ou privée
– Contexte: ensemble des circonstances entourant un événement ou une situation
– Fiction: œuvre littéraire ou cinématographique imaginée par son auteur
– Satire politique: critique humoristique visant à dénoncer les travers des hommes politiques ou des institutions
– Liberté d’expression: droit fondamental permettant à chacun de s’exprimer librement sans censure
– Discrimination: traitement défavorable ou injuste envers une personne en raison de caractéristiques personnelles
– Liberté artistique: droit pour un artiste de créer et de diffuser librement ses œuvres
– Convention européenne des droits de l’homme: traité international garantissant les droits fondamentaux des individus en Europe
– Motifs de l’arrêt: raisons invoquées par les juges pour rendre leur décision
– Appréciation des juges du fond: analyse et interprétation des faits par les juges de première instance
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° M 22-87.475 F-D
N° 00034
SL2
16 JANVIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024
M. [E] [A] et M. [Z] [R] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, en date du 17 novembre 2022, qui a condamné, le premier, pour injure publique à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion, le second, pour complicité de ce délit, chacun à 1 000 euros d’amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de MM. [E] [A] et [Z] [R], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de [2], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [D] [H]-[B], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 20 avril 2021, M. [E] [A] a été cité à comparaître pour injure publique envers un particulier à raison de son origine, en qualité de directeur de publication du magazine [4], en raison de la publication dans ce journal d’un article intitulé « [H] l’Africaine », et d’une illustration représentant Mme [D] [H], députée, en esclave enchaînée au cou. M. [Z] [R], en sa qualité de rédacteur du texte, a été cité pour complicité de ce même délit.
3. Le tribunal les a déclarés coupables des chefs susvisés et les a condamnés chacun à une amende de 1 500 euros et a prononcé sur les intérêts civils.
4. MM. [A] et [R], puis le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [A], en sa qualité de directeur de publication, coupable du délit d’injure publique envers un particulier en raison de son origine et M. [R], en sa qualité de rédacteur du texte, coupable de complicité de ce délit, alors :
« 1°/ que l’appréciation du caractère injurieux des propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime ; qu’il résulte en l’espèce des propres énonciations de l’arrêt attaqué que les propos litigieux s’inscrivaient « dans une série intitulée « Le Roman de l’été 2020 », avec pour sous-titre « Les couloirs du temps » », comportant sept épisodes, « uvres de fiction » mettant en « scène des personnages réels qui sont projetés dans le temps » ; que dans la fiction consacrée à Mme [H], sous-titrée « Où la députée insoumise expérimente la responsabilité des africains dans les horreurs de l’esclavage », « Mme [H] est projetée au XVIIIème siècle dans un village situé au sud du Tchad, avant d’être « échangée » par le chef du village, puis réduite en esclavage et vendue sur un marché tenu par des « négriers arabes » à l’ambassadeur de [Localité 3]. Elle sera finalement rachetée par un moine qui la ramènera à [Localité 1] où elle sera hébergée dans un monastère bénédictin » ; qu’en se bornant à déduire le caractère injurieux des propos poursuivis du fait que Mme [H] se retrouvait placée dans « une succession de situations humiliantes, qui, prises isolément n’auraient pas été nécessairement fautives », sans tenir compte ni de la globalité de l’article qui obéissait au genre particulier de la satire politique ayant les caractéristiques d’une fiction, dont l’objet était l’esclavage dans l’Afrique du XVIIIème siècle, ainsi que le sort réservé aux esclaves, lequel ne pouvait, par hypothèse, être présenté de manière positive, ni davantage de la suite du texte, dans lequel elle est libérée, pas plus que de son objectif général visant à rappeler les horreurs de l’esclavage arabe et interafricain, ainsi que l’action des missionnaires chrétiens, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans leurs conclusions d’appel régulièrement déposées, les prévenus avaient fait valoir que les descriptions des conditions de vie et de l’habitat, perçues par Mme [H] comme humiliantes et méprisantes à son égard, étaient « directement inspirées du roman de Mme [U] [P], [F], ainsi que d’une documentation et bibliographie abondante » ayant « pour seule vocation de donner au récit une vision historiquement exacte, et certainement pas d’outrager la plaignante ou sa féminité » (conclusions p. 7) ; qu’en se bornant à déclarer les prévenus coupables du chef d’injure publique au regard des situations « humiliantes » décrites dans les passages poursuivis, sans même s’expliquer sur cet argument déterminant de nature à ôter tout caractère outrageant ou méprisant aux propos poursuivis, lesquels n’avaient d’autre but que de donner au récit une vision historiquement exacte des horreurs de l’esclavagisme arabe et interafricain, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que si l’appréciation des juges du fond n’est souveraine que dans la mesure où elle se fonde sur les éléments extrinsèques à l’écrit public, encore faut-il, dans ce cas, que les motifs d’où elle est déduite ne soient pas contradictoires soit entre eux, soit avec d’autres motifs de l’arrêt, et que les juges aient justement tiré les conséquences légales des divers éléments de preuve dont ils étaient saisis à l’issue de l’information et des débats ; que pour retenir un caractère injurieux aux passages poursuivis, la cour d’appel n’hésite pas à affirmer, qu’au regard de l’examen des « sept fictions publiées dans le magazine Valeurs actuelles », qui « placent les personnages dans des situations humoristiques ou flatteuses », « il convient de constater que seul le personnage de Mme [H] se retrouve dans une succession de situations humiliantes, traitées de façon particulièrement réaliste » ; qu’en prononçant ainsi quand il résultait pourtant de ses propres constatations que [Y] [X] avait fini « emprisonné », [K] [G] « guillotiné », et qu'[L] [N] avait eu « recours à un marabout « pour se débarrasser » du Professeur [S] », situation dont on peine à établir en quoi elles seraient humoristiques ou flatteuses, et quand les sept fictions en cause relevaient toutes de la satire, en utilisant un ton moqueur et décalé, la cour d’appel s’est non seulement fondée sur des motifs contradictoires mais a de surcroît dénaturé la série en cause, privant sa décision de toute base légale au regard des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l’injure n’est discriminatoire que lorsqu’elle a été commise envers une personne à raison de son origine ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou à raison de son sexe, de son orientation sexuelle ou identité de genre ou de son handicap ; que la simple référence à l’un des critères n’est pas nécessairement discriminatoire ; que pour dire établi le mobile discriminatoire, l’arrêt attaqué se borne à relever que « le choix de Mme [H] comme personnage central de la fiction est lié à ses origines africaines » ; qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel s’est fondée sur des motifs d’une part inopérants, dans la mesure où il ne peut être reproché à l’auteur d’une fiction sur l’esclavage en Afrique au XVIIIème siècle, d’avoir choisi un personnage dont la couleur de peau était noire, sauf à interdire par principe toute fiction sur l’esclavage sur ce continent au motif qu’elle serait nécessairement discriminatoire, et d’autre part, insuffisants, en ce qu’ils s’abstiennent de répondre aux arguments déterminants des prévenus laissés sans réponse sur ce point, selon lesquels, Mme [H] avait été choisie en raison du caractère public de sa personnalité et des prises de position répétées de son courant politique, et de ses outrances, en particulier sur la question de l’esclavage, en violation des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que pour déclarer les prévenus coupables d’injure publique envers un particulier à raison de son origine et de complicité de ce délit, la cour d’appel, après avoir rappelé la plus grande liberté de ton que permet le droit à la satire politique, se borne à énoncer que « dans sa présentation, l’article précise que la fiction est le « meilleur reflet de la réalité » et que « les pages qui suivent ne manquent pas d’éclairer les situations actuelles » » ; qu’il « n’est produit aucune pièce permettant d’établir que Mme [H] aurait contesté la réalité des traites intra-africaines et arabo-musulmanes ou cherché à en minimiser l’importance, pas plus qu’il n’est établi qu’elle a adopté des positions « indigénistes » » ; que les pièces produites témoignant de la radicalité des positions politiques de Mme [H] sont « insuffisantes pour justifier le choix de Mme [H] comme personnage principal de cet article dont les propos sont particulièrement méprisants à son égard, propos aggravés par l’illustration poursuivie » et que « non seulement le choix de Mme [H] est lié, comme dit au point 35, à ses origines africaines, mais les propos injurieux la visent à raison de cette origine insistant sur son « africanité » de façon constante, méprisante, humiliante, et caricaturale » ; qu’en se déterminant ainsi quand les propos poursuivis, perçus comme outrageants par la partie civile, s’inscrivant dans un récit fictionnel empruntant volontairement à l’univers de la satire politique, et exprimant l’opinion de son auteur sur un mode satirique, dans un contexte polémique, au sujet des idées prêtées à une personnalité politique, figure de tout premier plan du parti la France Insoumise, connue pour ses propos polémiques et la radicalité de ses positions, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
6°/ que le style ou l’attitude de la personne visée par des propos qualifiés d’injurieux doit entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la nécessité de l’ingérence à la liberté d’expression ; que ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme les propos poursuivis, qui, même à les supposer outrageants à l’égard de la partie civile, expriment l’opinion de leur auteur sur un mode satirique, dans un contexte polémique, au sujet des idées prêtées à une responsable politique, connue pour ses outrances et sa radicalité politique ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées, les prévenus avaient produit un ensemble de pièces dont il résultait incontestablement que Mme [H], coutumière de propos polémiques, adoptait régulièrement des positions radicales sur des questions fondamentales liées aux valeurs républicaines et revendiquait ses accointances avec le Parti des Indigènes de la République, incarnation de la radicalité militante, notamment sur la question de l’esclavage ; que loin de tirer les conséquences de ces pièces dans son appréciation des limites admissibles de la liberté d’expression, la cour d’appel se borne, après une analyse partielle de ces pièces, à affirmer qu’elles « sont insuffisantes pour justifier le choix de Mme [H] comme personnage principal de cet article dont les propos sont particulièrement méprisants à son égard, propos aggravés par l’illustration poursuivie, même si son auteur n’a pas fait l’objet de poursuites », faute d’établir la preuve que Mme [H] « aurait contesté la réalité des traites intra-africaines et arabo-musulmanes ou cherché à en minimiser l’importance » ou « adopté des thèses indigénistes » ; qu’en prononçant ainsi, quand l’appréciation de la nécessité de l’ingérence à la liberté d’expression n’impliquait nullement d’établir que Mme [H] s’était exprimée spécifiquement sur la question de l’esclavage interafricain pour l’inviter dans une fiction qui en rapporte l’existence, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, en violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 593 du code de procédure pénale ;
7°/ que la liberté artistique, englobée dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, bénéficie aux auteurs d’uvres littéraires, revêt une valeur en tant que telle et bénéficie à ce titre d’un haut niveau de protection par la Convention ; que ceux qui créent ou diffusent une uvre littéraire contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à une société démocratique ; qu’il en résulte l’obligation, pour l’État, de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d’expression ; qu’en s’abstenant de tirer les conséquences de la forme fictionnelle de l’uvre litigieuse délibérément choisie par l’auteur afin de mettre une distance entre Mme [D] [H] et le personnage qu’il décrivait, aux motifs inopérants que la série de l’été précisait dans sa présentation que « la fiction est le meilleur reflet de la réalité » et que « les pages qui suivent ne manquent pas d’éclairer les situations actuelles », la cour d’appel a soumis les prévenus à une ingérence non nécessaire et non proportionnée à leur droit à la liberté artistique et à la liberté d’expression, en violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches
6. Aux termes de l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.
7. L’injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée est réprimée plus sévèrement, selon les dispositions de l’article 33, alinéa 3, de la loi précitée.
8. L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, c’est-à-dire sans prendre en considération la perception personnelle de la victime.
9. Pour déclarer les prévenus coupables du chef d’injure publique envers un particulier à raison de sa race, l’arrêt attaqué énonce que les propos litigieux s’inscrivent dans le cadre d’une série d’histoires intitulée « le roman de l’été », publiée dans le journal Valeurs actuelles, plaçant des personnes ayant existé ou existantes, dans une autre époque.
10. Les juges indiquent que, dans l’épisode consacré à Mme [H], intitulé « [H] l’Africaine », et qui avait pour sous-titre « Où comment la députée insoumise expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage », l’intéressée était transportée au XVIIIe siècle et subissait l’esclavage intra-africain et arabe, l’article étant illustré d’un dessin la représentant enchaînée.
11. Ils relèvent que Mme [H] a été choisie comme personnage central de cette fiction en raison de ses origines africaines, pour rendre le récit « plus crédible », selon les propres déclarations de l’auteur de l’article, et qu’il se dégage du texte, qui insiste sur l’« africanité » de celle-ci, un grand mépris pour sa personne, qui se retrouve placée dans une succession de situations humiliantes, tant au regard de sa vie imaginée en Afrique, que de la situation d’esclave qui lui est attribuée, mais également au regard d’appréciations sur son âge, son physique et son inculture, et qu’il en est de même de l’image dégradante la présentant enchaînée.
12. S’agissant des éléments extrinsèques, ils précisent que l’examen des sept fictions de cette série publiées dans le magazine précité permet de constater que si les autres épisodes placent les personnages dans des situations humoristiques ou flatteuses, seul le personnage de Mme [H] se retrouve dans une succession de situations humiliantes, traitées de façon particulièrement réaliste.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs dénués d’insuffisance et de contradiction, la cour d’appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
14. En premier lieu, il résulte de ces énonciations que la cour d’appel a exactement analysé le sens et la portée des propos poursuivis en les replaçant dans leur contexte et en appréciant souverainement les éléments extrinsèques à l’article litigieux.
15. En second lieu, l’argumentation selon laquelle le récit en cause serait fondé sur la vie de [O] [F], une religieuse ayant été victime de l’esclavage, ne saurait retirer à l’article en cause son caractère injurieux à l’égard de Mme [H], seule à être nommément citée dans cet article qui ne fait aucune référence à l’histoire de cette religieuse.
16. Dès lors, les griefs doivent être écartés.
Sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches.
17. Pour juger que les propos poursuivis excèdent les limites de la liberté d’expression, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé que le juge doit appliquer l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans le respect des principes résultant de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, et apprécier de manière plus souple les propos lorsqu’ils s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, énonce que si la caricature et la satire participent de la liberté d’expression, le droit à l’humour connaît des limites telles que les atteintes au respect de la dignité de la personne, l’intention de nuire et les attaques personnelles.
18. Les juges indiquent que, dans un contexte de polémique politique, une plus grande liberté de ton peut être reconnue à l’auteur des propos, celle-ci devant cependant cesser là où commencent les attaques personnelles, les atteintes à la dignité et l’outrance.
19. Ils ajoutent que, si les articles de cette série sont des oeuvres de fiction qui mettent en scène des personnages réels qui sont projetés dans le temps, la distanciation avec ces personnages réels n’est que relative puisque ceux-ci précisent que la fiction est le « meilleur reflet de la réalité » et que « les pages qui suivent ne manquent pas d’éclairer les situations actuelles ».
20. Ils relèvent encore que les propos et le dessin poursuivis s’inscrivent dans un débat public d’intérêt général et qu’il ne saurait être reproché au magazine [4] et à ses journalistes de dénoncer un courant de pensée cherchant, selon eux, à nier ou à minimiser tant la traite intra-africaine que la traite arabo-musulmane.
21. Ils indiquent cependant qu’il n’est produit aucune pièce permettant d’établir que Mme [H] aurait contesté la réalité des traites intra-africaines et arabo-musulmanes ou cherché à en minimiser l’importance, pas plus qu’il n’est établi qu’elle a adopté des positions « indigénistes ».
22. Ils constatent, qu’en tout état de cause, les pièces produites par les prévenus sur des prises de position politiques de Mme [H] sont insuffisantes pour justifier du choix de celle-ci comme personnage principal de cet article et rappellent qu’elle a été choisie en raison de ses origines africaines.
23. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
24. En premier lieu, elle a constaté que les propos humiliants et l’image dégradante visant Mme [H], du fait de ses origines africaines, ne pouvaient être justifiés ni par la satire ni par le caractère fictionnel de l’article.
25. En deuxième lieu, les faits reprochés aux prévenus ne sauraient trouver en l’espèce, au regard du droit à la liberté d’expression conventionnellement garanti, une légitimité dans les débats actuels sur la « racialisation » ou dans les prises de positions de Mme [H].
26. En troisième lieu, le caractère « clivant » d’une personnalité politique ne peut être de nature à justifier des injures à caractère raciste qui seraient proférées à son encontre, la gravité de cet acte étant sans commune mesure avec la nature des débats engagés, parfois avec virulence, dans la sphère politique.
27. Ainsi, le moyen doit être écarté.
28. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme