Si, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, une personne ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la communication spontanée des codes d’accès à un groupe Facebook (par l’un de ses membres) à un huissier, pour procéder à un constat, est légal et non déloyal.
Affaire Manauto
Le 15 mai 2017, Monsieur [X] [U], agissant pour le compte de la société en formation Manauto, a conclu un contrat de franchise avec la société Ewigo pour une durée de 6 ans.
Début 2019, M. [U], qui était insatisfait des résultats de son exploitation franchisée, a rejoint un groupe privé sur Facebook dénommé Ogiwe qui réunissait une vingtaine de franchisés du réseau et des anciens franchisés du réseau Ewigo et était présenté comme un groupe de discussion et d’entraide.
Dénonciation de propos tenus sur un groupe
Un des membres du groupe, également franchisé Ewigo, M. [V], a informé quelque temps après la société Ewigo que M. [U] utilisait ce groupe aux fins d’émettre des critiques du réseau.
A la même période, M. [U] a envoyé un mail à l’ensemble des franchisés visant à “partager les bruits qui courent”, et, tout en les invitant à ne pas “répandre ces rumeurs”, a communiqué son mail personnel à destination de “ceux qui veulent s’unir”.
Le 20 juin 2019, la société Ewigo a notifié par courrier recommandé à la société Manauto la résiliation de plein droit du contrat à aux torts exclusifs de celle-ci, avec effet immédiat, en invoquant une faute grave. Elle l’a par ailleurs informé de la coupure immédiate de ses accès informatiques. La société Manauto a mis en demeure la société Ewigo de lui restituer ses fichiers clients et de rétablir les boites mails, en vain.
Le 4 juillet 2019, la société Manauto a pris acte de la résiliation et dénoncé son caractère unilatéral et brutal.
Par acte du 27 décembre 2019, la société Manauto et ses associés M. [U] et Mme [Z], ont saisi le tribunal de commerce de Paris en lui demandant de condamner la société Ewigo à réparer le préjudice issu de la rupture brutale des relations commerciales.
Principe de loyauté dans l’administration de la preuve
La Cour retient que si, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, un franchiseur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, il peut être observé qu’en l’espèce, Ewigo a eu communication spontanée des codes d’accès au groupe Facebook professionnel litigieux, regroupant 24 franchisés, par un franchisé membre, lequel exprimait le souhait qu’un constat d’huissier soit réalisé.
Le franchiseur n’a donc, pour exercer son droit à la preuve, usé d’aucun stratagème pour recueillir les codes d’accès au groupe Facebook litigieux. Il les a en outre utilisés avec l’accord du titulaire, dans le but partagé de faire réaliser un constat d’huissier.
Il s’en suit que ce procédé d’obtention de preuve n’est pas déloyal.
C’est à tort que le tribunal a déclaré le constat d’huissier du 17 juin 2019 irrecevable, au motif que celui-ci ne résultait pas d’une mesure d’instruction judiciaire in futurum telle que l’ordonnance sur requête.
A titre surabondant, la Cour observe que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce il s’agissait pour le franchiseur, alerté de façon alarmiste par un franchisé, de faire constater les propos appréhendés comme dénigrants tenus par un autre membre du réseau au sein d’un groupe Facebook professionnel.
Le recours à un huissier aux fins de constat constituait donc un moyen indispensable, d’une part, à l’exercice du droit à la preuve du franchiseur pour établir les fautes commises et, proportionné au but poursuivi, d’autre part, à savoir la défense par Ewigo de sa réputation et de celle de son réseau.
En second lieu, la Cour observe que l’indication du numéro de Kbis de la société requérante n’est pas une condition d’opposabilité d’un constat d’huissier.
Il se déduit de l’ensemble que le constat du 17 juin 2019 est recevable et opposable.