Contrefaçon de films en ligne : le blocage de noms de domaine ordonné

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Le blocage des noms de domaine participant à une contrefaçon massive est la « voie royale » à la défenses des intérêts des auteurs.

Action des organismes professionnels

La fédération nationale des éditeurs de films Fédération nationale des éditeurs de films (ci-après « FNEF »), le syndicat de l’édition vidéo numérique Syndicat de l’édition vidéo numérique (ci-après « SEVN »), l’association des producteurs indépendants L’association des producteurs indépendants (ci-après « API »), l’union des producteurs de cinéma (ci-après « UPC ») et le syndicat des producteurs indépendants (ci-après « SPI ») ont obtenu le blocage des noms de domaine des 5 cyberlockers: « UPVID (ID – P2) », « UQLOAD (ID -P3) », «DOODSTREAM (ID -P6) », « MIXDROP (ID -P8) », «NETU (ID -P5) » et les 6 sites de services IPTV « GTV2 » (ID 1046), « IPTV365» (ID 1041 ), «OXTV » (ID 1045), « PREMIUMIP » (ID 1042), «PYTHONSMARTERS » (ID 1039), «SCOPAY » (ID 1043), tous exploités sous différents noms de domaine, mettaient illicitement à la disposition du public des œuvres audiovisuelles protégées.

Aux fins de faire cesser les atteintes constatées aux droits de leurs membres, la FNEF, le SVEN, l’API, l’UPC et le SPI ont fait assigner avec succès les sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange, SFR et SFR FIBRE devant le tribunal judiciaire de Paris en vue d’obtenir la mise en œuvre par ces derniers en leur qualité de principaux fournisseurs d’accès à internet, des mesures propres à empêcher l’accès par leurs abonnés, à ces sites à partir du territoire français.

La recevabilité de l’action

Aux termes de l’article L.122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.

L’article L.122-2 du même code précise que la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par télédiffusion.

La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature et l’article L.122-3 que la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte.

Selon l’article L. 122-4, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

De la même manière, en application de l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle, l’autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme.

Enfin, il résulte de l’article L. 336-2 du même code qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.

La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l’image animée.

La FNEF, la SEVN, l’API, l’UPC, le CNC, le SPI ont, en vertu de leurs statuts, le pouvoir d’agir en justice aux fins de défendre les intérêts professionnels des auteurs, producteurs et distributeurs d’œuvres audiovisuelles, cinématographiques et de vidéogrammes.

En conséquence, la FNEF, le SEVN, l’API, l’UPC, le SPI et le CNC sont recevables en leurs demandes.

Atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins : la mesure de blocage

La mesure de blocage, que seule l’autorité judiciaire peut prononcer, suppose que soit caractérisée préalablement, une atteinte à des droits d’auteur ou à des droits voisins.

Par un arrêt du 22 juin 2021 (affaires jointes C-682/18 et C-683/18), la Cour de justice de l’Union Européenne, interprétant les dispositions de la directive 2001/29/CE dont l’article L336-2 ci-dessus réalise la transposition en droit interne, a dit pour droit que :

“L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur.

Tel est notamment lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement, ou lorsque ledit exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en oeuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, ou encore lorsqu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeut scienmment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que l’exploitant à adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci.”.

En l’espèce, la FNEF, le SEVN, l’API, l’UPC, le SPI et le CNC établissent de manière suffisamment probante que les sites litigieux permettent toujours aux internautes, via les nouveaux chemins d’accès précités, de télécharger ou d’accéder en continu à des œuvres protégées à partir de liens hypertextes sans avoir l’autorisation des titulaires de droits, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.

Les mesures ordonnées

L’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition de l’article 8 §3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, aux termes duquel :

“Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin”.


Le seizième considérant de cette directive rappelle que les règles qu’elle édicte doivent s’articuler avec celles issues de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite “directive sur le commerce électronique”).

La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit dans l’arrêt Scarlet Extended c/ Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 qu’ainsi qu’il découle des points 62 à 68 de l’arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271), la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux :


“45 Plus précisément, il ressort du point 68 dudit arrêt qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’auteur, d’assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures.


46 Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la charte. (…)


52 D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite.

En effet, il n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une transmission dépende également de l’application d’exceptions légales au droit d’auteur qui varient d’un État membre à l’autre. En outre, certaines œuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés”.

Il s’en déduit qu’un juste équilibre doit être recherché entre la protection du droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise des fournisseurs d’accès à internet, et les droits fondamentaux des clients des fournisseurs d’accès à internet, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel et leur liberté de recevoir et de communiquer des informations, d’autre part.

La recherche de cet équilibre implique d’écarter toute mesure prévoyant un contrôle absolu, systématique et sans limitation dans le temps, de même que les mesures ne doivent pas porter atteinte à la “substance même du droit à la liberté d’entreprendre” des fournisseurs d’accès à internet, lesquels doivent conserver le choix des mesures à mettre en œuvre.

Aussi, conformément aux dispositions de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, il a été enjoint aux sociétés Orange, Bouygues Télécom, Free, SFR et SFR Fibre de mettre en œuvre et faire mettre en œuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites internet : « UPVID (ID – P2) », « UQLOAD (ID -P3) », «DOODSTREAM (ID -P6) », « MIXDROP (ID -P8) », «NETU (ID -P5) » et les 6 sites de services IPTV « GTV2 » (ID 1046), « IPTV365» (ID 1041 ), «OXTV » (ID 1045), « PREMIUMIP » (ID 1042), «PYTHONSMARTERS » (ID 1039), «SCOPAY » (ID 1043), à partir du territoire français et par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix.

Le coût des mesures de blocage a été mis à la charge des fournisseurs d’accès internet.

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