La Proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants est en cours de discussion au Parlement (procédure accélérée engagée par le Gouvernement).
Un enjeu de protection majeur
Le droit à l’image, en particulier celui des enfants, n’a jamais présenté des enjeux juridiques aussi prégnants qu’aujourd’hui. L’avènement des réseaux sociaux a bouleversé son exercice : plus d’un internaute sur deux prend une photographie dans le but de la partager en ligne.
Au total, ce sont plus de 300 millions de photographies ([1]) qui sont diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux. Les enfants sont particulièrement exposés, a fortiori depuis que les jeunes parents appartiennent à une génération qui a connu ce phénomène dès l’adolescence. Si bien qu’en moyenne, un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de treize ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches ([2]).
Le rôle clef des parents
Le droit à l’image de l’enfant occupe une place singulière dans le droit civil français, car ce sont les parents qui expriment le consentement de l’enfant à ce que son image soit publiée ou diffusée ([3]). Les titulaires de l’autorité parentale ont donc la responsabilité de protéger leur enfant, en contrôlant l’usage que le mineur fait de sa propre image, mais aussi en respectant sa vie privée à travers leur propre comportement.
À l’intersection entre la liberté d’expression des parents et l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à l’image émerge comme le terrain d’un potentiel conflit, aggravé par le fonctionnement des réseaux sociaux, qui rémunèrent la viralité et promeut les comportements narcissiques. Même si, dans la grande majorité des cas, les intentions des parents sont bonnes, il est indispensable que ces derniers soient mieux informés et sensibilisés quant à cette dimension nouvelle de l’exercice de l’autorité parentale.
Le sharenting
La diffusion de photographies de famille sur les réseaux sociaux, dite « sharenting » ([4]), présente en effet différents risques. Très vite, des chercheurs ont pointé du doigt la « fausse impression d’intimité » que suscitent les réseaux sociaux et l’impossibilité d’en contrôler réellement l’audience, car elle brouille les frontières entre liens forts et liens faibles ([5]).
Or, le détournement des images de mineurs peut charrier de lourdes conséquences : usurpation d’identité en ligne, chantage, cyberharcèlement, prostitution de mineurs, pédopornographie ([6]) etc.
La nudité des enfants
Les photographies impliquant la nudité des enfants sont les plus directement concernées, mais d’autres photographies d’enfants peuvent être manipulées et décontextualisées : c’est le cas de vidéos ou de photographies gênantes, initialement publiées par des parents dans le but de se moquer de leurs enfants, dites « prank » ([7]). Dans certains cas, l’usage que font les parents des réseaux sociaux aboutit même à une forme d’exploitation, assimilable à des violences éducatives ordinaires.
Les conséquences du partage irréfléchi de photographies sur internet sont durables. Il est possible que des images ne semblant pas gênantes aujourd’hui puissent paraître inacceptables demain et porter gravement atteinte à la réputation des enfants devenus majeurs.
Les interventions du législateur
Le législateur est intervenu à de nombreuses reprises pour favoriser la protection des mineurs sur internet. En 2016, il a amélioré l’exercice du droit à l’oubli des mineurs ([8]).
En 2020, il a élaboré une protection juridique spécifique pour les « enfants influenceurs » et il a permis aux mineurs de demander, sans l’accord de leur parent, l’effacement des images les concernant ([9]).
En 2022, il a également renforcé le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet ([10]), qui s’est accompagné du développement d’une nouvelle plateforme de prévention « Je protège mon enfant » ([11]). La relation de notre jeunesse au numérique est un enjeu qui continue de préoccuper grandement le Parlement ; la Délégation aux droits des enfants, récemment créée au sein de l’Assemblée nationale, s’est d’ailleurs immédiatement saisie de cette question, en créant une mission flash à ce sujet.
La proposition de loi
La proposition de loi s’inscrit dans ce travail de fond aux côtés de deux autres propositions de loi, l’une concernant la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans ([12]) et l’autre concernant l’instauration d’une majorité numérique et la lutte contre la haine en ligne ([13]).
Cette loi s’adresse également aux mineurs, qui trop souvent n’ont pas conscience de leurs droits et pensent parfois que leurs parents disposent d’un droit absolu sur leur image.
Cette proposition de loi, qui complète le code civil, vise à moderniser l’exercice de l’autorité parentale et à mettre celle-ci à jour des nouveaux défis auxquels sont confrontés les parents. Elle vise à garantir le droit à l’image des enfants, en lui donnant toute sa place dans l’exercice de l’autorité parentale.
Il s’agit d’une question juridique complexe, puisque ce sont les parents qui exercent le droit à l’image pour le compte de leur enfant en exprimant son consentement.
Ainsi, si le droit, en l’état, protège bien le mineur contre les atteintes à sa vie privée venant de l’extérieur de sa famille, il n’encadre pas clairement l’intervention des parents dans la vie privée de l’enfant et l’usage que ces derniers peuvent faire de son image.
Les quatre articles de la proposition de loi énoncent des principes, mais mettent également en place des règles, des limites et des outils juridiques contraignants pour élargir les moyens dont disposent les parents et, au besoin, le juge pour protéger les mineurs :
● L’article 1er vise à introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale prévue à l’article 371-1 du code civil, afin de souligner l’importance que les parents doivent accorder à cet enjeu, au même titre qu’ils doivent veiller à la sécurité, à la santé ou à la moralité de leur enfant.
● L’article 2 rétabli un article 372-1 dans le code civil, pour rappeler que le droit à l’image de l’enfant mineur est exercé en commun par les parents, dans le respect de sa vie privée. Il rappelle également que l’enfant doit être associé aux décisions concernant son image « selon son âge et son degré de maturité », comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
Cet article vient nuancer le libre arbitre des parents dans l’expression du consentement du mineur, en les encourageant à prendre en compte l’avis de l’enfant concerné et en anticipant les conséquences éventuelles, notamment dans le futur, de l’utilisation qu’ils font de l’image de leur enfant.
● L’article 3 complète l’article 373-2-6 du code civil pour prévoir une mesure spécifique d’interdiction de publication à l’encontre d’un parent qui diffuse des photos de son enfant contre l’avis de l’autre parent. Cette mesure pourrait être prononcée par le juge et viendrait compléter des dispositions spécifiques déjà existantes ([14]).
● L’article 4 complète l’article 377 du code civil, qui fixe les conditions dans lesquelles l’autorité parentale peut faire l’objet d’une délégation totale ou partielle. Actuellement, la délégation forcée a lieu en cas de désintérêt pour l’enfant, de crime d’un parent sur l’autre parent, ou d’incapacité à exercer l’autorité parentale. L’article 4 ajoute qu’elle peut être décidée lorsque la diffusion de l’image de l’enfant porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.
Le juge pourrait ainsi confier l’exercice du droit à l’image de l’enfant à un tiers, ce qu’il ne pouvait pas faire jusqu’alors tant que l’un des critères précédemment cités n’était pas démontré. Dans des cas d’une extrême gravité, heureusement rares, il pourrait même procéder à une délégation totale de l’exercice de l’autorité parentale.
L’élaboration de cette proposition de loi est le fruit de la recherche d’un point d’équilibre entre la liberté d’expression des parents et l’intérêt supérieur de l’enfant, entre l’importance de la sensibilisation et la nécessité de tracer des lignes rouges, entre la pédagogie et la répression.
Examen des articles de la proposition de loi
Adopté par la Commission avec modifications
L’article 1er vise à définir le rôle des parents dans la protection de la vie privée des mineurs. Le code civil est peu précis quant aux obligations incombant aux parents en matière de protection de la vie privée de leur enfant, obligations qui présentent pourtant diverses spécificités au regard de l’objectif de protection de la sécurité, de la santé et de la moralité de l’enfant.
Dans sa version initiale, le présent article proposait d’indiquer que le respect dû à la personne, déjà mentionné à l’article 371-1 du code civil, implique notamment le respect dû à sa vie privée.
1. La position de l’Assemblée nationale en première lecture
Lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique, l’Assemblée nationale a réécrit l’article 1er afin de donner davantage de portée à l’ajout de la notion de vie privée ([1]). La rédaction adoptée hissait ainsi la protection de la vie privée parmi les objectifs de la parentalité, aux côtés de la protection de la sécurité, de la santé et de la moralité de l’enfant.
2. La position du Sénat en première lecture
Lors de l’examen en Commission, le Sénat est revenu à la rédaction initiale de l’article 1er. La rapporteure a estimé que la protection de la vie privée ne devait pas être mise « sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité qui constituent les finalités de l’autorité parentale et dont la protection justifie dans certains cas une atteinte à la vie privée de l’enfant » ([2]).
La rapporteure reconnaissait néanmoins que la rédaction ainsi retenue « ne modifierait pas le droit positif », contrairement à celle proposée par l’Assemblée nationale.
3. La position de la Commission en nouvelle lecture
À l’initiative de votre rapporteur, la Commission a rétabli l’article 1erdans la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, plus ambitieuse en ce qu’elle place la protection de la vie privée au rang des objectifs de la parentalité, sans fixer de hiérarchie entre eux.
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Rétabli par la Commission
L’article 2 rétablissait un article 372-1 dans le code civil pour inscrire spécifiquement dans la loi que les décisions relatives au droit à l’image sont prises en commun par les parents dans le respect du droit à la vie privée du mineur et en l’associant aux décisions le concernant.
L’article 372-2 du code civil, qui prévoit que « chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant », continuait à s’appliquer en matière de droit à l’image. Cela étant, compte tenu de l’importance particulière qu’il accordait au droit à l’image, l’article 372-1 du code civil, tel que rétabli par le présent article, avait vocation à renforcer l’attention du juge quant à la définition des actes usuels en matière de droit à l’image, afin que leur périmètre soit restreint.
L’article 372-1 précité reprenait également la formule – déjà prévue à l’article 371-1 du code civil et figurant à l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) – selon laquelle les parents doivent associer l’enfant aux décisions relatives à l’exercice de son droit à l’image « selon son âge et son degré de maturité ». Cette disposition visait à renforcer l’attention devant être portée au consentement du mineur lorsque des photos de lui sont diffusées, notamment sur les réseaux sociaux.
1. La position de l’Assemblée nationale en première lecture
En séance publique, l’Assemblée nationale a étendu la portée du présent article par l’adoption d’un amendement ([3]) visant à préciser que l’expression du consentement des parents au nom de l’enfant doit se faire dans le respect des conditions prévues par l’article 372-1 du code civil rétabli.
Cet amendement procédait à une coordination à l’article 226-1 du code pénal qui définit le délit d’atteinte à la vie privée. Cet article prévoit en effet que lorsque la captation ou la diffusion de l’image ou de la parole concerne un mineur, « le consentement doit émaner des titulaires de l’autorité parentale ». Le II de l’article 2 prévoyait donc que l’expression de ce consentement se fasse dans le respect du droit à la vie privée de l’enfant et en l’associant à la prise de décision en fonction de son âge et de sa maturité. Dans le cas inverse, les parents s’exposeraient aux sanctions prévues en cas d’atteinte à la vie privée.
2. Un article supprimé par le Sénat en première lecture
En Commission, le Sénat a supprimé le présent article, considérant que « le droit à l’image est déjà compris dans les droits qui doivent être protégés par les parents au titre de l’autorité parentale » ([4]), au titre de l’article 371-1 du code civil.
3. La position de la Commission en nouvelle lecture
Attachée à ce que les avancées permises par la proposition de loi dans le code civil puissent également être avoir un effet en droit pénal, la Commission a rétabli l’article 2 dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture avec quelques ajustements d’ordre rédactionnel.
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Adopté par la Commission avec modifications
L’article 3 crée une nouvelle mesure visant à donner les moyens juridiques à l’un des parents de contester l’utilisation faite par l’autre parent de l’image de son enfant.
Dans sa version initiale, cette mesure consistait à permettre au juge, en cas de désaccord entre les parents sur l’exercice des actes non usuels relevant du droit à l’image de l’enfant – c’est-à-dire les actes les plus significatifs le concernant –, d’interdire à l’un des parents de publier ou de diffuser tout contenu sans l’autorisation de l’autre parent.
La dernière phrase du présent article précisait également la possibilité, en cas d’urgence, de saisir le juge aux affaires familiales par voie de référé pour obtenir plus rapidement la prise de la mesure.
1. La position de l’Assemblée nationale en première lecture
La commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement ([5]) précisant que l’interdiction de publication ne porte que sur les contenus relatifs à l’enfant concerné, afin d’éviter une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression qui aurait pu rendre le dispositif inconstitutionnel.
En prévoyant l’application de cette interdiction dans les seuls cas conflictuels, heureusement minoritaires, l’Assemblée nationale a souhaité adopter une mesure proportionnée ne pénalisant pas l’ensemble des familles.
2. La position du Sénat en première lecture
Le Sénat a réécrit l’article, adoptant une approche concurrente consistant à prévoir une interdiction générale de diffusion au public de tout contenu relatif à la vie privée de l’enfant sans l’accord de l’autre parent. Cette rédaction fait basculer dans la catégorie des actes non-usuels l’ensemble des décisions prises par les parents dans ce domaine ce qui, selon la rapporteure, « évitera toute divergence d’approche entre juridictions pour décider s’il s’agit d’un acte usuel ou non usuel » ([6]).
Si cette interdiction offre de la lisibilité quant aux droits et devoirs des parents, elle est très contraignante et, dans l’écrasante majorité des cas, disproportionnée, tant pour les parents que pour les institutions qui devront recueillir leur autorisation, en premier lieu l’école.
3. La position de la Commission en nouvelle lecture
Suivant la proposition de votre rapporteur, la Commission a rétabli la rédaction de l’article 3 adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture.
Afin de simplifier le recours à cette procédure, la nouvelle rédaction de l’article 3 ne mentionne plus la nécessité que le désaccord porte sur un acte non-usuel pour que le juge puisse prononcer l’interdiction de publication.
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Rétabli par la Commission
L’article 4, dans sa version initiale, complétait les conditions dans lesquelles l’autorité parentale peut faire l’objet d’une délégation forcée, totale ou partielle. Il précisait, à l’article 377 du code civil, que le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant, un membre de la famille ou le procureur de la République peuvent saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale « si la diffusion de l’image de l’enfant par ses deux parents porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale ».
1. La position de l’Assemblée nationale en première lecture
Lors de l’examen en séance publique, l’Assemblée nationale a précisé le dispositif proposé. La rédaction initiale prévoyait d’ajouter une condition de délégation totale ou partielle de l’autorité parentale en cas d’abus grave dans l’exercice du droit à l’image sans préciser le ou les droits pouvant être partiellement délégués.
Le recours à la délégation totale semblait par ailleurs soit disproportionné, et donc peu utile au juge, soit superfétatoire, dès lors que les carences éducatives graves peuvent déjà conduire à une délégation de l’autorité parentale.
La rédaction adoptée ([7]) au terme de la première lecture créait donc un cas spécifique de délégation partielle de l’exercice du droit à l’image lorsque les parents en font un usage détourné portant atteinte à l’enfant. Cet outil pourra être utilisé par le juge avec davantage de souplesse en permettant aux parents de conserver l’autorité parentale mais en leur interdisant d’exprimer pour l’enfant son consentement à la diffusion de son image. Les parents qui ne se conformeraient pas à cette interdiction encourraient les peines prévues en cas d’atteinte à la vie privée ([8]).
2. Un article supprimé par le Sénat en première lecture
Le Sénat a supprimé le présent article, considérant que la disposition n’était pas opérante. La rapporteure a estimé que « cette délégation n’aurait que peu d’effet puisque le parent continuerait à pouvoir filmer ou photographier l’enfant dans son quotidien et poster ces images sur les réseaux sociaux » ([9]).
Votre rapporteur estime à l’inverse que la suspension de l’exercice du droit à l’image impliquerait une interdiction stricte de publier des images de l’enfant sur les réseaux sociaux dès lors que le parent n’est plus compétent pour exprimer le consentement du mineur à l’exposition de sa vie privée.
3. La position de la Commission en nouvelle lecture
À l’initiative de votre rapporteur et de Mme Sarah Tanzilli, la Commission a rétabli l’article 4 dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture.
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Supprimé par la Commission
En l’état du droit, l’article 21 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit que la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peut, en cas de violations des droits et libertés mentionnés par cette loi – dont la protection de la vie privée fait partie –, prononcer un rappel à l’ordre ainsi qu’une limitation temporaire ou définitive du traitement de données concerné.
Lorsque ces atteintes sont graves et immédiates, le IV du même article prévoit que « le président de la commission peut en outre demander, par la voie du référé, à la juridiction compétente d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ces droits et libertés », par exemple la fermeture d’un site ou l’effacement d’un contenu.
L’article 5, introduit par le Sénat, tend à permettre à la CNIL de recourir à cette procédure en cas d’atteinte aux droits des mineurs, sans condition de gravité ou d’immédiateté.
En nouvelle lecture, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a supprimé l’article 5 considérant que la suppression des critères de gravité et d’immédiateté était contraire au principe du référé. Un tel assouplissement du recours au référé priverait les personnes visées de certaines garanties, alors même que les conséquences des mesures pouvant être prononcées, notamment sur la liberté d’expression, sont très lourdes.
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Lors de sa réunion du mercredi 4 octobre 2023, la Commission examine, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants (n° 1229) (M. Bruno Studer, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/dhVE6T
M. le président Sacha Houlié. Pour cette nouvelle lecture, cette proposition de loi sera examinée en séance publique selon la procédure de législation en commission.
M. Bruno Studer, rapporteur. Nous avons voté cette proposition de loi à l’unanimité, tout comme le Sénat, mais nous n’avons pas réussi à nous entendre en commission mixte paritaire. J’étais prêt à accepter le début du texte tel qu’il a été voté par le Sénat, et celui-ci était d’accord pour accepter l’article 4 tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale. Nos discussions ont achoppé sur l’article 3 : selon la rédaction adoptée par le Sénat, toute diffusion d’image d’enfant devenait un acte non usuel ; or il faut, je crois, réserver l’intervention du juge aux cas les plus compliqués. Une telle disposition aurait aussi été très lourde pour les écoles et les associations qui auraient dû obtenir l’accord systématique des deux parents pour la diffusion d’images des enfants dans le cadre scolaire ou périscolaire. Des cas graves il y en a, vous l’avez certainement vu dans la presse ou à la télévision, dans le documentaire « Enfants sous influence » par exemple : on peut s’interroger sur la capacité de certains parents à protéger l’image de leurs enfants.
Cette loi vise à rappeler aux parents qu’ils ne sont ni les propriétaires, ni les exploitants de l’image de leurs enfants, mais bien ses protecteurs.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Cette proposition de loi modifie les règles du code civil relatives à l’autorité parentale pour y intégrer le respect de la vie privée et le droit à l’image de l’enfant. En outre, l’accord des deux parents sera nécessaire pour diffuser au public des photos ou des vidéos.
Il s’agit de sensibiliser les parents à cette nouvelle dimension de l’autorité parentale. Depuis quelques années, il est courant de partager sur les réseaux sociaux des photos ou des vidéos de ses enfants : plus de 53 % des parents le font régulièrement, et certains enfants ont même leur propre compte, géré par les parents. On estime qu’avant l’âge de 13 ans, un enfant apparaît en moyenne sur 1 300 photos publiées en ligne, souvent par de jeunes parents qui souhaitent partager avec leur entourage les événements de leur vie familiale. Mais les conséquences peuvent être graves : atteinte à la réputation, identification du domicile, harcèlement scolaire et jusqu’à l’usurpation d’identité et l’utilisation des images par des pédocriminels – la moitié des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques ont initialement été publiées par des parents sur les réseaux sociaux. Une fois en ligne, les images deviennent impossibles à contrôler et peuvent ressortir plusieurs années plus tard. Cette exposition des enfants et la course aux likes peuvent entraîner des problèmes psychologiques. Sans en avoir conscience, ces parents fragilisent leurs enfants alors qu’ils sont responsables de leur droit à l’image.
Nous aurions bien sûr préféré que le Gouvernement présente une grande politique nationale de prévention de ces dangers. La portée de cette proposition de loi est essentiellement pédagogique : il s’agit de responsabiliser les parents et de les sensibiliser au respect du droit à l’image avant toute intervention de la puissance publique. Le groupe Rassemblement national soutiendra ce texte.
Mme Sarah Tanzilli (RE). Ce texte s’inscrit dans un corpus législatif en construction, auquel notre rapporteur a déjà largement contribué. Il s’agit de protéger et de réglementer la présence des enfants en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux.
Les parents ont, là comme ailleurs, le devoir de protéger leurs enfants. Cette proposition de loi le rappelle : le respect de la vie privée est un élément essentiel de la dignité des enfants. Il ne s’agit ni d’interdire de partager des moments de vie de famille, ni de culpabiliser les parents, mais de sensibiliser et de responsabiliser. Les parents sont les plus aptes à juger de ce qui est bon pour leurs enfants ; mais, parfois, par méconnaissance et avec une certaine légèreté, ils les mettent en danger en les exposant. Les enfants constituent un public particulièrement vulnérable ; il faut marteler les chiffres : la moitié des images et des vidéos d’enfants que l’on trouve sur les sites pédopornographiques ont d’abord été partagées volontairement par des proches, et 40 % des adolescents considèrent que leurs parents les exposent trop sur les réseaux. C’est pourquoi cette proposition de loi rappelle aux parents qu’ils doivent protéger l’image de leurs enfants et exercer en commun leur droit à l’image, en les associant aux décisions, en fonction de leur âge et de leur maturité.
Parfois les parents ont un intérêt direct, voire commercial, à utiliser l’image de leurs enfants ; la course aux likes et aux abonnés pour accroître les tarifs des partenariats rémunérés est pour certains une motivation plus forte que l’intérêt de leur enfant. Cela n’a rien d’une généralité, heureusement ; mais les conséquences pour les enfants concernés sont graves. Les premiers témoignages de jeunes adultes surexposés dans leur enfance le confirment : certains doivent changer de nom et d’identité, n’arrivent plus à mener une vie sociale, souffrent d’un syndrome de persécution ou du syndrome de Truman. La trahison par ceux que l’on aime le plus et qui avaient le devoir de nous protéger est grave.
Il apparaît donc nécessaire de revenir à la proposition de loi adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, qui prévoyait un dispositif efficace et équilibré pour adapter notre législation aux enjeux du numérique au XXIe siècle.
C’est dans des cas très spécifiques, où la dignité et l’intégrité morale des enfants sont mises en danger, que le juge doit intervenir et confier à un tiers le droit à l’image de l’enfant, sans remise en cause des autres composantes de l’autorité parentale
Le groupe Renaissance partage donc la volonté du rapporteur de rétablir les dispositions vidées de leur substance au Sénat. J’espère que nous saurons tous nous réunir pour défendre l’intérêt supérieur de l’enfant.
M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Lors de son premier passage en commission nous avions déjà félicité le rapporteur pour son travail transpartisan et apporté nos voix à ce texte, qui vient combler un vide juridique et protéger le droit à l’image en ligne des plus jeunes.
Nous approuvons les modifications apportées par le Sénat. Nous saluons la suppression de l’article 4, que nous avions également demandée, car il nous paraît disproportionné et confus de retirer l’autorité parentale pour des faits de gravité très variable. Nous en remettre au cas par cas au juge des enfants, c’est faire confiance à la justice et respecter le principe de proportionnalité des peines. Nous approuvons également le nouvel article 5, qui permet de saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) : nous avions déposé un amendement similaire, mais il avait été considéré comme un cavalier législatif. Je constate que le Sénat ne fait pas la même lecture de l’article 45 de la Constitution.
Nous votons ce texte, mais nous ne sautons pas au plafond de joie. Sur un sujet aussi précis, trouver un accord est possible mais, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique le montre, nos approches de la régulation numérique diffèrent : nous préférons préserver la liberté des utilisateurs, vous, celle des entreprises ; vous préférez sanctionner les comportements individuels, nous les plateformes qui les rendent possibles.
Cette proposition de loi peine à faire oublier la dégradation des droits des enfants en France. Oui, ce texte, qui se veut avant tout pédagogique, permet une avancée. Mais, en matière de droit des enfants, le Gouvernement a des marges de progression ! Alors que Macron a annoncé que la protection de l’enfant serait l’autre grande cause de son quinquennat, la situation est inquiétante : comme pour les droits des femmes, vous préférez le paraître aux mesures concrètes.
Qui reste-t-il alors pour protéger et faire de la pédagogie ? Les professionnels des crèches sont à bout de souffle. À l’école, la pénurie de professeurs reste sans solution – les syndicats estiment qu’il manque au moins un enseignant dans 48 % des collèges et lycées. Comment des enseignants pourraient-ils alors trouver le temps de sensibiliser leurs élèves et déceler les cas de harcèlement toujours plus grave ? Les professionnels de la protection de l’enfance sont en sous-effectif et leurs revendications sur le nombre de places dans les structures d’accueil et sur les postes vacants restent, là aussi, sans réponse. La crise de la pédiatrie et des services périnataux continue, et la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) risque de voir ses travaux clos dès le mois de décembre.
Je vous alerte : une approche plurielle est plus que jamais nécessaire pour garantir aux enfants l’intégralité de leurs droits, à commencer par les plus fondamentaux. Trois millions d’enfants vivent dans notre pays sous le seuil de pauvreté, soit un sur cinq. Le droit à une vie digne pour nos petits devrait nous unir autant que le droit à la protection de leur image. Mais lutter contre les inégalités sociales vous refroidit, car il faut sortir le carnet de chèques ; vous protégez toujours avec plus d’ardeur la hiérarchie sociale que les droits humains. Les travaux de la Ciivise, qui a permis une libération de la parole, doivent être prolongés.
Vous nous permettez de voter pour protéger l’image des enfants et c’est une bonne nouvelle. Mais je vous promets qu’en 2027, quand la NUPES sera au Gouvernement, nous protégerons les enfants, tout simplement.
M. le président Sacha Houlié. Le Sénat n’a en effet pas la même appréciation de l’article 45. Mais lorsqu’il omet le contrôle de recevabilité, l’article finit par être censuré par le Conseil constitutionnel. Cela ne nous arrive pas.
Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Le respect de la vie privée des enfants s’impose : c’est une condition de leur sécurité, de leur bien-être et de leur épanouissement. Il est de notre devoir de l’assurer. Face à la multiplication des outils numériques et à la complexité de leur usage, il faut renforcer notre arsenal législatif, car les pratiques évoluent. Il nous incombe de trouver les meilleurs moyens de responsabiliser les parents quant à l’exercice du droit à l’image de leurs enfants.
Le texte consacre la participation de l’enfant à l’exercice de son droit à l’image. Il nous reviendra, par la suite, de réfléchir aux moyens de renforcer l’autonomie du mineur non émancipé qui, en tout état de cause, se retrouve dans une dépendance procédurale vis-à-vis de ses parents et ne peut agir à titre individuel que dans des conditions restrictives. Comme le recommande le Conseil de l’Europe, il est nécessaire de mettre en place une justice adaptée aux mineurs, afin d’améliorer leur accès aux procédures judiciaires, condition essentielle de l’efficacité du texte.
La navette parlementaire et la commission mixte paritaire n’ayant pas abouti à l’adoption de cette proposition de loi dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat, il est de notre responsabilité de nous accorder sur un texte qui soit à la fois opérant et proportionnel, afin de garantir à tous les mineurs une protection suffisante sur internet. Notre groupe votera ce texte.
Mme Marietta Karamanli (SOC). En première lecture j’ai déjà indiqué que cette proposition de loi me semblait intéressante, mais insuffisante. Elle est intéressante, parce qu’elle vise à garantir le respect du droit à l’image des enfants et qu’elle répond à des préoccupations identifiées à la fois par les spécialistes et par les familles. Nous regrettons toutefois qu’elle ne fasse que préciser certains points de droit, déjà largement acquis, sans proposer une véritable politique publique visant à sensibiliser et informer les familles et les jeunes sur l’utilisation rationnelle et raisonnable des réseaux sociaux.
Le texte ne parle pas explicitement du droit au corps, seulement du droit à l’image. Pourtant, l’image étant le prolongement non physique du corps, la question de la protection du corps des enfants pourrait être posée comme telle. Il importe de travailler à la formation, à l’éducation aux droits des enfants et à un internet plus sûr. Or, quand j’ai interrogé le ministre de l’éducation nationale sur ce thème hier, il m’a répondu en substance : « On verra. »
Le Sénat a supprimé les articles 2 et 4, dont j’avais indiqué, en première lecture, qu’ils ne me semblaient pas nécessaires. L’article 2, qui disposait que les parents exercent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur n’était pas utile, de mon point de vue, dans la mesure où l’article 372 du code civil prévoit déjà que les père et mère exercent en commun l’autorité parentale. Quant à l’article 4, qui prévoyait d’étendre la délégation de l’autorité parentale aux cas dans lesquels la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porte gravement atteinte à sa dignité, il ne me semblait rien apporter de plus que l’article 377 du code civil.
L’article 5, ajouté par le Sénat, permet au président de la Cnil, par voie de référé, d’ordonner aux juridictions compétentes toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la vie privée d’un mineur sans que soient requis des critères de gravité ou d’immédiateté, comme c’est le cas actuellement. Il me semble plutôt bienvenu.
Cette proposition de loi a le mérite d’aborder une question importante, mais sans l’inscrire dans une réelle politique publique transversale. Nous regrettons notamment que le droit à la protection du corps des enfants ne soit pas envisagé comme une priorité éducative et que ne soit pas prévu, en direction des jeunes, des familles et des éducateurs, le lancement d’une grande campagne médiatique en ce sens.
Nous voterons ce texte, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Pour de nombreux parents, publier des images de son enfant sur les réseaux sociaux est un geste naturel et anodin : pas moins de 43 % des parents publient des photos de leurs enfants, et 39 % des très jeunes ont déjà une empreinte numérique, parfois même avant leur naissance. Cette empreinte peut représenter un poids embarrassant pour l’adulte en devenir, dont les parents n’auront pas respecté le besoin d’intimité en diffusant parfois aux yeux de tous des images qui ne franchissaient pas autrefois le seuil du premier cercle familial.
Le droit à l’image fait intimement partie du droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 9 du code civil mais, au regard de la loi, les parents ne sont pas tenus de rechercher le consentement de leur enfant. Ils sont responsables, dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale, de ce droit à l’image et, en réaction aux abus de certains parents, la jurisprudence s’est prononcée en faveur de la double autorisation parentale en matière de publication d’images, considérée comme un acte non usuel. Toute personne est en droit de demander le retrait de certains contenus au titre du droit à l’oubli en ligne, d’ailleurs renforcé pour les mineurs dans le cadre du règlement général sur la protection des données (RGPD). Dans d’autres pays, en Italie notamment, des plaintes ont été déposées par des enfants à l’encontre de leurs parents pour non-respect de leur droit à l’image.
La protection de la vie privée des enfants dans l’espace numérique est un sujet sérieux et d’une grande actualité à l’heure des réseaux sociaux. Je veux remercier Bruno Studer, qui a fait un travail remarquable pour renforcer le niveau de protection que notre société offre aux enfants face à l’attitude naïve, irresponsable, voire intentionnellement dangereuse de certains parents. Le numérique a changé nos vies, mais il diminue aussi notre niveau de vigilance. Nous sommes encore loin de mesurer pleinement les effets de cette révolution sur nos modes de vie et, à plus forte raison, sur le développement de nos enfants, qui sont à la fois fascinés et fragilisés par les écrans. De plus en plus d’études établissent un lien entre la surconsommation des réseaux sociaux et les risques pour la santé psychique. Mais l’autre danger d’une telle exposition sur les réseaux sociaux, c’est aussi de voir ces photos récupérées et détournées par des réseaux pédocriminels.
Nous avons la responsabilité d’établir une législation plus rigoureuse pour encadrer le droit à la vie privée des enfants et les protéger de certaines dérives. C’est précisément ce que propose ce texte, qui a été adopté à l’unanimité en première lecture par notre assemblée, avant d’être largement modifié par le Sénat. C’est donc sans surprise que la commission mixte paritaire a échoué. Les sénateurs avaient supprimé les articles 2 et 4, estimant que le respect de la vie privée de l’enfant était déjà intégré à la mission exercée par les parents. Les sénateurs s’opposaient également à élargir la délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale en cas d’exposition indigne de l’image de l’enfant, comme nous l’avions voté à l’article 4.
Le rapporteur propose de rétablir ces articles et de renforcer la portée de l’article 1er en mentionnant de façon explicite le droit à la vie privée des enfants dans la définition même de l’autorité parentale. Le groupe Horizons a toujours soutenu les avancées législatives qui visaient à mieux protéger les enfants et à garantir l’effectivité de leurs droits : je pense notamment au texte du président Marcangeli sur la majorité numérique. Concernant l’article 3, le Sénat est allé plus loin en exigeant l’accord des deux parents pour toute diffusion d’un contenu relatif à la vie privée de l’enfant. Cette rédaction est certes conforme à la jurisprudence, mais le mécanisme proposé par le rapporteur apporte davantage de souplesse, puisqu’il prévoit que le juge n’intervient qu’en cas de désaccord entre les deux parents.
Nous partageons tous l’objectif de mieux protéger les enfants des nombreuses dérives d’internet et, pour avancer sans attendre dans cette direction, le groupe Horizons renouvelle son soutien au texte.
M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous partageons évidemment l’objectif de cette proposition de loi et nous la voterons, car le respect du droit à l’image des enfants est essentiel. Toutefois, comme en première lecture, nous avons quelques réserves sur le texte, auquel il manque, de notre point de vue, un volet relatif à la sensibilisation, à l’information et à la formation.
L’article 5, ajouté par le Sénat, étend les pouvoirs de la Cnil pour protéger la vie privée des mineurs. Il nous semble tout à fait utile et nous nous opposerons à sa suppression. La nouvelle rédaction de l’article 1er, qui a le mérite de ne pas confondre la finalité et la limite de l’autorité parentale, nous semble meilleure que la rédaction initiale. Nous estimons, comme le Sénat, que l’article 2 n’apportait rien et qu’il peut être supprimé. Nous n’avons pas d’objection à la réécriture de l’article 3. S’agissant de l’article 4, nous ne nous opposerons pas à ce qu’il soit rétabli, même si cette délégation forcée de l’autorité parentale nous semble difficile à appliquer.
M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Il importe, pour notre bien-être et celui de nos enfants, que la loi encadre l’utilisation massive des images et des photographies. Leur omniprésence dans nos vies peut mettre en danger les plus vulnérables d’entre nous, nos enfants.
S’il faut accueillir le temps numérique comme une chance, il faut aussi l’aborder avec prudence. Le numérique n’est plus seulement un moyen de communiquer, mais aussi un moyen de véhiculer une image de bonheur, d’épanouissement et de fierté. Or ce sont souvent nos enfants qui incarnent notre bonheur, notre épanouissement et notre fierté.
Cette situation pose pourtant la question du respect de la vie privée et celle du danger que peut représenter, pour la santé psychique de nos enfants, une telle surexposition. Le suicide du jeune Nicolas est la preuve que le numérique peut contribuer à tuer. Les alertes croissantes de nombreuses ONG montrent aussi que le numérique peut contribuer à alimenter l’exploitation sexuelle et la pédocriminalité.
La protection de l’enfant est fondamentale, mais ces quelques rappels nous montrent que la législation n’est qu’un outil parmi d’autres. Les moyens sont le nerf de la guerre et doivent être démultipliés. Cette proposition de loi tente de combler un angle mort de notre rapport au numérique, mais elle est surtout un texte d’interpellation. Qui peut le moins peut le plus et nous l’envisageons comme un premier pas dans la bonne direction.
Tout le monde n’a pas des intentions malveillantes, mais il faut nous préparer à l’explosion des usages numériques. Il faut prendre le taureau par les cornes et moderniser notre législation, en réfléchissant notamment à de nouvelles incriminations, tout en protégeant la vie privée des familles et la liberté d’éduquer des parents.
M. Paul Molac (LIOT). Nous sommes tous confrontés à des phénomènes qui parfois nous dépassent. Les enfants, eux, sont de plus en plus exposés au monde numérique et à ses dangers – intrusion dans la vie privée, détournement d’images, etc. Le législateur a beau multiplier les textes, il a du mal à tenir le rythme de cette course à l’utilisation des réseaux. La célérité de la diffusion des usages ne coïncide pas avec le temps long et prudent de la loi. Notre groupe regrette que la commission mixte paritaire ait échoué, car cela retarde l’entrée en vigueur du texte.
Notre groupe votera cette proposition de loi, comme en première lecture. Ce texte est certes modeste mais il aura le mérite de responsabiliser les parents sur le respect de la vie privée de leurs enfants mineurs. Nous saluons le maintien de l’article 1er qui, s’il ne bouleverse pas l’état du droit, a le mérite d’avoir une visée pédagogique. C’est une sorte de rappel que le législateur adresse aux parents pour protéger l’intimité de leurs enfants. A contrario, nous sommes plus réservés sur la nouvelle rédaction de l’article 3, issue du Sénat. Initialement, cet article prévoyait l’intervention du juge aux affaires familiales, avec la possibilité, en cas de désaccord entre les parents sur des actes non usuels relatifs au droit à l’image de l’enfant, d’interdire à un parent de publier ou de diffuser tout contenu sans l’autorisation de l’autre parent. Sans être parfaite, cette disposition avait le mérite d’être équilibrée en ne ciblant que les actes non usuels.
Or la nouvelle rédaction du Sénat prévoit désormais l’accord obligatoire des deux parents pour la diffusion de tout contenu lié à la vie privée de l’enfant. Notre groupe est plus que réservé sur ce choix de transformer tous ces actes en actes non usuels. Le dispositif paraît excessif et difficile à mettre en œuvre. Nous voterons donc l’amendement du rapporteur visant à rétablir la rédaction initiale, afin que l’autorité parentale soit un véritable instrument de dialogue au sein du cercle familial, s’agissant de la publication d’une image de l’enfant.
Nous regrettons que ce texte ne contienne pas un volet relatif à la prévention ou des mesures tendant à mieux aviser les parents. De telles mesures pourraient émaner du pouvoir réglementaire, afin de ne pas alourdir le code civil.
M. Bruno Studer, rapporteur. De mon point de vue, la nouvelle rédaction de l’article 3, issue du Sénat, complexifie les choses. Dans la rédaction initiale, la proposition de loi laissait le juge intervenir dans les situations réellement problématiques. Le faire intervenir systématiquement va beaucoup compliquer la vie des familles, notamment de celles où les parents sont séparés et où tout peut devenir un objet de querelle. Ces querelles risquent d’être exportées à l’école ou dans les loisirs, s’il faut un accord systématique des deux parents pour diffuser des images de l’enfant en train de pratiquer une activité. Il me semble vraiment préférable de rétablir la rédaction initiale. Je reviendrai sur les autres articles au cours de leur examen.
Article 1er (art. 371-1 du code civil) : Introduction de la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale
Amendement CL4 de M. Bruno Studer
M. Bruno Studer, rapporteur. Je propose de rétablir l’article 1er dans la version adoptée par l’Assemblée nationale. Le Sénat a fait le choix de reprendre la rédaction initiale de la proposition de loi, mais je crois que la rédaction à laquelle nous avions collectivement abouti en première lecture est plus ambitieuse, car elle place la protection de la vie privée du mineur parmi les obligations parentales.
La commission adopte l’amendement et l’article 1er est ainsi rédigé.
Article 2 (supprimé) : Exercice en commun du droit à l’image de l’enfant par ses parents
Amendement CL5 de M. Bruno Studer
M. Bruno Studer, rapporteur. Certains d’entre vous estiment que la première partie de cet article est superfétatoire mais j’estime pour ma part que, compte tenu de l’importance du sujet, il vaut mieux écrire les choses. Protéger la vie privée de son enfant, ce n’est plus du tout la même chose qu’il y a encore dix ou vingt ans et il me semble que l’inscrire dans la loi peut avoir une vertu pédagogique.
La deuxième partie de l’article lui donne une portée plus importante, puisqu’il complète la définition de l’atteinte à la vie privée des mineurs dans le code pénal.
Je vous propose donc de revenir à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, qui reprend directement le contenu de la Convention internationale des droits de l’enfant.
La commission adopte l’amendement et l’article 2 est ainsi rétabli.
Article 3 (art. 372-2 du code civil) : Interdiction de publication ou de diffusion de l’image de l’enfant sans l’accord de l’autre parent
Amendement CL6 de M. Bruno Studer
M. Bruno Studer, rapporteur. Le Sénat a réécrit cet article et prévu l’interdiction systématique de toute publication liée à la vie privée de l’enfant, dès lors que les deux parents ne sont pas d’accord. Cette disposition étendrait considérablement le champ d’application de l’article, y compris aux familles où les choses se passent bien et où il n’y a pas de conflit entre les parents. Cela pourrait également compliquer la vie des établissements scolaires et des associations. Je vous propose donc de rétablir l’article dans la version adoptée à l’Assemblée nationale, afin de ne viser que les situations problématiques.
La commission adopte l’amendement et l’article 3 est ainsi rédigé.
Article 4 (supprimé) : Délégation de l’autorité parentale en cas d’usage abusif de l’image de l’enfant
Amendements identiques CL7 de M. Bruno Studer et CL3 de Mme Sarah Tanzilli
M. Bruno Studer, rapporteur. Je souhaite rétablir l’article 4, supprimé par le Sénat, car je crois qu’il pourrait être utile dans certains cas – que j’espère les moins nombreux possible. Un certain nombre de parents font n’importe quoi avec l’image de leurs enfants mais les aiment et leur assurent tout le confort possible : il ne s’agira pas de leur retirer l’exercice de l’autorité parentale, mais la délégation partielle de l’autorité parentale me semble pouvoir débloquer certaines situations. Le juge aux affaires familiales qui, par définition, cherche toujours à arranger les affaires de la famille, disposera pour ce faire d’un nouvel outil.
Mme Sarah Tanzilli (RE). Mon amendement vise également à rétablir l’article 4 dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Il constitue le dernier étage de la fusée de cette proposition de loi : en cas de manquement grave, portant gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de l’enfant, il sera possible de prononcer une délégation partielle de l’autorité parentale, limitée au droit à l’image de celui-ci.
Ce dispositif me paraît à la fois pragmatique, efficace et équilibré et il est une impérieuse nécessité. Beaucoup trop d’enfants sont surexposés sur les réseaux sociaux d’une manière inacceptable : mise en scène de leur vie quotidienne, du lever au coucher ; exposition dans des situations intimes, voire humiliante ; situations, enfin, pouvant s’apparenter à de la pédopornographie.
Certains parents seraient prêts à tout pour quelques clics, quelques abonnés ou quelques contrats publicitaires supplémentaires. Ces enfants sont clairement mis en danger et les premiers témoignages d’adultes ayant subi cette surexposition le montrent. Les plus jeunes de ces enfants n’ont pas conscience d’être jetés en pâture à des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux et notre responsabilité est de les protéger. Qui, parmi nous, accepterait d’être filmé en permanence, sans que son consentement soit recueilli ou pris en compte ? Personne ! Ce qui n’était qu’un film, The Truman Show, est finalement devenu la réalité pour certains enfants. Une réalité à laquelle nous ne devons pas nous résoudre.
Il est impératif de rétablir cet article. Il offrira au juge un mécanisme équilibré qui ne remet pas en cause les autres composantes de l’autorité parentale mais lui permet, en l’absence d’infraction pénale, de protéger le droit à l’image de l’enfant et de faire valoir son intérêt supérieur.
La commission adopte les amendements et l’article 4 est ainsi rétabli.
Article 5 (nouveau) (art. 21 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) : Renforcement des pouvoirs de la Cnil en cas d’atteinte aux droits et libertés des mineurs
Amendement CL8 de M. Bruno Studer
M. Bruno Studer, rapporteur. Cet article, introduit par le Sénat, vise à supprimer les conditions de gravité et d’immédiateté pour que la Cnil saisisse en référé la justice afin de faire cesser une atteinte aux droits et libertés d’un mineur tels qu’ils sont protégés par la loi « informatique et libertés ». Si la protection des mineurs peut justifier des mesures spécifiques, la disposition adoptée par le Sénat me paraît toutefois contraire à l’esprit du référé – qui implique une situation grave et urgente – et à l’exigence de proportionnalité des sanctions.
Je trouve l’idée intéressante, mais cette rédaction ne me paraît pas satisfaisante : peut-être les sénateurs pourront-ils la faire évoluer en nouvelle lecture. En l’état, je vous invite à supprimer cet article, dont la constitutionnalité m’apparaît incertaine.
M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet article, qui donne des pouvoirs supplémentaires à la Cnil, me paraît important. Le fait même qu’il concerne des mineurs me semble justifier que l’on supprime les conditions de gravité et d’immédiateté.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je suis favorable au maintien de cet article. Il prévoit que la Cnil pourra désormais, par la voie du référé, demander à la juridiction compétente d’ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la vie privée d’un mineur, sans que soient requis les critères de gravité ou d’immédiateté. Monsieur le rapporteur, si vous le souhaitez, nous pourrions, en vue de la séance, travailler à une meilleure rédaction, mais je crois vraiment qu’il faut maintenir ce principe.
M. Bruno Studer, rapporteur. Je comprends votre point de vue, mais il faut songer aussi aux conséquences que pourrait avoir un tel dispositif : fermeture de sites, retrait de contenus, etc. En l’état, je ne souhaite pas le maintien d’un article dont je ne suis pas certain de la constitutionnalité, dans la limite où il pourrait remettre en cause la liberté d’expression, qui est l’une de nos libertés fondamentales.
Si vous souhaitez faire une nouvelle proposition de rédaction en séance, nous serons évidemment à l’écoute. Le Sénat, en nouvelle lecture, pourra également faire évoluer cette rédaction, comme je l’avais indiqué à Mme Valérie Boyer. Je n’ai pas d’opposition de principe et c’est donc presque à contrecœur que je maintiens ma proposition de suppression de l’article.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 5 est supprimé.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants (n° 1229) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
([1]) Assemblée nationale, amendement n° 20 de Mme Perrine Goulet et M. Guillaume Gouffier-Valente.
([2]) Sénat, exposé sommaire de l’amendement n° COM-1 de Mme Valérie Boyer, rapporteure du Sénat.
([3]) Assemblée nationale, amendement n° 21 de Mme Perrine Goulet et M. Guillaume Gouffier Valente.
([4]) Sénat, exposé sommaire de l’amendement n° COM-2 de Mme Valérie Boyer, rapporteure du Sénat.
([5]) Assemblée nationale, amendement n° CL 22 de Mme Sarah Tanzilli et des membres du groupe Renaissance.
([6]) Sénat, exposé sommaire de l’amendement n° COM-3 de Mme Valérie Boyer, rapporteure.
([7]) Assemblée nationale, amendement n° 24 de Mme Sarah Tanzilli et sous-amendement n° 36 de Mme Mathilde Desjonquères.
([8]) Article 226-1 du code pénal.
([9]) Sénat, exposé sommaire de l’amendement n° COM-4 de Mme Valérie Boyer, rapporteure.