Droit du numérique : Portabilité et déménagement : SFR condamnée

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L’opérateur qui accepte le déménagement de son client doit également attirer son attention sur la portabilité de son numéro ou la perte de celui-ci.


Portabilité du numéro

S’il ne peut être retenu de faute de la société SFR quant au transfert de la ligne de son client, l’opérateur a manqué à son obligation contractuelle de procéder à la portabilité de la ligne alors qu’il n’est pas démontré qu’il aurait rencontré une difficulté technique l’empêchant d’assurer le maintien du numéro.

La clause limitative de responsabilité

S’agissant des préjudices, la société SFR est mal fondée à opposer la clause limitative de responsabilité insérée dans ses conditions générales en l’absence d’élément démontrant que ces conditions auraient été acceptées par son client  et lui seraient opposables.

Preuve à la charge des parties

Pour rappel, en vertu de l’article 1353 du code civil, anciennement article 1315, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

 


 

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 25/05/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/02937 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TUVE

Jugement n° 2019/1496 rendu le 14 avril 2021 par le tribunal de commerce d’Arras

APPELANTE

SA Société Française du Radiotéléphone – SFR – prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 3]

représentée par Me Jacques-Eric Martinot, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

assistée de Me Ronald Sarah, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉE

Madame [I] [G]

née le 28 mars 1983 à [Localité 4], de nationalité française

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Samuel Willemetz, avocat constitué, substitué à l’audience par Me Déborah Boudjemaa, avocats au barreau d’Arras

DÉBATS à l’audience publique du 08 février 2023, tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Glles, président de chambre

Pauline Mmiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 après prorogation du délibéré initialement prévu au 04 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 04 janvier 2023

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Dans le cadre de son activité professionnelle, consistant en l’exploitation à titre individuel d’un salon de coiffure, Mme [I] [G] avait souscrit auprès de l’opérateur de télécommunication la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) un contrat portant sur la fourniture d’une ligne téléphonique (03 21 23 42 70) et d’un accès à internet.

Soutenant avoir demandé la ‘portabilité de son numéro’ à l’occasion du déménagement de son activité prévu au mois de décembre 2018, et reprochant à la société SFR d’avoir commis des fautes, d’une part, en procédant la suspension de la ligne le 4 décembre 2018, alors qu’elle avait demandé le report du transfert, son déménagement étant retardé, d’autre part, en procédant à la résiliation de son ancienne ligne et en lui attribuant un nouveau numéro de téléphone alors qu’elle s’était engagée à lui assurer la conservation de son ancien numéro (portabilité), Mme [G] s’est rapprochée de son opérateur pour réclamer une indemnisation financière, puis l’a assignée le 13 août 2019 devant le tribunal de commerce d’Arras aux fins d’obtenir des dommages-intérêts.

Par jugement du 14 avril 2021 le tribunal a :

– condamné la société SFR à verser à Mme [G] les sommes suivantes :

– 1 135,11 euros au titre du préjudice financier,

– 2 019,12 euros au titre de son préjudice économique,

– 1 500 euros au titre de son préjudice moral,

– 1 000 euros au titre de sa résistance abusive,

– les intérêts au taux qui courent sur cette somme depuis le 17 mai 2019, date de la mise en demeure,

– ordonné la capitalisation des intérêts,

– confirmé l’exécution provisoire du jugement,

– condamné la société SFR à verser à Mme [G] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance en ce compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 63,36 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 26 mai 2021 la société SFR a relevé appel des chefs du jugement prononçant des condamnations financières à son égard et aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 février 2022 la société SFR demande à la cour de :

– à titre principal, dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité et que Mme [G] ne justifie d’aucun préjudice,

– en conséquence, infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– statuant à nouveau, débouter Mme [G] de toutes ses demandes,

– à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que sa responsabilité est limitée à la somme de 90,15 euros,

– en conséquence, infirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter Mme [G] de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

– en tout état de cause, la condamner à lui payer une indemnité de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 novembre 2021, Mme [G] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à l’infirmer s’agissant du quantum de la somme allouée au titre du préjudice financier,

– condamner la société SFR à lui verser la somme de 5 660,03 euros au titre de son préjudice financier,

– en tout état de cause, débouter la société SFR de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel outre les dépens de l’instance.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.

La clôture de l’instruction est intervenue le 4 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 8 février suivant. Le délibéré initialement fixé au 4 mai 2023 a été prorogé au 25 mai compte tenu de la charge de travail de la juridiction.

MOTIFS

En vertu de l’article 1353 du code civil, anciennement article 1315, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Les parties sont en désaccord sur la prestation confiée par Mme [G] à la société SFR ; Mme [G] explique qu’elle a simplement fait une demande de ‘portabilité’ de sa ligne lors de son déménagement ; la société SFR explique qu’il s’agit d’une demande de déménagement qui implique la résiliation du contrat initial puis l’ouverture d’une autre ligne sans engagement de portabilité de la ligne, qui ne peut être assurée que si elle est techniquement possible.

Il ressort des éléments du dossier qu’à l’occasion du déménagement de son salon de coiffure, Mme [G] a fait une demande de ‘transfert’ de ligne, comme elle l’indique elle-même dans le courrier adressé à la société SFR le 15 janvier 2019.

La société SFR communique un document émis le 16 novembre 2018 montrant que la demande a été enregistrée comme une ‘demande de déménagement’ ; le document, communiqué en trois exemplaires (Client, Distributeur et SFR) mentionne un numéro de commande (DMGT-WEB20181116164211613), un numéro de contrat (06-14J5BO), un numéro de titulaire (1-J88L2U5) ; l’ ‘adresse initiale’ et la ‘future adresse’ et il est mentionné :

‘Ligne à construire

Date de RDV : 04/12/18 entre 08:00 et 10:00

(créneau d’arrivée du technicien)’.

Ce document contient en outre un paragraphe ‘engagement du client’ selon lequel le client déclare avoir pris connaissance et accepté dans toute leur teneur les conditions générales ainsi que les descriptifs et les tarifs des offres, puis donne mandat à SFR pour commander à l’opérateur historique le dégroupage total de [sa] ligne téléphonique et reconnaît avoir été informé que la mise en oeuvre du dégroupage total entraînera automatiquement la résiliation de [son] abonnement téléphonique auprès de l’opérateur historique.

La société SFR communique également les ‘conditions générales d’inscription aux services box (ADSL), fibre (FITH) et box pro’ applicable à ses contrats au 12 décembre 2017, stipulant notamment à l’article 4.4 que tout déménagement du client entraînera la résiliation du contrat de service et que s’il souhaite continuer à bénéficier du service il devra souscrire de nouveau au service disponible.

Toutefois ni le document ‘demande déménagement’ ni les conditions générales ne sont signées par Mme [G] et aucun élément ne permet de considérer qu’elle en aurait eu connaissance et les auraient acceptées ; il n’est par ailleurs pas soutenu qu’il y aurait pu y avoir une acceptation tacite. Les conditions imposées par la société SFR ne lui sont donc pas opposables. Ainsi Mme [G] n’a pu avoir connaissance que sa demande de transfert de ligne entraînait la résiliation de son précédent contrat et un changement de numéro de téléphone.

Il est admis par les parties que l’intervention d’un technicien était programmée pour le 4 décembre 2018 et si Mme [G] soutient qu’une demande de changement avait été acceptée par la société SFR pour une intervention au mois de janvier 2019 elle ne communique aucun élément tendant à démontrer qu’elle aurait fait une telle demande ni aucun élément pour établir la date effective de son déménagement.

Il apparaît que la société SFR a procédé au déménagement de la ligne à la nouvelle adresse le 4 décembre 2018, entraînant la suspension des services fournis à l’ancienne adresse.

Le 6 décembre 2018 (à 17h39) la société SFR a adressé à Mme [G], sur son téléphone portable, le message téléphonique écrit suivant :

Info SFR : Bonne nouvelle, votre ligne ADSL est activée.

Votre numéro de téléphone fixe est le [XXXXXXXX01].

Vous pouvez dès à présent installer votre box.

Une question’

Téléchargez ici c.sfr.fr/.sfretmoi-activ l’appli SFR & Moi.

La société SFR conteste toute valeur à ce message, qui serait un message ‘automatisé’, en indiquant qu’il n’a pas été adressé par une personne disposant d’un mandat social l’autorisant à engager la société émettrice mais ne conteste pas qu’il s’agit bien d’un message adressé par ses services, et qu’il ne ferait que reprendre les demandes de la cliente.

Or, les éléments exposés ci-dessus, démontrant que la demande à consisté à faire procéder à un transfert de ligne sans que la résiliation du contrat initial ne soit envisagée, au vu de la teneur de ce message annonçant l’activation de la ligne avec mention de l’ancien numéro de téléphone, ainsi que les lettres de réclamation adressées par Mme [G] les 15 janvier, 30 janvier et 17 février 2019 se plaignant du défaut de portabilité de la ligne et de l’attribution d’un nouveau numéro, permettent de démontrer que le maintien du numéro avait été convenu par les deux parties, peu importe à cet égard que la société SFR n’ait pas d’obligation légale d’assurer la portabilité d’une ligne en cas de changement d’adresse ou ait adressé le 7 décembre 2018 à Mme [G] un courriel pour lui confirmer l’activation de sa ligne avec un nouveau numéro.

En conséquence, s’il ne peut être retenu de faute de la société SFR quant au transfert de la ligne dès le 4 décembre 2018, il doit être admis qu’elle a manqué à son obligation contractuelle de procéder à la portabilité de la ligne alors qu’elle ne vient pas démontrer qu’elle aurait rencontré une difficulté technique l’empêchant d’assurer le maintien du numéro.

S’agissant des préjudices, la société SFR est mal fondée à opposer la clause limitative de responsabilité insérée dans ses conditions générales en l’absence d’élément démontrant que ces conditions auraient été acceptées par Mme [G] et lui seraient opposables.

La cour retient comme étant en lien direct avec la faute de la société SFR, les dépenses exposées pour la campagne publicitaire liée au déménagement de l’activité de Mme [G] (édition de cartes de visite et brochures publicitaires notamment) et rendus inutiles par l’absence de maintien du numéro de téléphone par l’opérateur, soit :

– facture Evolution.com du 22 janvier 2019 (588 euros),

– factures Ikosoft des 19 et 20 décembre 2018 (186 euros et 42 euros),

– factures Rapid Flyers du 14 décembre 2018 (81,60 euros) et du 30 novembre 2018 (135 euros),

– facture Idgraphique du 16 novembre 2018 (249,16 euros correspondant aux frais d’impression de documents).

Les autres frais seront écartés, dès lors qu’il n’est pas démontré qu’ils auraient été engagés inutilement du fait de la faute de la société SFR. Il sera donc alloué au titre du ‘préjudice financier’ une somme de 1 281,76 euros, le jugement étant réformé s’agissant du montant qu’il a retenu à ce titre.

Par ailleurs, c’est de manière pertinente que le premier juge a estimé que la perte de temps subie par Mme [G] à raison des démarches effectuées auprès de la société SFR pouvait s’analyser en un préjudice ‘économique’, résultant de la faute de l’opérateur, et pourvait être évaluée au regard du revenu de Mme [G] et fixée à hauteur de 2 019,12 euros, montant qui paraît adapté au regard du préjudice subi. Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.

Le premier juge sera également approuvé s’agissant de l’indemnisation accordée au titre du préjudice moral par des motifs pertinents.

En revanche, il convient de réformer le jugement qui a alloué des dommages-intérêts au titre de la résistance abusive de la société SFR alors qu’il n’est justifié ni d’une faute distincte de la faute retenue par ailleurs, ni d’un préjudice différent de préjudice moral déjà réparé.

Le principe de la responsabilité de la société SFR étant maintenu en appel, il convient de confirmer le jugement s’agissant des dépens et de la condamnation prononcée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre les dépens d’appel à la charge de la société SFR et d’allouer à Mme [G] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Réforme le jugement en ce qu’il a condamné la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) à verser à Mme [I] [G] la somme de 1 135,11 euros au titre du préjudice financier et la somme de 1 000 euros au titre de sa résistance abusive ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) à payer à Mme [I] [G] la somme de 1 281,76 euros au titre du préjudice financier ;

Déboute Mme [I] [G] de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamne la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) aux dépens d’appel ;

Condamne la Société Française de Radiotéléphonie (SFR) à payer à Mme [I] [G] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles

 

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