Droit du numérique : Usage syndical de la messagerie électronique de l’entreprise : un cadre structuré

Notez ce point juridique

Envoi d’un email collectif par un délégué syndical 

Un délégué syndical qui émet un courriel depuis sa boîte aux lettres électronique professionnelle et non depuis celle de son syndicat, s’expose à une sanction de son employeur. 

En effet, des règles de communication syndicales édictées par accord collectif et la charte d’usage du système informatique sont désormais en place dans la grande majorité des entreprises

Affaire Pro BTP

En l’espèce, deux griefs ont été énoncés à l’encontre d’un délégué syndical dans sa lettre de mise à pied :

— d’une part, l’envoi d’un courriel à l’ensemble des salariés du site industriel, en violation des règles de communication syndicales édictées par l’accord du 20 novembre 2012, et de la charte d’usage du système informatique de Pro BTP,

— d’autre part, la distribution d’un tract incitant les salariés à contrevenir aux mêmes règles.

Violation des règles d’usage en vigueur  

Sur le premier grief, l’accord d’entreprise du 20 décembre 2012 stipule, en son article 2, que:

‘Pro BTP met à la disposition de chacune des organisations syndicales représentatives une boîte aux lettres électronique Lotus Notes à son nom.

(…) La boîte aux lettres électronique est destinée à gérer les messages individuels. Elle permet aux salariés qui le souhaitant d’être en contact avec les organisations syndicales : à charge pour ces dernières de répondre, individuellement et exclusivement aux salariés qui les consultent.

(…) Le non-respect de ces règles peut entraîner la fermeture temporaire ou définitive de la boîte aux lettres électronique de l’Organisation syndicale concernée. La procédure de fermeture est précédée par la tenu d’un Comité de suivi tel que prévu à l’article 7 du présent accord.’

En l’espèce, le délégué syndical a émis son courriel depuis sa boîte aux lettres électronique professionnelle et non depuis celle de son syndicat.

En revanche, la charte d’usage du système informatique du groupe Pro BTP dispose que la personne qui utilise la messagerie de l’entreprise ‘ne doit pas utiliser la messagerie à des fins de diffusion ou de propagation de textes, images ou message en ‘chaîne ». 

Le délégué syndical, qui a adressé un message à l’ensemble des salariés du site a ainsi méconnu cette disposition. Par suite, le premier grief énoncé dans la lettre de mise à pied était caractérisé.

Distribution de tract associée à un échange par email 

Sur le second grief, le tract mentionne : ‘nous vous soumettons donc le questionnaire ci-dessous. Vous pouvez le renvoyer avant mercredi soir : soit à l’un de vos élus Solidaires, soit à l’adresse suivante : [Courriel 5].’. En outre, elle contient également la proposition d’action suivante : ‘envoi d’un mail de chaque salarié au directeur de l’établissement demandant la poursuite d’activité en télétravail’. 

Ces mentions du tract ne contreviennent pas aux règles de communication syndicales et à la charte d’usage du système informatique : sur la première partie du tract, il n’est pas établi qu’une boîte aux lettres électronique ait été mise à la disposition du syndicat Solidaires. De surcroît, et surtout, l’accord du 20 décembre 2012 ne proscrit pas ce type de communication, dès lors que les messages en cause seraient des messages individuels, qui ne contreviennent également pas à la charte d’usage du système informatique du groupe Pro BTP. 

Contrôle sur la proportionnalité de la sanction 

Sur la proportionnalité de la sanction, le grief retenu contre le délégué syndical ne présentait pas une gravité suffisante pour justifier une mise à pied. En conséquence, la mise à pied du salarié a été annulée.

Pour rappel, l’article L 1333-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Le motif d’une sanction doit être suffisamment explicité pour permettre au salarié d’apporter une contradiction utile aux allégations de son employeur, et au juge de vérifier la réalité des manquements reprochés.


COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 01 DECEMBRE 2022

N° 2022/

AL

Rôle N° RG 22/03719 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJA57

[R] [O]

C/

Association PROTECTION SOCIALE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBL ICS (PRO BTP)

Copie exécutoire délivrée

le : 01/12/22

à :

— Me Mireille DAMIANO, avocat au barreau de NICE

— Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 17 Février 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/00060.

APPELANT

Monsieur [R] [O], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Mireille DAMIANO, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

Association PROTECTION SOCIALE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBL ICS (PRO BTP), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

et Me Denis DEUR, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 , 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

Par contrat à durée indéterminée du 13 septembre 2004, M. [R] [O] a été embauché par l’association Pro BTP en qualité d’analyste programmeur. Elu au comité d’entreprise, pour y siéger du 1er décembre 2016 au 3 novembre 2019, il a ensuite été élu au comité social d’entreprise, son mandat débutant le 1er décembre 2019

Le 19 octobre 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 2 novembre 2020, à l’issue duquel il a reçu une mise à pied disciplinaire d’une durée d’une journée, par lettre recommandée du 1er décembre 2020.

Contestant le bien-fondé de cette sanction, M. [R] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse, par lettre reçue au greffe le 8 février 2021, à l’effet d’obtenir le paiement des sommes suivantes :

—  180,29 euros à titre de rappel de salaire, et 18,02 euros au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

—  3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

—  2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 17 février 2022, le conseil de prud’hommes de Grasse a rejeté ces demandes, et a condamné le demandeur à verser à l’association Pro BTP la somme de 200 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.

M. [O] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 11 mars 2022.

L’affaire a été fixée à l’audience du 13 octobre 2022, par application des articles 905 et suivants du code de procédure civile.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions régulièrement communiquées, l’appelant sollicite :

— l’annulation de la mise à pied qui lui a été infligée le 13 novembre 2020,

— le paiement des sommes suivantes :

—  180,29 euros à titre de rappel de salaire, et 18,02 euros au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

—  3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

—  2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ces prétentions, M. [R] [O] expose :

— que, dans la nuit du 1er au 2 octobre 2020, les Alpes Maritimes ont connu de fortes intempéries,

— que, le 1er octobre à 16h32,M. [W] [P], directeur du [Adresse 4], auquel il était affecté, a averti les salariés que ceux qui ne pourraient rejoindre leurs postes de travail le lendemain devaient prendre un jour de congé,

— que, le 2 octobre 2020, à 8h54, M. [P] a indiqué que les salariés qui souhaitaient travailler à distance étaient autorisés à le faire, et précisé que les autres salariés devraient prendre un jour de congé ou de récupération,

— qu’il a adressé au directeur du centre un courrier de réponse à ce message, dans lequel il s’étonnait du fait que les salariés qui ne pouvaient télétravailler soient contraints de prendre un jour de congé pour s’absenter,

— que ce courrier de réponse a été communiqué à l’ensemble des salariés du site, depuis l’adresse électronique mise à la disposition de son syndicat par l’employeur,

— que, si cette boîte aux lettres électronique est destinée à l’échange de messages individuels avec les salariés, en vertu d’un accord du 20 décembre 2012, cet accord n’interdit pas l’émission de messages collectifs,

— qu’il n’existait pas de moyen de communication avec l’ensemble des salariés,

— que la direction de l’association avait donné des directives confuses, dans un contexte de grande inquiétude liée aux événements climatiques du 2 octobre 2020,

— que l’urgence de la situation exigeait une communication rapide et générale,

— que l’opération de tractage du 6 octobre 2020, qui constitue le second grief élevé à son encontre dans la lettre de mise à pied, constitue une action syndicale, dont la teneur ne saurait donner lieu à une appréciation de l’employeur,

— qu’il était envisagé dans le tract litigieux que chaque salarié souhaitant travailler à distance adresse une demande en ce sens au directeur de l’établissement,

— qu’ainsi, la démarche envisagée n’était pas collective, mais individuelle,

— qu’elle était également conforme aux dispositions de l’article L 1222-11 du code du travail,

— qu’en outre, le fait qu’il ait été proposé aux salariés d’exprimer leurs revendications dans un courriel adressé à la boîte électronique du syndicat Solidaires, et non à la boîte électronique mise à la disposition de ce syndicat par l’employeur, répondait à un souci de confidentialité, et ne contrevenait pas aux règles de l’entreprise, aucune norme n’interdisant aux représentants du personnel d’utiliser exclusivement l’adresse mail mise à leur disposition par l’association,

— que les messages des salariés pouvaient être remis en main propre aux représentants du syndicat,

— qu’il ne disposait personnellement pas d’une adresse électronique correspondant aux mentions de l’accord du 20 décembre 2012,

— qu’un représentant du syndicat CFDT, qui a utilisé la messagerie de l’entreprise pour diffuser un courriel à l’ensemble du réseau commercial de Pro BTP, n’a reçu qu’un rappel à l’ordre pour ce motif, et non une mise à pied,

— que la mise à pied litigieuse est donc infondée et doit être annulée.

En réponse, l’association intimée conclut, dans ses écritures notifiées le 5 octobre 2022, à la confirmation du jugement entrepris et au rejet des prétentions adverses. Elle sollicite en outre la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.

L’association Pro BTP fait valoir :

— à titre liminaire, que ses conclusions du 5 octobre 2022 doivent être déclarées recevables,

— sur le caractère fautif du courriel du 2 octobre 2020,

— que ce courrier électronique contrevient tant aux règles de communication syndicale issues de l’accord du 20 décembre 2012, qu’à la charte d’usage du système électronique de l’association,

— en droit, que, selon l’accord du 20 décembre 2012, la boîte aux lettres électronique mise à la disposition de chaque organisation syndicale par l’association n’est destinée qu’à émettre et recevoir des messages individuels,

— en fait, que M. [O] a utilisé cette boîte aux lettres électronique pour communiquer avec l’ensemble des salariés du site,

— qu’en outre, la charte d’usage du système informatique de Pro BTP interdit la diffusion de messages en chaîne, et impose de limiter le volume des données échangées au strict nécessaire,

— sur le caractère fautif du tractage du 6 octobre 2020,

— que le tract distribué par le salarié invitait les salariés à adresser au directeur de l’établissement un courriel demandant la poursuite de l’activité en télétravail,

— qu’il incitait ainsi à méconnaître la charte d’usage du système informatique de Pro BTP,

— qu’en outre, il proposait aux salariés d’adresser un message sur la boîte aux lettres électronique du syndicat Solidaires, et non sur la boîte aux lettres électronique mise à la disposition de celle-ci par l’association, en violation de l’accord du 20 décembre 2012.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de relever que la recevabilité des écritures de l’association Pro BTP, notifiées le 5 octobre 2022, n’est pas contestée.

Sur les demandes principales

La mise à pied du 13 novembre 2020 est formulée comme suit :

‘Monsieur,

(…)

Le 2 octobre 2020 matin, vous m’avez adressé, en positionnant en copie l’ensemble des collaborateurs du CTN, un courriel en réponse à ma communication du même jour à l’égard des collaborateurs du Centre Technique National concernant les intempéries ‘pluies-inondations’ qui étaient annoncées sur la journée du 2 octobre.

Par ailleurs, le 6 octobre 2020, vous avez distribué un tract visant à promouvoir le télétravail au sein de notre établissement dans lequel vous :

— proposez plusieurs options d’action aux salariés dont la suite : ‘Envoi d’un mail de chaque salarié au directeur de l’établissement demandant la poursuite d’activité en télétravail’,

— et invitez les salariés à renvoyer leur réponse ‘soit à l’un de vos élus Solidaires, soit à l’adresse suivante : [Courriel 5]’.

Ces communications posent plusieurs problématiques et ce à différents égards.

1) Votre mail du 2 octobre 2020

Le 2 octobre 2020 à 8h54, j’ai adressé un mail à l’ensemble des collaborateurs du CTN par lequel, compte tenu du bulletin rouge émis par Météo France sur le département des Alpes Maritimeset de la demande préfectorale faite aux populations de rester chez elles, je les invitais à télé-travailler à leur domicile. J’ajoutais également que pour ceux qui ne peuvent télé-travailler, ‘la régularisation se fera ultérieurement par la prise d’un jour de congé ou RTT, ou récupération ou poste de convenances.’.

C’est alors que le 2 octobre à 10h48, vous m’avez adressé un mail en mettant en copie l’ensemble des collaborateurs de l’établissement.

Dans votre mail :

— vous revendiquez pour les salariés qui ne pouvaient être en télétravail (pas d’ordinateurs portables) et qui se sentiraient alors ‘discriminés’, ‘la possibilité de poser des ABJ en lieu et place des jours de congés, de RTT ou récupération ou convenances.’

— vous critiquez la politique de Pro BTP de ne pas avoir mis en place du télétravail de façon plus généralisée induisant que ce choix conduit à mettre en danger les salariés.

Je vous cite : ‘il va sans dire que si l’entreprise avait fait le choix raisonné de mettre en place le télétravail et d’équiper les salariés en conséquence, les différents risques (épidémie, épisode méditerranéens,…’ pourraient être gérés de la façon la plus responsable sans mettre en danger les salariés.’

Vous m’interpellez sur la communication contradictoire qu’il y a pu avoir dans certains services quant aux directives à tenir dans le cadre des intempéries et finissez en me donnant la directive suivante : ‘Il serait bon d’avoir une communication uniforme sur la conduite à tenir en cas d’alerte rouge.’

Le mail que vous m’avez adressé pose ainsi plusieurs problématiques :

D’une part, ce mail contrevient aux règles de communications syndicales prévues au sein de l’entreprise.

En effet, l’accord collectif Pro BTP du 20 décembre 2012 sur l’usage de l’Intranet – Lotus Notes par les Organisations syndicales ne donne pas la possibilité aux organisations syndicales de réaliser des messages et/ou publications syndicales par voie électronique.

Selon cet accord (Article 2) :

‘Pro BTP met à la disposition de chacune des organisations syndicales une boîte aux lettres électronique Lotus Notes à son nom.

(…) La boîte aux lettres électronique est destinée à gérer les messages individuels.

Elle permet aux salariés qui le souhaitant d’être en contact avec les organisations syndicales : à charge pour ces dernières de répondre, individuellement et exclusivement aux salariés qui le consultent.

(…) Le non-respect de ces règles peut entraîner la fermeture temporaire ou définitive de la boîte aux lettres électronique de l’Organisation syndicale concernée. La procédure de fermeture est précédée par la tenu d’un Comité de suivi tel que prévu à l’article 7 du présent accord.’

Les tracts syndicaux ne peuvent donc pas être diffusés par voie de mail.

De même, les affichages syndicaux, s’ils peuvent être diffusés sur le panneau d’affichage syndical mis à disposition par Pro BTP sur l’Intranet du CTN (article 1 de l’accord du 20/12/2012 précité), ne peuvent être diffusés par voie de mail.

A noter d’ailleurs que la mise à disposition de ce tableau d’affichage Intranet ne supprimer pas non plus l’obligation des organisations syndicales de communiquer à l’employeur, simultanément à leur publication, un exemplaire de ces communications.

Les modalités de votre communication syndicale va ainsi largement au-delà des modalités autorisées légalement et conventionnellement.

D’autre part, ce mail contrevient aux règles prévues par la Charte d’usgae du système informatique Pro BTP.

Selon cette charte en effet :

‘Ce compte de messagerie ou de réseau social d’entreprise doit être utilisé en respect de la législation en vigueur et des règles de sécurité fixées dans la présente charte. En particulier, la personne ne doit pas : (…) utiliser la messagerie à des fins de diffusion ou de propagation de textes, images ou messages en ‘chaîne’,

(…) En outre, chaque personne doit :

— limiter au strict nécessaire les destinataires des messages, (…)

— limiter le volume des données échangées au strict nécessaire’

Votre mail du 2 octobre 2020 ne respecte donc pas ces règles.

Enfin, votre mail comporte une part de déloyauté.

A cet égard, il me semble important de rappeler l’intégralité des événements intervenus;

Le 1er octobre 2020, dans le contexte des intempéries annoncées dans le sud de la France et de la perspective de la fermeture des écoles et crèches, j’avais adressé un mail à l’ensemble des collaborateurs du Centre Technique National, à 16h32, dans lequel j’indiquais que les personnes qui ne pourraient pas se rendre sur leur lieu de travail le 2 octobre se verraient positionner une journée de congés payés, JRTT ou récupération de crédit d’heures.

Comme vous le savez, deux collaborateurs de l’établissement ont répondu à ce mail de façon critique et/ou ironique en m’interpellant sur la politique de l’entreprise quant au télétravail et ce, en mettant en copie l’ensemble des collaborateurs de l’établissement.

Le premier salarié a adressé ses deux mails le 1er octobre en soirée.

Le second salarié a adressé son mail le 2 octobre matin (à 8h27).

La vigilance météo étant passée au Rouge, et les consignes du Préfet ayant évolué, c’est dans ce contexte que j’ai adressé aux salariés de l’établissement, le mail évoqué ci-dessus du 2 octobre 2020 (à 8h54), dans lequel j’invitais les salariés en capacité de télé-travailler à le faire, et indiquais que pour les autres, ils se verraient positionnés une journée de congés payés, JRTT, récupération de crédits d’heures ou une convenance.

Mon second mail du 2 octobre a donc été adressé après que les deux salariés précités aient répondu à mon premier mail du 1er octobre.

Néanmoins, le 2 octobre à 10h48, vous m’avez adressé votre mail et ce, en mettant en copie l’ensemble des collaborateurs de l’établissement.

Compte tenu de l’antériorité des faits et des précédents messages réalisés, vous ne pouviez pas ignorer les conséquences que pouvait potentiellement provoquer vos propos sur les autres salariés de l’établissement.

Votre mail constituait ainsi une incitation des salariés à réaliser de nouveaux mails auprès de la Direction en continuant à mettre en copie l’ensemble des salariés de l’établissement.

Ce faisant, vous avez aussi instrumentalisé la situation afin de servir votre cause en ne vous souciant aucunement des conséquences potentiellement préjudiciables pour le climat social et le bon fonctionnement de l’entreprise, et ce en détournant l’usage des moyens mis à votre disposition en qualité de syndicat pour communiquer auprès de l’employeur et des salariés.

Votre comportement n’est pas acceptable ni en votre qualité de délégué syndical ni en votre qualité de salarié de Pro BTP.

2) Le tractage du 6 octobre 2020

Le 6 octobre 2020, vous-même, ainsi que certaines autres personnes de votre syndicat, distribuiez un tract aux salariés à l’entrée du parking du Parc [Localité 6].

Votre tract envisageait plusieurs options d’actions en revendication de la poursuite de l’activité en télétravail comme c’était le cas pendant le confinement de mars dernier.

Parmi les options d’actions offertes, figurait celle consistant à ce que tous les collaborateurs de l’établissement m’adressent un mail en ‘demandant la poursuite d’activité en télétravail’.

Comme précédemment évoqué, il ressort de la charte d’usage du système d’information Pro BTP que :

‘Ce compte de messagerie ou de réseau social d’entreprise doit être utilisé en respect de la législation en vigueur et des règles de sécurité fixées dans la présente charte. En particulier, la personne ne doit pas : (…) utiliser la messagerie à des fins de diffusion ou de propagation de textes, images ou messages en ‘chaîne’,

(…) En outre, chaque personne doit :

— limiter au strict nécessaire les destinataires des messages, (…)

— limiter le volume des données échangées au strict nécessaire’

Votre action vise ainsi à contrevenir à ces dispositions.

Au-delà, il ne s’agit pas non plus d’un mode autorisé pour réaliser une revendication collective auprès de l’employeur ni légalement ni conventionnellement.

Par ailleurs, dans le tract que vous avez diffusé, vous donnez pour indication aux salariés de retourner leur choix d’action via :

— soit à l’adresse mail suivante : [Courriel 5].

— soit directement aux adresses mails professionnelles des ‘élus Solidaires’ que vous vous nommez.

Or, si l’accord Pro BTP du 20/12/2012 relatif à l’usage d’intranet – Lotus Notes permet aux salariés de disposer d’une adresse mail, il s’agit d’une adresse mail Pro BTP et encadrée, à savoir :

‘Pro BTP met à la disposition de chaque Délégué Syndical et de chaque Représentant de section syndicales une adresse Lotus Notes sous la forme [Courriel 7].’ (Article 4)

(…) Les organisations syndicales indiquent à la Direction des Ressources humaines le nom de quatre administrateurs chargés de consulter la boîte aux lettres électronique et de répondre aux messages des salariés en leur nom et responsabilité (article 2).

Or, l’adresse mail que vous invitez les salariés à utiliser est une adresse extérieure à Pro BTP.

Et, à nouveau, le mode de communication entre les salariés et les syndicats par voie de mail est limité puisque comme évoqué précédemment, selon l’accord du 20 novembre 2012 précité :

‘Pro BTP met à la disposition de chacune des organisations syndicales une boîte aux lettres électronique Lotus Notes à son nom.

(…) La boîte aux lettres électronique est destinée à gérer les messages individuels.

Elle permet aux salariés qui le souhaitant d’être en contact avec les organisations syndicales : à charge pour ces dernières de répondre, individuellement et exclusivement aux salariés qui le consultent.

(…) Le non-respect de ces règles peut entraîner la fermeture temporaire ou définitive de la boîte aux lettres électronique de l’Organisation syndicale concernée. La procédure de fermeture est précédée par la tenue d’un Comité de suivi tel que prévu à l’article 7 du présent accord.’

En résumé, votre comportement contrevient à plusieurs règles en vigueur dans l’entreprise et constitue également une violation de votre obligation de loyauté.

Il est susceptible de nuire au bon fonctionnement de l’entreprise.

En cela, il n’est pas acceptable.

C’est dans ce contexte que par courrier du 19 octobre 2020 remis en main propre contre décharge, je vous ai convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction, prévu le 2 novembre 2020.

L’entretien du 19 novembre 2020 ne m’a pas permis de modifier mon appréciation des faits.

En effet, lors de cet entretien et pour vous justifier, vous avez mis en avant plusieurs arguments, notamment :

— Vous avez à nouveau souligné les circonstances et l’hétérogénéité des consignes données par l’encadrement concernant la journée du 2 octobre ;

— Vous avez évoqué le fait que ce jour-là, l’alternative était pour vous soit de lever un droit d’alerte (pour danger grave et imminent) soit de réaliser cette communication généralisée que vous avez jugé pertinente ;

— Concernant les griefs que j’ai évoqués avec vous visant votre tract du 6 novembre 2020, vous avez tout simplement indiqué que vous n’étiez pas d’accord avec notre analyse des faits.

J’ai de mon côté souligné auprès de vous que :

— L’hétérogénéité éventuelle des consignes que vous décriviez ne justifiait pas vos actions qui contreviennent aux règles internes de l’entreprise ;

— Que la situation ne présentait aucunement le caractère de danger grave et imminent ;

— Et que vous aviez la possibilité de me saisir en seul destinataire, sans prendre à témoin tous les salariés des trois sites.

En tout état de cause, votre attitude et les propos que vous avez tenus lors de l’entretien du 2 novembre démontrent que vous n’avez pas pris la mesure des faits et que vous ne faites preuve d’aucune remise en question.

C’est pourquoi suite à cette procédure et compte tenu des faits, je vous notifie, par la présente, une mise à pied disciplinaire d’une journée, positionnée le mardi 1er décembre 2020.

(…)’.

L’article L 1333-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Le motif d’une sanction doit être suffisamment explicité pour permettre au salarié d’apporter une contradiction utile aux allégations de son employeur, et au juge de vérifier la réalité des manquements reprochés.

En l’espèce, deux griefs ont été énoncés à l’encontre de M. [R] [O] dans la lettre de mise à pied du 13 novembre 2020 :

— d’une part, l’envoi d’un courriel à l’ensemble des salariés du site de [Localité 3], le 2 octobre 2020, en violation des règles de communication syndicales édictées par l’accord du 20 novembre 2012, et de la charte d’usage du système informatique de Pro BTP,

— d’autre part, la distribution d’un tract, le 6 octobre 2020, incitant les salariés à contrevenir aux mêmes règles.

Sur le premier grief, l’accord d’entreprise du 20 décembre 2012 (pièce 15 de l’employeur) stipule, en son article 2, que :

‘Pro BTP met à la disposition de chacune des organisations syndicales représentatives une boîte aux lettres électronique Lotus Notes à son nom.

(…) La boîte aux lettres électronique est destinée à gérer les messages individuels. Elle permet aux salariés qui le souhaitant d’être en contact avec les organisations syndicales : à charge pour ces dernières de répondre, individuellement et exclusivement aux salariés qui les consultent.

(…) Le non-respect de ces règles peut entraîner la fermeture temporaire ou définitive de la boîte aux lettres électronique de l’Organisation syndicale concernée. La procédure de fermeture est précédée par la tenu d’un Comité de suivi tel que prévu à l’article 7 du présent accord.’

L’association intimée soutient que cette stipulation interdit aux organisations syndicales de communiquer par voie de courrier électronique. Toutefois, cette restriction ne porte que sur la boîte aux lettres électronique mise à la disposition des organisations syndicales par l’employeur. En l’espèce, M. [O] a émis son courriel du 2 octobre 2020 depuis sa boîte aux lettres électronique professionnelle et non depuis celle de son syndicat.

En revanche, la charte d’usage du système informatique du groupe Pro BTP (pièce 23 de l’employeur) dispose que la personne qui utilise la messagerie de l’entreprise ‘ne doit pas (…) utiliser la messagerie à des fins de diffusion ou de propagation de textes, images ou message en ‘chaîne ». M. [O], qui a adressé un message à l’ensemble des salariés du site de [Localité 3], a ainsi méconnu cette disposition. Par suite, le premier grief énoncé dans la lettre de licenciement est caractérisé.

Sur le second grief, le tract du 6 octobre 2020 (pièce 14 de l’employeur) mentionne : ‘nous vous soumettons donc le questionnaire ci-dessous. Vous pouvez le renvoyer avant mercredi soir : soit à l’un de vos élus Solidaires, soit à l’adresse suivante : [Courriel 5].’. En outre, elle contient également la proposition d’action suivante : ‘envoi d’un mail de chaque salarié au directeur de l’établissement demandant la poursuite d’activité en télétravail’. L’association Pro BTP affirme que ces deux mentions du tract contreviennent aux règles de communication syndicales et à la charte d’usage de son système informatique. Toutefois, sur la première partie du tract, il n’est pas établi qu’une boîte aux lettres électronique ait été mise à la disposition du syndicat Solidaires. De surcroît, et surtout, l’accord du 20 décembre 2012 ne proscrit pas ce type de communication, dès lors que les messages en cause seraient des messages individuels, qui ne contreviennent également pas à la charte d’usage du système informatique du groupe Pro BTP. La seconde mention critiquée par l’employeur n’est également pas fautive, dès lors que, premièrement, elle n’évoque qu’une proposition d’action, deuxièmement, elle ne porte que sur l’envoi d’un message individuel, adressé par chaque salarié concerné au directeur de l’établissement, de sorte que les messages éventuellement expédiés ne méconnaîtraient ni l’accord du 20 décembre 2012, ni la charte d’usage sus-évoquée. Pour le surplus, le fait que ce tract soit entaché de déloyauté n’est pas démontré, la proposition d’action n’ayant pas pour objet d’entraver le bon fonctionnement de l’association.

Du tout, il résulte que seul le premier grief énoncé dans la lettre de mise à pied est caractérisé, en ce que le courriel émis par M. [O] le 2 octobre 2020 a été diffusé à l’ensemble des salariés du site de [Localité 3] en violation de la charte d’usage du système informatique du groupe Pro BTP. Ce grief ne présente pas à lui la gravité suffisante pour justifier une mise à pied. En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé, et la mise à pied litigieuse sera annulée.

Subséquemment, l’association Pro BTP sera condamnée à verser à M. [R] [O] la somme de 180,29 euros à titre de rappel de salaire, et celle de 18,02 euros au titre de l’indemnité de congés payés correspondante. En revanche, le salarié ne démontre pas avoir subi un préjudice excédant le montant du salaire dont il a été privé. Dès lors, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour sanction abusive.

Sur les frais du procès

L’association Pro BTP, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et de la procédure d’appel. Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de M. [R] [O] les frais irrépétibles exposés en la cause. La somme de 2 000 euros lui sera allouée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, en matière prud’homale,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour sanction abusive présentée par M. [R] [O],

Et, statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

Annule la mise à pied disciplinaire notifiée à M. [R] [O] le 13 novembre 2020,

Condamne l’association Pro BTP à verser à M. [R] [O] les sommes suivantes :

—  180,29 euros à titre de rappel de salaire,

—  18,02 euros au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

Condamne l’association Pro BTP aux dépens de première instance et de la procédure d’appel,

Condamne l’association Pro BTP à verser à M. [R] [O] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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