En matière de contrefaçon de marque vraisemblable, saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut ordonner les mesures demandées par la victime (provision, interdiction etc) si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.
Affaire SOS médecins c/ Urgence docteur
La société anonyme SOS médecins exploite une activité d’urgence médicale et de soins.
Elle est titulaire de la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 déposée le 17 septembre 1980 et renouvelée depuis pour désigner, notamment, des services de communications téléphoniques, transmission de messages et notamment communications par réseaux télématiques ou par radio en vue de soins à apporter aux malades ou aux accidentés par ambulance et hospitalisation, de services médicaux et paramédicaux, consultations, surveillance et soins aux malades, fourniture de moyens propres à la création et à l’exploitation rationnelle de centres de soins médicaux et paramédicaux.
La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Urgence docteurs exploite une plate-forme de rendez-vous à toute heure à l’adresse.
Arguant de la renommée de sa marque et reprochant à la SAS Urgence docteurs l’usage des signes “sos médecin” ou “médecin sos” pour le référencement de son site internet, la SA SOS médecins l’a mise en demeure d’en cesser l’usage, la SAS Urgence docteurs ayant répondu s’y conformer.
Action en contrefaçon de marque en référé
Par acte de commissaire de justice du 13 septembre 2023, la SA SOS médecins a fait assigner avec succès la SAS Urgence docteurs à l’audience du 19 décembre 2022 du juge des référés en interdiction, paiement de dommages-intérêts provisionnels et communication d’information.
Le principe de la contrefaçon de marque
L’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose qu’est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée;
2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.
Selon l’article L.716-4 du même code, l’atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2 à L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l’article L.713-4.
En application de l’article L.716-4-6 du même code, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. (…)
Efficacité du référé
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente (…).
Le caractère vraisemblable de l’atteinte
Le caractère vraisemblable de l’atteinte alléguée dépend, d’une part, de l’apparente validité du titre sur lequel se fonde l’action et, d’autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée.
Le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à l’usage dans la vie des affaires d’un signe identique à sa marque que lorsque cet usage porte atteinte ou risque de porter atteinte à une des fonctions essentielles de sa marque, en particulier à sa fonction essentielle, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (en ce sens, interprétant les dispositions équivalentes de la directive 89/104/CEE rapprochant les législations des États membres sur les marques, CJCE, arrêt du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, point 40).
La CJUE a dit pour droit que les articles 5, § 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont les dispositions précitées assurent la transposition, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot-clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (CJUE, arrêt 23 mars 2010, Google France et Google, C-236/08).
La Cour de justice précise à cet effet qu’il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction d’indication d’origine telle qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque, c’est à dire de déterminer si l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui ci ou, au contraire, d’un tiers (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 18 octobre 2023, n°20-20.055).
Un signe est identique à une marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant cette marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen (en ce sens Tribunal de l’Union européenne, 20 février 2013, Langguth Erben c/ OHMI, T-378/11, points 27, 39-41 et la jurisprudence citée).
Application pratique
Au cas présent, la vraisemblance de validité de la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 n’est pas critiquée.
L’usage par la SAS Urgence docteurs du signe “médecin SOS” en tant que mot clés de référencement sur internet résulte du procès-verbal d’huissier du 13 juillet 2023 versé aux débats par la SA SOS médecins. Ce mot-clé est apparent sur les résultats du moteur de recherche Google, est mentionné en premiers mots de ce résultat et figure en caractères bleus d’une taille supérieure à l’adresse à laquelle le lien renvoie, en sorte que l’internaute moyen associera les services visés par l’annonce à la SA SOS médecins.
Ce signe est identique à la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 dans la mesure où, d’une part, l’inversion des éléments verbaux “sos” et “médecins” n’en altère pas le sens et est indifférent pour tout moteur de recherche sur internet dont les résultats sont identiques quelque soit l’ordre des mots insérés dans la barre de recherche et, d’autre part, la suppression des points entre les lettres n’en modifie pas plus le sens et est difficilement décelable à première vue, en sorte que les différences entre le signe critiqué et la marque invoquée sont si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur moyen de services médicaux en ligne.
Les services visés consistent pour la SAS Urgence docteurs en des prises de rendez-vous médicaux en ligne et de télé-consultations médicales.
Les services visés à l’enregistrement de la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 incluent la transmission de messages, la communication par réseaux télématiques, les services médicaux et les consultations.
Les services en cause sont, de ce fait, également identiques.
Dès lors, la circonstance que la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 soit renommée ou que la SA SOS médecins ait subi des atteintes antérieures de la même société est indifférente, compte tenu que la vraisemblance de la contrefaçon alléguée est constituée et que les demandes relèvent des mesures provisoires.
Quelles sont les mesures provisoires que l’on peut obtenir ?
En application de l’article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, la juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux (…).
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l’existence de son préjudice n’est pas sérieusement contestable.
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées.
Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l’engagement d’une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République.
A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés.
En l’espèce, l’atteinte à la fonction d’origine de la marque verbale française “s.o.s. médecins” n°1658439 dont la SA SOS médecins est titulaire par la SAS Urgence docteurs justifie le prononcé d’une mesure d’interdiction d’usage du signe critiqué, à savoir “sos médecin” ou “médecin sos” au singulier ou au pluriel, sous astreinte dans les termes du dispositif.
Elle justifie, également, la condamnation de la SAS Urgence docteurs au paiement d’une indemnité provisionnelle de 10 000 euros, en considération du préjudice, à tout le moins moral, résultant de la vraisemblance de la contrefaçon.
Compte tenu que la SAS Urgence docteurs a reconnu par courriel du 15 février 2019 avoir précédemment utilisé la mention “sos médecins” pour référencer son site sur internet, sa demande de communication des factures du prestataire de service de référencement et du moteur de recherche sur internet incluant les signes litigieux au cours des cinq ans précédent la date de son assignation est également justifiée et a été ordonnée.