Rupture abusive du Contrat d’exposition d’oeuvre d’art

Notez ce point juridique

En cas de rupture tardive et donc abusive du contrat d’exposition de ses oeuvres, l’artiste s’expose à une condamnation pour pertes de chance de commissionnement de son Galeriste découlant de la rupture des relations contractuelle.

La responsabilité de l’artiste

Dans cette affaire, le tribunal a retenu que la galerie avait subi du fait de l’annulation de l’exposition un préjudice financier correspondant au montant de la commission qu’elle aurait perçue sur la vente des deux toiles qui lui avaient été réservées par une acheteuse, soit 14 000 euros, et à l’indemnisation de la perte de chance, évaluée à 30 % de leur prix de vente affiché, de percevoir ses commissions sur la vente des autres oeuvres exposées.

Le préjudice du Galeriste

Il lui a également alloué la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la rupture brutale d’une relation contractuelle qui la liait avec l’artiste depuis cinq ans, à un mois de l’exposition de ses oeuvres, alors qu’ils entretenaient des liens étroits s’apparentant à de l’amitié.

Il a en revanche écarté la demande de remboursement des frais annexes qui auraient été engagés pour l’exposition, faute de preuve de l’affectation à cette exposition des dépenses invoquées, ainsi que la demande de réparation du préjudice qu’aurait entraîné la rupture en désorganisant les relations de clientèle de la galerie, faute de démonstration dudit préjudice.

Contexte de l’affaire

M. [M] [I], artiste peintre né en 1982 travaillant par séries à partir de photographies personnelles retouchées numériquement, et la société à responsabilité limitée [6]- ci après ‘[5]’-, spécialisée dans la découverte d’artistes contemporains émergents, ont signé le 22 janvier 2013, ‘ pour la durée du partenariat entre eux’, un contrat dit de ‘ mise en dépôt d’oeuvres d’art’, sur la base duquel ils ont collaboré jusqu’au 21 décembre 2017, date à laquelle M. [I] a adressé à la [5] un courrier recommandé avec accusé de réception l’informant de ce qu’il ne souhaitait plus qu’elle réalise l’exposition personnelle de ses oeuvres prévue pour janvier 2018 et qu’il entendait rompre leur collaboration et récupérer l’ensemble de ses toiles.

La [5] lui ayant refusé cette restitution, celle-ci a été ordonnée le 5 avril 2018 par ordonnance réputée contradictoire dans le cadre de la procédure de référé d’heure à heure initiée à cette fin par M. [I].

Considérant fautive et brutale la rupture de leur collaboration intervenue dans de telles conditions, la [5], par acte en date du 26 octobre 2018, a fait assigner avec succès M.[I] devant le tribunal de grande instance de Paris – aujourd’hui tribunal judiciaire – aux fins d’obtenir l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis de ce fait.

Ayant qualifié le contrat, analysé comme une mise en dépôt accessoire à un contrat de vente, de mandat d’intérêt commun à durée indéterminée, qui ne pouvait être révoqué sans un préavis raisonnable, le tribunal a décidé qu’il avait été fautivement rompu sans préavis par M. [I] faute pour lui de rapporter la preuve d’un motif légitime, les manquements graves tenant aux retards de paiement, aux fermetures intempestives et au manque de professionnalisme allégués à l’encontre de la galerie n’ayant jamais été formulés en presque cinq ans de relations et n’étant pas suffisamment justifiés, son affirmation selon laquelle la [5] avait voulu annuler son exposition de janvier 2018 étant démentie par les pièces produites et le refus de restitution des toiles ne pouvant non plus avoir motivé la rupture puisqu’il était postérieur à celle-ci.

La qualification du contrat de dépôt d’oeuvre d’art

Selon l’article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Le document qui fixe la relation contractuelle entre la [5], dénommée- ‘ le galeriste’, et M.[I], dénommé’l’artiste’, en date du 22 janvier 2013, intitulé ‘contrat de mise en dépôt d’oeuvres d’art’, comporte les brèves dispositions suivantes :

1/ Objet

L’artiste place en dépôt ce jour les oeuvres d’art dont la liste est annexée au contrat. Cette liste est accompagnée de leur description sommaire …et éventuellement d’une reproduction en miniature.

Ce dépôt est effectué aux mains du galeriste, qui l’accepte, afin que ce dernier le mette en vente auprès de la clientèle de sa galerie. Il s’engage à mettre ces oeuvres en valeur du mieux qu’il peut dans le respect des contraintes liées au bon fonctionnement de sa galerie.

2/ Durée de la mise en dépôt

La présente mise en dépôt est consentie pour la durée du partenariat entre l’artiste et le galeriste à dater de janvier 2013 . Les oeuvres déposées iront ensuite alimenter le stock de la galerie et ce durant tout le partenariat entre l’artiste et le galeriste. A la fin du contrat…, la restitution des oeuvres aura lieu….

3/ Assurance

Le galeriste déclare être titulaire d’une police d’assurance …et s’engage en outre à assurer les oeuvres à ses frais pour la valeur indiquée à l’annexe jointe pour toute la durée de la mise en dépôt…

4/ Prix de vente

Les prix seron indiqués sur la liste annexe . Ces prix mentionneront le prix de vente au public et la valeur nette revenant à l’artiste . Le règlement s’effectuera dès la réception du paiement dans son intégralité chez la galeriste.

5/ Restitution

A la fin de la période de mise en dépôt, les oeuvres qui n’auront pas été vendues seront restituées par le galeriste à l’artiste et feront l’objet d’un contrat de remise en mains propres.’

L’annexe jointe à ce contrat, intitulée ‘état descriptif et estimatif des oeuvres d’art présentes à la [5] Anouk exposition et/ ou en stock’, ne mentionne qu’une oeuvre de M. [I], nommée et très sommairement décrite ‘Arin, huile sur toile 97 x 146 cm, 2013 “, suivie quant à l’indication de sa valeur de la mention ‘ video d’un total de vente de 3800 E, assurée 1900 E’.

L’intitulé du nom des parties, la mention de la mission de mise en valeur de l’oeuvre du galeriste à l’alinéa 2 de l’article 1, l’existence du paragraphe 4 relatif au prix de vente et la précision, au paragraphe 5, que seront restituées en fin de contrat ‘les oeuvres qui n’auront pas été vendues’, traduit le fait qu’en dépit de la qualification de ‘contrat de dépôt d’oeuvres d’art’ donnée par les parties, la [5] et M. [I] ont entendu se lier au delà du mandat de dépôt simple par lequel M. [I] confiait ses oeuvres à la galerie, celle-ci étant pour sa part mandatée pour les vendre, moyennant une commission que cet écrit ne fixe pas mais dont le montant de 50% effectivement appliqué sur chaque vente réalisée, n’ a jamais fait l’objet d’aucune contestation dans le cours de la relation ni d’ailleurs après sa rupture.

La galerie était en outre missionnée pour assurer la promotion des oeuvres, et les pièces versées aux débats justifient de son activité de placement des toiles produites et déposées par M. [I] tant en expositions qu’auprès de collectionnneurs, le fil des messages échangés entre M. [I] et Mme [D], gérante de la galerie, établissant l’existence d’échanges relatifs à la production de l’artiste, portant sur le choix des sujets, sur l’évolution des toiles en cours de production et sur la dénominationn à donner à chacune.

Ainsi, en dépit du caractère imprécis et elliptique de ces dispositions, la commune intention des parties a été de se lier par un contrat de dépôt d’oeuvres d’art en galerie en vue de leur vente, ce qui n’est pas contesté.

Le contrat présente une communauté d’intérêts en ce qu’il permet la reconnaissance de l’artiste et la valorisation de son oeuvre que s’efforce d’obtenir la galerie d’art et qui bénéficient communément aux deux parties.

L’intérêt commun d’un tel contrat ne réside pas dans le développement d’une clientèle commune comme en matière de contrat d’agent commercial, mais dans le rayonnement de l’oeuvre de l’artiste à l’essor duquel tant ce dernier que la galerie d’art ont intérêt.

Le contrat conclu entre les parties a donc été qualifié de mandat d’intérêt commun.

Le contrat consistant en un mandat d’intérêt commun et étant à durée indéterminée pouvait être rompu unilatéralement par M. [I] moyennant le respect d’un préavis raisonnable, sauf à établir des circonstances rendant impossible le maintien du contrat et justifiant sa rupture sans préavis.

La rupture est ainsi exclusivement fondée sur le refus de la [5] de fixer précisément par écrit les conditions de ses relations avec M. [I], alors que s’il avait des motifs de les trouver imparfaites, pour autant il ne justifie ni même ne prétend les avoir critiquées pendant les cinq années au cours desquels il évoque lui même un fonctionnement reposant sur l’existence d’un lien réciproque de confiance.

Dans ces conditions, l’absence de contrat écrit plus précis, dont il n’est pas justifié une demande antérieure de la part de M. [I] qui s’en est accomodé durant plusieurs années, n’était pas de nature à rendre impossible le maintien de la relation contractuelle et à justifier la rupture sans préavis de celle-ci.

Intervenue à un mois d’une manifestation annoncée en juillet, en octobre et finalement encore le 20 décembre 2017 à certains collectionneurs clients de la galerie, alors qu’en dépit des ‘ hésitations et revirements’allégués par M.[I], la tenue de l’exposition entre le 27 janvier et le 28 février 2018, était certaine, comme le confirment les témoins du déjeuner du 17 décembre 2017 au cours duquel Mme [D] a cherché à convaincre l’artiste de la maintenir, et sans que le projet d’organisation d’une autre exposition demandé mi décembre par la galerie à M. [Y] pour la même période n’ait d’autre objectif que de préparer dans l’urgence une alternative au retrait dont M.[I] menaçait la galerie, la rupture immédiate du contrat avec reprise sous un mois de l’ensemble des tableaux déposés à la [5], peints pour la plupart dans la perspective de l’exposition dans laquelle tous devaient figurer, est abusive et constitue de sa part de M. [I] une faute contractuelle en confirmation de la décision dont appel.

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