N° RG 21/00593 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NLVJ
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de lyon
Au fond
du 06 janvier 2021
RG : 17/07960
ch9 cab09G
S.A.S. HOMNIA NOTAIRES
C/
[P]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 07 Février 2023
APPELANTE :
SAS Homnia notaires Jean-Pierre PROHASZKA, Lionel MONJEAUD, Cedric PRETET, Benjamin DUMONTET, Marion PIERSON, Elodie COCHE, Jean-Francois NOTAIRES ASSOCIES, venant aux droits de SCP PROHASZKA MONJEAUD PRETET DUMONTET PIERSON LEMINEUR
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654
INTIME :
M. [W] [Z] [P]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 16 Décembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Novembre 2022
Date de mise à disposition : 07 Février 2023
Audience tenue par Stéphanie LEMOINE, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Sandra BOUSSARIE, greffier
A l’audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Olivier GOURSAUD, président
– Stéphanie LEMOINE, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique reçu le 20 juillet 2006 par M. [H], notaire associé de la SCP Guerin-Dumontet-[H]-Prohaszka-Monjeaud-Pretet, M. [P] a fait l’acquisition, auprès des époux [C], d’un bien immobilier situé, [Adresse 3], à [Localité 6], constituant le lot n° 18, d’une superficie de 15, 97 m2, moyennant le prix de 32 500 euros.
L’acquéreur a contracté un prêt de 44 700 euros pour financer l’acquisition et les travaux d’aménagement.
Le 1er juillet 2011, ce bien a fait l’objet d’un contrat de bail avec Mme [E], moyennant un loyer mensuel de 500 euros.
Le 21 janvier 2016, un arrêté préfectoral a déclaré le logement, qui est situé à l’entresol de l’immeuble, insalubre à titre irrémédiable, et l’a frappé d’une interdiction d’habiter, en raison
de sa non-conformité aux règles prescrites par le décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent et au règlement sanitaire départemental du Rhône du 10 avril
1980.
L’état du logement a été considéré comme dangereux pour la santé des personnes qui l’occupent, en raison d’une hauteur insuffisante de la pièce principale, d’une absence de ventilation permanente, d’une humidité de condensation avec des développements de moisissures et une absence de garde-corps devant les ouvrants. Il a été fait état de l’impossibilité technique d’exécuter les travaux pour remédier à l’insalubrité.
Considérant que l’acte de vente du 20 juillet 2006 ne faisait pas référence à l’obligation de respecter les prescriptions au règlement sanitaire départemental précité et que le notaire ne l’avait pas informé de cette réglementation, qui était en vigueur au moment où il a instrumenté l’acte, M. [P] a adressé deux courriers recommandés avec demande d’avis de réception, les 27 juillet 2016 et 10 octobre 2016, à la société de notaires, aux fins d’obtenir amiablement la prise en charge par l’étude, de l’indemnisation du préjudice subi.
Par courrier en réponse du 7 février 2017, adressé au conseil de M. [P], la compagnie d’assurances MMA , assureur de la SCP de notaires, a considéré que la responsabilité du notaire
assuré n’était pas engagée, au motif que M. [P] ne pouvait ignorer la réglementation sur les logements indécents, qui était visée dans le compromis de vente, la hauteur sous plafond de 2,20 mètres étant également précisée. Elle a mentionné également le fait que M. [H] n’avait ni participé à la négociation de la vente, ni à la visite du bien et que M. [P] était un professionnel de l’immobilier.
Aucune issue amiable n’ayant pu aboutir, par exploit d’huissier de justice du 29 juin 2017, M. [P] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lyon, la société de notaires pour obtenir réparation de son préjudice.
Par jugement du 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire, a:
– déclaré recevable l’action de M. [P],
– condamné la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à verser à M. [P], la somme de 30 875 € en réparation de son préjudice matériel,
– condamné la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à verser à M. [P], la somme de 2 000 € en réparation de son préjudice moral,
– condamné la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à verser à M. [P], la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à supporter les entiers dépens de l’instance
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 25 janvier 2021, la société Homnia notaires, venant aux droits de la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur a relevé appel du jugement.
Moyens
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la prescription de l’action
La société Homnia soutient que l’action en responsabilité exercée par voie d’assignation du 29 juin 2017, soit plus de dix ans après la vente, qui a eu lieu le 20 juillet 2006, est prescrite. Elle fait valoir que l’action en nullité de la vente, qui doit être exercée dans un délai de dix ans, est prescrite, de sorte que l’action en responsabilité qui se prescrit dans un délai de 5 ans, est a fortiori prescrite.
Par ailleurs, elle fait valoir qu’il ne peut être retenu que le point de départ du délai de prescription est le 21 janvier 2016, date du courrier du préfet du Rhône informant M. [P] que le bien était frappé d’une interdiction d’habiter, alors que les dispositions sur le logement décent figuraient dans le compromis de vente, auquel l’acte de vente renvoie.
Elle ajoute que seule une visite sur place aurait pu permettre de vérifier la hauteur sous plafond et qu’en tout état de cause, l’arrêté du préfet ne concerne pas que cette cause.
M. [P] fait valoir que le délai de prescription de l’action en responsabilité exercée contre le notaire, court à compter du jour où le titulaire de l’action a connu les faits permettant de l’exercer, et non pas le jour de la vente, soit à compter de l’arrêté préfectoral du 21 janvier 2016.
Réponse de la cour
C’est à juste titre que les premiers juges, qui ont rappelé qu’en vertu de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ont retenu qu’en l’espèce, c’est à compter du courrier du Préfet du Rhône du 21 janvier 2016 que M. [P] a été informé de l’insalubrité à titre irrémédiable de son logement, pour en déduire que l’action en responsabilité exercée contre la société Homnia, exercée le 29 juin 2017, n’était pas prescrite.
Il est ajouté que s’il existe une mention, dans le compromis de vente, sur la notion de logement décent et les exigences de la loi à cet égard, d’une part, celle-ci n’est pas reprise dans l’acte authentique, et d’autre part, celle-ci se borne à indiquer que si le logement ne respecte pas les conditions exigées par la loi, ‘le locataire pourra demander la mise en conformité du logement ou la révision du loyer auprès du tribunal d’instance’, sans faire référence au risque d’insalubrité à titre irrémédiable du logement.
Ainsi, il n’est pas établi que M. [P] avait connaissance du fait que la hauteur sous plafond insuffisante de son logement entraînait son insalubrité à titre irrémédiable, avant que le préfet du Rhône ne l’en informe, le 21 janvier 2016.
Confirmant le jugement, il y a lieu de déclarer l’action de M. [P] recevable.
2. Sur la faute du notaire
La société Homnia fait valoir que le compromis mentionnait que la hauteur sous plafond devait être d’au moins 2,20 m, alors qu’elle était de 1,90 m. Elle ajoute qu’il était rappelé dans l’acte authentique que le bien n’était pas insalubre et ne faisait l’objet d’aucune interdiction d’habiter. Il explique qu’il n’a pas à se rendre sur place et ne dispose pas d’éléments sur la hauteur du logement si les parties ne l’informent pas, surtout qu’il était déjà à usage d’habitation.
Elle ajoute que l’acquéreur était un professionnel de l’immobilier et qu’en tout état de cause, la situation de 2016, à la date de l’arrêté, ne peut être comparée à celle de 2006, date de la vente, de sorte qu’il ne peut être reproché au notaire des questions d’insalubrité (ventilation, humidité) et de sécurité (garde-corps), qui caractérisent un entretien défaillant.
Enfin, elle indique que M. [P] reconnaît dans un courrier adressé à la préfecture, que l’aspect relatif à la hauteur du logement peut être régularisé.
M. [P] fait valoir que le notaire n’a pas rempli son obligation d’information et de conseil relativement aux normes applicables et leurs conséquences, mais également sur l’impossibilité de louer ce logement.
Il ajoute que sa qualité de gérant d’une société inscrite dans le secteur de l’immobilier, n’a pas d’incidence sur le devoir d’information du notaire.
Réponse de la cour
C’est à juste titre que les premiers juges ont rappelé qu’en application de l’article 1240 du code civil, le notaire a l’obligation de conseiller les parties et d’assurer l’efficacité et la sécurité des actes qu’il instrumente, en éclairant l’acquéreur sur sa portée, ses effets et ses risques, pour en déduire qu’il a commis une faute en ne rectifiant pas, dans l’acte authentique qu’il avait pour mission d’instrumenter, la définition erronée du logement décent donnée dans le compromis de vente, celui-ci mentionnant qu’une hauteur sous plafond minimale de 2,20 mètre était exigée, alors que le règlement sanitaire départemental du Rhône exige une hauteur sous plafond minimale de 2,30 mètres.
Il est ajouté que le notaire n’établit pas, en outre, avoir informé M. [P] que si le logement qu’il allait acquérir ne respectait pas les conditions de décence exigées par la loi et le règlement sanitaire départemental du Rhône du 10 avril 1980, en particulier la hauteur sous plafond de 2, 30 mètres, celui-ci risquait d’être déclaré insalubre à titre irrémédiable par décision du préfet, emportant interdiction définitive d’habiter, ni qu’il l’a informé des autres conditions de décence qui, sans être irrémédiables, nécessitaient d’engager des travaux si elles n’étaient pas respectées, comme la ventilation ou la présence d’un garde corps devant les ouvrants.
Cette obligation d’information ne nécessite pas que le notaire se déplace sur les lieux, ainsi qu’il le soutient, mais simplement qu’il explique à l’acquéreur les caractéristiques d’un logement décent exigées par la loi, afin que ce dernier achète le bien en connaissance de cause, étant précisé que le notaire ne peut s’exonérer de cette obligation en mentionnant dans l’acte de vente, comme c’est le cas en l’espèce, que le vendeur déclare que ‘les biens vendus ne sont pas insalubres et ne font l’objet d’aucune interdiction d’habiter (…)’, à défaut pour le vendeur d’être un professionnel du droit, chargé d’informer son co-contractant des exigences légales.
Le notaire aurait d’autant plus dû être alerté sur l’intérêt d’informer M. [P] sur les critères de décence d’un appartement, qu’il avait connaissance du fait qu’il était situé dans l’entresol de l’immeuble et que sa surface totale était 15,97 m2.
Ainsi, il est établi que le notaire, qui n’a pas rempli son obligation d’information, a commis une faute, la circonstance que M. [P] soit un professionnel de l’immobilier, étant sans incidence à cet égard.
Le jugement est confirmé de ce chef.
3. Sur le préjudice
La société Homnia fait valoir que la difficulté n’est pas née du notaire mais d’un motif d’ordre public, que l’arrêté préfectoral avait plusieurs motifs et que le point relatif à la hauteur n’était pas dirimant. Il ajoute que M. [P] a été informé dès le compromis des critères du logement décent et que le logement acquis a été loué durant dix années, générant des revenus.
Enfin, il indique que le préjudice, qui ne peut être qu’une perte de chance, ne peut être évalué à 95% du prix, mais à 25%, car l’arrêté d’insalubrité est également fondé sur des motifs tenant à l’état du logement et le bien a d’ores et déjà généré des revenus, de sorte qu’il a été rentabilisé.
M. [P] fait valoir que son préjudice consiste en la perte de chance de ne pas avoir contracté ou celle d’avoir contracté à des conditions plus avantageuses, s’il avait été dûment informé par son notaire. Il explique que du fait de l’interdiction définitive d’habiter, le bien immobilier ne peut plus être utilisé en tant que logement, de sorte que sa valeur vénale, qui aurait dû atteindre la somme de 56 000 euros en 2016 et à 70 000 ou de 142 994 euros en 2021 selon les estimations, s’élève à 6 000 euros en tant que local de réserve,.
Il ajoute qu’il n’est pas contesté par la partie adverse qu’il a acquis ce bien pour réaliser un investissement locatif, de sorte que la plus-value qu’il aurait dû réaliser sur le bien doit également être indemnisée.
Par ailleurs, il soutient qu’il subit une perte de revenus locatifs, à hauteur de 500 euros par mois sur trois ans, ainsi que le coût d’un prêt immobilier, des frais afférents au logement et au relogement de son locataire, ainsi qu’un préjudice moral lié à la déception relative au bien, à la pression liée à l’obligation d’offrir un logement décent à son locataire et aux soucis qui l’affectent.
Réponse de la cour
M. [P] est bien fondé à obtenir réparation au titre de la perte de chance de renoncer à l’acquisition d’un appartement non habitable, s’il avait été informé par le notaire des règles applicables aux logements décents.
Il n’y a pas lieu de l’indemniser en plus, au titre de la perte de revenus locatifs, qui est comprise dans la réparation du préjudice relatif à la perte de chance de renoncer à l’acquisition d’un appartement non habitable, dont la réglementation ne concerne que les logements à louer.
En revanche, il y a lieu d’indemniser M. [P] de son préjudice afférent à une partie des intérêts et frais d’emprunt qu’il doit exposer, dans la mesure où le bien acquis, qui s’est avéré ne pas être habitable, a une valeur moindre et aurait, en conséquence, dû avoir un coût moins élevé.
Les frais afférents au logement et à la relocation du locataire n’étant pas justifiés, ils ne sont pas indemnisés.
Par ailleurs, M. [P] n’a pas demandé la résolution de la vente, de sorte que les manquements retenus à l’encontre du notaire n’ont pas entraîné une absence totale d’efficacité de l’acte et M. [P] ne conteste pas avoir loué le bien pendant une dizaine d’années, de sorte qu’il en a retiré un profit.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient d’évaluer le préjudice matériel total de M. [P] à la somme de 20 000 euros. Le jugement est infirmé de ce chef.
Par confirmation du jugement, il y a lieu d’accorder à M. [P], la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.
4. Sur les autres demandes
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [P], en appel. La société Homnia est condamnée à lui payer à ce titre la somme de 3.000 €.
Les dépens d’appel sont à la charge de la société Homnia qui succombe en ses demandes principales.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il condamne la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à payer à M. [W] [P], la somme de 30 875 euros, en réparation de son préjudice matériel,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Homnia notaires Jean-Pierre Prohaszka, Lionel Monjeaud, Cedric Pretet, Benjamin Dumontet, Maarion Pierson, Elodie Coche, Jean-Francois Kappler, notaires associés venant aux droits de la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à payer à M. [W] [P], la somme de 20 000 euros, en réparation de son préjudice matériel,
Condamne la société Homnia notaires Jean-Pierre Prohaszka, Lionel Monjeaud, Cedric Pretet, Benjamin Dumontet, Maarion Pierson, Elodie Coche, Jean-Francois Kappler, notaires associés venant aux droits de la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur à payer à M. [W] [P], la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
Condamne la société Homnia notaires Jean-Pierre Prohaszka, Lionel Monjeaud, Cedric Pretet, Benjamin Dumontet, Maarion Pierson, Elodie Coche, Jean-Francois Kappler, notaires associés venant aux droits de la SCP Prohaszka- Monjeaud-Pretet-Dumontet-Pierson-Lemineur aux dépens de la procédure d’appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière, Le Président,